Interview de Mme Geneviève Darrieussecq, ministre de la Santé et de l'accès aux soins à LCI le 18 décembre 2024, sur la situation à Mayotte, le bilan provisoire des victimes, l'inquiétude vis à vis de l'eau et des épidémies, les évacuations sanitaires vers l'île de la Réunion, l'arrivée de professionnels de santé et son avenir au sein du futur Gouvernement.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : LCI

Texte intégral

KARIM BENNANI
8 h 34 à présent dans le 6-9. Ce matin, notre interview politique, c'est la ministre de la Santé, ministre démissionnaire de la Santé, Geneviève DARRIEUSSECQ, qui est avec nous. Bonjour et bienvenue madame la ministre. Mayotte, évidemment, la situation, on va beaucoup en parler avec vous, ce matin. Le bilan dressé, hier, par le ministère de l'Intérieur après ce communiqué, 22 morts, 1 373 blessés, C'est un bilan provisoire, évidemment, madame la ministre. Dans combien de temps nous pourrons avoir un bilan un peu plus affiné selon vous ?

GENEVIÈVE DARRIEUSSECQ
C'est un bilan provisoire parce que c'est un bilan établi au niveau de l'hôpital de Mayotte. Et effectivement, je pense qu'il faut, il faut que toutes les recherches se poursuivent, que tout soit progressivement, le territoire soit progressivement examiné, que nous puissions avoir. Et j'imagine que c'est le cas actuellement avec les élus locaux, aussi, qui connaissent la population, avec les associations qui travaillent auprès des populations et certainement que les choses évolueront. Aujourd'hui, c'est 22 morts, c'est le bilan officiel que l'on peut donner et qui est celui de l'hôpital de Mayotte.

KARIM BENNANI
Bruno RETAILLEAU. Juste un mot, le ministre de l'Intérieur, qui est sur place, en ce moment, à Mayotte, craint que le bilan soit trop lourd. Des milliers, le préfet de Mayotte avaient parlé de milliers de victimes, potentiellement.

GENEVIÈVE DARRIEUSSECQ
Le bilan peut être très lourd. Dans cet habitat qui est un habitat très précaire, qui a été totalement démoli et, pour l'instant, nous n'avons pas de visibilité et pu suffisamment investiguer ces zones-là.

SOAZIG QUEMENER
La CROIX-ROUGE parle de 200 disparus. Est-ce que vous en savez plus ?

GENEVIÈVE DARRIEUSSECQ
Nous n'en savons pas plus. Et vous savez que c'est une population musulmane qui, en plus, a des rites particuliers et qui enterrent les…

PASCAL PERRI
L'inhumation, notamment.

GENEVIÈVE DARRIEUSSECQ
L'inhumation immédiate…

KARIM BENNANI
Au bout de 24 h.

GENEVIÈVE DARRIEUSSECQ
Donc, c'est vraiment une enquête qu'il faudra, qu'il faut mener actuellement, auprès de la population pour savoir exactement.

SOAZIG QUEMENER
Pardon, je reprécise ma question, il y aurait 200 membres de la CROIX-ROUGE. Il y a beaucoup de personnes disparues dans la population, mais spécifiquement 200 membres de la CROIX-ROUGE qui ne répondent plus à l'appel. Est-ce que vous en avez su ?

GENEVIÈVE DARRIEUSSECQ
Nous avons également, par exemple, au niveau de l'ARS de Mayotte. Nous avons, également, dans les équipes des personnes qui ne répondent pas. Alors, est ce qu'elles ne répondent pas parce qu'elles n'ont pas de moyens téléphonique, donc pas d'électricité pour recharger les téléphones ? Est ce qu'elles ne répondent pas pour d'autres raisons ? Aujourd'hui, nous ne pouvons pas le dire.

PASCAL PERRI
Question sur le centre hospitalier de Mayotte. Effectivement, on ne sait pas quelle est la part des personnes qui sont en situation irrégulière dans ce grand bidonville de Kawéni. On pense que c'est significatif. L'hôpital de Mayotte, on dit que c'est la plus grande maternité de France. En fait, c'est une maternité étrangère. 75 % des femmes qui accouchent ne sont pas françaises. Est-ce que pour vous, ministre de la Santé, après la crise, cette situation est durable ?

