Entretien avec M. Benjamin Haddad, ministre délégué, chargé de l'Europe, avec "Le Point" le 21 janvier 2025, sur les relations franco-italiennes, les relations commerciales avec les États-Unis, la simplification des normes européennes et le futur chancelier allemand.

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Média : Le Point

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Q - Vous venez d'effectuer votre premier déplacement à Rome depuis votre renouvellement au ministère de l'Europe. Que retenez-vous des échanges avec votre homologue italien, Tommaso Foti ?

R - J'ai souhaité me rendre rapidement à Rome, car j'accorde beaucoup d'importance à cette relation bilatérale et à ce que nous pouvons construire ensemble au niveau européen. L'Italie est un membre fondateur de l'Union européenne et malgré une relation historique et culturelle profonde et ancienne, nous avons eu trop de rendez-vous ratés. Avec M. Foti, nous avons constaté de nombreuses convergences, notamment sur les dossiers économiques.

Nous partageons la même détermination en termes de simplification, d'amélioration de la compétitivité, d'investissement dans l'innovation et la réindustrialisation du continent européen. Nous avons notamment évoqué le rapport Draghi, et nous pousserons des propositions communes sur ce volet. Nous avons également longuement évoqué la question migratoire, avec la volonté d'avancer sur la mise en oeuvre rapide du pacte asile et migration, la révision de la directive retour, mais aussi sur la dimension externe des migrations (visas, aide au développement). La maîtrise des flux migratoires et la lutte contre l'immigration illégale sont une priorité pour les populations française comme italienne.

Q - Giorgia Meloni n'a pas toujours été tendre avec le président Macron. Les tensions se sont-elles apaisées entre Paris et Rome ?

R - Le Président de la République et Mme Meloni échangent beaucoup. Il y a aussi une excellente relation entre nos ministres. Jean-Noël Barrot entretient des contacts réguliers avec Antonio Tajani. Ils ont notamment mis en place des formats de discussion à cinq sur l'Ukraine. Nous sommes dans une dynamique de coopération étroite que je souhaite amplifier.

Q - Sur le Mercosur, la France pourra-t-elle compter sur l'Italie pour s'opposer à l'accord ?

R - Nous nous opposons à l'accord avec le Mercosur en l'état qui ne respecte pas nos exigences sur le volet agricole. Nos interlocuteurs italiens ont les mêmes inquiétudes et partagent une volonté commune de préserver la souveraineté alimentaire du continent et protéger nos agriculteurs. Avec eux, mais aussi des pays comme la Pologne et d'autres, nous faisons entendre notre voix.

Q - Giorgia Meloni fait les yeux doux à l'administration Trump. L'Italie tente-t-elle, selon vous, de rompre l'unité commerciale européenne pour obtenir un statut avantageux de la part des Etats-Unis en cas de guerre commerciale ?

R - Ma venue à Rome avait aussi pour but de dire à nos amis italiens que nous avons tous intérêt à ce que l'Europe reste unie. Partir divisés, c'est l'assurance de nous saboter avant même le début des négociations. Si nous entrons dans une logique de tarifs douaniers différentiels, ce ne serait dans l'intérêt de personne. Quand l'Italie ou l'Allemagne connaît des difficultés économiques, ce n'est pas bon pour nous, même quand nous nous portons bien.

Sur la défense, il y a une volonté commune de rehausser nos ambitions. Ils sont favorables à des financements innovants de la défense européenne (type Eurobonds) et proposent même d'exclure les dépenses de défense du pacte de stabilité.

Q - La simplification des normes européennes est l'une de vos priorités. Comment y parvenir alors que l'Europe continue de produire de nouvelles réglementations ?

R - Nous avons connu une énorme inflation normative ces dernières années. Prenez la taxonomie ou les règles prudentielles : la tâche est considérablement alourdie pour nos PME en termes de reporting. Non seulement cela nous pénalise face à nos concurrents américains et chinois, mais cela crée aussi des distorsions au sein même de l'Union européenne. Sur le texte CSRD, c'est-à-dire la directive sur la durabilité des entreprises, par exemple, la France a transposé les règles quand 17 pays ne semblent pas vraiment pressés de le faire. Ce qui crée une distorsion de concurrence au sein même du marché européen.

Il faut remettre les choses à plat pour que l'on cesse de se tirer des balles dans le pied. Certes, certaines réglementations comme le DSA (Digital Services Act) nous protègent contre la haine en ligne, la désinformation ou les ingérences dans les scrutins : on le voit avec X et TikTok. Mais nous devons maintenant mettre davantage l'accent sur l'investissement, la compétitivité et l'innovation. Ces dernières années, nous avons trop privilégié la régulation au détriment de ces aspects. Il y a tout dans les rapports Draghi et Letta, à nous de les mettre en oeuvre. La France a déjà poussé des propositions à la Commission en ce sens, il y a urgence. Je fais de ce dossier une priorité absolue.

Q - Où en sont les contacts avec Friedrich Merz, le candidat de la CDU à la chancellerie ?

R - Le Président le connaît depuis longtemps et ils ont déjà eu plusieurs échanges, notamment après le récent déplacement de M. Merz en Ukraine. De mon côté, j'ai rencontré plusieurs membres de son équipe rapprochée. Je multiplie d'ailleurs les contacts avec la CDU : je me suis rendu lundi à Aix-la-Chapelle sur invitation amicale d'Armin Laschet, l'ancien candidat CDU à la chancellerie pour une grande conférence sur la relation franco-allemande et l'avenir de l'Europe. Je rencontre régulièrement des députés de tous les partis à Berlin et je rencontrerai bientôt la délégation CDU au Parlement européen.

Il est intéressant de noter que M. Merz s'inscrit dans la tradition de Wolfgang Schäuble, qui entretient une relation forte avec le président Macron. Ils partagent la conviction que l'Europe a besoin que cette relation franco-allemande pour peser, sur la relance de la compétitivité, par exemple. J'observe aussi chez eux une volonté d'être plus ambitieux sur la défense européenne. Bien que la CDU conserve une forte identité transatlantique, M. Merz a appelé, dans une tribune au Monde en novembre, à une Europe de la défense plus ambitieuse, ce dont je me félicite.

Sur ce dossier, nous construisons aussi des coalitions avec les pays d'Europe centrale et orientale qui prennent les questions de sécurité très au sérieux. J'étais en Lituanie la semaine dernière pour discuter industrie de défense avec nos partenaires lituaniens et lettons ainsi qu'avec le commissaire à la défense Andrius Kubilius. Sur tous les dossiers, soyons agiles et multiplions les coalitions d'intérêts avec nos partenaires européens.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 janvier 2025