Texte intégral
M. le président
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes (nos 529, 631).
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire
Nous sommes réunis cet après-midi pour examiner le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes, texte généralement abrégé en projet de loi Ddadue.
Ce texte a commencé son parcours parlementaire sous le précédent gouvernement et votre assemblée va désormais l'examiner dans sa version issue des travaux de la commission saisie au fond, enrichie par les apports des trois commissions saisies pour avis.
À la fin de l'année 2024, la France affichait une bonne performance en matière de transposition des directives, avec un retard de seulement 0,5%. Ce résultat est cependant moins satisfaisant que celui de l'année 2023 : la France avait alors pris la première place du classement des États membres, avec un déficit de transposition de 0,1%.
Le présent texte doit permettre à la France de disposer d'un droit conforme aux évolutions législatives européennes récentes, mais également de maintenir et d'améliorer sa bonne performance en matière d'application du droit européen. Il y va de la crédibilité de notre pays et de ses engagements vis-à-vis de ses voisins. Il y va peut-être plus profondément encore de la sécurité juridique et économique de nos entreprises.
Tout retard pris dans la transposition crée de l'incertitude, puisque les acteurs anticipent généralement des évolutions du droit qui tardent à venir – autant d'aléas qui nous éloignent de la logique de simplification qui anime ce gouvernement et que j'entends promouvoir chaque jour dans mes fonctions ministérielles.
Le texte que nous examinons est bien plus qu'une simple obligation législative : c'est un acte fort, un engagement clair, qui inscrit la France au cœur d'une Europe qui agit, qui protège et qui se transforme. Il répond à un double impératif : adapter notre droit national aux normes européennes tout en garantissant que ces évolutions servent pleinement nos priorités et nos ambitions. Il vise donc à apporter les réponses attendues par nos concitoyens ; il traduit aussi les engagements que nous prenons pour construire une France plus forte dans une Europe plus souveraine.
Au-delà de l'aspect technique, ce projet de loi adresse un message politique fort : la France n'est pas un simple acteur du projet européen, elle en est un pilier. Nous faisons le choix de relever des défis globaux au moyen de solutions locales, adaptées, ambitieuses et pragmatiques. L'examen de ce texte par le Parlement permettra, j'en suis convaincue, de l'enrichir. Nous affirmerons ainsi notre attachement commun à une Union européenne (UE) forte, protectrice et ambitieuse.
Sans revenir dans le détail sur les sujets variés qu'il contient et sans anticiper la discussion sur les amendements, je soulignerai plusieurs points particulièrement importants.
Sur le plan économique et financier, le droit français est adapté à plusieurs règlements européens qui encadrent les services d'investissements et les activités des marchés financiers. En particulier, et parce que la transparence des marchés financiers et l'accès aux données importent aussi bien aux investisseurs qu'à nos entreprises, il est prévu de transposer deux règlements : d'une part, le règlement établissant un point d'accès unique européen (Esap) fournissant un accès centralisé aux informations publiées utiles pour les services financiers, les marchés des capitaux et la durabilité ; d'autre part, le règlement sur les obligations vertes européennes.
Le projet de loi précise aussi, à l'article 6, les modalités de déclaration des paiements en nature aux gouvernements et autorités publiques dans le rapport sur les paiements des grandes entreprises extractives, que ces dernières ont l'obligation de publier conformément aux dispositions de la directive 2013/34/UE, dite directive comptable. L'accès aux données et la promotion de la transparence doivent néanmoins préserver les libertés de chacun et respecter le droit à la vie privée. Aussi le projet de loi tire-t-il les conséquences de l'arrêt du 22 novembre 2022 de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) en restreignant l'accès au registre des bénéficiaires effectifs aux seules personnes démontrant un intérêt légitime à consulter les informations sur les bénéficiaires effectifs.
L'encadrement des pratiques des acteurs financiers nécessite toujours plus de technicité. Aussi convient-il de mettre à jour notre cadre législatif national à la suite de l'adoption de la directive " Daisy Chains II " et de ses nouvelles exigences prudentielles destinées à garantir qu'au sein d'un groupe bancaire en situation de défaillance, les pertes subies seront réparties.
