Interview de Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée, chargée de la mémoire et des anciens combattants, à Radio J le 29 janvier 2025, sur la commémoration des 80 ans de la libération d'Auschwitz, les tensions avec l'Algérie, la question migratoire, le budget 2025 et la vie politique.

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Média : Radio J

Texte intégral

CHRISTOPHE BARBIER
Patricia MIRALLES, bonjour.

PATRICIA MIRALLES
Bonjour.

CHRISTOPHE BARBIER
Bienvenue, ministre déléguée, chargée aussi de la Mémoire. On va en parler parce que nous sortons de cette phase de commémoration des 80 ans de la libération d'Auschwitz. Comment l'avez-vous vécu, vous qui avez été dans des cérémonies, qui avez participé à tout cela ?

PATRICIA MIRALLES
Alors, ce n'était pas la première fois, évidemment, que je me rendais sur place. J'ai vécu, je dirais, quelque chose d'un peu différent. Puisque 80 ans, c'est toujours un événement qui est beaucoup plus médiatisé. Au Mémorial de la Shoah, le matin, avec le Président de la République, le Président a fait une émission avec Esther SENOT et d'autres jeunes. Et puis moi, je suis restée avec des ambassadeurs de la mémoire. Les ambassadeurs de la mémoire, ce sont des lycéens ou des collégiens qui travaillent sur un camp et qui expriment, je dirais, leurs ressentis en réalisant une oeuvre. Et ce qui était intéressant, c'est comment eux ressentaient les choses. J'ai été vraiment marquée par ces jeunes ; un qui m'a vraiment marquée parce qu'il avait compris. Et je pense que jusque-là, il n'avait pas compris exactement ce qu'il s'était passé. Et donc ils ont matérialisé leur oeuvre par une brique. Parce que pour eux, la brique, la pierre, c'est quelque chose qui reste. Et on voit bien que dans les camps, pour qu'on ne sache pas exactement ce qui s'était passé, souvent, il y a eu cette destruction qu'ils ne permettent pas - si on parle de Treblinka ou de Birkenau – on a du mal à voir exactement ce qui s'est passé. A Auschwitz, c'est plus, je dirais…

CHRISTOPHE BARBIER
Plus visible, plus sensible ?

PATRICIA MIRALLES
Plus visible… Voilà ! On se rend compte parce que vous voyez les chaussures, les valises, les cheveux, ces vêtements d'enfants, la vaisselle… et on se rend compte de l'indignité dans laquelle ils vivaient. Ce jeune a compris ça. Et je crois que c'est ça l'intérêt, c'est que notre jeunesse dise " ça existait. "

CHRISTOPHE BARBIER
Ces ambassadeurs de la mémoire vont pouvoir remplacer en quelque sorte les témoins survivants qui, eux, disparaissent ?

PATRICIA MIRALLES
Oui, je dirais que d'abord, ceux qui, pour moi, pourront être les prochains ambassadeurs, ce sont les guides. On a des guides de qualité aujourd'hui. Et ces guides voient aussi les déportés puisqu'il y avait des déportés qui ont témoigné d'ailleurs. Et donc ces guides sont là, je pense qu'ils seront là aussi pour continuer cette transmission auprès de la jeunesse. Il est important… Je lis parfois dans les réseaux sociaux, je vais le faire à la lecture de ce que j'ai vu : " c'est bon, ils ne vont pas nous en raconter encore pour 80 ans ". Ou " C'est faux, ça n'a pas existé. " C'est ça le combat qu'on doit mener sur la mémoire.

CHRISTOPHE BARBIER
Ça se fait dans une période où, depuis le 7 octobre 2023, il y a un puissant retour de l'antisémitisme sous toutes ses formes. Est-ce que cet antisémitisme profond n'est pas plus fort que tous les ministres, que toutes les commémorations ?

PATRICIA MIRALLES
Je pense que chaque Français doit se battre. Chaque Français doit se battre sur l'antisémitisme, sur le racisme qui monte. Est-ce que l'avenir de nos jeunes, de nos enfants qui vivent aujourd'hui au présent doit être simplement influencé par les réseaux sociaux ou est-ce qu'ils doivent eux-mêmes construire leur avenir ? C'est ce que je leur dis, il faut qu'ils fassent des choix. Et les choix ne doivent pas être orientés par les réseaux sociaux.

