Interview de Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, à RMC Info le 29 janvier 2025, sur l'immigration, la "submersion migratoire", le "sentiment d'insécurité culturelle", la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes et la création d'un délit de "contrôle coercitif".

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Aurore Bergé - Ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations ;
  • Apolline de Malherbe - Journaliste

Média : RMC Info

Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
Submersion migratoire, le débat s'enflamme. Bonjour Aurore BERGE.

AURORE BERGE
Bonjour.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes ministre déléguée de l'égalité femmes-hommes et de la lutte contre les discriminations. Il y a combien d'étrangers en France ?

AURORE BERGE
Je crois que le sujet est sur les termes qu'on emploie ou sur les termes qu'on n'emploie pas. Et on a une espèce de grand tabou national qu'on a sur la question de l'immigration qui fait qu'on n'arrive jamais à avoir un débat serein, à avoir un débat calme et à avoir un débat rationnel.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que le mot submersion, quand on sait qu'il y a effectivement 11 % d'étrangers en France, ceux qui ne comptent pas, ceux qui ont acquis la nationalité en étant nés en France, notamment les enfants d'immigrés, mais 11 %. Voilà les chiffres que nous a donnés tout à l'heure Didier LESCHI. Est-ce que le mot de submersion permet d'avoir un débat, comme vous le dites, sans tabou ?

AURORE BERGE
Je pense qu'il faut avoir un débat sans tabou sur la question migratoire et puis sur les enjeux d'insécurité culturelle qui existent, qui sont ressentis par des Français. Parce qu'à la fin, le Premier ministre parle de ça, il parle de qu'est-ce que les Français ressentent, qu'est-ce que les Français nous disent. Est-ce que ça veut dire qu'on épouse les thèses de celles et ceux qui en parlent ? Non, ça veut dire qu'à un moment, on admet juste que oui, il y a des millions de Français qui, aujourd'hui, ont ce sentiment-là. Donc la question c'est comment on le traite, comment on le traite à la racine, comment on garantit que les valeurs républicaines sont là, partout, tout le temps et pour tout le monde, qu'on soit arrivé il y a longtemps, qu'on soit arrivé récemment, qu'on soit né Français, peu importe, et que ça se transmette et surtout que ça s'incarne ; comment on lutte contre l'immigration illégale de manière déterminée. Parce que c'est aussi ça qui est en jeu, c'est notre capacité à accueillir et notre capacité à intégrer. Mais c'est donc forcément très lié aussi à qui on accueille et combien on accueille.

APOLLINE DE MALHERBE
Ça veut dire que pour vous, Aurore BERGE, le Premier ministre a eu raison de mettre ce sujet, de jeter en quelque sorte ce mot comme un pavé dans la mare pour créer la situation d'un débat ?

AURORE BERGE
En tout cas, il y a un débat, c'est une certitude. Après, il l'a employé aussi sur certains départements et certains territoires français.

APOLLINE DE MALHERBE
Il a dit en particulier à Mayotte, mais dans d'autres coins de France, dit-il sans préciser.

AURORE BERGE
Quand vous voyez Mayotte, quand vous voyez la Guyane, il suffit là, pour le coup, de se rendre sur place, d'écouter ce que disent les élus de tout bord politique.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que vous parleriez aussi d'autres coins en métropole ?

AURORE BERGE
Je pense qu'il y a, dans d'autres territoires français, en Hexagone, ce sentiment parfois d'insécurité culturelle, ce sentiment de ne plus reconnaître exactement ce qu'on a pu connaître dans le passé. C'est ça qui bouscule, c'est ça qui parfois inquiète, c'est ça qui crée de la tension. Et la question qu'on a, c'est : est-ce que malgré tout, malgré le fait que oui, parfois des repères ont changé, on arrive quand même à tenir ensemble et à tenir sur les valeurs républicaines ?

APOLLINE DE MALHERBE
C'est là que je vais vous poser une autre question, Aurore BERGE. Vous avez dit que ça crée un sentiment d'insécurité culturelle. Est-ce que votre propos, c'est de dire qu'il faut apaiser les Français et leur dire "écoutez, non, on doit continuer à accueillir, n'ayez pas ce sentiment d'insécurité culturelle" ? Ou est-ce qu'à l'inverse, vous vous dites, "il y a une proportion…" parce que c'est le mot aussi qui a été utilisé par François BAYROU ; il dit tout est une question de proportion. C'est quoi une proportion ? C'est quoi la bonne proportion ?

