Interview de Mme Sophie Primas, ministre déléguée, porte-parole du Gouvernement, à RFI le 10 janvier 2025, sur les relations tendues entre la France et l'Algérie, l'expulsion "ratée" du territoire français de l'influenceur Doualemn, la détention de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal en Algérie, les mots du président de la République envers certains dirigeants africains, le projet de loi d'urgence pour la reconstruction de Mayotte et le budget 2025.

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Intervenant(s) : 

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

ARNAUD PONTUS
Bonjour Sophie PRIMAS.

SOPHIE PRIMAS
Bonjour.

ARNAUD PONTUS
Merci d'être avec nous sur RFI ce matin. Les relations entre la France et l'Algérie sont très tendues en ce début d'année. Ces derniers jours, plusieurs influenceurs algériens ont été interpellés en France. On leur reproche des vidéos qui appelaient à la haine ou à la violence. L'un d'eux, Doualemn, expulsé hier du territoire français, a été refusé à son arrivée à l'aéroport en Algérie. Il est donc revenu en France hier soir. Est-ce que le Gouvernement compte réagir ?

SOPHIE PRIMAS
Alors d'abord, je veux vous dire que la lutte contre les influenceurs qui appellent à la haine, au meurtre sur le territoire français, elle est implacable. Elle concerne, dans les cas qui viennent de se passer des Algériens, elle pourrait concerner tout citoyen étranger qui habite en France.

ARNAUD PONTUS
D'autres ressortissants.

SOPHIE PRIMAS
D'autres ressortissants, elle ne s'est pas focalisée sur les Algériens. Alors vous me parlez de ce cas qui est arrivé hier soir.

ARNAUD PONTUS
De cette expulsion ratée.

SOPHIE PRIMAS
De cette expulsion ratée ou en tout cas de ce retour de cet influenceur en France. J'ai peu d'informations ce matin. Je sais qu'il n'y a aucune raison pour laquelle ce ressortissant a été refusé. Il n'y a aucune raison. Il avait un passeport algérien. Donc, il n'y a aucune raison juridique pour que ce ressortissant ne soit pas accepté en Algérie.

ARNAUD PONTUS
Et est-ce que le Gouvernement va protester auprès des autorités algériennes ?

SOPHIE PRIMAS
Bien sûr, je pense que le ministre de l'Intérieur va faire le nécessaire. Ce ressortissant doit être récupéré par l'Algérie.

ARNAUD PONTUS
Pour parler encore de France et d'Algérie, que fait le Gouvernement français, aujourd'hui, pour tenter d'obtenir la libération de l'écrivain franco-algérien Boualem SANSAL ?

SOPHIE PRIMAS
C'est une question essentielle pour nous, puisque nous considérons évidemment que Boualem SANSAL est un ressortissant français, qu'il doit bénéficier de la protection consulaire de la France et qu'il doit être rendu. Il ne met pas en péril la sécurité de l'Algérie. Donc, les relations diplomatiques sur le terrain sont très importantes pour tenter de libérer cet homme qui est âgé, qui est un intellectuel français.

ARNAUD PONTUS
80 ans et qui est malade.

SOPHIE PRIMAS
Et qui est malade.

ARNAUD PONTUS
Et est-ce que vous avez l'espoir ou des signaux qui vous indiquent que sa libération pourrait intervenir prochainement ?

SOPHIE PRIMAS
Je n'ai pas d'informations sur ces éléments-là.

ARNAUD PONTUS
Sophie PRIMAS, lundi lors de la conférence des ambassadeurs à Paris, le Président MACRON a fustigé l'ingratitude de certains dirigeants africains qui ne seraient plus à la tête de pays souverains sans l'aide de l'armée française, a-t-il dit entre les mots. Est-ce que vous avez compris ces mots du chef de l'État ?

