Texte intégral
Patrick CHAIZE, Président de l'Avicca
Monsieur le ministre, merci d'avoir répondu présent à l'invitation de l'Avicca. Vous avez devant vous une assemblée représentant toute la filière du numérique, dont plusieurs centaines de représentantes et représentants de collectivités territoriales différentes. Tous, nous sommes réunis autour d'une vision commune, d'un objectif partagé, tout le numérique pour tous, pour tous les territoires, pour tous les habitants.
Depuis bientôt une quarantaine d'années, nous agissons pour le déploiement des réseaux fixes et mobiles, la fibre et la 4G pour tous, mais aussi pour le numérique éducatif, en faveur de l'inclusion, de la cybersécurité, des réseaux LoRa pour les territoires intelligents, de la gestion de la donnée, d'un numérique éthique et durable.
Nous ne le faisons pas seuls. Nous avons noué des partenariats très étroits sur différents sujets de transformation numérique, avec trois premières associations. Je vais citer Départements de France, la FNCCR, et pas plus tard qu'hier matin, l'association Déclic.
Mais nous travaillons main dans la main avec bien d'autres; avec l'AMF par exemple, sur les sujets réseau fixe et mobile, la fermeture du cuivre, avec une quinzaine d'associations réunies récemment au sein de la Belle Alliance, sur les politiques d'inclusion numérique.
Je profite d'ailleurs de cette citation de la Belle Alliance pour rappeler notre inquiétude commune quant au possible arrêt de la politique nationale d'inclusion numérique. Nous sommes très inquiets, monsieur le Ministre, sur le budget qui nous est présenté à cette heure. J'espère être largement soutenu sur ce sujet, comme sur d'autres, lors du prochain débat budgétaire qui aura lieu au Sénat et où nous aurons le plaisir de vous y retrouver.
Nous travaillons aussi avec les services de l'État, notamment la DGE, la DINUM, l'Instance partenariale de l'éducation nationale, le ministère de l'Intérieur ou encore l'ANSI, avec également des autorités, agences et institutions de l'État, l'ARCEP, l'autorité de la concurrence, l'ANCT, la NFR, la Banque des territoires, on passe. Nous travaillons aussi en bonne intelligence avec les industriels, rassemblés au sein de la fédération InfraNum, du Comité stratégique de filière infrastructure numérique ou du GIP cybermalveillance.gouv.fr.
Pour autant, ce travail en commun est souvent bloqué par des intérêts catégoriels, des urgences sectorielles, des visions de court terme. Bref, il semble que nous souffrions tous, y compris nous, les collectivités, d'une certaine pixelisation, fractalisation, de ce que devrait être le numérique pour tous au niveau de la France. De la dématérialisation des procédures à la formation au numérique tout au long de la vie, de la régulation des GAFAM ou BAT, à la cloudification de l'ensemble de nos organisations, il nous semble qu'il manque une vision stratégique, un portage politique fort sur le numérique, quelqu'un qui donne le la.
Si nous invitons bien évidemment à puiser tout ce dont vous avez besoin dans nos travaux, nous sommes ce matin avant tout intéressés par votre vision de la transformation numérique de la France. Quel projet pour notre pays ? Quel portage ? Et même, dans le contexte budgétaire actuel, quels investissements ? À quoi ressemblera la France numérique dans 5 ans, dans 10 ans ? C'est aujourd'hui notre attente. Merci à nouveau d'avoir accepté de nous rejoindre à ce pupitre. Je vous laisse le micro.
Marc FERRACCI, Ministre délégué chargé de l'industrie :
Monsieur le Président, cher Patrick ChAIZE,
Monsieur le Sénateur Damien MICHELET,
Mesdames et Monsieur les élus,
Chers amis,
Je suis très heureux d'être avec vous aujourd'hui pour ce nouveau colloque. Je sais qu'il y en a eu beaucoup, je pense qu'il y en aura encore beaucoup d'autres colloques territoires et réseaux d'initiatives publiques de l'Avicca. Ce rendez-vous est un temps fort pour tous les acteurs des territoires et du numérique et je suis très fier d'être des vôtres pour cette nouvelle édition qui est placée sous le signe de la complétude. Alors je salue d'emblée ce thème, qui est à la fois un thème encourageant, car les progrès sur le déploiement du numérique dans nos territoires sont importants, c'est aussi un thème exigeant, car il reste du chemin, et nous le savons tous, pour compléter et achever cette grande transformation.
Je veux dire d'emblée que c'est évidemment l'ambition du Gouvernement, c'est la mienne, et c'est bien sûr aussi la vôtre, vous qui êtes les premiers acteurs de cette transformation dans tous nos territoires. Les enjeux sont essentiels, vous les connaissez. Car le numérique est au centre de la vie de nos concitoyens, à la fois en zone urbaine et en zone rurale.