À la suite de la directive sur les gestionnaires de crédits, les pouvoirs de contrôle de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) doivent être étendus pour garantir le respect, par le gestionnaire de crédit, des dispositions déjà existantes en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
Le droit de l'Union européenne a évolué pour prendre en compte et accompagner les innovations dont bénéficient quotidiennement nos concitoyens. L'article 2 encourage et encadre le développement des virements instantanés en euros, conformément au règlement adopté en mars 2024, en conférant à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) le pouvoir de rechercher, de constater et de sanctionner les manquements relatifs aux frais afférents aux virements et à la vérification du bénéficiaire d'un virement.
Face à l'émergence de nouvelles formes de crédit – crédit fractionné, paiement différé, mini-crédits, crédits de moins de 300 euros – qui échappaient jusqu'alors au cadre européen, les colégislateurs ont choisi d'encadrer ces nouvelles pratiques et de renforcer les exigences afin de mieux protéger les emprunteurs et les consommateurs. Le cadre français en vigueur a largement inspiré la réglementation européenne, notamment pour ce qui concerne l'interdiction de certaines publicités, l'instauration d'un taux d'usure, l'introduction de la location avec option d'achat dans le champ du crédit à la consommation, ou encore le traitement des situations de surendettement. Il convient désormais d'adapter notre cadre déjà très en pointe à ces nouvelles règles techniques. Pour mener de concert le travail de transposition de deux directives – en matière de contrats de crédit aux consommateurs et de services financiers à distance –, le gouvernement a demandé une habilitation à légiférer par ordonnance. La seconde directive, du 22 novembre 2023, vise à renforcer les obligations de protection des consommateurs en exigeant davantage d'informations précontractuelles ou en encadrant les pratiques commerciales ainsi que la publicité.
Dans ce texte, plusieurs codes, notamment le code de commerce, le code des assurances ou le code monétaire et financier, sont harmonisés à la suite de la publication de l'ordonnance du 6 décembre 2023 relative à la publication d'informations en matière de durabilité et aux obligations environnementales, sociales et de gouvernement d'entreprise des sociétés commerciales, transposant la directive CSRD.
L'action de groupe fait l'objet des articles 14 à 19. Vous le savez, ce n'est pas un sujet nouveau puisque votre assemblée, le gouvernement et le Sénat ont eu plusieurs fois à connaître de cette problématique. Je rappelle que la directive (UE) 2020/1828, qui permet essentiellement de faciliter les actions de groupe transfrontières, devait être transposée au plus tard le 25 décembre 2022, ce qui n'a pas été fait. La Commission européenne étant vigilante en la matière, la France a reçu une mise en demeure un mois plus tard, le 26 janvier 2023. Il est donc urgent de procéder à la transposition, au risque de subir une amende de plusieurs millions d'euros. En parallèle, les députés Gosselin et Vichnievsky avaient déposé une proposition de loi en 2022 pour refondre, unifier et étendre les dispositifs d'action de groupe existants. Ce texte, adopté par l'Assemblée nationale le 8 mars 2023 après des échanges particulièrement nourris entre M. Gosselin et le gouvernement, allait beaucoup plus loin que la directive, notamment en créant un régime juridique unique et autonome pour les actions de groupe. La proposition de loi avait ensuite été adoptée par le Sénat, le 6 février 2024, dans une version largement remaniée, mais aucune commission mixte paritaire ne s'est ensuite réunie.
Le constat est largement partagé : l'action de groupe n'est pas assez répandue et il faut lever les obstacles qui freinent son développement. Cependant, plusieurs mesures prévues par le texte de 2022 soulèvent des interrogations juridiques importantes, voire sont contre-productives. Elles risquent de mettre en danger, sans le vouloir, le principe même de l'action de groupe : si les critères de qualité à agir sont trop larges, si tous les préjudices sont concernés, si une amende civile est créée – y compris devant le juge administratif –, nous prenons le risque de créer de nouveaux freins et de dévitaliser cette procédure. Lors de l'examen du présent projet de loi Ddadue en commission, vous avez souhaité réinjecter le contenu de la proposition de loi sur les actions de groupe adoptée il y a deux ans. La position du gouvernement reste cependant identique : en l'état, nous pouvons craindre un engorgement des tribunaux, une contestation des syndicats, et même la censure constitutionnelle de certaines dispositions.
