Texte intégral
SONIA MABROUK
Bonjour Bruno RETAILLEAU.
BRUNO RETAILLEAU
Bonjour Sonia MABROUK.
SONIA MABROUK
Et bienvenue à la grande interview sur CNEWS et Europe 1. Ministre de l'Intérieur, vous êtes au coeur de l'actualité brûlante et d'immenses défis. L'un de ces défis concerne l'immigration et les régularisations. Dans cet objectif, Bruno RETAILLEAU, vous avez annoncé ou vous comptez modifier et remplacer la fameuse circulaire VALLS. Circulaire, je le précise, qui permet aux sans-papiers de demander sous certaines conditions une admission sur la base du travail ou de la situation familiale. Vous allez donc la remplacer par une autre circulaire. D'abord, quand est-ce que ce sera effectif et est-ce que vous pouvez nous préciser le mot d'ordre de la nouvelle circulaire ?
BRUNO RETAILLEAU
C'est très simple. Les préfets l'ont reçue hier soir et elle est applicable dès aujourd'hui ; elle s'appuie sur des lois qui ont été votées, notamment la dernière, c'était en janvier 2024. L'objectif, je le dis, pour répondre à l'aspiration des Français, c'est de diminuer l'immigration, de lutter contre l'immigration, notamment illégale, puisque des clandestins, c'est bien l'immigration illégale et de ne pas régulariser à tour de bras. Parce que si on veut diminuer cette immigration, notamment illégale, il faut ne pas régulariser de façon trop quantitative. Alors on donne une prime, d'ailleurs, à l'irrégularité, à ceux qui ont fraudé, bien sûr. Et puis en plus, ça rend impossible l'intégration, l'assimilation.
SONIA MABROUK
C'est-à-dire que vous dites : " c'est fini, le droit à la régularisation ; stop ! " C'est le message que vous envoyez ce matin ?
BRUNO RETAILLEAU
Il n'y a pas de droit… C'est ce que j'ai envoyé au préfet, il n'y a pas de droit à la régularisation. Un préfet, et c'est à sa main, sur des critères qui ont été strictement resserrés, peut être souverain. C'est le droit de l'Etat souverain d'ailleurs, d'admettre ou de ne pas admettre, sur son sol, qui il souhaite admettre ou non. Mais je l'ai rappelé qu'il n'y avait pas de droit systématique, de droit automatique, de droit opposable à la régularisation.
SONIA MABROUK
Ça veut dire que l'exception était devenue la règle. Est-ce vrai, Bruno RETAILLEAU, comme le disent certains fonctionnaires qu'il est plus facile parfois d'entrer illégalement sur notre sol et d'obtenir ensuite les papiers, que d'entrer légalement et de suivre ce parcours classique et légal ?
BRUNO RETAILLEAU
C'est ce que je ne voulais pas.
SONIA MABROUK
Mais c'était la réalité ?
BRUNO RETAILLEAU
C'était parfois la réalité, pas toujours, mais je ne le voulais pas. Puisque pour obtenir des papiers, il est plus facile de les obtenir par la voie de l'irrégularité, de la clandestinité, c'est choquant par rapport à des étrangers qui viennent et qui, eux, vont respecter nos règles pour avoir accès à notre travail. Ça, ça ne se peut pas. Et donc je l'ai rappelé au préfet, avec des règles qui seront beaucoup plus strictes, notamment sur les métiers en tension. Je leur ai demandé de regarder l'effectivité du travail parce qu'aujourd'hui, avec le numérique, c'est très facile de tricher. C'est très facile de produire des faux bulletins de paie. Ensuite, vérifier cette effectivité, c'est nous donner l'occasion, nous, avec les préfectures, de détecter des filières de travail clandestin, où on utilise des quasi-esclaves. Ça, ça n'est pas possible. Ensuite, il y a aussi l'insertion sociale. Le travail pour s'intégrer, ça ne suffit pas. Moi, je veux que les préfets vérifient, par exemple, qu'on respecte nos modes de vie, les principes républicains, et qu'il n'y ait pas de troubles à l'ordre public. Quelqu'un qui a commis, par exemple, un délit, hors de question de le régulariser. Une politique de fermeté, enfin.