AURORE BERGE
Déjà, c'est notre capacité à savoir, non seulement accueillir, mais à savoir intégrer pour les nouveaux arrivants. Ça, c'est un enjeu qui est absolument décisif et garantir aussi que ce ne soit pas toujours dans les mêmes territoires évidemment, ce qui a souvent et malheureusement trop souvent sans doute été fait et qui a fait que oui, de facto, on a des quartiers qui ont évolué. Donc ça, je pense que c'est le premier point. Et la vraie question qui se pose quand on parle d'insécurité culturelle, qui avait été très bien documentée par Laurent BOUVET, par beaucoup de ceux qui avaient travaillé sur ces questions-là, de manière là aussi dépassionnée et précise, c'est quoi ? C'est que pour des gens qui sont nés en France, comment on garantit que quelle que soit la manière avec laquelle on est arrivé, quelle que soit notre naissance, quel que soit l'héritage qu'on a familial, à la fin, ce sont les valeurs républicaines qui prévalent. Et c'est ça notre enjeu, nous, au sein du Gouvernement et quand on fait de la politique, tout simplement.

APOLLINE DE MALHERBE
Aurore BERGE, vous avez entendu à mon micro, hier, la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël BRAUN-PIVET, qui disait : "ça gêne", c'est son mot. Face à ce mot, qu'est-ce que vous lui dites à elle et qu'est-ce que vous dites à la gauche qui a suspendu les négociations hier, estimant que François BAYROU faisait le lit, je cite, du Front National ?

AURORE BERGE
Déjà, tout l'avis de François BAYROU est d'une clarté absolue sur son combat face à l'extrémisme et face à l'extrême droite, donc je pense qu'on ne peut pas lui faire ce procès-là. Et par contre, la difficulté… Si on a aujourd'hui 140 députés d'extrême droite qui sont à l'Assemblée nationale, c'est parce qu'on ne peut pas continuer à être dans une forme, encore une fois, de tabou ou de déni sur ce qu'un certain nombre de Français vivent ou ressentent. Parce qu'à la fin, les deux, ils se confondent, quand on parle de sentiment de…, c'est parce qu'à la fin, on le ressent et on le vit.

APOLLINE DE MALHERBE
C'est comme le débat qui avait commencé sur le sentiment d'insécurité avant de parler d'insécurité à proprement parler ?

AURORE BERGE
En tout cas, à la fin, quand des Français vous interpellent et vous disent : "nous on ressent ça, on vit ça, ou parfois on souffre de ça", ça veut dire que vous devez bien l'entendre. Et donc, la question qu'on a à gérer, et cette tension qu'on a à gérer sur l'immigration, encore une fois…

APOLLINE DE MALHERBE
Ça peut vous coûter le Gouvernement, c'est-à-dire que le Parti socialiste a quitté la table des négociations hier.

AURORE BERGE
Encore une fois, qu'il nous juge sur le budget qui sera présenté. Et dans le budget qui est présenté, il y a un budget qui est très clair, notamment sur notre capacité à intégrer, notre capacité à accueillir sur la question de l'AME, qui ne doit évidemment pas être remise en cause, et que nous ne remettons pas en cause…

APOLLINE DE MALHERBE
L'aide médicale d'État.

AURORE BERGE
Donc ça, c'est les actes. Il faut aussi, au-delà des mots, juger sur les actes…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais est-ce que vous estimez aujourd'hui que le Parti socialiste utilise ce débat pour partir ?

AURORE BERGE
Non, je ne crois pas.

APOLLINE DE MALHERBE
Ou est-ce que vous comprenez la sensibilité du Parti socialiste ?

AURORE BERGE
Je peux comprendre qu'on ait des sensibilités qui soient différentes, mais à la fin, on est d'abord des élus, des élus de la République. Et on entend les Français qui, quels que soient les territoires, nous interpellent depuis tant d'années sur la question migratoire, et sur parfois ce sentiment, encore une fois, d'insécurité culturelle qui existe dans un certain nombre de nos territoires. Donc soit on fait semblant de ne pas entendre, soit on laisse uniquement l'extrême droite traiter ce sujet, s'approprier en fait un certain nombre de difficultés que vivent réellement les Français, que vivent nos concitoyens. Soit on se dit, "ok, on va mettre les mots". Et en posant les mots, on va surtout chercher à résoudre ces difficultés, parce qu'aujourd'hui, on a à la fois des Français inquiets qui se disent "on va me pointer du doigt parce que moi, je suis d'origine immigrée." Et ça c'est insupportable qu'un seul Français soit pointé du doigt en raison de ses origines.

APOLLINE DE MALHERBE
C'est ce que disait Hicham tout à l'heure.

