Déclaration de M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger, sur le respect à l'importation de normes de production équivalentes aux normes applicables dans l'Union européenne, à l'Assemblée nationale le 30 janvier 2025.

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  • Laurent Saint-Martin - Ministre délégué, chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger

Circonstance : Discussion d'une proposition de résolution européenne, à l'Assemblée nationale

Texte intégral

M. le président
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution européenne de M. Dominique Potier et plusieurs de ses collègues relative à l'adoption et à la mise en œuvre d'exigences à l'importation pour le respect de normes de production équivalentes aux normes de production essentielles, en matière de santé, d'environnement, de biodiversité et de bien-être animal applicables dans l'Union européenne.

La parole est à M. le ministre délégué chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger.

M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger
Je salue le choix de votre assemblée de mettre à l'ordre du jour un sujet aussi important que la réciprocité en matière de normes sanitaires et environnementales.

En matière agricole, nous avons progressivement mis en place des normes exigeantes, et nos producteurs ont su s'adapter pour faire évoluer leurs pratiques, au bénéfice de la santé de nos consommateurs et en faveur de l'environnement.

Nous devons reconnaître et valoriser les efforts importants qu'ils ont consentis. La ligne du gouvernement est claire : ces efforts ne doivent pas donner lieu à ce que nous pourrions qualifier des fuites environnementales.

Il ne s'agit bien sûr pas de remettre en cause les objectifs sanitaires et climatiques ambitieux de l'Union européenne, dans l'intérêt de tous. Il ne s'agit pas non plus de remettre en question les bénéfices des accords commerciaux pour nos entreprises et notre économie.

La France demeure une grande puissance agricole mondiale : nous sommes le sixième exportateur mondial de produits agricoles et agroalimentaires ; nos exportations génèrent un chiffre d'affaires de l'ordre de 85 milliards d'euros et un excédent commercial d'environ 9 milliards d'euros.

Ces chiffres sont le résultat d'une équation simple : des accords bien ficelés constituent des débouchés précieux pour nos filières. Mais soyons cohérents : nos efforts sanitaires et environnementaux ne devraient pas être mis à mal par une hausse des importations en provenance de pays moins ambitieux en la matière.

C'est pourquoi la France s'est engagée en faveur des mesures miroirs, avec des résultats convaincants. Le président de la République s'est exprimé sans ambiguïté lors de la dernière Conférence des ambassadrices et des ambassadeurs.

Une mesure miroir, c'est l'application, aux produits importés de tout pays tiers, de standards environnementaux et sanitaires européens qui portent sur les processus de production, étant entendu que les normes qui concernent les produits eux-mêmes s'appliquent à tous les produits mis sur le marché européen, importés ou non. Au fond, il s'agit tout simplement d'exiger la réciprocité. J'entends parfois que ces mesures miroirs sont inscrites dans nos accords de commerce, qu'elles seraient des « clauses miroirs ». Ce n'est pas le cas. Elles sont inscrites directement dans les règlements ou les directives sectoriels de l'Union européenne, si bien qu'elles s'appliquent à tous les producteurs qui souhaitent vendre leurs produits sur le marché européen, quel que soit le pays tiers d'origine.

C'est d'ailleurs là toute leur puissance : plutôt que d'être liées à un accord, et par là, à une négociation, elles s'appliquent à tous les pays tiers et ne sont donc la contrepartie d'aucune concession de notre part.

Il est vrai que nous avons obtenu des résultats convaincants. Notre première victoire remonte aux années 1990, avec l'instauration de l'interdiction des hormones de croissance. Depuis, notre arsenal s'est considérablement renforcé.

Ainsi, l'interdiction de l'accès au marché de l'Union européenne de produits animaux traités avec certaines hormones de croissance a été étendue en janvier 2022 à l'interdiction d'importer les animaux et les produits animaux traités avec des antimicrobiens activateurs de croissance ou qui augmentent le rendement des animaux, ainsi qu'avec des antimicrobiens réservés au traitement de certaines infections chez l'homme. Comme vous, j'attends avec impatience l'entrée en application de ces dispositions en 2026, mais sachez que, pour l'heure, les autorités françaises ont interdit l'introduction, l'importation et la mise sur le marché en France de ces produits.

