Interview de M. Benjamin Haddad, ministre délégué, chargé de l'Europe, à TF1 le 27 novembre 2024, sur l'accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah entré en vigueur au Liban, les deux otages français à Gaza, le risque de censure du projet de loi de finances 2025 et ses conséquences et le projet d'accord avec le Mercosur.

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Média : TF1

Texte intégral

Q - Bonjour, Benjamin Haddad.

R - Bonjour.

Q - On va parler, dans un instant, censure et agriculture. Mais d'abord, cette bonne nouvelle, le cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah qui est entré en vigueur, cette nuit, au Liban. C'est un accord qui a été conclu sous l'égide de la France et des États-Unis. Or, le président américain a déjà prévenu, il n'enverra pas de troupes au sol. Est-ce que ça veut dire que ce sont les soldats français qui vont œuvrer à la mise en œuvre, justement, de ce cessez-le-feu ?

R - Il faut saluer cet accord de cessez-le-feu qui a été trouvé, qui va permettre de ramener le calme, de protéger les civils libanais, de préserver les Israéliens des attaques terroristes que l'on voit depuis le 8 octobre, le lendemain du 7 octobre. C'est un engagement très fort de la France, un engagement personnel du Président de la République, vous le savez, en soutien au Liban. On a eu, il y a quelques semaines, le 24 octobre, une conférence de soutien au Liban, à la fois sur l'aide humanitaire, sur le soutien, aussi, aux forces armées libanaises.

Q - Vous y voyez un succès pour nous ?

R - C'est un engagement de la France, du Président de la République, aux côtés des États-Unis et du président Biden. Le Président de la République l'a dit, ça doit être maintenant une opportunité pour le Liban, pour la population et les dirigeants libanais, de recréer de l'unité et de tracer l'avenir pacifique du pays.

Q - Et il a appelé à l'élection d'un président au Liban. La bonne nouvelle, elle vaut pour le Liban, pour le Sud-Liban ; en revanche, pas pour Gaza, pas pour les Palestiniens. Ce matin, le Hamas se dit prêt, lui aussi, à une trêve à Gaza. Est-ce qu'en ce moment même, la France est aussi en train de négocier un accord comparable à Gaza, pour Gaza ?

R - Mais, depuis des mois, la France est mobilisée avec ses partenaires, vous le voyez – mobilisée dans la diplomatie pour trouver les conditions d'un cessez-le-feu dans la région, qui devra entraîner le retour du dialogue politique et la solution à deux États, l'acheminement de l'aide humanitaire pour les civils, la libération inconditionnelle des otages. Je rappelle que nous avons toujours...

Q - On n'en est pas encore au cessez-le-feu ?

R - ...deux otages français qui sont retenus par le Hamas à Gaza, Ohad Yahalomi et Ofer Kalderon, il ne faut pas les oublier. La France s'engage pour la paix et le dialogue dans la région.

Q - Alors venons-en à ce qui préoccupe votre Gouvernement. Votre Premier ministre était, hier soir, l'invité du "20h" de "TF1". Dans les messages à retenir notamment, l'idée qu'il passera assurément par un 49.3 pour faire valider le budget. Il a mis en garde face au "risque de tempête" – ce sont ses mots –, de "turbulences graves sur les marchés" au cas où il serait renversé par une motion de censure – et donc vous avec. Si on résume la stratégie du Gouvernement, c'est de dire : "C'est moi, c'est nous ou le chaos ?".

R - Le Premier ministre a eu des mots très forts, mais qui sont à la hauteur de la gravité de la situation. Les Français demandent de la stabilité. Notre pays a besoin de stabilité. Regardons autour de nous. Dans ma mission actuelle, de ministre des affaires européennes, je voyage, je parle à nos partenaires européens. Nous avons la guerre d'agression de la Russie contre l'Ukraine à nos portes, les élections américaines des défis majeurs au niveau européen, l'investissement dans la compétitivité.

Q - Ce n'est pas le fait d'avoir ou de ne pas avoir de budget qui va régler tout ça.