AURORE BERGE
Et il faut lutter pied à pied contre toutes les discriminations liées à l'origine, et des Français qui se disent, "oui mais moi, je vis quand même ces difficultés, cette souffrance-là, entendez-moi."

APOLLINE DE MALHERBE
Aurore BERGE, je le disais, vous êtes la ministre déléguée de l'Egalité femmes-hommes et de la Lutte contre les discriminations. Votre proposition de loi que vous aviez déposée en 2024 alors que vous étiez députée, qui vise à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, a été adoptée hier par l'Assemblée nationale. Elle comporte notamment un nouveau concept même juridique qui s'appelle le contrôle coercitif, qui est désormais inscrit dans la loi. C'est quoi ?

AURORE BERGE
En fait, le contrôle coercitif, c'est ce que certains appellent l'emprise, c'est ce contrôle progressif que vous mettez en place quand vous êtes dans un couple. Ce sont toutes ces petites violences qui, prises isolément, n'en sont soi-disant pas, mais qui, accumulées, en sont.

APOLLINE DE MALHERBE
C'est quoi ? c'est une logique toxique de pervers narcissique ?

AURORE BERGE
C'est un flicage permanent. C'est "Pourquoi tu te maquilles ? Pourquoi tu sors ? Qui tu fréquentes ? À quelle heure tu rentres ? Tu es rentrée deux minutes trop tard." C'est mettre un traceur sur un téléphone portable, c'est mettre un traceur sur un GPS pour vérifier tout simplement où vous êtes allés, quand vous y êtes allés, à qui vous avez parlé. C'est le fait que vous n'avez plus le droit d'avoir un compte bancaire autonome, c'est le fait qu'on va fliquer vos dépenses, et quand on vous envoie une liste de courses, et quand vous êtes au magasin, vous avez peur de dépenser un euro de trop. Donc il n'y a pas forcément les coûts immédiatement, et d'ailleurs les femmes ne sont pas stupides, on n'est pas stupides. Si dès le premier jour d'une relation on subissait des coups, on partirait en courant. Les coups, ce n'est pas le premier jour d'une relation. Par contre, quand vous avez tout ça qui se met en place autour de vous, quand vous êtes à ce point isolé, quand vous subissez ces violences-là du quotidien, à la fin, oui, les coups arrivent, les violences sexuelles peuvent arriver. Donc c'est ça qu'on a mis dans la loi hier.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous avez lu hier le compte-rendu de l'audience aussi autour de Nekfeu. Je voudrais qu'on en parle un instant, Charles, parce que c'est exactement cette situation-là.

CHARLES MAGNIEN
Une longue enquête de nos confrères du Monde, évidemment, qui revient sur ce dossier, et qui pointe aussi la difficulté pour les magistrats dans ce type d'affaires, depuis des années, de faire la part des choses, entre des petits faits, comme le disait Aurore BERGE, accumulés, et qui, pris isolément ne sont pas forcément illégaux, ne sont pas décisifs dans un dossier, mais qui, à la fin, peuvent constituer en effet…

APOLLINE DE MALHERBE
Le rapport Nekfeu qui, effectivement, là-dessus, a été, pour l'instant, jugé innocent de ces questions-là, que lui reprochait sa femme. Aujourd'hui, avec votre loi, ce ne serait plus le cas ?

AURORE BERGE
En tout cas, les magistrats ont désormais – ça doit être définitivement adopté – les moyens de sanctionner. Ça devient une infraction à part entière, parce qu'encore une fois, ce sont des violences. Empêcher une femme de se comporter comme elle le souhaite, d'être libre, tout simplement, dans son couple, de fréquenter qui elle veut, de continuer à voir sa famille, de continuer à voir ses amis, d'avoir un emploi, d'avoir un compte bancaire, de dépenser comme elle l'entend pour elle-même ou pour son foyer, de se maquiller si elle le souhaite, de s'habiller comme elle le souhaite, pris isolément, encore une fois, on peut se dire, "après tout, est-ce que c'est bien grave". Quand vous vivez ça dans votre quotidien, en fait, vous avez peur tout le temps. Vous avez peur tout le temps de mal faire, de déplaire, de décevoir. Et vous n'avez plus personne à qui vous confier, puisqu'il y a un isolement qui se met en place autour de cette femme.

APOLLINE DE MALHERBE
Et ce sera donc désormais inscrit dans la loi, ce que vous appelez le contrôle coercitif. Merci à vous, Aurore BERGE, d'être venue ce matin.

AURORE BERGE
Merci à vous.

APOLLINE DE MALHERBE
Ministre déléguée de l'Egalité femmes-hommes et de la Lutte contre les discriminations.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 30 janvier 2025