CHRISTOPHE BARBIER
Et c'est ça le risque aujourd'hui, c'est que cette mémoire se dilue, soit frelatée par les réseaux sociaux et que l'enseignement fondamental, lui, n'y arrive plus.

PATRICIA MIRALLES
D'abord, il faut remercier les enseignants parce qu'on a des enseignants qui sont de vrais hussards de la République. Moi, j'ai vu des enseignants d'éducation sportive amener des élèves dans des quartiers populaires qui étaient assez éloignés de l'Histoire, que l'on lit sur les papiers glacés, etc. et par le sport, en allant chercher un déporté qui était sportif et donc qui rentre dans l'Histoire et dans la mémoire de cette façon-là. Je crois qu'il faut utiliser tout ce que l'on peut pour faire comprendre à ces jeunes qu'ils se mettent en danger parfois. Et donc leur avenir, ils doivent s'en saisir et ils doivent faire les bons choix.

CHRISTOPHE BARBIER
Pour d'autres enseignants, c'est compliqué d'évoquer la Shoah en classe.

PATRICIA MIRALLES
Oui, ça peut être compliqué, comme ça peut être compliqué aussi de parler de la guerre d'Algérie. Et donc, quand on intervient… Moi, j'interviens beaucoup dans les écoles. Quand on intervient finalement, on est des passeurs de mémoire. Ce n'est pas le professeur qui pourrait être jugé par ce qu'il dit. Quand vous recevez un déporté ou une déportée comme le font Ginette et Esther qui ont un agenda de ministre d'ailleurs. Tous les jours, elles continuent inlassablement à aller dans les écoles. Je leur ai proposé d'ailleurs… Je vais me rendre dans une école avec elles parce que je pense que c'est bien aussi qu'ils puissent se rendre compte de la parole et du témoignage d'une déportée, mais aussi de ce que nous portons dans mon ministère avec la mémoire et dire qu'il faut regarder la mémoire en face.

CHRISTOPHE BARBIER
Quand Caroline YADAN, hier députée, dit " attention, il y a un parti LFI qui dit que l'antisémitisme est résiduel ", ça crée un incident à l'Assemblée nationale ; LFI proteste.

PATRICIA MIRALLES
Oui, je dirais que LFI proteste sur tout, donc c'est comme ça. C'est à nous de nous battre, c'est à nous de montrer aux Français. Moi, je suis aussi une élue locale ; quand je suis dans le local et quand je discute avec le Français lambda qui est là, qui peut être mon père, ma mère, mon frère, ma soeur, ils en ont assez. Et ils ont envie, aujourd'hui avec l'histoire que l'on raconte à nouveau, ils veulent que ça cesse. Les Français en ont assez.

CHRISTOPHE BARBIER
Assez du tohubohu. Vous évoquiez la guerre d'Algérie. Ça, c'est un pan de la mémoire qui est difficile. Vous êtes directement concernée par votre histoire familiale, par l'histoire de votre région. Vous êtes élue du côté de Montpellier. L'ambassadeur français est convoqué aujourd'hui en Algérie. " Cessez vos provocations ", dit l'Algérie à la France. Que répondre ?

PATRICIA MIRALLES
Je dirais que d'abord il faut toujours rester prudent. A quoi ça sert de se fâcher avec un pays ? En revanche, on a notre histoire, notre propre histoire sur l'Algérie. Et moi je dis, aujourd'hui, je ne peux pas aller en Algérie. Je ne sais pas où mes parents sont nés, je ne sais pas où mes parents ont été à l'école, je ne sais pas où ma soeur est née. Je ne connais pas mon histoire, j'ai cent ans d'histoire.

CHRISTOPHE BARBIER
Vous êtes persona non grata là-bas ?

PATRICIA MIRALLES
Non. Je ne sais pas si vraiment j'étais une persona non grata, mais y aller en famille pour découvrir les cent ans de ma famille, eh bien c'est aussi difficile. Donc ça, je me dis qu'il faut qu'on se batte pour qu'on puisse continuer à échanger entre ces deux rives de la Méditerranée. L'histoire est ce qu'elle est ; on ne va pas réécrire l'histoire. Mais une fois de plus, regardons vers l'avenir. A quoi ça sert tout ça ?

