Texte intégral
JULIEN ARNAUD
Bonjour à vous, Manuel VALLS.
MANUEL VALLS
Bonjour,
JULIEN ARNAUD
Merci beaucoup d'être avec nous, ce matin. Au lendemain d'une journée qui a été une journée d'abondance avec le discours de politique générale du Premier ministre que vous avez écouté. Vous avez été à la première loge à l'Assemblée nationale. On attendait beaucoup de ce qu'il allait dire, notamment sur les retraites. On attendait la réaction de vos anciens amis, ceux du Parti socialiste. Et hier soir, Olivier FAURE, a lancé un ultimatum à François BAYROU. Il a dit : "Si les partenaires sociaux ne se mettent pas d'accord, Olivier FAURE demande à ce que le Parlement reprenne le dossier. Alors que François BAYROU a dit : "Si les partenaires sociaux ne se mettent pas d'accord, on continuera la réforme BORNE d'avant". Est-ce que pour vous, à plus ou moins long terme, on va tout droit vers une nouvelle censure ?
MANUEL VALLS
Je ne crois pas. Je resitue le discours de politique générale du Premier ministre dans un contexte marqué par une crise financière. Il l'a dit, c'était l'ouverture de son discours et une dette particulièrement élevée. Et puis, d'une certaine manière, vous venez d'en faire la remarque, une situation politique unique marquée par l'instabilité. Et au fond, le Premier Ministre en a appelé à une forme de maturité démocratique avec une grande ambition, me semble-t-il, surtout par rapport à la situation que je viens de décrire, une ouverture vis-à-vis de tous les groupes, en tout cas ceux qui veulent discuter avec le Gouvernement, et vis-à-vis des partenaires sociaux. Au fond, pour sortir de cette crise démocratique, il faut faire appel à la confiance de chacun et à la responsabilité de tous.
JULIEN ARNAUD
Est-ce qu'il y a une forme d'irresponsabilité de la part des dirigeants socialistes ?
MANUEL VALLS
Non, je crois que c'est le contraire. Moi, j'étais très critique par rapport à mon ancienne famille politique. Mais hier et depuis déjà quelques jours, dans les discussions qui ont eu lieu avec le Gouvernement, notamment avec le ministre de l'Economie et des finances, Éric LOMBARD, je vois un parti, une formation politique qui est marquée par la responsabilité et par la volonté de permettre, tout en restant dans l'opposition, une stabilité. Et je crois que, très honnêtement, sur les retraites, je vais y revenir, sur la fiscalité, sur le fait qu'on ne va pas supprimer de postes d'enseignants, les choses avancent et les choses vont être précisées sans doute encore aujourd'hui.
JULIEN ARNAUD
Oui, c'est ça, c'est ça, le problème, c'est que c'était très flou tout de même, hier. Vous avez, sans doute, lu les journaux, ce matin. Pour prendre le Parisien, c'est BAYROU, le contorsionniste. BAYROU, un discours de politique très général, nous dit l'Opinion. On a l'impression qu'il a, quand même, été très prudent, le Premier ministre, et que le PS dit "Oui, mais on n'a pas envie de se faire avoir".
MANUEL VALLS
Je ne crois pas. Je trouve que le commentaire de presse est un peu facile et, en tout cas, au fond, ne revient pas sur la situation politique. Vous avez raison. Aucune majorité à l'Assemblée nationale, et la première motion de censure qui passe depuis 1962. Est-ce qu'on peut se permettre une autre motion de censure dans la situation financière et politique que nous connaissons ? Non. Il a été audacieux, par exemple, sur les retraites. Il a dit "Pas de tabou". Et il fait confiance, puisqu'au fond, il n'a pas fait suffisamment confiance, ces dernières années, aux partenaires sociaux, aux patronats comme aux syndicats.
JULIEN ARNAUD
Mais parce qu'ils n'arrivent jamais à se mettre d'accord sur cette question, ça fait des décennies qu'on en parle, sur les retraites.