R - Mais si la France n'a pas de budget, si notre Gouvernement est censuré demain, c'est notre influence et notre crédibilité qui en prennent un coup. Le Premier ministre a raison de le rappeler. Demain, nous pourrons avoir une pression sur les taux d'intérêt et le coût de la dette, et donc la censure appauvrira les Français. La censure mettra le pays dans une situation financière catastrophique.

(...)

Q - Vous diriez un "scénario à la grecque", comme votre collègue porte-parole du Gouvernement, Maud Bregeon, qui disait : "On risque un scénario à la grecque" ?

R - Maud Bregeon a parfaitement raison. Effectivement. Vous avez déjà les taux d'intérêt de la France qui augmentent. Nous sommes scrutés par nos partenaires européens. Et d'ailleurs, je me félicite que, hier, la Commission européenne ait rendu un avis favorable sur la trajectoire budgétaire de notre pays. Mais on est attendus effectivement au tournant...

Q - Et on est quand même de très mauvais élèves encore dans la classe européenne.

R - ...par les marchés financiers, par nos investisseurs, ceux qui achètent notre dette, qui sont, comme le Premier ministre l'a rappelé, souvent des investisseurs étrangers, américains ou chinois, par les agences de notations.

Q - Donc l'épée de Damoclès, elle est aussi sur notre tête ?

R - Donc oui, c'est un enjeu de crédibilité et cela devient un enjeu de souveraineté pour notre pays. Donc nous devons continuer cette trajectoire de réduction de déficit. Là, on a un budget qui est à la hauteur des enjeux. Mais on est en effet dans une situation économique et géopolitique qui demande d'être responsables.

(...)

Q - Et il se passe quoi après, alors ? Parce que vous évoquiez les conséquences financières, le "scénario à la grecque" mais, politiquement, il se passe quoi si le Gouvernement saute, selon vous ? C'est quoi la suite ?

R - Je pense que c'est un saut dans l'inconnu. C'est un saut dans l'inconnu, véritablement. Et encore une fois, regardez les enjeux dont on parle. On débattra, aujourd'hui, au Sénat, de la question du Mercosur.

Q - Il y a eu un vote hier à l'Assemblée : large rejet, sans surprise.

R - Notre Gouvernement, notre pays, le Président de la République, le Premier ministre font entendre une voix, avec un message clair : cet accord n'est pas acceptable dans les conditions tel qu'il est présenté par la Commission, ni sur le plan de l'équité commerciale, ni sur le plan des normes environnementales et de la réciprocité.

Q - Une fois qu'on a dit ça, une fois qu'on a fait voter le Parlement, Benjamin Haddad, il y a la question de l'efficacité politique : on fait quoi ? On croise les doigts pour que la Commission nous entende ?

R - Non, mais on travaille avec nos partenaires. Et je peux vous dire que la colère qui est exprimée aujourd'hui par les agriculteurs, c'est la même colère dans d'autres pays, chez certains de nos voisins, qui entendent. Donc on travaille à constituer une coalition de blocage.

Q - Est-ce qu'on a cette coalition pour bloquer le Mercosur, aujourd'hui ? Ou on ne l'a pas ?

R - Mais on travaille, effectivement, avec nos partenaires, qui sont nombreux et qui s'expriment, maintenant. Certains s'expriment et partagent les mêmes préoccupations et les mêmes inquiétudes sur la question du Mercosur.

Q - Qui est prêt à bloquer le Mercosur en Europe, quels pays ?

R - Mais ce que je voudrais vous dire c'est qu'une fois de plus...

Q - Quels pays, Benjamin Haddad ?

R - Comment peut-on dire : "On va s'engager pour les agriculteurs, pour protéger nos agriculteurs" et, dans le même temps, "On va voter la censure" ? Mais la censure, aujourd'hui, c'est le Mercosur demain. C'est un gouvernement qui ne peut plus faire entendre sa voix, précisément, pour protéger nos agriculteurs...

Q - Enfin, vos opposants politiques ont aussi dit leur opposition au Mercosur, donc un autre gouvernement serait aussi opposé au Mercosur.

R - Face à tous les enjeux, nous avons besoin d'un gouvernement qui est à la tâche aujourd'hui. Le Gouvernement est au travail...

(...)

Q - Merci beaucoup, Benjamin Haddad.

R – Merci.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 décembre 2024