SONIA MABROUK
Faut-il sortir de cette situation ubuesque, où le demandeur d'une régularisation a testé parfois de l'ancienneté de sa présence sur le sol français, en produisant le papier daté de son OQTF ?
BRUNO RETAILLEAU
Alors, voilà un exemple qui, si les Français le savaient, ça les choquerait. Donc, au-delà des métiers en tension, ce que j'ai voulu aussi, c'est resserrer d'autres conditions. Par exemple, pour exiger sept années de présence, de résidence sur le territoire.
SONIA MABROUK
Sept années, au lieu de 5 ?
BRUNO RETAILLEAU
Sept années, exactement… Et puis aussi, pour faire en sorte que, lorsqu'une personne est frappée d'une décision pour l'éloigner, une obligation de quitter le territoire, évidemment, ça n'est pas possible. Ou, on veut faire respecter la loi française ; un individu qui a une OQTF doit quitter le territoire, mais ne doit pas être régularisé. C'est le bon sens. Il faut maîtriser l'immigration. Et je l'assume. C'est mon objectif.
SONIA MABROUK
Vous l'assumez, avec, dès ce matin, des premiers craquements, une majorité qui se lézarde, mais ça ne vous surprendra pas. Roland LESCURE, qui est député macroniste, vice-président Ensemble pour la République à l'Assemblée nationale, qui parle de caricatures, concernant ce que vous faites. Que lui répondez-vous, ce matin ?
BRUNO RETAILLEAU
Je lui réponds qu'il ne faut pas caricaturer les Français. Je lui réponds que plus de 70% des Français sont derrière cette politique de fermeté. Je lui réponds que, désormais, ce ne sont pas seulement les Français de droite, ce sont aussi une majorité de Français de gauche qui sont pour cette politique de fermeté. Et vous savez, parmi ces Français, c'est toujours les mêmes. Ce sont d'abord les Français les plus modestes, ceux qui n'ont pas les moyens d'habiter les beaux quartiers, de tracer entre les conséquences du désordre migratoire et, eux-mêmes, une frontière invisible. Ce sont ces gens-là qui ont de l'argent pour mettre leurs enfants dans des bonnes écoles, où, là non plus, ils ne subiront pas les conséquences de ces désordres migratoires. Donc le travail que je fais, la politique que je mène, elle correspond, un, à une aspiration majoritaire des Français. On est quand même encore dans une démocratie. Démocratie, c'est le peuple qui gouverne. Deuxième chose, elle correspond aussi aux aspirations des Français les plus modestes pour les classes populaires, pour les classes moyennes.
SONIA MABROUK
Nouvelle circulaire, circulaire RETAILLEAU sur les régularisations. Et une prochaine circulaire, également sur les naturalisations à venir avec le même objectif de fermeté. Vous pouvez donc déjà l'annoncer ?
BRUNO RETAILLEAU
Même objectif. Non, ce que je veux dire, c'est qu'il faut guider les préfets. Moi, j'y tiens. Je ne suis pas, comment dirais-je, dans une sinécure à Beauvau, enfermé sur Beauvau. On a, si j'ose dire, un bras armé que sont les préfets dans chaque département. Et je souhaite leur donner un certain nombre d'orientations et parfois même d'instructions. Là encore, vous savez que le concept d'assimilation, on en parle de moins en moins parce qu'on a une panne de l'intégration. On ne réussit même pas à intégrer. Mais le code civil, il est clair pour la naturalisation. Il parle, l'article notamment 21, etc.
SONIA MABROUK
Il évoque le mot assimilation.
BRUNO RETAILLEAU
Il évoque le mot assimilation : assimiler des valeurs, assimiler les valeurs de liberté, de croire ou ne pas croire, d'égalité hommes et femmes, par exemple. La fraternité, qui n'est pas une fraternité religieuse, mais républicaine. C'est-à-dire…
SONIA MABROUK
Comment vous pouvez vous assurer d'une telle adhésion à ces valeurs ?
BRUNO RETAILLEAU
Avec des critères assez simples. Je pense que, par exemple, on va aussi augmenter le niveau qu'on demande pour la connaissance du français.
SONIA MABROUK
Maîtrise de la langue française. Signature aussi d'un contrat pour respecter des valeurs et des principes ?