Il sera interdit d'importer des produits agricoles contenant des traces de deux néonicotinoïdes néfastes pour les pollinisateurs : la clothianidine et le thiaméthoxame. Il s'agit plus précisément d'abaisser les limites maximales de résidus (LMR) pour ces substances au niveau le plus bas pouvant être mesuré, pour les importations de denrées alimentaires et d'aliments pour animaux. Le règlement présentant cette interdiction, adopté et publié le 2 février 2023, entrera en application le 7 mars 2026.

Très récemment, un nouveau règlement a également abaissé la LMR du thiaclopride, un autre néonicotinoïde, avec effet à partir de mai 2025.

Dans un autre registre, je rappellerai deux mesures miroirs très importantes, fortement soutenues par la France. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, en miroir du marché d'échange de quotas carbone européen, est entré en vigueur et montera en charge entre 2026 et 2034. Quant au règlement « zéro déforestation », c'est-à-dire l'interdiction de mise sur le marché de sept produits de base et de certains de leurs dérivés ayant provoqué déforestation ou dégradation des forêts, il convient d'en assurer la bonne application avant de songer à en étendre le champ. Il faut reconnaître que les producteurs, tant au sein de l'UE que dans les pays tiers, ont besoin d'un temps d'adaptation : c'est précisément pour cela que la France a accepté de reporter d'un an son entrée en vigueur, prévue pour fin décembre 2025.

Notre engagement en faveur des mesures miroirs est donc constant. Nous rappelons notre exigence que figurent régulièrement des mesures miroirs dans la réglementation européenne – comme j'ai d'ailleurs pu le faire lors de mon entretien avec le commissaire chargé du commerce quand j'ai pris mes fonctions. Je continuerai, nous continuerons à le faire dans les prochains mois, en particulier si de nouvelles normes devaient être envisagées – je pense aux réflexions en cours sur le bien-être animal. À la lumière de cet engagement je ne peux que souscrire à une grande partie des propositions contenues dans ce texte.

J'y apporterai néanmoins deux réserves principales. La première est d'ordre technique et concerne les LMR. Je l'ai évoqué, nous travaillons à leur réduction s'agissant des néonicotinoïdes. L'objectif est de voir si nous pouvons abaisser les LMR applicables aux produits importés, pour les substances interdites au sein de l'Union européenne, à la fois pour les flux et pour le stock. Ce chantier de révision a d'ailleurs été encouragé par les autorités françaises et doit passer par une évolution du règlement relatif aux limites maximales de résidus, pour trente-six substances.

Toutefois, une réduction des LMR à la limite de détection ne saurait être immédiate et systématique. D'une part, un délai est nécessaire pour l'adaptation des pays exportateurs, c'est une pratique constante en cas d'évolution réglementaire tant dans l'Union européenne que vis-à-vis des pays tiers. D'autre part, chaque substance doit être étudiée au cas par cas, à la fois parce que certaines LMR sont fixées par des corpus internationaux qui nous engagent au niveau européen, mais aussi parce que certaines tolérances peuvent être justifiées. La suppression des tolérances à l'importation pour toutes les substances interdites dans l'UE ne peut être absolue : certaines substances ne sont pas autorisées dans l'UE mais font l'objet d'une tolérance à l'importation, par exemple parce qu'elles sont nécessaires à la production dans d'autres géographies et sous d'autres climats. Reste qu'en aucun cas ces tolérances à l'importation ne doivent mettre en danger la santé humaine. C'est une condition absolument nécessaire qui doit être respectée avant d'envisager cette tolérance.

Ma seconde réserve, plus générale, est d'ordre stratégique. Les mesures miroirs doivent être bien calibrées et non systématiques. Toute norme n'a pas vocation à être accompagnée d'une mesure miroir : si on cherchait à imposer l'ensemble de nos conditions de production aux autres pays tout le temps et en tout lieu, et si les pays tiers cherchaient à faire de même, on aboutirait à un blocage du commerce international.

Je soutiens les mesures miroirs à la lumière de trois exigences. D'abord, elles doivent être pertinentes. La France promeut à Bruxelles la mise en place d'un « réflexe mesure miroir » visant à ce que la Commission examine l'intérêt d'une éventuelle extension aux importations de ses normes de production.

