Interview de Mme Clara Chappaz, ministre déléguée, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique, à RTL le 6 février 2025, sur le téléphone portable, la protection des jeunes en ligne, l'enseignement du numérique, l'intelligence artificielle et les réseaux sociaux.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Clara Chappaz - Ministre déléguée, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique ;
  • Thomas Sotto - journaliste

Média : RTL

Texte intégral

AMANDINE BEGOT
Et tout de suite, l'invité de RTL Matin. Thomas, vous recevez aujourd'hui, Clara CHAPPAZ, c'est la ministre délégué, chargé de l'Intelligence artificielle et du Numérique.

THOMAS SOTTO
Bonjour et bienvenue sur RTL, Clara CHAPPAZ

CLARA CHAPPAZ
Bonjour Thomas SOTTO.

THOMAS SOTTO
Je suis désolé, c'est un peu la pire journée de l'année pour vous, puisque ce 6 février c'est la journée mondiale sans téléphone portable. Alors, à la lune du courrier Picard, comment survivre sans portable ? Je vois que vous l'avez avec vous, car on va faire un petit contrôle temps d'écran. C'était combien, hier, pour vous ?

CLARA CHAPPAZ
Je vous le confirme, j'ai mon téléphone, Thomas SOTTO, avec moi ce matin. Je me doutais que vous alliez me poser cette question, la réponse est trop.

THOMAS SOTTO
Trop.

CLARA CHAPPAZ
Comme beaucoup de Français, je passe beaucoup de temps sur mon téléphone portable, en trois heures en moyenne pour les Français, et en particulier chez les jeunes.

THOMAS SOTTO
Chez les jeunes. C'est un énorme problème chez les jeunes. D'ailleurs, il y avait une mission qui avait été confiée, par Emmanuel MACRON, à deux médecins, c'était au mois d'avril. Il fait beaucoup de recommandations. Qu'est-ce que vous allez faire de leur conclusion ? Puisqu'il n'y a pas eu de suite.

CLARA CHAPPAZ
La protection des jeunes face aux dérives du numérique, la protection des jeunes en ligne, ce n'est pas une option, c'est une mission. Je vais vous prendre un exemple très concret : celui des sites de contenu pour adultes. Depuis le 11 janvier, les sites pour adultes doivent mettre en place un système de vérification d'âge, afin que les jeunes qui, aujourd'hui, 1 sur 10 des 12 ans, consultent quotidiennement des contenus pornographiques, ne puissent plus y avoir accès.

THOMAS SOTTO
Est-ce que de fait, il est en place, ce système de contrôle, et comment ça fonctionne ?

CLARA CHAPPAZ
Ce système est en place, et l'ARCOM sévira…

THOMAS SOTTO
Mais c'est quoi, il suffit de dire : " J'ai plus de 18 ans ", et le certifier sur l'honneur ?

CLARA CHAPPAZ
Non, il faut vérifier son âge, il y a plusieurs manières de le faire, afin que nous puissions garantir un espace numérique sécurisé pour nos enfants, c'est une vraie priorité. Et la France est en avance sur cette question.

THOMAS SOTTO
Est-ce que vous, la ministre délégué au Numérique, vous dites qu'il serait mieux que les portables restent à la porte des collèges et des lycées ?

CLARA CHAPPAZ
Vous avez des enfants, je crois.

THOMAS SOTTO
Ouais.

CLARA CHAPPAZ
J'en ai aussi. Il y a beaucoup de parents qui m'interpellent partout en France, sur la question du numérique, des outils, des écrans.

THOMAS SOTTO
Des réseaux sociaux.

CLARA CHAPPAZ
Des réseaux sociaux, peut-être qu'on y reviendra, de quel est le cadre qu'on met autour de l'usage de ces écrans. Attention, les écrans, ce n'est pas mauvais en soi, mais…

THOMAS SOTTO
C'est l'usage.

CLARA CHAPPAZ
L'usage, quel usage on en fait ? C'est une question qui est…

THOMAS SOTTO
Mais à l'école. À l'école, précisément, dans les collèges, dans les lycées, peut-être parfois dans les écoles primaires, est-ce qu'il faut les interdire ? Il y a des expérimentations qui sont en cours, on a multiplié les ministres de l'éducation qui ont changé d'avis sur la question. Vous, en tant que... vous êtes la première spécialiste du sujet au Gouvernement, vous dites quoi ?