GENEVIÈVE DARRIEUSSECQ
Écoutez, la situation de la maternité est liée à la situation de l'immigration, directement.

PASCAL PERRI
C'est bien l'objet en question.

GENEVIÈVE DARRIEUSSECQ
Je crois que le Premier ministre l'a dit. Le ministre de l'Intérieur, également, l'a dit, le sujet de l'immigration à Mayotte est un sujet depuis toujours et notamment ces dernières années, avec des afflux massif venant des Comores.

PASCAL PERRI
Mais si je puis me permettre, madame.

GENEVIÈVE DARRIEUSSECQ
On ne va pas régler ce sujet dans un cas aigu.

PASCAL PERRI
La responsabilité du politique n'est pas de nous dire "C'est un sujet." Tout le monde a compris que c'était un sujet. La responsabilité du politique, c'est de proposer des solutions. Est ce qu'il en existe ?

GENEVIÈVE DARRIEUSSECQ
Ce sera à construire dans les prochains mois, à mon sens, avec le Gouvernement et les élus. Mais la responsabilité d'un ministre de la Santé, aujourd'hui, est de vous dire que si une femme, y compris irrégulière, a besoin de soins et d'accouchement, elle sera soignée à l'hôpital de Mayotte.

SOAZIG QUEMENER
La grosse inquiétude, on l'a vu dans un reportage qui a été diffusé tout à l'heure, c'est l'eau, c'est le choléra, les épidémies. Est-ce que vous avez déjà des inquiétudes et des informations à ce sujet-là ?

GENEVIÈVE DARRIEUSSECQ
Il n'y a pas, aujourd'hui, de raison de penser que le choléra serait présent. Mais bien sûr que c'est une inquiétude puisqu'il y avait du choléra le printemps dernier jusqu'au mois de juillet. Donc, nous prenons toutes dispositions, bien sûr, au sujet de l'eau, ne serait-ce qu'en donnant des… En essayant de couper au niveau des élus et des associations, les messages à donner à la population sur les gestes préventifs à effectuer. À effectuer. Il y a des pastilles de chlore, il y a des mesures particulières qui sont données à la population. Et nous faisons, bien sûr, des réserves de vaccins potentiellement afin de pouvoir les déployer quand ce sera nécessaire, si c'est nécessaire. Tout cela est très surveillé, bien sûr, sur le plan sanitaire et mérite une attention. Il y a l'eau, il y a aussi des choses qui surviendront, les vecteurs, les moustiques, par exemple, les maladies diffusables par les moustiques. Donc nous avons vraiment une attention importante sur tous ces sujets au niveau sanitaire.

FRANÇOIS CLEMENCEAU
On a vu madame, au moment de la réunion de crise à Beauvau, que vraiment autour de la table, il y avait tous les services de l'État qui étaient représentés, votre ministère, évidemment. Et on se pose la question de savoir, vous qui avez longtemps travaillé également auprès des armées, à quel moment il faut déclencher ce processus qui consiste à impliquer l'armée, pas seulement dans des opérations logistiques, mais également, par exemple, avec le service de santé, qui avait été très présent et très mobilisé, par exemple pendant le Covid ? Est ce qu'on est dans cette forme d'urgence là, à Mayotte ?

GENEVIÈVE DARRIEUSSECQ
Aujourd'hui, il y a, bien sûr, tous les services de santé et la cellule de crise qui existent au niveau du ministère de la Santé qui est activé 24/24 h, qui suit la situation. Nous avons la sécurité civile qui a, immédiatement, mis en œuvre ces dispositifs et l'hôpital de campagne qui sera déployé par la sécurité civile. Et bien sûr, notre action se poursuivra et s'amplifiera en fonction des besoins. Aujourd'hui, nous n'avons pas non plus à déployer des besoins qui ne seraient pas nécessaires. Mais par exemple, pour ce qui est du ministère des Armées, nous avons envisagé et nous allons déployer une unité modulaire de réanimation pour venir en soutien de l'hôpital qui est très dégradé sur le plan bâtiment de terre. Donc, nous avons besoin de structures qui seront là, à moyen terme et jusqu'à ce que nous puissions faire une réparation ou une reconstruction efficace.