BRUNO RETAILLEAU
Bien sûr, là encore, ça fait partie des conditions que j'ai demandé pour que chacun des étrangers qui seraient régularisés, puissent s'engager, signer un papier d'engagement qui respecte nos valeurs, nos principes républicains.
SONIA MABROUK
Bruno RETAILLEAU, on voit bien que vous utilisez tous les leviers réglementaires à votre disposition, que vous soutenez également la mobilisation générale des préfets. Mais quand il va s'agir de toucher – je prends un exemple pour nos auditeurs et téléspectateurs – très concrètement à l'aide médicale d'État, l'AME, dans le PLFSS. Vous considérez d'ailleurs l'AME comme étant – je cite – " un encouragement à la clandestinité ". Est-ce que vous aurez la même fermeté ? Et aurez-vous le soutien du Premier ministre alors que les socialistes préviennent que ce sera un motif de censure ?
BRUNO RETAILLEAU
Moi, mon objectif, c'est faire en sorte qu'en France, on soit dans la moyenne des pays européens. Or, en France – il faut que les Français le sachent – l'AME, l'aide médicale d'État, plus le titre qui nous permet de donner à des étrangers malades un titre " étrangers malades ", c'est unique au monde. C'est unique au monde. Moi, je voudrais qu'on ne fasse pas moins bien que les autres, mais qu'on ne fasse pas mieux, parce qu'alors, on crée des appels d'air.
SONIA MABROUK
Donc vous ne reculez pas sur ce sujet malgré la menace de censure.
BRUNO RETAILLEAU
Je ne recule pas. L'AME ne dépend pas, d'ailleurs, strictement, on parlait de PLFSS, de loi de financement de la Sécurité sociale, mais du budget. Voilà. Les sénateurs, d'ailleurs, ont commencé à encadrer cette AME. Et je pense que ça va dans le bon sens. C'est ce que je demande pour ne pas créer d'appels d'air. Pourquoi est-ce qu'on demande quand même des efforts aux Français et qu'on ne demanderait pas aux clandestins ? Parce que l'AME, ça concerne les clandestins, ceux qui nous ont fraudés. Je n'ai pas demandé à supprimer, j'ai demandé à ce que ce soit comme les autres.
SONIA MABROUK
À réduire le panier de soins.
BRUNO RETAILLEAU
Comme l'Allemagne, comme la Suède.
SONIA MABROUK
Mais ce n'est pas entendu par une partie du spectre politique qui, aujourd'hui, quand même a un droit, si je puis dire, de regard sur la suite de la survie de votre Gouvernement.
BRUNO RETAILLEAU
C'est dommage. Voilà des questions qu'on pourrait mettre au référendum, comme la question par exemple du délai de carence. A partir de quand un étranger qui vient peut percevoir des prestations sociales non contributives : les allocations familiales ? Est-ce qu'il doit travailler pour les percevoir ? Est-ce qu'on doit lui demander 2 ans de présence sur le territoire ? Ça pourrait être d'ailleurs l'objet d'un référendum. Et c'est dans l'article 11 ; le fameux périmètre des questions du champ du référendum permettrait d'ailleurs d'organiser sur ces questions-là un référendum. Moi, je pense qu'il est temps vraiment de donner la parole aux Français sur ces questions-là. Je le vois en Europe. Vous savez, en Europe, quand je siège avec mes autres collègues qui sont ministres de l'Intérieur, je n'arrive même plus, sur la base de leurs propos sur l'immigration, je n'arrive même plus à distinguer celui ou celle qui appartient à un Gouvernement de gauche ou de droite, tellement ces questions-là…
SONIA MABROUK
Vous prenez exemple des sociaux-démocrates qui ont avancé sur ce sujet. Et on peut aller plus loin. Quand vous regardez…
BRUNO RETAILLEAU
Les Allemands, les Danois… Je peux vous donner une liste de ces pays…
SONIA MABROUK
Et lorsque vous voyez, Bruno RETAILLEAU, Donald TRUMP, quoi qu'on pense du personnage, quoi qu'on pense de ses méthodes, en quelques heures, il a pu décliner sur l'immigration ses paroles, ses paroles en actes. En quelques heures, il a fait passer plein de décrets. Qu'est-ce que vous vous dites ?
