Interview de M. Bruno Retailleau, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, à France 2 le 28 janvier 2025, sur une proposition de loi destinée à lutter contre le narcotrafic, la justice des mineurs et la lutte contre l'immigration irrégulière.

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Média : France 2

Texte intégral

JULIEN ARNAUD
Bonjour Monsieur le ministre, Bruno RETAILLEAU.

BRUNO RETAILLEAU
Bonjour Julien.

JULIEN ARNAUD
Merci d'être avec nous ce matin, c'est une journée importante puisque le Sénat examine donc une proposition de loi destinée à lutter contre le narcotrafic. D'abord sur le concept, parce qu'on a l'impression que depuis deux ans, il s'est passé quelque chose et le narcotrafic a pris une ampleur colossale. Pourquoi cette explosion récente ?

BRUNO RETAILLEAU
Tout simplement parce qu'il y a un phénomène planétaire et que la France en est aussi victime, même si on a des résultats. Juste deux chiffres ; vous voyez les policiers, les gendarmes, les douaniers ont saisi en 2023 23 tonnes de cocaïne et l'an dernier, 47 tonnes. Et le prix n'a pas bougé, ça veut dire qu'il y a une submersion. Les drogues les plus dures sont désormais disponibles partout, y compris dans nos villages et tout le temps, y compris avec Libership, c'est-à-dire cette espèce de numérisation et ça n'est pas le consommateur qui va au produit, c'est le produit qui vient au consommateur. Donc il faut se réarmer parce que c'est une menace désormais avec la corruption, notamment existentielle pour notre pays.

JULIEN ARNAUD
Et l'une des armes que vous mettez en avant, c'est la création d'un parquet national contre la criminalité organisée. Ça va changer quoi exactement ?

BRUNO RETAILLEAU
Ce que ça a changé pour le terrorisme. Lorsqu'il y a 15 ans, on a commémoré la 10e année des attentats terroristes de l'année 2015 ; on s'est trouvé finalement désarmé. On a créé un parquet national antiterroriste et on a créé aussi un état-major. On ne va pas seulement judiciariser, c'est-à-dire créer une spécialisation de la chaîne judiciaire. On va aussi créer, et ça me concerne directement, un état-major. Un état-major contre la criminalité organisée qui va comprendre tous nos services de renseignement, tous nos services d'enquête, comme on l'a fait pour le terrorisme. C'est une cause pour moi qui a la même valeur symbolique et la même valeur en termes de conséquences sur la nation.

JULIEN ARNAUD
Alors hier à votre place, il y avait François MOLINS. Et sur cette question, il disait que ça existe déjà. C'est le parquet de Paris qui s'en occupe donc on n'a pas besoin de cette nouvelle structure.

BRUNO RETAILLEAU
Ça fonctionne mal. Je vais vous donner un seul exemple. Vous savez, le dénommé Mohamed AMRA qui a tué… il s'est évadé, il y a eu deux personnels de la pénitentiaire. Il avait des dossiers dans 4 ou 5 juridictions. Et donc il n'y avait pas de coordinateur. Il n'y avait pas quelqu'un qui pilotait. Donc il faut passer au stade supérieur. Il faut se donner les armes qui ont fonctionné contre le terrorisme. Il faut qu'on ait les mêmes armes contre la criminalité organisée.

JULIEN ARNAUD
Pourquoi en 2026, puisque c'est cette échéance qu'a donnée Gérald DARMANIN, 1er janvier 2026 ? On ne peut pas aller plus vite ?

BRUNO RETAILLEAU
J'en ai parlé avec lui, puisque ce texte, je le connais bien. Je veux simplement vous rappeler que j'avais moi, quand j'étais au Sénat, initié la commission d'enquête qui a donné lieu aux conclusions, qui ont donné lieu ensuite aux textes législatifs qu'on étudie à partir de cet après-midi. Il faut faire le plus vite possible.

JULIEN ARNAUD
C'est trop lent ? 1er janvier 2026, c'est trop lent ?