MANUEL VALLS
Eh bien, je ne crois pas. Il y a une lettre qui date déjà de quelques semaines de tous les partenaires sociaux, sauf la CGT, si je ne me trompe pas, qui, au contraire, veut se saisir de l'ensemble des questions, et notamment la question de retraite. Donc, au fond, avec une certaine idée, je remonte à plus loin, à ces mendésistes. Je fais référence à MENDES FRANCE ou à Michel ROCARD. On se donne 3 mois pour réussir. Si on n'aboutit pas à cette négociation, eh bien, c'est la réforme des retraites qui a été adoptée, il y a déjà 2 ans, sous Elisabeth BORNE qui s'imposera.
JULIEN ARNAUD
Et c'est ça dont ne veulent pas les socialistes, justement. Ils veulent que François BAYROU revienne là-dessus.
MANUEL VALLS
Eh bien je crois que... Moi, qui suis un Républicain de gauche, je crois qu'il faut faire confiance aux partenaires sociaux pour trouver, à la fois, une réforme plus juste mais qui ne dégrade pas la situation financière. Donc faisons, au fond, appel à la confiance et à la responsabilité de tous. Cela s'impose pour le pays. Je crois que, très honnêtement, c'est ce qu'attendent les Français.
JULIEN ARNAUD
Mais Olivier FAURE peut-il aussi imposer ses vues à son groupe ? On a l'impression que c'est très tiraillé au sein du PS, surtout que pendant ce temps-là, Jean-Luc MELENCHON met la pression. Vous avez vu ce qu'il a dit hier. Il a dit que tous ceux qui ne voteront pas la censure sortent du nouveau front populaire. On met une option sur leur circonscription. Autrement dit, ils auront un candidat face à eux. Jean-Luc MELENCHON, il met un pistolet sur la tempe de ceux qui ne vont pas voter la censure.
MANUEL VALLS
Mais les menaces et les invectives, dans ce moment-là, sont ridicules. En tout cas, ne participe pas de cette volonté de sortir par le haut.
JULIEN ARNAUD
Ridicule mais efficace.
MANUEL VALLS
Et d'une certaine manière... Non, moi, je crois que c'est... À partir du moment où les socialistes... Aujourd'hui, je comprends parfaitement leur débat. Il faut les respecter, discuter ou même négocier. C'est vrai sur les retraites, c'est vrai sur une proposition qui a été faite, hier, encore sur une taxe sur l'optimisation fiscale qui peut rapporter plusieurs milliards. Je veux le rappeler. C'est peut-être la première fois depuis 1981 qu'on va imposer ainsi le capital sur les postes d'enseignants. Le Premier ministre a été très clair, y compris avec l'augmentation de budget. Je pense à celui sur le développement de mon propre ministère, qui est un des rares ministères qui va avoir ses crédits augmentés par rapport à la loi de finances 2024. Je parle évidemment des Outre-mer, sans compter le soutien financier que nous devons apporter à la Nouvelle-Calédonie et à Mayotte qu'il faut reconstruire. Donc non, il y a un dialogue fructueux. C'est-à-dire qu'on ne peut pas ne pas constater cette situation extrêmement compliquée au Parlement et s'étonner qu'on négocie. C'est difficile, mais c'est nouveau. On n'était pas habitués, au fond, à s'écouter. Il faut bien entendre ce qu'a dit François BAYROU. C'est un discours de responsabilité dans lequel, au fond, on parle avec tous. Il n'y a pas un camp qui peut l'emporter sur l'autre. Et donc toutes les invectives ou le sectarisme, qu'il y a des deux côtés de l'hémicycle de l'échiquier politique, va permettre, peut-être aux autres, de trouver une voie d'intérêt général et de responsabilité pour le pays.