BRUNO RETAILLEAU
Qu'on a deux systèmes très différents, parce que nous, le Président de la République ne peut pas signer ce qu'on appelle là-bas des " Executive Orders ", c'est-à-dire que le Président fait des lois. Mais je me dis qu'en France, en tout cas, la leçon que j'en tire, c'est que les hommes et les femmes politiques doivent écouter leur peuple. Parce que quand les dirigeants n'écoutent pas leur peuple, dans les urnes, il y a des révoltes.
SONIA MABROUK
Là, vous envoyez un message clair au Président de la République ?
BRUNO RETAILLEAU
Non, parce que ce n'est pas lui qui, aujourd'hui... - comment dirais-je ? - me limite en matière législative. Je pense que ceux qui se réclament de la droite et du centre doivent écouter le peuple français. C'est ça, l'essence de la démocratie. Je pense qu'il y a cette grande question de l'état de droit qu'on doit respecter, faire évoluer quand les règles ne protègent plus. Et c'est ce que je crois. Il y a un certain nombre de règles…
SONIA MABROUK
Faire évoluer l'état de droit, qui est évolutif.
BRUNO RETAILLEAU
Les règles de droit sont évolutives. Et quand elles ne protègent pas - regardez, l'affaire de la jeune Philippine - il faut qu'on puisse dans les CRA, dans les centres de rétention, retenir plus longtemps ceux qui sont dangereux, puisque cet assassin a été libéré beaucoup trop tôt. Il l'a violé. Il l'a assassiné. Donc quand une règle de droit est insuffisante, on la bouge. Évidemment, on la bouge pour protéger la société.
SONIA MABROUK
On l'entend. Et est-ce que vous avez les marges de manoeuvre suffisantes ? Autre exemple et autre dossier, puisque vous dites, Bruno RETAILLEAU, qu'il ne faut rien laisser passer ; il s'agit des messages de haine des influenceurs algériens. Vous avez annoncé en début de semaine une nouvelle interpellation de cet influenceur qui a appelé, sur TikTok, à commettre des actes violents sur le territoire français. Et c'est un fait assez inédit. Le parquet a déploré, je cite, " une communication prématurée de votre part ". Selon le ministère public, vous vous êtes précipité. Que répondez-vous à ce qui ressemble quand même à un recadrage ?
BRUNO RETAILLEAU
De quoi parle-t-on ? On parle d'individus algériens qui sèment la haine sur notre territoire via les réseaux sociaux, via TikTok. Je vous rappelle que ces individus appellent au meurtre, au crime, à la torture parfois, avec des propos aussi antisémites. Donc à chaque fois, je signale. Je ne laisse rien passer. À chaque fois, la plateforme Pharos, pour supprimer les vidéos. Je signale à l'autorité judiciaire et je demande à mes policiers, aux gendarmes de les interpeller, y compris chez eux. Là, mon tweet était pour féliciter les forces de l'ordre. Que peut-on me reprocher ? Je n'ai rien dévoilé de la procédure judiciaire. Il m'appartient d'encourager les hommes et les femmes qui sont sous mon autorité quand ils font du bon travail. Quand je vois, vous voyez, ce qui s'est passé à Vierzon, où j'ai cru vraiment, vraiment... Quand j'ai vu que le sort qu'on réservait à ce chef d'entreprise avec un doigt…
SONIA MABROUK
David BALLAND, un cofondateur de la startup LEDGER, enlevé avec sa femme, torturé, un doigt coupé.
BRUNO RETAILLEAU
Torturé, à un doigt coupé. Très franchement, j'ai eu très, très peur. Cette affaire, je l'ai suivie d'heure en heure. Vous vous rendez compte ? Et je veux les féliciter.
SONIA MABROUK
D'heure en heure, vous avez suivi l'intervention du GIGN ?
BRUNO RETAILLEAU
La gendarmerie, le GIGN, en 48 heures, ils ont mis la main sur ces 10 malfrats ; c'est exceptionnel. Il faut que les Français, d'abord, le sachent, parce qu'on nous reproche de ne pas avoir de résultat. Mais si on ne dit rien, les Français ne sauront rien. Ils verront les exactions, mais ils ne verront pas les efforts des policiers et des gendarmes au péril de leur vie. Donc moi, j'assume le fait de féliciter les hommes et les femmes qui prennent des risques pour les Français.