Et aussi, c'est là le ministre de l'Industrie qui vous parle, parce que le numérique est un puissant levier pour la compétitivité des entreprises et pour le développement industriel. C'est la raison pour laquelle je suis déterminé à faire du développement des infrastructures numériques ma priorité. Vous m'avez invité, M. le Président, à formuler la vision qui est la mienne et qui est celle du Gouvernement. Je m'inspire en cela des recommandations, en tout cas d'un certain nombre de recommandations du rapport DRAGHI, qui met le numérique au centre de la politique industrielle et qui souhaite qu'en Europe, nous impulsions une démarche très volontariste en la matière. J'aurai l'occasion dans les prochains jours de défendre cette vision auprès de mes homologues européens.
Je vais vous dire quel État est à vos côtés pour transformer cette ambition en action. Et ce ne sont pas, car je sais que c'est aussi un des thèmes de ce colloque, la musique, ce ne sont pas paroles, paroles, ce sont des politiques, et ce sont des politiques qui marchent. Je veux rappeler ici les deux politiques structurantes que vous connaissez bien, que vous connaissez par cœur, le plan France Très Haut Débit, qui a pour ambition de généraliser la fibre sur tout le territoire.
Où en sommes-nous ? Ça a probablement été rappelé dans les interventions précédentes, mais je veux redonner quelques chiffres qui sont quand même édifiants. Début 2017, il y avait 8 millions de locaux raccordés. Mi-2024, nous en sommes à 44 millions, soit 89% du territoire. Et côté entreprises, parce qu'il ne faut pas perdre de vue cet enjeu spécifique, la dynamique est également très forte avec 63% d'entreprises raccordées en 2023 contre seulement 23% en 2019. Nous avons gagné 40 points ! La deuxième politique, c'est évidemment le New Deal mobile, qui a lui aussi permis de grandes avancées dans le déploiement de la 4G en zone blanche. Je voudrais ici vous raconter une anecdote, je m'écarte un petit peu de mon discours, conseillère m'en excusera, je l'espère. En 2017, je participais à la campagne du candidat Emmanuel MACRON, et nous faisions un déplacement en Corse et notamment dans un village de Haute-Corse qui s'appelle Vescovato. Nous y avions eu un échange avec le maire. Le candidat Emmanuel MACRON lui avait demandé " Monsieur le maire, qu'est-ce que je peux faire pour vous ? Qu'est-ce que nous pouvons faire pour améliorer la vie de vos concitoyens ? " Le maire n'a pas répondu sur le registre de l'accès aux soins, sur le registre de l'emploi, sur le registre du développement des services publics. Il a répondu : " Et bien vous voyez, le virage à la sortie du village, quand on passe ce virage, on ne peut même plus envoyer un SMS ". J'ai pris conscience à ce moment-là des enjeux et du sentiment de déclassement que peuvent ressentir beaucoup de nos concitoyens lorsqu'ils n'ont pas accès à la couverture mobile. Donc vous dire que ça me tient évidemment beaucoup à cœur.
Aujourd'hui, les progrès sont majeurs. 99% de la population bénéficie de la 4G, avec un rééquilibrage marqué qu'il faut saluer en destination des zones rurales et au profit des zones rurales. Et aujourd'hui, les zones blanches, qui représentaient 11% du territoire en 2018, représentent à peine 2% en 2023. Alors pourquoi ces politiques réussissent-elles, même si, je vais y revenir, les progrès sont encore à réaliser ? Tout simplement parce que l'État n'est pas seul à jouer sa partition, tout simplement parce que cette réussite est le fruit d'un partenariat efficace entre les collectivités, les opérateurs télécoms et l'État, un partenariat au service de l'intérêt général.
Et l'État, vous le savez, est là pour donner l'impulsion et pour vous soutenir, vous qui êtes les premiers acteurs sur le terrain. Il a concrètement soutenu les collectivités à hauteur de 3,5 milliards d'euros pour le déploiement de la fibre. Il a également renoncé à 3 milliards d'euros de recettes liées aux licences des fréquences, en contrepartie des engagements de couverture mobile des opérateurs, qui sont à l'origine des chiffres que je viens d'évoquer.
Évidemment, je pense profondément que c'est une méthode qui marche. Je pense profondément que c'est une méthode que nous devons poursuivre, ce qui n'empêche pas de réfléchir à des évolutions. Je pense enfin que c'est ce travail d'équipe qui nous fait avancer collectivement, qui fait avancer le pays. L'année 2025 est évidemment une année charnière. C'est une année qui marquera un tournant et peut-être, je l'espère, un aboutissement.
Pour le New Deal mobile, d'abord, puisque ce sera la dernière année pour identifier les sites à couvrir via le dispositif de couverture ciblé. Et puis pour la fibre, puisque l'État s'est engagé à généraliser la fibre d'ici 2025 et nous y sommes presque. Je ne veux pas passer sous silence le débat autour de la qualité. Je sais que c'est un débat qui est très important quand je parle avec les élus. Qu'en est-il maintenant de la qualité ? Le dernier baromètre de l'ARCEP est encourageant et même très encourageant puisqu'il montre une nette amélioration sur l'ensemble du territoire et cette amélioration est le résultat de la mise en œuvre du plan qualité qui avait été décidé par Jean-Noël Barrot. Je pense que nous pouvons nous en féliciter, même si cela ne signifie pas que tout est parfait évidemment, et il reste des défis à relever. Mais ces progrès sont encourageants et je vous fais confiance, vous qui êtes au plus près du terrain, pour voir ces résultats positifs et pour les valoriser, évidemment.