Ensuite, elles doivent être conformes aux règles internationales en matière de commerce. Elles doivent ainsi viser des objectifs de santé ou environnementaux globaux. Je me permets d'ailleurs une incise : bien que souvent décriées, les normes de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) nous sont bien utiles. Sans naïveté, sans aveuglement, le cadre multilatéral du commerce international peut, et doit, être réformé, mais il ne doit certainement pas disparaître. Il est dans notre intérêt de nous inscrire dans ce cadre – vous l'avez dit, monsieur Potier, nous avons besoin de normes, de règles dans le commerce international. Ainsi, une mesure miroir concernant des normes de commercialisation serait contraire aux règles de l'OMC. Par ailleurs, une mesure miroir sur des normes sociales ne serait compatible avec les règles de l'OMC que dans certains cas précis, clairement délimités.

Enfin, les mesures miroirs doivent être applicables et appliquées.

Nous nous rejoignons donc déjà, une fois exprimée cette réserve d'ordre stratégique. Comme vous, nous considérons que l'application des mesures miroirs est un réel enjeu et, à ce titre, le gouvernement ne peut que souscrire à la proposition de la rapporteure et de M. Potier de commencer par un travail d'harmonisation interne à l'Union européenne. Ainsi, une harmonisation accrue des procédures d'autorisation de mise sur le marché (AMM), pour éviter les distorsions réglementaires entre États membres, est nécessaire. Ce principe a été défendu lors des négociations sur le règlement sur l'utilisation durable des pesticides et demeure une priorité.

De la même manière, la proposition de résolution évoque à raison la possibilité du renversement de la charge de la preuve. Nous ne pouvons qu'y adhérer – d'autant plus que c'est précisément la pratique actuelle. Par exemple, la mise en place de la mesure miroir relative à l'interdiction d'importer des viandes bovines d'animaux traités avec des antimicrobiens favorisant la croissance ou le rendement s'accompagne bien de la mise en place de certificats et d'une liste de pays autorisés à exporter.

Par ailleurs, nous rejoignons la recommandation de la rapporteure et de M. Potier qui appellent à une révision du règlement Inco. Nous regrettons, comme vous, que l'étiquetage de l'origine ne soit obligatoire, à l'heure actuelle, que pour un nombre restreint de produits.

Enfin, et surtout, je souhaite comme vous mettre l'accent sur les contrôles. Ils existent déjà à toute étape de la chaîne, des vérifications sont menées par les autorités européennes elles-mêmes pour s'assurer de la conformité de la production à l'aune des normes internationales et européennes. Ces vérifications prennent la forme d'audits sur pièces et sur place, dans les établissements des pays tiers, de contrôles des produits provenant des pays tiers, aux points de contrôle frontalier de l'Union européenne, et de contrôles sur le marché européen.

Si une non-conformité majeure démontrant le non-respect de normes sanitaires internationales et de l'UE est relevée à la suite des conclusions des audits, et en l'absence de prise de mesures correctrices, la Commission peut bloquer les importations ou ne plus renouveler les agréments des établissements en cause. Par ailleurs, si cette non-conformité est observée au stade du contrôle aux frontières, alors les produits sont soit détruits sur place, soit retournés vers le pays tiers sans entrer au sein de l'UE.

Ces contrôles existent donc et, comme vous le faites justement remarquer, ils doivent être plus nombreux et leurs conclusions davantage suivies d'effets. C'est un constat que nous avions fait s'agissant du Canada dans le cadre des débats sur l'Accord économique et commercial global (Ceta), mais il est valable pour les autres pays tiers. Je pense en particulier à une non-conformité majeure observée en 2024 dans le fonctionnement du système de contrôle du Brésil relatif à l'interdiction d'utilisation de certains médicaments vétérinaires promoteurs de croissance dans les élevages de bovins dont la viande est destinée au marché de l'UE. C'est inacceptable et nous demandons à la Commission de multiplier les audits dans les pays tiers et de renforcer le suivi des mesures correctives.

Je ne peux que souligner la grande convergence de vues entre le gouvernement et l'Assemblée en ce qui concerne les mesures miroirs, même si nous apportons des nuances à certaines dispositions du texte. C'est un combat que les membres du gouvernement, en particulier Annie Genevard, ministre de l'agriculture, mèneront en commun. Nous soutenons donc cette proposition de résolution.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 5 février 2025