SONIA MABROUK
Alors évidemment, il faut les féliciter. Et vous assumez jusqu'où certaines prises de position, Bruno RETAILLEAU. Sur la relation entre la France et le régime algérien, vos mots, d'ailleurs, ne souffrent pas d'ambiguïté lorsque vous dites que l'histoire ne peut donner à l'Algérie le droit d'offenser la France. Et après ? On a envie de vous demander, monsieur RETAILLEAU, est-ce que vous êtes favorable... Est-ce que le ministre est favorable à ce qu'il disait il y a quelques semaines, quelques mois ou quelques années même sur l'abrogation, plutôt la remise en cause des accords dérogatoires de 1966 ?
BRUNO RETAILLEAU
Sonia MABROUK, vous me connaissez. Quand j'ai une conviction, je la garde, je la tiens. J'ai déposé au Sénat – ça devait être en 2018 ou 2019 – une résolution pour abroger cet accord de 1968 qui est totalement dérogatoire et qui fait qu'on a une immigration algérienne de peuplement, d'installation très familiale, quand vous la regardez par rapport par exemple à celle qui vient du Maroc. Donc moi, j'assume tout. Et moi, je pense qu'il faut…
SONIA MABROUK
Qui n'assume pas tout, alors ?
BRUNO RETAILLEAU
Mais en tout cas, je suis ministre de l'Intérieur.
SONIA MABROUK
Est-ce que la diplomatie et puis le haut sommet de l'État ne veulent pas aller loin ?
BRUNO RETAILLEAU
En tout cas, vous savez parfaitement qu'un ministre de l'Intérieur, il a un périmètre ministériel. Et moi, je ne suis ni le quai d'Orsay, ni le Premier ministre, ni le Président de la République. Simplement, j'ai dit au Président de la République qu'il y avait un certain nombre d'instruments qui sont des instruments d'ordre un peu plus global, par exemple l'accord de 68. Il y a des échanges de lettres de 2007 aussi qui permettent aux diplomates algériens de venir sans visa. Et puis il y a des mesures individuelles, y compris des mesures d'ordre patrimonial.
SONIA MABROUK
Pour l'instant, vous nous confirmez que rien n'est activé ?
BRUNO RETAILLEAU
Pour l'instant, rien n'est activé. Je crois qu'il y a un certain nombre d'options, encore une fois générales ou individuelles. Mais il ne m'appartient pas, à moi, de les trancher. Ce que je pense, moi, et je le redis à ce micro, je pense que le Président de la République a beaucoup tendu la main à l'Algérie et que l'Algérie, en réalité, a peu donné en retour. Ou au contraire, elle a augmenté, en fonction de ce que nous donnions, nous, son agressivité n'a cessé d'augmenter. Ça, je ne le comprends pas. Vous savez, je respecte les États. Je respecte les peuples. Et le peuple algérien est incomparable.
SONIA MABROUK
Vous parlez du régime algérien.
BRUNO RETAILLEAU
Je parle du régime. Mais j'entends que ce régime respecte la France. Comme vous l'avez très bien dit, les douleurs de l'histoire. Et je les connais, ces douleurs aiguës de l'histoire. Mais en aucun cas, elles ne peuvent donner une sorte de droit de tirage à offenser la France. Ça n'est pas possible.
SONIA MABROUK
Et est-ce que dans ces relations, on a aujourd'hui un otage politique et un prisonnier politique qui s'appelle Boualem SANSAL ? Vous le présentez ainsi, monsieur le ministre de l'Intérieur.
BRUNO RETAILLEAU
Bien sûr. C'est choquant.
SONIA MABROUK
C'est un otage politique ?
BRUNO RETAILLEAU
Le mot d'otage… En tout cas, il est détenu. Il a été arrêté
SONIA MABROUK
Un prisonnier politique. Vos mots auront une importance et une résonance importante.
BRUNO RETAILLEAU
Bien sûr. Mais je pense qu'il est sans doute l'otage de cette relation tendue entre les deux pays. Boualem, que je connais bien, qui est un ami, est malade. Il est très malade. Il est âgé. Je demande au régime algérien un geste humanitaire. Et vous voyez, je suis scandalisé de ce qui s'est passé hier. Je crois que François-Xavier BELLAMY était il y a quelques minutes ici sur ce plateau-là ; il a courageusement... Je m'en étais entretenu avec lui parce que je pense qu'il faut aussi qu'on sorte du face-à-face. Et je pense que l'Europe doit nous aider à peser sur l'Algérie. Et courageusement, François-Xavier BELLAMY a présenté une résolution hier qui a été votée à une très, très grande majorité, 533 sur 600 députés.