CHRISTOPHE BARBIER
Alors la vie politique c'est aussi la recherche de majorité, ou si possible l'absence de censure. Est-ce que François BAYROU a eu tort hier de maintenir le mot de submersion pour l'immigration face aux socialistes ?

PATRICIA MIRALLES
Je vais vous donner mon interprétation. D'abord, François BAYROU, toute sa vie a été un grand humaniste. Je pense qu'il a été pris par les émotions en allant à Mayotte. Moi, je ne suis pas allée à Mayotte, et c'est pour ça que j'aurais suffisamment de recul pour penser qu'effectivement, ce qu'il a vu, ce qu'il a entendu, lui a donné tout d'un coup des sentiments.

CHRISTOPHE BARBIER
Le maire de Mamoudzou d'ailleurs le soutient ce matin.

PATRICIA MIRALLES
Et en politique, je crois que si vous exprimez un sentiment, de suite, il y a un jugement derrière. Je crois qu'hier, il a essayé d'expliquer plusieurs fois qu'il ne souhaitait pas, évidemment pour les Mahorais, que cette situation continue. Et il a alerté en disant, et : " si on ne faisait rien, eh bien tout cela pourrait déborder aussi sur d'autres îles, évidemment des Outre-mer, et peut-être en France. " Et c'est ça qui a, je dirais, mis le feu aux poudres. Mais voilà…

CHRISTOPHE BARBIER
Il y a aussi l'accusation de rechercher une forme de neutralité de bienveillance du Rassemblement national.

PATRICIA MIRALLES
Je ne sais pas si vous avez entendu Marine Le PEN à la sortie de l'hémicycle ; ce n'est pas du tout ce qu'elle a dit.

CHRISTOPHE BARBIER
Elle veut des actes. Elle dit que ce ne sont que des mots, ça ne vaut rien.

PATRICIA MIRALLES
Exactement.

CHRISTOPHE BARBIER
Donc on n'est pas dans un calcul. Alors la semaine dernière, on faisait des cadeaux socialistes, et là, on caresse un peu le RN dans le sens du poil ?

PATRICIA MIRALLES
Je pense que ce n'est ni l'un ni l'autre. Je pense qu'il est Premier ministre. Il sait que la situation est difficile, que personne dans l'hémicycle n'a la majorité et donc il faut discuter avec tout le monde pour l'intérêt de la France, pour pouvoir faire voter un budget, pour pouvoir avancer, parce qu'on pénalise tout le monde, y compris les entreprises et les salariés, mais même aussi les retraités, les fonctionnaires. Tout le monde est pénalisé par cette situation.

CHRISTOPHE BARBIER
Les élus locaux réclament un budget. Les chefs d'entreprise réclament un budget. Est-ce que vous pouvez garantir qu'il y en aura un la semaine prochaine ?

PATRICIA MIRALLES
Déjà, nous allons voir la CMP, ce que donnera la commission mixte paritaire, le 30 janvier.

CHRISTOPHE BARBIER
Demain, ils commencent leurs travaux. Ça peut durer quelques heures ou quelques jours.

PATRICIA MIRALLES
Oui, mais je crois qu'il faut aussi considérer tous les efforts que les ministres ont fait sur leur propre budget pour trouver des économies. Ça, je trouve que c'était l'intérêt majeur. Et puis, on verra le 3 février quand le vote passera à l'Assemblée nationale. Mais moi, j'appelle évidemment à ce que tout le monde soit raisonnable et se dise que parfois, il faut savoir faire de bons compromis dans l'intérêt général.

CHRISTOPHE BARBIER
Votre budget, le budget de la Mémoire, le budget des Anciens combattants, il est raboté lui aussi ?