CLARA CHAPPAZ
Je pense qu'il faut donner un cadre. Ce que me demandent les parents que je rencontre, c'est de dire, par exemple, sur des produits comme l'alcool. On a décidé qu'il y a une règle, très claire, et qui permet aux parents d'expliquer dans les conversations qu'ils ont avec leurs enfants…

THOMAS SOTTO
Il n'y a pas d'alcool à la cantine. Il y en avait dans les années 50, et il n'y a plus de vin.

CLARA CHAPPAZ
Voilà comment ça se passe. Donc, il faut qu'on pose ce cadre. Il faut qu'on pose ce cadre en écoutant les experts, qui sont unanimes sur les effets des écrans, des réseaux sociaux, sur la santé de nos jeunes. C'est un sujet qui est une priorité pour le Président de la République, vous l'avez mentionné, il a fait ce rapport dont vous parliez. Nous allons continuer à y travailler pour apporter des réponses.

THOMAS SOTTO
Ça fait un an déjà. Pardon, mais je n'ai toujours pas compris votre réponse. Le portable, on le laisse à l'entrée du collège et de l'établissement scolaire, oui ou non ?

CLARA CHAPPAZ
Le portable, dans les expérimentations qui sont faites, est laissé à l'entrée du collège, afin de pouvoir nous éclairer sur le sujet.

THOMAS SOTTO
Mais est-ce qu'il faut l'élargir du coup ? Est-ce que vous pensez qu'il faut l'élargir et que ce soit le cas partout ?

CLARA CHAPPAZ
Il faut qu'on puisse fixer ce cadre, il faut qu'on puisse travailler. Je vous garantis, c'est une question qui n'est pas facile, mais nous y travaillons.

THOMAS SOTTO
Je vois bien.

CLARA CHAPPAZ
Et comme beaucoup de parents, je pense qu'il faut qu'on pose ce cadre pour leur donner des règles très claires : comme on a pu dire, pas d'écran avant 3 ans.

THOMAS SOTTO
Est-ce qu'il faut qu'on enseigne davantage le numérique à l'école et dans les collèges, et tout ça ? Est-ce qu'aujourd'hui, les chercheurs, justement, et les médecins qui s'occupaient de cette chose prenaient un exemple, ils disent : " C'est comme si on donnait les clés d'une voiture à des enfants qui ne savent pas conduire, qui ne sont pas formés. ", est-ce qu'aujourd'hui, il faut enseigner le numérique à l'école de manière sérieuse ?

CLARA CHAPPAZ
Bien sûr, il faut enseigner le numérique à l'école, il faut enseigner l'intelligence artificielle aussi à l'école.

THOMAS SOTTO
On va y venir, l'intelligence artificielle.

CLARA CHAPPAZ
On y viendra. Il ne faut pas rentrer dans quelque chose de peu nuancé. Le numérique, c'est un outil formidable et c'est un outil, il faut que nos enfants puissent se l'approprier pour l'utiliser.

THOMAS SOTTO
Bien sûr. Il y a le meilleur et le pire dans le numérique.

CLARA CHAPPAZ
Comme tous les outils, vous savez, un outil, la personne qui décide s'il est utilisé de façon positive ou négative, c'est l'humain. Et c'est bien ce cadre-là, je pense, qu'il faut qu'on mette en place, c'est de décider comment, sur ces technologies, nous voulons que l'humain puisse s'en servir. Je reviens à l'intelligence artificielle, mais c'est exactement ce qui nous occupe aujourd'hui.

THOMAS SOTTO
Les réseaux sociaux. Le comédien Vincent LINDON, il a une expression, il dit que les réseaux sociaux sont le cancer de la société. Qu'est-ce que vous lui répondez ?

CLARA CHAPPAZ
Les réseaux sociaux sont un moyen pour les Français, les Françaises, de pouvoir communiquer, de pouvoir créer du lien social. Mais en particulier chez les jeunes, en moyenne, les jeunes passent trois heures par jour sur ces réseaux. Les experts et les professionnels de la santé sont unanimes sur les effets que ça peut avoir sur la santé. Et donc, il faut que nous puissions encadrer l'utilisation de ces réseaux. Il faut que ces réseaux puissent suivre un certain nombre de règles qui sont les nôtres.

THOMAS SOTTO
Il faut les interdire ? L'Australie les a interdits avant l'âge de 16 ans. C'est une piste ?

CLARA CHAPPAZ
Il y a un certain nombre de pays qui ont pris des décisions comme telles.

THOMAS SOTTO
Vous y êtes favorable ou pas, vous, en France ?