SOPHIE PRIMAS
Écoutez, moi quand on parle de ce sujet, la première chose que j'ai en tête, c'est de rendre hommage aux 58 soldats français qui sont morts dans ces pays, lorsque nous sommes allés à la demande de ces pays, les soutenir dans la lutte contre la progression de Daesh, qui était aussi un intérêt français pour lutter contre Daesh en Europe, en France et en Europe. Donc, c'est à eux que je pense en premier. La deuxième chose, c'est que je crois qu'il faut construire avec l'Afrique, avec tous les pays africains, une nouvelle relation qui regarde vers l'avenir. Il y a dans ces pays africains une jeunesse, il y a des liens qui sont très forts avec nos pays, des liens culturels. Vous savez que le premier pays francophone au monde est en Afrique. Nous avons des liens culturels, nous avons des liens économiques, nous avons des intérêts partagés les pays d'Afrique. Et nous, nous avons des initiatives qui sont formidables. Je pense à l'initiative de l'Union Africaine.

ARNAUD PONTUS
J'entends bien tout ça, Sophie PRIMAS, mais est-ce que les termes employés par le président de la République nous projettent vers l'avenir ?

SOPHIE PRIMAS
Écoutez, moi, je ne vais pas commenter les termes du président de la République.

ARNAUD PONTUS
Rien ne vous choque dans ce discours, qui a été qualifié par la presse africaine ou par des dirigeants africains paternalistes, de néocoloniales ?

SOPHIE PRIMAS
Je pense que nous n'avons pas à mettre de l'huile sur le feu dans nos relations avec l'Afrique. Nous devons regarder ensemble. Nous avons une histoire qui parfois est compliquée, qui parfois est heureuse. Nous avons une véritable culture partagée avec l'Afrique. C'est le continent le plus dynamique en termes de population, en termes de développement qui est aux portes de l'Europe. Il faut regarder l'avenir.

ARNAUD PONTUS
Et est-ce que le Premier ministre, le Gouvernement, les membres du Gouvernement seraient sur la même ligne que le Président en l'espèce ?

SOPHIE PRIMAS
Non, le Gouvernement… Ce n'est pas une question de ligne. Le Gouvernement veut reconstruire des relations qui soient des relations de partenaires, gagnant-gagnant, avec l'Afrique. Et c'est notre intérêt, c'est l'intérêt du pays. Je ne veux pas commenter des propos du président de la République.

ARNAUD PONTUS
On comprend que ces déclarations seraient plutôt de nature à gêner le Gouvernement ou les intentions que vous déclarez ce matin.

SOPHIE PRIMAS
Regardons l'avenir.

ARNAUD PONTUS
Regardons l'avenir. Sophie PRIMAS, "bel avenir", c'est le projet de loi d'urgence pour la reconstruction de Mayotte, présenté, mercredi, en Conseil des ministres. Est-ce que vous pouvez nous dire, ce matin, combien d'argent sera mis sur la table pour cette reconstruction ?

SOPHIE PRIMAS
Non, c'est beaucoup trop tôt, parce qu'on n'a pas fini d'évaluer les besoins. Vous savez qu'il y a une mission des services de l'État qui est en ce moment sur Mayotte et qui essaye d'avoir une vision holistique sur tous les problèmes qui se posent. Et ils sont innombrables. Ils sont très très nombreux.

ARNAUD PONTUS
Oui, bien sûr.

SOPHIE PRIMAS
Et aujourd'hui, le ministre d'État, ministre des Outre-mer, Manuel VALLS, hier ou avant-hier dans la conférence de presse après le Conseil des ministres, n'a pas voulu s'engager sur des évaluations. Nous n'avons pas encore ces évaluations, mais de toute façon, il faudra s'engager à court terme et à long terme sur une reconstruction de Mayotte.

ARNAUD PONTUS
Et l'objectif, c'est la reconstruction de Mayotte en deux ans. C'est ce qui a été annoncé.

SOPHIE PRIMAS
Oui, alors la reconstruction de Mayotte en deux ans sur les principales infrastructures, je pense que ça prendra plus de temps si l'on parle de la forêt, qui est dévastée à 80 %. Évidemment, deux ans n'est pas la temporalité. Et il y a des challenges très très importants, notamment sur la gestion du foncier, sur la gestion du logement, qui sont des éléments qui seront réglés rapidement grâce aux mesures d'urgence que nous venons de prendre.

ARNAUD PONTUS
Est-ce qu'il y a une majorité à l'Assemblée pour ces mesures d'urgence ?