PATRICIA MIRALLES
Alors, au départ, il n'était pas question, en tous les cas, qu'on touche au budget des Armées. C'était vraiment un accord que nous avions. Donc, moi, pour participer, je dirais, à la solidarité gouvernementale, j'ai trouvé la possibilité d'avoir 51 500 000 euros d'économies, mais qui ne touchent pas vraiment mon budget parce que c'était une ligne budgétaire qui existait. Et j'avais déjà demandé - quand j'étais ministre pendant les 28 mois avant - c'était une ligne budgétaire qui existait pour les grands invalides de guerre, sachant qu'aujourd'hui, on a de moins en moins de grands invalides de guerre et ça m'a permis de récupérer cette somme d'argent. Et je vais pouvoir garder mon budget et faire ce que je veux. Donc, on peut trouver des économies, il faut trouver de bonnes économies, il ne faut pas faire n'importe quoi. Mais je crois qu'il est important que chacun puisse participer à cette solidarité et ne pas laisser à nos enfants une dette…

CHRISTOPHE BARBIER
… colossale. On est à 3 300 milliards. On commence déjà à parler des municipales. A Villeneuve-Saint-Georges, LFI est en tête ; la droite est divisée. A Montpellier aussi, chez vous, il y a une offensive LFI. Quel est leur but ?

PATRICIA MIRALLES
Si vous gagnez des grandes villes ou municipales, vous avez plus de chances d'avoir une assise pour les présidentielles.

CHRISTOPHE BARBIER
Ça vous fait des signatures, des parrainages ?

PATRICIA MIRALLES
Bien sûr.

CHRISTOPHE BARBIER
C'est MELENCHON qui prépare sa candidature ?

PATRICIA MIRALLES
Oui, comme à chaque fois d'ailleurs.

CHRISTOPHE BARBIER
Vous pensez qu'on aura, d'ici là, d'autres élections ? Vous pensez que la dissolution peut être une solution à l'été prochain pour dire aux Français : " Ecoutez, on ne s'en sort pas avec cette assemblée, retournons devant les urnes " ?

PATRICIA MIRALLES
C'est possible. Moi, j'entends les Français aujourd'hui qui sont agacés. Et d'ailleurs, on voit les deux élections partielles qui enlèvent un siège à LFI, un siège au RN. Je crois que c'est aussi le reflet de l'expression, je dirais, par le vote, puisque chaque électeur a une voix comme le Président de la République.

CHRISTOPHE BARBIER
Les censeurs sont censurés ?

PATRICIA MIRALLES
On peut dire ça.

CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce que ça peut permettre le rassemblement d'un vrai camp central réformiste allant du centre-gauche au centre-droit ?

PATRICIA MIRALLES
Moi, j'y crois. J'y crois parce que c'est ce que j'entends, c'est ce que j'entends dans la rue. Les gens en ont assez. Donc si vous ne voulez pas des extrêmes d'un côté ou de l'autre, à ce moment-là, construisons les choses. Construisons un avenir pour les jeunes. C'est eux, aujourd'hui, qui doivent aussi impulser, s'exprimer. Et on peut s'exprimer, on peut discuter, on peut être autour de la table, trouver chacun des points communs. On aura toujours des différences. Moi, j'ai des différences avec les LR. Aujourd'hui, j'ai des différences aussi avec le PS. Mais enfin, dans l'intérêt général, je peux trouver des solutions.

CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce qu'une des solutions, c'est la proportionnelle ?

PATRICIA MIRALLES
Alors moi, j'ai toujours été contre la proportionnelle. Je m'interroge aujourd'hui.

CHRISTOPHE BARBIER
Ça pourrait être une nécessité, mais on sait que ça peut provoquer aussi de l'instabilité.

PATRICIA MIRALLES
C'est pour ça que je crois qu'il faut avoir des discussions sérieuses pour voir s'il est temps, peut-être. Il est peut-être temps. Aujourd'hui, je m'interroge encore.

CHRISTOPHE BARBIER
C'est une interrogation qu'il va falloir trancher, quand même.

PATRICIA MIRALLES
Bien sûr.

CHRISTOPHE BARBIER
Patricia MIRALLES, ministre déléguée chargée de la Mémoire et des Anciens combattants. Merci et bonne journée.

PATRICIA MIRALLES
Et merci pour votre bleuet.

CHRISTOPHE BARBIER
Oui, je suis fier de le porter.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 30 janvier 2025