JULIEN ARNAUD
Il faut mettre son mouchoir, sans doute, sur certaines de ses convictions. On va revenir sur Mayotte dans quelques instants parce que c'est important, mais d'abord, quand même, certains sujets avec lesquels vous pourriez être en porte-à-faux. D'abord, il vous a mis un petit tac sur la dette quand même parce qu'il a dit, 10 points de dette supplémentaires à l'époque de François HOLLANDE quand vous étiez Premier ministre. Et puis il a parlé de la proportionnelle. Il a dit qu'il est favorable. Vous, vous avez toujours été contre la proportionnelle. Est-ce que vous avez changé d'avis, tout comme le retour sur le non-cumul des mandats ? Là aussi, vous avez porté ce projet du non-cumul des mandats.
MANUEL VALLS
Vous avez raison, mais nous sommes dans une crise démocratique. Donc les uns et les autres, nous pouvons avancer. Si on reste toutes fermes, attachées à ces convictions sur la République, sur la laïcité, sur la lutte contre l'antisémitisme ou l'islamisme, je ne vais jamais transiger. Mais je vois bien qu'il faut avancer. Et François BAYROU, je le sais depuis toujours, il est, aujourd'hui, Premier ministre, a toujours été très favorable à la proportionnelle. Et au fond, c'est peut-être la manière, demain, de faire la politique différemment, de trouver un chemin, de négocier. Il n'y a pas d'autre chemin. Un camp ne va pas imposer ses positions aux autres. C'est pour ça qu'aussi bien, l'extrême-droite et l'extrême-gauche sont gênées. Mais c'est peut-être une manière, au fond, de faire preuve, je le disais au début de notre entretien, d'une plus grande maturité politique, faire confiance au Parlement, faire confiance aux formations politiques, faire confiance aux partenaires sociaux et donc du coup, faire confiance aux Français.
JULIEN ARNAUD
Expliquez-nous ce qui va se passer sur Mayotte, parce que le Premier ministre a évoqué hier la situation là-bas. Il est revenu sur un point important, il a dit qu'il souhaitait ouvrir le débat sur la fin du droit du sol à Mayotte. Vous êtes favorable à cette mesure. Est-ce que vous avez compris dans sa bouche que lui aussi était favorable, parce que quand on ouvre le débat, on ne prend pas position non plus ?
MANUEL VALLS
Non, il l'a toujours été. Alors servons les choses. Au fond, il y a deux mots qui rongent Mayotte depuis des années. Et si on ne les règle pas, si on ne les traite pas, tout ce qu'on fera pour reconstruire, ça ne servira à rien. C'est l'immigration irrégulière. Ce sont des dizaines de milliers de clandestins qui sont sur Mayotte et qui viennent essentiellement des Comores. Et c'est l'habitat illégal, c'est-à-dire des bidonvilles. J'ai terminé tard, cette nuit, en commission des affaires économiques, le travail sur la première loi d'urgence sur Mayotte que je présenterai, la semaine prochaine, devant toute l'Assemblée nationale. Il y a toutes les mesures pour lutter contre l'immigration. Donc, il faut restreindre incontestablement le droit du sol. Et puis je présenterai au mois de mars une autre loi, la plus structurelle, pour s'attaquer à tous les mots en matière d'immigration illégale, les questions de sécurité, de développement économique et aussi évidemment les questions d'éducation. Ce département, c'est 75 % en dessous du taux de pauvreté. Une grande partie de la population qui ne parle pas français ou qui est illettrée. Nous sommes très loin de la promesse d'égalité de ce qu'est le 101e département français. Donc moi, je vais en faire, au fond. Je n'ose pas dire un laboratoire, mais la démonstration que ce département qui est profondément français va changer de visage. Et grâce à l'effort de l'État, c'est ce que nous devons aux Mahorais qui ont été marqués par ce terrible cyclone Chido.
JULIEN ARNAUD
Manuel VALLS qui fait confiance, donc, à ses anciens amis du Parti socialiste pour qu'on avance. Merci beaucoup.
MANUEL VALLS
Il faut bien. Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 janvier 2025