KARIM BENNANI
Madame la ministre, nous avons lancé, en début de semaine, qu'il y avait eu 25 évacuations sanitaires entre l'île de La Réunion et Mayotte, ce qu'on a pu affiner, ce chiffre qui a augmenté depuis. Aujourd'hui, c'est 51 avec celles qui ont eu lieu, hier. Et tous les jours, il y a une loria, si vous voulez, de patients qui sont envoyés sur l'île de la Réunion. Moi, je veux vraiment saluer La Réunion qui a un système de santé qui participe beaucoup à la résilience et au traitement de cette urgence. Donc voilà, c'est 51 aujourd'hui et aujourd'hui, il y aura, dans la journée, d'autres patients qui seront évacués, sachant que ce sont des patients qui ont des maladies chroniques lourdes et qui nécessitent des soins lourds. Ce ne sont pas des patients forcément blessés dans ce cyclone.

SOAZIG QUEMENER
Et on sait combien de nid peuvent être mobilisés à La Réunion encore, aujourd'hui, pour accueillir de nouveaux patients ? Vous avez des chiffres ?

GENEVIÈVE DARRIEUSSECQ
Alors, ce n'est pas forcément que des lits, il faut aussi... Les patients dialysés, par exemple, n'ont pas forcément besoin de lits, ils ont besoin d'un hébergement. Donc tout ceci est construit avec les préfets, le préfet de Mayotte et le préfet de zone qui est le préfet de La Réunion qui, bien sûr, travaille sur ces modalités d'accueil.

KARIM BENNANI
Dans le même ordre d'idée, combien de professionnels de santé réservistes sont arrivés à Mayotte ?

GENEVIÈVE DARRIEUSSECQ
Alors, des professionnels de santé réservistes, aujourd'hui, il y en a 71 qui sont arrivés à Mayotte. Il y en a une trentaine qui vont rejoindre Mayotte le plus rapidement.

KARIM BENNANI
Donc, une centaine en tout. Vous êtes également médecins, madame la ministre, quelle est la priorité absolue, aujourd'hui, à l'heure où l'on se parle à Mayotte ?

GENEVIÈVE DARRIEUSSECQ
Eh bien, la priorité absolue est de, bien sûr, venir en secours de la population, accueillir les blessés quand ils arrivent jusqu'à l'hôpital. Et puis c'est, je crois, avec toutes les forces de sécurité civile et de génie aussi, ceux qui déblayent, etc. De pouvoir repérer des blessés éventuels, des malades qui n'auraient pas… Qui seraient en rupture de médicaments aussi. Ça c'est quelque chose d'important pour lequel nous avons une attention particulière. L'hôpital a mis en place une structure particulière.

PASCAL PERRI
Il y a une pharmacie suffisante aujourd'hui, un stock suffisant ?

GENEVIÈVE DARRIEUSSECQ
Il y a des médicaments qui sont en stock suffisant. Le grossiste, dit grossiste répartiteurs sur l'île, a des stocks qui n'ont pas été abîmés et nous avons envoyé d'autres stocks.

PASCAL PERRI
Mais le risque épidémique, je reviens aux images qu'on a montré, ce matin, dans la matinale, on montrait des images de gens qui, à Kawéni ou ailleurs, font la cuisine avec l'eau qui coule.

KARIM BENNANI
L'eau du ruisseau.

PASCAL PERRI
L'eau du ruisseau, ruisseau où vous imaginez, ça traverse des zones qui ont été habitées, il y a peut-être des cadavres, etc. C'est bien un danger. Mais à quel moment on peut considérer qu'on sera hors de danger dans ce domaine, qu'on aura fait tout ce qu'on doit faire ?