SOPHIE PRIMAS
Je pense que la responsabilité et le devoir de chacun des groupes politiques sera d'enrichir le texte, celui qui vient très très vite là, qui est vraiment un texte de mesures d'urgence très très rapide qui va nous permettre d'aller très vite dans la reconstruction. Il y aura un deuxième texte, vous le savez, qui s'appellera "Mayotte debout", qui sera beaucoup plus structurel, mais chacun doit apporter sa patte. Je pense que chacun est responsable, aujourd'hui, de la reconstruction de Mayotte.

ARNAUD PONTUS
Et il y aura un texte sur l'immigration, c'est ce que laisse entendre Manuel VALLS ou le ministre de l'Intérieur. Quand et sous quelles formes ? Quels sont les mesures qui seront prises pour lutter contre l'immigration irrégulière à Mayotte ?

SOPHIE PRIMAS
Alors, ça, c'est à construire naturellement. Vous allez certainement m'interroger sur le droit du sol par exemple.

ARNAUD PONTUS
Évidemment.

SOPHIE PRIMAS
Mais le droit du sol fait partie d'un corpus de mesures qu'il faut prendre dans Mayotte. Il faut prendre le temps de la discussion parlementaire, de construire ce texte. Ce texte sera probablement… Cette question de l'immigration sera au cœur du deuxième texte qui interviendra d'ici deux, trois mois à peu près, le temps de caler, de discuter avec les Mahorais. Vous savez, c'est quelque chose de…

ARNAUD PONTUS
Donc assez rapidement quand même ?

SOPHIE PRIMAS
Bien sûr, c'est très très rapide, c'est des mesures qui sont beaucoup plus structurelles et qui sont le, j'allais dire, le troisième élément d'une politique qui est un, l'urgence, là, tout de suite, après. Deuxièmement, le texte que nous sommes en train de prendre sur des mesures législatives d'urgence. Et troisièmement, plus structurelles d'ici environ trois mois.

ARNAUD PONTUS
Il nous reste une petite minute seulement pour parler du budget. Les discussions sont en cours avec les partis politiques, notamment le ministre de l'Économie les reçoit à Bercy. Jusqu'où le Gouvernement est-il prêt à aller pour éviter une censure ?

SOPHIE PRIMAS
Écoutez, aujourd'hui, nous n'avons pas encore d'arbitrage. Nous sommes dans le temps de la discussion. C'est la semaine de la discussion. Les grandes orientations seront données par le Premier ministre lors de la déclaration de politique générale qui aura lieu mardi prochain à l'Assemblée nationale mercredi au Sénat. C'est à ce moment-là qu'on aura les grandes orientations. Nous sommes, aujourd'hui, dans l'écoute.

ARNAUD PONTUS
Vous entendez les demandes.

SOPHIE PRIMAS
On entend les demandes.

ARNAUD PONTUS
Et vous entendez le Parti socialiste demander une suspension de la réforme des retraites. Est-ce que ça, on peut déjà leur dire : "Mais non, ce n'est pas possible, on ne veut pas" ?

SOPHIE PRIMAS
Oui. Nous entendons aussi la nécessité de redresser les comptes publics. Chacun doit partager cet objectif. Chacun doit comprendre qu'il vient porter ses doléances, mais qu'il doit aussi apporter des solutions pour que nos comptes arrêtent de dériver, c'est d'utilité nationale et générale. Et donc, chacun sait que le budget qui sortira et qui sera proposé, d'abord sera soumis au Parlement et pourra encore être révisé et ensuite, chacun sait l'urgence que nous avons à adopter le budget.

ARNAUD PONTUS
Donc, c'est ouvert, mais pas tranché. Mais si je vous entends bien, vous dites à tout le monde : "Restez raisonnable".

SOPHIE PRIMAS
Il faut rester raisonnable parce qu'il faut un budget à la France. On ne peut pas se permettre de continuer à perdre du temps.

ARNAUD PONTUS
Merci, Sophie PRIMAS, d'être venue, ce matin, sur RFI.

SOPHIE PRIMAS
Merci beaucoup de m'avoir accueilli.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 janvier 2025