Quoi qu'il en soit, nous avons bien entendu le message de l'Assemblée nationale, dont les députés ont voté à l'unanimité à la fois la proposition de loi en 2023 et sa réinjection dans le présent texte en commission. C'est la raison pour laquelle le gouvernement souhaite que les débats puissent avoir lieu désormais en séance, sereinement. Nous n'avons donc pas déposé d'amendements. Nous souhaitons continuer à échanger régulièrement, sur le fond, avec les députés intéressés par ce sujet, au premier rang desquels M. Gosselin, avec qui j'ai encore échangé récemment. Ces discussions, ainsi que la position sénatoriale, permettront certainement d'aboutir à un consensus.
Ce projet de loi Ddadue est également l'occasion d'approfondir nos efforts en matière de transition écologique grâce à plusieurs dispositions en matière de droit de l'énergie. Je remercie la commission du développement durable pour toutes les améliorations qu'elle a apportées au texte. Il est ainsi prévu de renforcer la surveillance des marchés de gros de l'énergie par la Commission de régulation de l'énergie (CRE), et aussi d'accorder des aides financières en vue de la création d'infrastructures répondant à une capacité de production d'énergies vertes qui dépasse les objectifs de déploiement des énergies renouvelables fixés au niveau de l'Union européenne et de la France.
Conformément à la directive 2023/1791 relative à l'efficacité énergétique, le texte introduit l'obligation, pour les entreprises qui consomment beaucoup d'énergie, de mettre en œuvre un système de management de l'énergie ou de réaliser un audit énergétique.
La transition écologique passe également par un recours plus important aux transports publics. Des dispositions d'adaptation du droit français au règlement délégué du 29 novembre 2023 doivent permettre aux passagers de trouver plus facilement des informations en temps réel sur les différents modes de transport et d'accéder à des mises à jour en temps réel au cours de leur voyage, concernant par exemple les retards et les annulations.
Le volet transport de ce projet de loi traduit notre ambition d'une mobilité plus durable, plus intelligente et mieux connectée. Avec sept articles dédiés aux transports, nous poursuivons trois objectifs majeurs.
Premièrement, celui de la modernisation en profondeur de notre secteur aérien, dont nous voulons accélérer la transition environnementale au moyen de l'électrification des postes de stationnement des avions et d'un nouveau cadre pour les carburants d'aviation durables. Le cadre de régulation économique de nos aéroports doit être adapté afin de faciliter l'établissement des redevances prévues par les contrats de concession aéroportuaire.
Deuxièmement, nous voulons que nos transports embrassent pleinement l'ère du numérique, tout en conservant un cadre souverain commun. Les nouveaux systèmes de transport intelligents et les services d'information sur les déplacements multimodaux permettront aux voyageurs d'accéder en temps réel à toutes les informations nécessaires à leurs déplacements, supprimant les spécificités nationales au profit d'un cadre européen harmonisé. C'est une avancée majeure pour faciliter la mobilité quotidienne de nos concitoyens.
Troisièmement, nous cherchons à renforcer la sécurité de nos transports, ferroviaires en particulier, en harmonisant nos pratiques et les standards européens les plus exigeants, afin notamment de faciliter l'ouverture à la concurrence de nos réseaux. Ces dispositions s'inscrivent pleinement dans notre stratégie nationale des mobilités comme dans le cadre européen. Elles démontrent notre capacité à conjuguer innovation, durabilité et sécurité au service des usagers.
En matière de santé, le projet de loi prévoit la reconnaissance des qualifications professionnelles des infirmiers responsables de soins généraux formés en Roumanie. Ces diplômés pourront ainsi bénéficier de la reconnaissance automatique de leur diplôme après le suivi d'un programme spécial de mise à niveau ; il ne leur sera plus nécessaire de justifier d'une expérience professionnelle d'au moins trois années consécutives au cours des cinq années précédant la date de l'attestation certifiant que l'infirmier a suivi le programme spécial de mise à niveau.
Enfin, en matière de circulation des personnes, le projet de loi modifie les dispositions relatives à la carte de séjour pluriannuelle " talent " portant la mention " carte bleue européenne " et à la carte " talent (famille) " délivrée aux membres de la famille des travailleurs hautement qualifiés. Il étend également les conditions d'accès à la carte de résident " résident de longue durée-UE " aux titulaires d'une carte bleue européenne ayant effectué une mobilité intra-européenne. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et HOR.)
source https://www.assemblee-nationale.fr, le 27 janvier 2025