GENEVIÈVE DARRIEUSSECQ
Écoutez, quand nous aurons, effectivement…

PASCAL PERRI
Mais c'est une affaire de jours, de semaines ?

GENEVIÈVE DARRIEUSSECQ
Il y a des envois massifs d'eau et de nourriture. Et donc, ce qu'il nous faut…

PASCAL PERRI
20 tonnes par jour d'eau.

GENEVIÈVE DARRIEUSSECQ
Et pouvoir distribuer cette eau de façon efficace. Vous avez bien compris qu'une fois que ça arrive à l'aéroport, il faut pouvoir le distribuer. Et c'est les capacités à distribuer qui sont importantes. Donc il faut que les routes soient déblayées, il faut que les véhicules puissent accéder. Et nous avons, moi je crois que c'est notre première urgence, c'est de pouvoir distribuer, dans de bonnes conditions, l'eau qui est envoyée, afin justement d'éviter cette utilisation.

PASCAL PERRI
C'est une catastrophe qui est d'une ampleur qu'on n'arrivait pas à imaginer. C'est que le territoire entier a été dévasté.

GENEVIÈVE DARRIEUSSECQ
C'est une catastrophe qui est difficilement imaginable. Effectivement, avec une dévastation totale de l'île, y compris ce qui était en dur. Certaines zones ont résisté, mais avec des dégâts néanmoins. Donc il faudra, bien sûr, reconstruire, ça c'est une évidence, et dans des délais assez rapides. Je crois que le Premier Ministre l'a dit. Mais il faut aussi sécuriser les bâtiments qui sont encore debout le plus rapidement possible. Et c'est pour cela que j'ai demandé, d'ailleurs, que l'on envoie par exemple à l'hôpital des experts, des ingénieurs en bâtiments, pour immédiatement faire un diagnostic et pouvoir porter les premières mesures pour sécuriser ce bâtiment et faire en sorte qu'à moyen terme, il puisse être utilisé avant potentiellement une construction différente et des éléments d'avenir qui seraient plus adaptés.

KARIM BENNANI
Pour terminer, madame DARRIEUSSECQ, vous parliez du Premier Ministre, il doit composer son futur Gouvernement. À l'instar du ministre de l'Intérieur, Bruno RETAILLEAU, vous êtes mobilisé sur cette crise sanitaire et cette situation à Mayotte. Il serait logique que vous continuiez dans votre rôle dans les prochains jours pour avoir de la continuité justement sur ce dossier de Mayotte ?

GENEVIÈVE DARRIEUSSECQ
Écoutez, moi je suis prête à continuer. Je suis aussi très consciente des équilibres politiques que le Premier Ministre devra trouver. Et je suis aussi, également, très consciente que le milieu de la santé, qui est un milieu que je connais bien, souffre beaucoup d'avoir eu des changements incessants de ministres depuis ces deux dernières années. Et je suis très consciente aussi que nous avons un budget à construire le plus rapidement possible. Un PLFSS, parce que celui que nous avions construit, il avait peut-être des défauts, mais il est certain que c'était 9 milliards de plus pour la santé et, aujourd'hui, c'est zéro. Donc nous avons vraiment besoin, le plus vite possible, de construire quelque chose, quelle que soit la personne qui sera là.

PASCAL PERRI
Mais vous êtes disponible ?

GENEVIÈVE DARRIEUSSECQ
Moi je suis disponible, mais vu un petit peu l'urgence aussi de la situation, disponible ne veut pas dire indispensable.

PASCAL PERRI
Est-ce que les membres du Modem ne risquent pas de trinquer, si je puis dire, du fait qu'il y a un Premier Ministre qui l'est lui-même ?

GENEVIÈVE DARRIEUSSECQ
C'est possible, mais moi ce qui m'importe, c'est les Français, c'est la France. Donc il faut que ça fonctionne, ma personne, n'importe quoi.

KARIM BENNANI
Merci beaucoup Geneviève DARRIEUSSECQ d'être venue, ce matin, dans le 6-9, face aux experts.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 décembre 2024