SONIA MABROUK
Sauf ?
BRUNO RETAILLEAU
Sauf madame Rima HASSAN.
SONIA MABROUK
Alors de quoi c'est le symbole ? Que montrent sa position et son vote, selon vous ?
BRUNO RETAILLEAU
Mais c'est une alliée du régime algérien. Vous vous rendez compte que cette résolution demandait quoi ?
SONIA MABROUK
Une députée française, eurodéputée, est un agent d'influence du régime algérien aujourd'hui ?
BRUNO RETAILLEAU
En tout cas, un soutien, un suppôt. Vous vous rendez compte que cette résolution demandait la libération immédiate, inconditionnelle d'un homme malade, d'un homme âgé avec une mission médicale. Et madame Rima HASSAN, qui appartient aux Insoumis, dit : " Non, je refuse, je vote contre. " Vous vous rendez compte ? C'est inhumain. C'est politiquement scandaleux, évidemment. Et je demande d'ailleurs à LFI de se justifier. Est-ce qu'ils sont derrière ? Est-ce qu'ils considèrent que ce vote-là représente ce que leur parti veut porter au niveau français et européen ?
SONIA MABROUK
Est-ce qu'il y a d'autres agents d'influence du régime algérien en France ? Ici même, il y a quelques semaines, l'ancien ambassadeur de France en Algérie, Xavier DRIENCOURT, avait parlé également de la Grande Mosquée de Paris, dont on a appris par le journal L'Opinion que, mis à part évidemment les interactions religieuses, il y avait des interactions économiques très fortes avec l'Algérie, dont un monopole sur la commercialisation du halal. Y voyez-vous là encore un suppôt, pour reprendre vos mots ?
BRUNO RETAILLEAU
L'islam en France s'est bâti par plusieurs voies. On sait parfaitement que cet islam qu'on appelle l'islam consulaire, très influencé par des pays étrangers, a pris racine en France. Moi, je pense qu'une mosquée, c'est un lieu de culte. Et j'y suis très attaché. Ça correspond d'ailleurs à la loi française. Donc j'entends faire respecter le droit français. Une mosquée est un lieu de culte, ça n'est pas une ambassade. Et pour ce qui concerne le halal, j'ai demandé à mes services de voir, d'examiner les conditions dans lesquelles cette taxe avait été instaurée et si elle était compatible avec la loi de 1905.
SONIA MABROUK
Il y a aussi dans vos défis, monsieur le ministre de l'Intérieur, la lutte contre les narcotrafics, avec également ce qui a été annoncé par le garde des Sceaux, Gérald DARMANIN, hier, sur une police pénitentiaire, sur une prison de haute sécurité. Il y a le fond, il y a aussi la forme. Je vais poser une question politique, parce que voilà deux ministres très médiatiques qui marchent sur les mêmes plates-bandes au risque de se marcher sur les pieds ?
BRUNO RETAILLEAU
Non, mais c'est très important que l'Intérieur et la Justice fonctionnent ensemble.
SONIA MABROUK
Vous n'allez pas me dire autre chose ?
BRUNO RETAILLEAU
Non, mais je vais vous dire très concrètement ce que je disais à Didier MIGAUD, ce que j'ai dit au Premier ministre successif et au Président de la République ; ne me demandez pas d'avoir des résultats avec la même politique pénale très gauchisante.
SONIA MABROUK
D'accord. Donc aujourd'hui, vous avez un allié à la place Vendôme.
BRUNO RETAILLEAU
Je ne peux pas envoyer des policiers, des gendarmes au feu, au péril de leur vie si demain, ils arrêtent des individus, des délinquants, ils les retrouvent quelques jours, quelques semaines dans la rue, libres, grognards, sans une journée de prison. J'avais cité un jour... J'étais allé voir un policier. Il s'était fait broyer une main. C'était un mineur de 17 ans-17 ans et demi. Il avait 33 antécédents judiciaires, dont un vol avec torture. Pas un seul jour de prison. Ce n'est pas révoltant, ça ?