Mais nous voulons aller encore plus loin. Et notre ambition, toujours dans cette logique de vision, c'est de faire de la France un leader européen des infrastructures numériques. Comment est-ce que nous pouvons y arriver ? Tout d'abord en permettant à chaque Français qui en fait la demande d'être raccordé à la fibre. Le raccordement à la demande, c'est un engagement qui sera tenu. L'accord entre l'État et Orange donne des résultats à ce stade satisfaisants et l'objectif d'un déploiement de 1,2 millions de lignes raccordées à l'horizon 2025, cet objectif, je le dis, sera respecté. Par ailleurs, le rattrapage des 55 établissements publics de coopération intercommunale les plus éloignés de la moyenne nationale pour le déploiement de la fibre est désormais réalisé. Ensuite, je veux vous dire que nous utiliserons tous les leviers législatifs à notre disposition pour atteindre nos objectifs et pour accélérer le déploiement mobile. Je pense notamment au projet de loi sur la simplification de la vie économique porté par les ministres Guillaume Kasbarian et Antoine Armand. Je suis le sujet de près avec mes équipes pour parvenir ensemble, en valorisant notamment les apports du Sénat, à de nouvelles avancées grâce à ce texte.
Troisième levier essentiel, comme évoqué dans la table-ronde précédente : permettre à chacun de se fournir en très haut débit grâce à la mise en place du guichet cohésion des territoires. Ce guichet permet déjà aux ménages d'avoir accès à des aides à l'achat d'équipements 4G fixe et satellites. Nous allons compléter ce dispositif, vous le savez, pour permettre aux Français de financer les travaux d'accès à la fibre optique. Cette initiative, qui est financée dans le projet de budget à hauteur de 16 millions d'euros, va cibler prioritairement les ménages défavorisés et les petites entreprises dans les communes qui sont concernées par la fermeture du cuivre. Sa mise en œuvre, si le texte est adopté, est prévue au printemps 2025. Ce dispositif a vu le jour grâce à une demande formulée par les élus et portée par le président Patrick Chaize que je veux saluer de nouveau ici. C'est un nouvel exemple de co-construction dont je pense qu'il produira des effets très concrets, très tangibles et je l'espère très rapides sur le terrain. L'État continue sur ce sujet d'accompagner les acteurs : il répond et répondra présent.
Maintenant, et peut-être pour aller vers la conclusion de mon propos, je pense qu'il faut que nous nous tournions vers l'avenir avec la transition définitive du cuivre vers la fibre. Nous avons réussi à déployer un réseau très performant. Nous allons réussir - j'utilise un terme volontariste - à fermer un réseau qui est vieillissant et qui est coûteux. L'État est pour cela mobilisé, il est mobilisé pour accompagner nos concitoyens dans une démarche de communication, dans une démarche d'information et ce à plusieurs niveaux. Via un site Internet que vous connaissez, treshautdebit.gouv.fr, dans lequel sont consolidées toutes les réponses à apporter aux particuliers, aux entreprises, aux collectivités, aux administrations. Il y a également un kit de communication qui est coconstruit avec les opérateurs, les représentants des collectivités et les fédérations professionnelles. Ce kit est disponible sur le site de la FFTélécoms et, je m'en suis personnellement assuré, à travers le site treshautdebit.gouv.fr. Enfin, via la mise en place de comités de concertation locaux sous l'égide des préfets, des comités qui réunissent tous les acteurs de ce grand chantier dans les territoires. Je pense que nous avons besoin, au sens propre comme au sens figuré, de faire ensemble le dernier kilomètre. Nous allons poursuivre cette dynamique en restant à l'écoute de vos retours d'expérience et du terrain. J'irai moi-même très prochainement sur le terrain pour m'en assurer.
Il reste du chemin à parcourir, nous en sommes conscients, mais j'ai confiance car nous avons une méthode, une vision et une volonté. Donc j'ai confiance dans notre réussite collective. Si nous conservons ce cap, nous atteindrons les objectifs que nous nous sommes fixés collectivement. Pour faire une dernière référence médicale, en clin d'œil à la thématique de votre journée, faire référence peut-être à la chanson de... de Johnny Nash, " I can see clearly now ". Qu'est-ce que je vois clairement aujourd'hui ? Eh bien, je vois, ou en tout cas je vous invite à regarder vers un horizon dégagé, et de plus en plus proche, même si nous n'atteignons jamais vraiment l'horizon. C'est cela sa particularité. Un horizon dégagé de plus en plus proche, où la connectivité de Paris à Ajaccio, en passant par le Larzac, sera plus une promesse, mais sera véritablement une réalité. C'est tout ce que je nous souhaite collectivement, c'est tout ce que je souhaite à vos territoires. Merci et bravo à tous pour votre mobilisation et pour cette réussite collective.
Je vous souhaite une excellente fin de colloque. Merci.
Source https://www.avicca.org, le 10 janvier 2025