BRUNO RETAILLEAU
Non, il m'a expliqué qu'il avait besoin d'un peu de temps pour mettre en route ses propres services. L'important, c'est que ça se fasse. Nous allons nous créer cet état-major de lutte dans les prochaines semaines. Et ce sera la direction nationale de la police judiciaire qui en sera la tête de réseau, qui en sera le pilote.

JULIEN ARNAUD
Alors, il y a un consensus politique, c'est une proposition transpartisane, comme on dit. En revanche, le monde judiciaire est très divisé. On le voit largement ces derniers jours dans la presse, notamment les avocats qui sont vent debout. Notamment parce que le texte prévoit que certains moyens utilisés pendant l'enquête ne seront pas communiqués à la défense. Pourquoi faire ça ?

BRUNO RETAILLEAU
Mais ça me paraît très simple. Je vais vous donner un exemple. Quand vous avez des techniques d'enquête, si vous versez ces techniques d'enquête au dossier des avocats, tous ceux qui ne sont pas bien intentionnés, notamment ceux qui défendent les mafieux, verront les techniques d'enquête. Ils auront aussi recours à des noms, qui pourront être menacés, des enquêteurs.

JULIEN ARNAUD
Ils se sentent un peu stigmatisés, les avocats, quand vous dites ça. Il y a une mauvaise foi des avocats ? Ils manoeuvrent, ils instrumentalisent la Justice pour la contourner ?

BRUNO RETAILLEAU
Les avocats sont toujours du côté des droits de la défense. Simplement, moi, ce que je veux, c'est que nos enquêteurs soient protégés. Les enquêteurs qui dépendent notamment de mes services, qu'ils soient gendarmes ou policiers, doivent être protégés. Et les techniques spéciales, notamment les techniques les plus pointues, doivent être cachées. Parce que sinon, si on les dévoile, on n'arrivera pas la fois suivante à confondre ces narcoracailles. C'est ça qui est important. De même que je veux donner au préfet beaucoup plus de pouvoir pour expulser de son logement social un trafiquant pour faire en sorte qu'il ne reparaisse plus sur le lieu de son point de deal. Je veux aussi saisir les biens qui ont été acquis grâce à l'argent de la drogue. C'est fondamental.

JULIEN ARNAUD
Il y a un autre sujet aussi fondamental, c'est le sujet de la justice des mineurs. Évidemment, tout le monde a été choqué par ce qui s'est passé en fin de semaine dernière. Et puis ce week-end, la mort d'Elias, cet adolescent de 14 ans qui a été tué pour un simple vol de portable. Deux mineurs ont été arrêtés. Ils étaient déjà bien connus de la police et de la justice. Ils attendaient leur jugement dans une autre affaire. Ils n'étaient pas censés être ensemble et pourtant, ils l'étaient. Est-ce que vous dites, ce matin, ce drame aurait pu être évité ? Il y a eu des défaillances comme l'écrit Figaro dans la justice des mineurs ?

BRUNO RETAILLEAU
Et bien sûr, la justice des mineurs - je pèse mes mots - en France, c'est un fiasco. Celui présumé coupable, il a fait des aveux. Vol en réunion, vol avec violence, extorsion par violence, vol aggravé, escroquerie. Pensez-vous qu'il ait fait un seul jour de prison ? Aujourd'hui, c'est terrible. La violence des mineurs, c'est un échec en France et il faut absolument y remédier. Il faut, par exemple, des comparutions immédiates, mais pas seulement. Il ne peut pas y avoir d'excuses de minorité qui soient la règle. Il n'y a pas d'excuses, même de minorité, pour celui qui tue un enfant de 14 ans. Pareil, on repousse toujours plus loin les peines de prison. On veut leur éviter la sanction, mais je pense qu'il faut faire l'inverse.

JULIEN ARNAUD
On est naïfs ?