SONIA MABROUK
Ici même, la magistrate Béatrice BRUGERE a parlé de 40% aujourd'hui de peines prononcées et non exécutées.
BRUNO RETAILLEAU
Elle a raison, Béatrice BRUGERE.
SONIA MABROUK
Il faut une révolution aujourd'hui ?
BRUNO RETAILLEAU
J'ai lu son livre. C'est un excellent livre. Tous les hommes et les femmes politiques devraient le lire. Et j'ajoute qu'on a créé, en France, un droit à l'inexécution des peines. Voilà. Il faudrait abroger par exemple la loi de madame TAUBIRA de 2019 pour qu'on puisse rendre possible, notamment pour les mineurs violents, des courtes peines de moins d'un mois. Alors que là, entre 1 mois impossible de faire de la prison, 6 mois, c'est compliqué, jusqu'à 1 an. Voilà. Donc il faut une autre politique pénale. Je reviens peut-être au narcotrafic, parce que ce texte, j'y tiens beaucoup. Je l'ai initié au Sénat, puisque c'est moi qui avais initié la commission d'enquête. Et c'est les conclusions de la commission d'enquête qui ont fait l'objet de cette proposition de loi qui va être étudiée. Nous le ferons au banc. Je serai avec Gérald DARMANIN, bien sûr, au Sénat cette semaine. On va renverser les choses, parce qu'on est allés très loin. Et aujourd'hui, on a une menace existentielle avec la drogue, avec la corruption en France.
SONIA MABROUK
Avec une obligation de résultats, monsieur le ministre. Alors que ça brûle à Mâcon sur fond de trafic de drogue, avec Marseille, même si les narchomicides ont baissé, ce sont des règlements de comptes sanglants, cette fois-ci ?
BRUNO RETAILLEAU
Mais les résultats, je vais vous dire… les résultats, on commence à en avoir. Un exemple, la cocaïne ; le volume de cocaïne saisi en 2023, 23 tonnes. L'an dernier, sur 11 mois, 47 tonnes, plus du double. Le problème, c'est que le prix ne bouge pas, parce qu'il y en a de plus en plus. Et donc il faut qu'on s'organise. Aujourd'hui, on ne lutte pas à armes égales. Ce texte-là va créer un nouvel arsenal. Et on va faire, avec le narcotrafic, ce qu'on a fait pour le terrorisme. Et c'est comme ça qu'on aura des résultats. On a eu des résultats l'an dernier sur le terrorisme. On a déjoué 9 attentats, aucun mort. Il n'y a jamais eu autant de tentatives d'attentats terroristes en 2024 et on a eu zéro mort.
SONIA MABROUK
Et vous l'avez rappelé lors d'une conférence au centre de sécurité intérieure. Et vous avez salué aussi, lors de cette conférence, le combat. Et d'ailleurs, vous vous êtes dit très proche de la présence du collectif identitaire Némésis, Alice CORDIER, qui vous avait demandé d'ailleurs la dissolution de la jeune garde antifasciste. Alors c'est un mouvement d'extrême-gauche. Ça a déclenché des cris d'orfraie, notamment de La France insoumise. Je cite par exemple Clémence GUETTE, qui dit " Voilà comment RETAILLEAU, ministre de l'Intérieur, s'adresse à un collectif d'extrême-droite violent et raciste ". Que leur répondez-vous ?
BRUNO RETAILLEAU
Alors je remets les choses au point, puisque quand ces jeunes femmes m'ont interpellé au milieu d'un feu roulant de questions, elles m'ont demandé et posé la question sur leur combat, qui est un combat contre l'islamisme, qui est un combat contre l'antisémitisme. Et bien sûr, je leur ai dit que je partageais ces combats, parce que c'est la vérité. En revanche, Némésis ne m'a rien dit sur le moment. J'ai vu après que c'était une association qui avait des positions très radicales, qui avait très brutalement d'ailleurs, par exemple, attaqué Valérie PECRESSE. Et je ne me sens pas du tout proche de cette association en tant que telle. J'ai répondu sur des combats qui me semblaient être des combats importants, en tout cas que je mène depuis très longtemps.