CLARA CHAPPAZ
Je pense qu'il faut regarder la question sans tabou et se dire : quel est le cadre qu'on met, et encore une fois, comment on rassure les parents sur leur donner des lignes sur l'utilisation de ces outils.

THOMAS SOTTO
Vous, vos enfants, vous les évoquiez, ils auront droit aux réseaux sociaux avant 16 ans ou pas ? Où est-ce que vous mettez la limite, vous ?

CLARA CHAPPAZ
Mes enfants, comme tous les enfants, je pense qu'il faut que nous puissions les accompagner et les éduquer à la question de l'usage des réseaux sociaux. Et c'est ça aussi qui est important, c'est de dire : comment est-ce qu'on se sert de ces réseaux, comment est-ce qu'on sensibilise les enfants que quand sur les réseaux sociaux, ils ont des usages qui peuvent les mettre en difficulté, et ils puissent le dire.

THOMAS SOTTO
Donc, tout passe par l'éducation, en fait, c'est ça ?

CLARA CHAPPAZ
Pas seulement, je pense qu'il n'y a pas de tabou, je pense qu'il faut réfléchir à cette question, et puis on aboutira très prochainement.

THOMAS SOTTO
Parlons d'un homme qui est incontournable, qui est le patron de " X ", ex-Twitter, Elon MUSK. Pour vous, c'est qui ? C'est Zidane ou c'est un démon, c'est un type dangereux, MUSK ? C'est qui ?

CLARA CHAPPAZ
Vous savez, vous n'êtes pas le premier à me poser cette question, monsieur SOTTO.

THOMAS SOTTO
Je serais peut-être le premier à avoir une réponse.

CLARA CHAPPAZ
Je n'ai pas très envie, ici, de faire de la publicité, ce n'est pas pour ça que je suis là. Moi, les personnes qui m'intéressent quand on parle de technologie, c'est, par exemple, quelqu'un comme Arthur MENSCH. Vous le connaissez peut-être moins.

THOMAS SOTTO
C'est MISTRAL, c'est l'intelligence artificielle française.

CLARA CHAPPAZ
Vous le connaissez peut-être moins, les auditeurs le connaissent peut-être moins, mais c'est justement ce pourquoi je suis là. Je suis là pour valoriser, montrer, aider nos acteurs de la technologie à déployer des solutions, ici, en France.

THOMAS SOTTO
Et parce qu'il y a un grand sommet sur l'intelligence artificielle. D'ailleurs, il sera là, MUSK, ou pas ? Il a été invité, il vient ou pas, vous savez ?

CLARA CHAPPAZ
Mais de la même façon, ce n'est pas la question qui m'intéresse aujourd'hui, la question qui m'intéresse, c'est…

THOMAS SOTTO
Je suis désolé que mes questions vous n'intéressent pas, mais j'ai encore quelques questions à vous poser.

CLARA CHAPPAZ
Dans quelques jours, d'ailleurs, à partir d'aujourd'hui, on a une centaine de représentants des pays du monde.

THOMAS SOTTO
Il a été invité quand même, lui, comme le patron de DEEPSEEK ?

CLARA CHAPPAZ
Il a été invité.

THOMAS SOTTO
Il vient ou pas ?

CLARA CHAPPAZ
Ce sommet, c'est mettre tout le monde autour de la table. Il a été invité comme une centaine de représentants d'États dans le monde entier, comme des chercheurs, des prix Nobel, comme des grands entrepreneurs de l'intelligence artificielle.

THOMAS SOTTO
Qui, eux, viennent, mais lui, est-ce qu'il vient ou pas ? Est-ce qu'il sera là ou est-ce qu'on ne sait pas aujourd'hui ?

CLARA CHAPPAZ
Ce que je peux vous dire, c'est qu'il faut, dans ce sommet, qu'on puisse mettre tout le monde autour de la table. C'est pour ça que ce patron, comme d'autres qui sont, aujourd'hui, là, ont été invités. La question, aujourd'hui, c'est de se dire... On parlait des réseaux sociaux. S'il y a 20 ans, on s'était mis, tous, autour d'une table pour réfléchir ensemble à ces outils formidables que sont les réseaux sociaux, et à voir un peu quel impact ces outils ont dans nos vies, et à créer un cadre où nous décidions comment est-ce qu'on voulait s'en servir, de ces outils, je pense qu'on n'aurait pas eu la même conversation qu'on vient d'avoir. Et donc, c'est ce qu'on veut faire avec l'intelligence artificielle. Ce n'est pas avoir monsieur machin ou monsieur untel autour de la table.

