Déclarations de MM. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et Laurent Saint-Martin, ministre du budget et des comptes publics, sur le projet de loi spéciale prévue par l'article 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, à l'Assemblée nationale le 16 décembre 2024.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Antoine Armand - Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;
  • Laurent Saint-Martin - Ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics

Circonstance : Discussion à l'Assemblée nationale du projet de loi spéciale prévue par l'article 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances

Texte intégral

Mme la présidente
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi spéciale prévue par l'article 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (nos 711, 719).

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
Permettez-moi tout d'abord de m'associer aux propos de la présidente de l'Assemblée nationale et d'avoir une pensée pour nos compatriotes de Mayotte, pour toutes les victimes ainsi que pour les forces de secours et de sécurité, pour les services de l'État qui sont pleinement mobilisés et durement affectés. J'ai animé avec Laurent Saint-Martin une cellule de crise économique sous l'autorité du premier ministre et du président de la République. Nous présenterons de nouvelles mesures destinées à assurer la continuité de l'État et à venir le plus rapidement possible en aide à nos compatriotes de Mayotte.

Mesdames et messieurs les députés, la motion de censure adoptée le 4 décembre dernier lors de la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale a interrompu la discussion des textes financiers. Elle a compromis l'adoption d'une loi de finances pour 2025 et, pour le moment, privé la France d'un budget.

M. Nicolas Sansu
C'est le 49.3 qui nous a privés d'un budget !

M. Antoine Armand, ministre
J'ai eu l'occasion de le dire en commission des finances et je le redis ici : cette situation est exceptionnelle et grave.

L'absence de budget a également des conséquences directes et immédiates pour nos compatriotes ultramarins, pour les agriculteurs, pour les très petites et les moyennes entreprises, pour l'investissement dans notre pays, pour l'emploi : autant de répercussions que certains ont refusé de voir, mais qu'une agence de notation n'a pas manqué de rappeler très clairement, vendredi dernier, en abaissant la note de notre pays.

Et ne nous y trompons pas, la loi spéciale que nous vous présentons aujourd'hui avec Laurent Saint-Martin n'est pas un budget. Ce projet de loi n'étant pas un projet de budget, il n'est pas sous-tendu par des prévisions de croissance, de déficit ou d'endettement. Ce n'est en aucun cas un texte qui peut nous laisser croire que nos déficits ont disparu, que notre dette n'existe plus et qu'il n'y a pas d'urgence budgétaire. Notre déficit est là, notre dette est là, l'urgence budgétaire est là, quelles que soient les expressions de celles et ceux qui ne veulent pas le voir.

M. Aurélien Le Coq
Qui a creusé la dette de plusieurs milliards ?

M. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
Ce projet de loi spéciale prévue à l'article 47 de la Constitution, présenté en commission des finances moins d'une semaine après la censure, conformément à l'engagement pris par le président de la République devant les Français le 5 décembre dernier, n'est qu'un texte technique, sans portée politique, qui vise uniquement à éviter toute discontinuité budgétaire entre la fin de l'exercice 2024 et l'adoption d'un budget. Ce n'est pas la reconduction du budget de l'année dernière. Comme l'indique la circulaire du premier ministre, conformément à la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), la loi spéciale, ainsi que les décrets de services votés, ne reviennent pas à répliquer le budget de l'année dernière, mais à " ouvrir le minimum de crédits que le gouvernement juge indispensable pour poursuivre l'exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l'année précédente par le Parlement ", avec toutes les conséquences que cela emporte, hélas.

M. Nicolas Sansu
Eh oui, le minimum !

M. Antoine Armand, ministre
Ce projet de loi poursuit seulement deux objectifs : continuer à lever l'impôt et permettre à l'État ainsi qu'aux organismes de sécurité sociale d'émettre encore de la dette, afin d'assurer la continuité des services publics et de l'action de l'État. Les discussions autour du projet de loi spéciale ne peuvent ni ne doivent être un débat budgétaire. J'entends bien que certains, découvrant l'impact de la censure, voudraient faire fi de la Constitution pour organiser une sorte d'écrit de rattrapage (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP), mais je salue l'esprit de responsabilité de celles et ceux qui s'en tiennent à l'état du droit que le Conseil d'État a rappelé très explicitement et que toute démocratie se doit de respecter.

Nous vous soumettons ce projet de loi spéciale en vue de son examen et de son adoption, car il y va de notre responsabilité collective. Dès demain, au-delà des clivages, nous aurons besoin de donner un cadre économique budgétaire et financier à notre pays. Il en a besoin, et nous lui devons. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur quelques bancs du groupe DR.)

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre du budget et des comptes publics.

M. Laurent Saint-Martin, ministre du budget et des comptes publics
Permettez-moi tout d'abord d'avoir une pensée pour nos compatriotes de Mayotte, en particulier pour les 250 agents des finances publiques et des douanes que nous essayons de joindre.

Mesdames et messieurs les députés, nous devons soutenir ce texte technique, au titre du caractère urgent et impératif que revêt son adoption.