BRUNO RETAILLEAU
Mais on est beaucoup trop naïfs. Pour moi, ces jeunes ne sont pas des victimes de la société, ils sont des voyous. Il faut donc faire en sorte qu'on ait des courtes peines. Ils n'ont plus d'empathie. Ils peuvent tuer sans que ça les gêne. Il faut une butée. Une butée, c'est la prison, quelques semaines, une semaine, des courtes peines…

JULIEN ARNAUD
Vous êtes favorable à cette formule-là, des peines très courtes, une semaine, 15 jours, mais appliquées tout de suite ?

BRUNO RETAILLEAU
Ça fait des années que je le pense.

JULIEN ARNAUD
Alors pourquoi ça n'entre pas en vigueur ? C'est difficile à mettre en place ?

BRUNO RETAILLEAU
Mais non, mais pas du tout. Il y a une idéologie. Il y a une idéologie qui consiste à dire que la prison, c'est horrible. Non, la prison peut être rédemptrice, notamment lorsque, dès les premiers faits graves, la sanction tombe immédiatement. Là, on fait l'inverse. Qu'est-ce qu'on fait ? On installe ces jeunes, ces mineurs, dans des parcours de délinquance. Et il faut arriver au 30e antécédent, parfois, avec des choses très graves, pour que la sanction, qui va alors être beaucoup plus lourde, tombe. Mais ils ont vécu, d'ici là, une sorte d'impunité qui les a poussés, finalement, au crime. C'est ça qu'il faut dénoncer.

JULIEN ARNAUD
Ces mesures qui sont notamment prévues dans une proposition de loi représentée par Gabriel ATTAL, sont très, très contestées par le monde judiciaire. Vous le savez bien. A partir de quand vous pourrez mettre tout ça en place, d'après vous ? Est-ce que ça pourrait être fait rapidement ?

BRUNO RETAILLEAU
Écoutez, la proposition de loi de Gabriel ATTAL, je la soutiens. Je voudrais même qu'on aille un peu plus loin, puisqu'aujourd'hui, il y a ce qu'on appelle une césure. C'est-à-dire que, dans notre droit, pour la justice des mineurs, quand vous reconnaissez d'abord la culpabilité, et plusieurs mois après, la sanction doit tomber.

JULIEN ARNAUD
Le temps, peut-être, de laisser une chance, effectivement, aux mineurs, de ne pas faire autre chose.

BRUNO RETAILLEAU
Mais on ne laisse aucune chance. Mais si on veut redonner du sens à la sanction, il faut que, quand la culpabilité tombe, la sanction tombe avec.

JULIEN ARNAUD
Donc il faut en finir avec la césure ?

BRUNO RETAILLEAU
Écoutez, si vous avez des enfants, est-ce qu'ils vous viendraient à l'esprit, pour le bon sens… Quand vous avez un gamin, il fait une bêtise, et vous lui dites : " je reconnais ta bêtise, mais la sanction, on verra des semaines plus tard, des mois plus tard. " Ça ne tient pas debout. Voilà. Ça n'est pas éducatif. Il faut en revenir à une sanction qui ait du sens, c'est-à-dire une sanction qui soit aussi pédagogique.

JULIEN ARNAUD
Ce sera mis en place quand ? La proposition de loi ATTAL, par exemple, sera examinée quand ?

BRUNO RETAILLEAU
J'espère qu'elle sera examinée dans quelques jours, au mois de février. Et j'espère qu'elle sera votée, parce que c'est absolument nécessaire, y compris nécessaire pour ces jeunes délinquants. On les laisse dans leur délinquance. Et on les pousse à aggraver, justement, ces parcours de délinquance.

JULIEN ARNAUD
Et ces peines courtes, d'après vous, on les verra arriver à partir de quand ?

BRUNO RETAILLEAU
Le plus vite possible, parce qu'il ne faut pas des prisons qui coûtent très cher. Il faut des prisons beaucoup plus légères. Ce sont des peines ultra courtes. Parfois, ça peut être une semaine, 15 jours. On ne parle pas, à ce moment-là, de crimes, mais on parle, par exemple, de jeunes qui ont pu tabasser

JULIEN ARNAUD
Dans des établissements particuliers ?