THOMAS SOTTO
Ça compte quand même, c'est le patron, aujourd'hui. Les Etats-Unis mettent 500 milliards pour développer l'intelligence artificielle. C'est l'homme qui murmure à l'oreille de TRUMP, c'est l'homme qui prend parfois les décisions à la place de TRUMP. Ce n'est pas n'importe qui. Il a été invité. On ne sait pas s'il vient. J'imagine, j'ai l'impression que vous ne le savez pas non plus. Légitime comme question, comme de savoir si le patron de DEEPSEEK vient, le chinois.

CLARA CHAPPAZ
L'administration américaine a confirmé sa présence. Vous avez peut-être pu voir, ainsi que d'autres pays, ainsi que des grands patrons.

THOMAS SOTTO
Est-ce que vous en réjouissez ? Est-ce que c'est bien, comme vous dites, il faut mettre tout le monde autour de la table. C'est bien qu'il participe aux échanges ?

CLARA CHAPPAZ
Bien sûr, je me réjouis que tout le monde soit autour de la table. Je veux dire, cette technologie, elle change nos vies. On parlait de réseaux sociaux, encore une fois. Quand un réseau social vous propose un contenu, vous écoutez peut-être de la musique ou peut-être que les auditeurs écoutent de la musique. Quand on écoute de la musique et qu'une application nous propose un nouveau titre. Quand, si vous aimez le sport, on a des outils qui nous permettent d'analyser le jeu des joueurs, un match de tennis. Tout ça, c'est de l'intelligence artificielle.

THOMAS SOTTO
C'est comme les réseaux sociaux, c'est le meilleur et le pire. Comment ne pas avoir peur de l'intelligence artificielle ? Parce que certains se disent : «"Oui, c'est génial ", et c'est vrai qu'il y a des usages qui sont absolument fabuleux de l'intelligence artificielle. Puis d'autres disent : " C'est le règne des fake news. On peut pirater les voitures autonomes, on peut pirater des drones, on peut bidouiller des photos, on peut faire n'importe quoi à n'importe qui en se faisant tout savoir. On peut ruiner une réputation. " Comment mettre... Où est-ce qu'on met le curseur et comment on se protège de ça ?

CLARA CHAPPAZ
Les usages que je vous ai mentionnés, qui sont du quotidien, sont absolument... Le potentiel de ces usages est fondamental dans des domaines comme la santé. Les chercheurs l'utilisent pour…

THOMAS SOTTO
La lutte contre le cancer, c'est fondamental.

CLARA CHAPPAZ
Exactement. Nous étions à Gustave Roussy il y a quelques jours, et les chercheurs nous montraient comment ils utilisent l'IA pour les aider à analyser et à accélérer la recherche de traitements contre le cancer. Je veux dire, c'est un outil absolument formidable. Mais comme tout outil, vous avez raison, les usages qu'on en fait sont soit positifs, soit négatifs. Et donc il faut qu'on crée ce cadre et c'est ce qu'on fait. En France, nous avons, grâce au sommet pour l'action sur l'IA, une vraie vision de se dire : nous utilisons l'intelligence artificielle avec sécurité, nous donnons confiance à nos utilisateurs. J'ai d'ailleurs lancé…

THOMAS SOTTO
Et il va falloir qu'on apprenne à apprivoiser tout ça. C'est ça ? Merci.

CLARA CHAPPAZ
Et il va falloir qu'on apprenne à apprivoiser tout ça. Et le Premier ministre, aujourd'hui, organise une réunion interministérielle, parce qu'on voit bien que le sujet est partout, dans tous les services publics. J'étais à FRANCE TRAVAIL. FRANCE TRAVAIL utilise un outil pour que les agents puissent recommander des emplois aux demandeurs d'emplois qui sont plus pertinents pour eux.

THOMAS SOTTO
Merci, Clara CHAPPAZ.

CLARA CHAPPAZ
Il faut qu'on ait plus d'exemples comme FRANCE TRAVAIL, en toute sécurité et dans un cadre de confiance avec des acteurs français.

THOMAS SOTTO
Je vous interromps, parce qu'il y a Philippe CAVERIVIERE, qui n'est pas une intelligence artificielle, mais un humour bien naturel qui pousse à la porte. Il ne va pas être content s'il n'a plus le temps pour sa chronique. Vous restez avec nous ?

CLARA CHAPPAZ
Merci.

THOMAS SOTTO
A tout de suite.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 février 20025