SONIA MABROUK
Il y a les combats collectifs. Et on va conclure, il y a les combats…
BRUNO RETAILLEAU
Et l'extrême-gauche, bien entendu. C'est du terrorisme intellectuel, évidemment. Madame GUETTE en profite. Elle profite de cette confusion. Et elle voudrait que je me taise. Eh bien, je ne me tairai pas. Et ces combats sur l'islamisme, parce qu'eux, voilà, eux, ce sont des islamo-gauchistes.
SONIA MABROUK
Vous ne vous tairez pas. C'est ce que vous dites. Mais est-ce qu'à un moment, vous aurez le choix ? Monsieur le ministre, la question politique est posée : rester ou partir, rester au sein du Gouvernement quitte à être entravé ou partir et poser un acte fondateur pour la suite ? Vous y réfléchissez ?
BRUNO RETAILLEAU
Je suis dans l'action. Vraiment, je suis dans l'action. J'agis pour les Français. Quand je suis rentré au Gouvernement avec Michel BARNIER, quand je suis resté au Gouvernement avec François BAYROU, je me suis promis de ne pas me mentir, de ne pas tromper les Français tant que je peux agir, tant qu'on me donne les moyens pour les combats que j'estime être justes et qui sont soutenus par les Français. Qu'on me comprenne bien… Ce ne sont pas des caprices
SONIA MABROUK
Un homme seul peut-il agir dans un écosystème qui lui est parfois défavorable ?
BRUNO RETAILLEAU
Non.
SONIA MABROUK
Non ?
BRUNO RETAILLEAU
Écoutez, le Général De GAULLE parlait de la 5e République comme un régime de la majorité nationale. Il y a une majorité nationale de droite et de gauche derrière les propositions que je fais de faire voter.
SONIA MABROUK
J'entends. Et s'il y a une ligne rouge, par exemple, quelle serait-elle ? François BAYROU s'est prononcé sur un projet de loi sur la fin de vie qui arrive ; découplé, certes, mais il y aura quand même un projet de loi sur la fin de vie. On connaît vos convictions. Est-ce que ce sera votre ligne rouge ?
BRUNO RETAILLEAU
Ah non, je salue ce qu'il a fait, au contraire. Je salue ce qu'il a fait, puisqu'il va y avoir 2 textes de loi.
SONIA MABROUK
Vous saluez le découplage ?
BRUNO RETAILLEAU
En réalité, on voyait bien le piège d'un certain nombre de militants, le piège, c'était de prendre en otage les soins palliatifs pour pousser les uns et les autres qui étaient favorables. Et tout le monde est favorable aux soins palliatifs pour pouvoir faire des pressions pour voter l'ensemble du texte.
SONIA MABROUK
J'entends. Mais sur l'autre texte ?
BRUNO RETAILLEAU
L'autre texte, ma position ne change pas.
SONIA MABROUK
Donc c'est une ligne rouge ?
BRUNO RETAILLEAU
Je suis contre l'euthanasie.
SONIA MABROUK
Et si ça passe ? Et s'il y a une légalisation d'une... Ah, bon. Donc si ça passe par le Parlement, c'est bon ce qu'il a ?
BRUNO RETAILLEAU
Non, pas du tout. Évidemment que je ne suis pas d'accord sur tout. Mais ce qui me semble fondamental, c'est qu'il est compris qu'on ne peut pas prendre sur des sujets de conscience intime. On ne peut pas prendre les soins palliatifs en otage pour faire passer de façon trop rapide le texte sur l'euthanasie. Donc ça, je pense que... Et je veux saluer parce que c'est courageux. En revanche, ma position n'a pas changé. Je reste contre l'euthanasie. Je pense que les gens ont besoin d'être soulagés, de ne pas souffrir. On le peut avec les soins palliatifs. Mais l'euthanasie, c'est autre chose. Et tous les pays qui l'ont autorisé mettent d'abord des garde-fous. Mais vous savez, quand vous entrebâillez une porte, progressivement, ces garde-fous sautent les uns après les autres. La porte entrebâillée finit par être une porte grande ouverte.
SONIA MABROUK
Merci Bruno RETAILLEAU. C'était votre grande interview. Bonne journée à vous.
BRUNO RETAILLEAU
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 janvier 2025