Tôt ou tard, il faudra donner à la France un budget pour 2025. Le projet de loi spéciale que vous vous apprêtez à examiner ne saurait en tenir lieu – le premier ministre l'a clairement exprimé vendredi dernier, lors de la passation des pouvoirs. La situation des finances publiques n'a pas changé depuis la démission du gouvernement. L'état de nos comptes est le même, avec tous les défis que cela emporte, pour le présent comme pour l'avenir. La décision de l'agence de notation Moody's ne nous dit pas autre chose.

Chacune et chacun d'entre vous en est parfaitement conscient. Malgré l'issue des débats budgétaires, il ne s'est trouvé personne, sur aucun banc, pour contester ni la gravité de la situation, ni le caractère excessif de notre endettement, ni la nécessité de réduire le déficit. Il y a donc au Parlement un espace pour engager le redressement des comptes, pourvu que les forces politiques qui le composent parviennent à s'entendre sur les modalités de l'effort à fournir.

Ce texte ne préjuge donc pas des nouveaux arbitrages qui seront rendus sous l'autorité de François Bayrou par un prochain gouvernement de plein exercice. Il ne préempte en aucun cas les futures discussions budgétaires, dont je souhaite qu'elles aient lieu rapidement, dans l'intérêt supérieur de notre pays et de nos concitoyens. Il n'a pas davantage vocation à permettre la répétition des débats que nous avons eus ensemble lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF) et du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

Ce texte n'a qu'un seul objectif, qui délimite strictement son contenu : assurer, à titre exceptionnel et transitoire, la continuité de la vie de la nation.

En d'autres termes, la loi spéciale vise à éviter le shutdown. Elle ne peut pas faire moins. Elle ne peut pas en faire davantage. Tant la jurisprudence que les textes sont extrêmement clairs sur ce point.

M. Nicolas Sansu
Oh, juste une décision !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
En premier lieu, la loi spéciale ne peut pas modifier le code des impôts. Cette loi n'exprime pas le consentement à l'impôt, elle n'en constate que la nécessité.

Ainsi que le précise l'avis dépourvu d'ambiguïté du Conseil d'État, elle ne permet ni de reconduire pour l'année suivante les dispositions fiscales arrivant à échéance fin 2024 ni de modifier le barème de l'impôt sur le revenu (IR) pour l'indexer sur l'inflation.

La loi spéciale peut seulement autoriser le gouvernement à continuer à percevoir les impôts et taxes existants jusqu'au vote de la loi de finances de l'année, ce qui est indispensable pour assurer le financement de nos services publics, de notre système de protection sociale et de nos collectivités territoriales.

En second lieu, le décret qui sera pris après la promulgation de la loi spéciale nous place sous le régime restrictif des services votés. La loi spéciale n'autorise pas le gouvernement à engager des dépenses nouvelles : conformément à la Constitution, jusqu'à l'adoption d'une loi de finances pour l'année, les crédits se rapportant aux services votés seront temporairement ouverts par décret.

Les services votés correspondent au niveau minimal de crédits jugé indispensable pour poursuivre en 2025 l'exécution des services publics dans les conditions de l'année précédente. La lettre et l'esprit de l'article 45 de la Lolf limitent ces dépenses au strict minimum. Ainsi, en l'absence de loi de finances, le gouvernement ne pourra pas augmenter les budgets des ministères des armées, de la justice ou de l'intérieur au-delà du strict minimum sur la base des crédits de 2024.

Sauf nécessité pour la continuité de la vie nationale ou motif d'urgence caractérisée, le gouvernement ne pourra pas non plus procéder à de nouveaux investissements ou à des dépenses discrétionnaires de soutien aux associations, aux entreprises ou aux collectivités. Après avoir commencé mon propos par une pensée pour nos compatriotes mahorais, j'évoque à dessein l'urgence caractérisée, car cette condition se trouve aujourd'hui remplie à Mayotte. L'aide à Mayotte – par ailleurs nécessaire pour la continuité de la vie nationale – sera rendue possible par les crédits d'urgence de fin d'année 2024, mais aussi par le décret de services votés pour 2025. Nous pourrons ainsi prêter main-forte aux Mahorais en l'absence de loi de finances.

Enfin, la loi spéciale autorise le gouvernement à recourir aux emprunts nécessaires pour assurer ses engagements ainsi que le fonctionnement régulier des services publics. Comme vous le savez, les recettes fiscales et sociales ne suffisent pas à couvrir le besoin de financement des administrations publiques – c'est la problématique qui sous-tend nos débats depuis de longues semaines –, de sorte que nous ne pouvons assurer nos engagements auprès de nos créanciers ou garantir le fonctionnement régulier des services publics sans emprunter. Il est donc indispensable d'autoriser l'État, les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) à émettre de la dette.

Je ne serai pas plus long. Il est ici question de parer à l'urgence dans l'attente d'un nouveau budget, d'assurer la continuité de la nation, le fonctionnement régulier des services publics et le respect des engagements pris par notre pays. Avec ce texte, nous vous demandons tout simplement que, dans le respect du droit, nécessité fasse loi. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR, Dem et DR.)


source https://www.assemblee-nationale.fr, le 18 décembre 2024