BRUNO RETAILLEAU
Dans des établissements particuliers. Mais aujourd'hui, ce qui est incroyable, c'est qu'il existe, en France, un droit au premier tabassage, sans que celui-là soit vraiment puni.

JULIEN ARNAUD
Cette semaine, c'est aussi l'entrée en vigueur de la nouvelle circulaire qui règle les questions d'immigration. Vous dites que, jusqu'à présent, il y avait une forme de prime à l'irrégularité en France, c'est-à-dire ?

BRUNO RETAILLEAU
Moi, je veux réduire… J'assume de vouloir réduire l'immigration et de lutter contre l'immigration irrégulière. Mais si on régularise des gens qui ont fraudé, des clandestins, c'est-à-dire qu'ils ont violé nos frontières à tour de bras, si on les régularise à tour de bras, à ce moment-là, on envoie un mauvais signal et on ne peut pas maîtriser, du coup, l'immigration. Donc il faut être exigeant, parce qu'il y a des frontières, il y a la loi. Et ceux qui violent la loi, eh bien, ils doivent se dire : " non, non, la régularisation, c'est au compte-goutte uniquement. "

JULIEN ARNAUD
Donc, à partir de maintenant, en cas d'OQTF, vous ne serez pas régularisé, c'est ça le message que vous dites ce matin ou pas ?

BRUNO RETAILLEAU
Il y a aussi ce message. Ça, c'est important. Et quand on a une mesure d'éloignement, par exemple une OQTF, là encore, ça doit être rédhibitoire.

JULIEN ARNAUD
Mais il y en a certains, notamment au Rassemblement National, Jordan BARDELLA, pour ne pas le nommer, hier, qui dit, " Bruno RETAILLEAU, moi, je l'aime bien, il est sincère, mais c'est le ministre de la Parole. " En réalité, tout ce qu'il dit, moi, je suis sûr que ça ne verra jamais le jour. Que lui répondez-vous ?

BRUNO RETAILLEAU
C'est faux. J'ai déjà des résultats. Entre novembre 2023 et novembre 2024, par exemple, on a fait baisser les visas de long séjour de 20%, fait baisser les demandes d'asile de 8,5%. Les mesures d'expulsion qui dépendent du ministre ou des préfets ont augmenté de 182%. Il y a des résultats. Je sais que la situation est compliquée puisqu'il n'y a pas de majorité au Parlement. Mais j'agis ; chaque jour j'agis et je ne laisse rien passer. Regardez les influenceurs algériens. Est-ce qu'avant moi, on avait tapé ces influenceurs à chaque fois qu'ils franchissaient la ligne jaune ? C'est-à-dire qu'ils appelaient au crime, au viol, avec des propos parfois antisémites. Je ne laisse rien passer.

JULIEN ARNAUD
Vous n'avez pas peur d'être victime des négociations en cours avec le Parti Socialiste ? Parce qu'on voit bien que le PS va dire peut-être " d'accord, on vote pour le budget, mais en échange, il faut museler RETAILLEAU " pour dire les choses un peu crûment.

BRUNO RETAILLEAU
Si c'était ainsi, je partirais.

JULIEN ARNAUD
Mais ça n'est pas votre état d'esprit pour le moment. Vous ne le ressentez pas comme ça.

BRUNO RETAILLEAU
Non, j'ai écouté le Premier ministre hier. Il a justifié la politique que je souhaite mener - bien entendu sous sa direction, il est Premier ministre - en disant que tout est une affaire de proportions, de nombres et qu'on atteint, je reprends son expression, la zone grise ; cette zone où une société est déstabilisée parce que trop c'est trop. La loi du nombre, c'est la loi qu'il faut maîtriser en matière d'immigration.

JULIEN ARNAUD
On a entendu le coup de pression de Bruno RETAILLEAU ce matin dans les 4V. Si vous n'êtes pas entendu, vous partirez. Merci beaucoup.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 29 janvier 2025