Texte intégral
Mme la présidente
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Philippe Gosselin et plusieurs de ses collègues visant à renforcer les conditions d'accès à la nationalité française à Mayotte
(…)
La parole est à M. le ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Ugo Bernalicis
Ministre de l'intérieur bis, faisant office de garde des sceaux !
M. Thibault Bazin
Respectez-le !
M. Fabien Di Filippo
Jaloux !
M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice
Je vous prie d'excuser mes quelques minutes de retard.
M. Fabien Di Filippo
Trois minutes !
M. Gérald Darmanin, ministre d'État
Le débat sur l'accès à la nationalité, sur tout ou partie du territoire national, est important pour nos compatriotes mahorais et pour la France. À plusieurs reprises, je me suis exprimé personnellement en faveur de l'abolition du droit du sol à Mayotte, dans des conditions plus larges et plus claires que celles prévues par ce texte.
Je tiens à remercier le rapporteur pour son travail et sa connaissance fine de ce territoire magnifique qu'est Mayotte. Comme lui, je pense qu'à droit constant des mesures peuvent être prises sans être censurées par le Conseil constitutionnel. Cependant, il faudra bien qu'un jour une réforme constitutionnelle prenne en compte les particularités de Mayotte, notamment pour l'accès à la nationalité.
M. Hervé de Lépinau
Chiche !
M. Gérald Darmanin, ministre d'État
Face à cette situation, les gouvernements qui se sont succédé ont fait ce qu'ils ont pu. Depuis 2017, des moyens très importants ont été engagés, et les effectifs des forces de l'ordre ont été doublés. En 2023, avec plus de 25 000 reconduites à la frontière, le nombre de personnes expulsées a pour la première fois dépassé le nombre d'arrivées. De plus, 592 passeurs ont été interpellés et présentés devant la justice. L'opération Wuambushu s'est concentrée, quant à elle, sur le démantèlement des bangas et la lutte contre l'habitat illégal. Je regrette qu'elle ait été ralentie et limitée par des recours politiques et juridiques, malgré le fort soutien de la population mahoraise et le travail de la députée Estelle Youssouffa, infatigable défenseure de ce magnifique archipel. Sans doute y aurait-il eu moins de décès et de drames lors de l'épisode terrible de Chido, si tout le monde avait été à l'unisson de l'action de l'État et de la demande des Mahorais. Les bons sentiments, surtout ceux qui sont exprimés depuis l'Hexagone, ne font pas toujours de la bonne politique.
Aucun territoire de la République n'aurait accepté ce que vit Mayotte. L'immigration irrégulière empêche l'accès à l'égalité républicaine, à la liberté, à la fraternité et au travail collectif des services publics de l'État et des collectivités locales, dont je salue le courage.
Mme Léa Balage El Mariky
Il n'est pas ministre de l'intérieur !
M. Gérald Darmanin, ministre d'État
Dans le domaine de la santé, sur les 10 000 naissances au moins qui ont lieu chaque année, les trois quarts des mères sont de nationalité étrangère ; en matière d'éducation, les maires de tous bords réclament, fait inédit, l'arrêt de la construction des écoles, dont les bâtiments sont pourtant financés à 100% par l'État – nous l'avions bien vu avec Philippe Vigier, lorsque ce dernier était chargé des outre-mer à mes côtés.
Sur ce territoire, où l'intégration est quasiment impossible, prospèrent l'habitat et l'économie informels, à quoi s'ajoute – il faut bien reconnaître – la pratique frauduleuse de fausses reconnaissances en paternité, avec la complicité d'une part, certes minime, de la société mahoraise. À cet égard, la dernière loi " immigration ", que nous avons été nombreux à voter, a non seulement criminalisé l'activité de passeur, désormais passible d'une peine allant jusqu'à vingt ans d'emprisonnement mais elle a également donné à la police judiciaire et aux tribunaux les moyens de condamner la production de faux certificats de paternité – je pense à certains cas de reconnaissance de quatre-vingt – voire quatre-vingt-dix – enfants par père.
Nous devons construire de nouvelles infrastructures à Mayotte : un nouvel aéroport et un hôpital à l'extérieur de Mamoudzou, ainsi que des autoroutes, des routes et des transports fluviaux. L'économie agricole doit se développer et l'égalité sociale progresser, afin d'aligner la situation de l'archipel sur celle du territoire national.
Bien sûr, Mayotte ne se définit pas seulement par la question migratoire, mais cette dernière empêche le bon fonctionnement des institutions, obérant son avenir dans la République. Depuis l'adoption de la loi du 10 septembre 2018, dite loi Collomb, une première adaptation a été introduite dans le droit de la nationalité à Mayotte. Actuellement, les enfants nés à Mayotte de parents étrangers ne peuvent acquérir la nationalité française que si l'un des deux parents réside en France de manière régulière et ininterrompue depuis au moins trois mois avant la naissance. À l'époque, le ministre d'État Gérard Collomb avait souhaité prendre cette disposition en raison de l'arrivée en kwassa-kwassa de femmes enceintes ou de parturientes, qui accouchaient dans les bateaux ou sur la plage, mettant en danger leur vie et celle de leur bébé. En échange de quelques centaines d'euros payés aux passeurs, l'accès à la nationalité française de l'enfant, et donc des parents, était garanti. Si les dispositions de la loi Collomb sont efficaces, elles ne le sont pas au point d'avoir réglé la situation migratoire.
En réalité, trois quarts des bébés nés chaque année à l'hôpital de Mamoudzou – qui n'est pas le seul lieu de naissance –, ont une mère de nationalité étrangère, et près de la moitié ont deux parents étrangers. De plus, les sapeurs-pompiers aident à l'accouchement de plus de 1 000 enfants en dehors de la maternité, ce qui fait de Mayotte le deuxième département où l'on naît le plus, après la Seine-Saint-Denis.
M. Jean-Paul Lecoq
Heureusement qu'ils sont là pour soutenir la natalité !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux
Il est évident qu'en raison de son attractivité, le système est saturé. C'est insoutenable. L'organisation du système de soins, qui connaît des défaillances profondes et anciennes, ne peut prendre en charge tous les Mahorais et les étrangers qui en ont besoin.
La République a parfois été incohérente à Mayotte.
M. Philippe Gosselin, rapporteur
Parfois, oui.
M. Gérald Darmanin, ministre d'État
L'archipel est français depuis plus longtemps que le comté de Nice et la Savoie, par la volonté du peuple, exprimée en deux référendums, mais le droit du sol n'y est appliqué que depuis la loi du 22 juillet 1993. Peut-être était-ce une erreur, mais nous ne sommes pas là pour juger nos prédécesseurs.
Mme Dominique Voynet
L'erreur a été d'en faire un département !
M. Gérald Darmanin, ministre d'État
Aujourd'hui, le ministre de l'intérieur, le ministre des outre-mer de la France Manuel Valls et moi-même sommes particulièrement mobilisés sur le sujet. Le texte que nous examinons ce matin vise à modifier l'article 2493 du code civil – ce qui explique ma présence –, afin d'allonger la condition de durée de résidence régulière sur le territoire national des parents à un an minimum avant la conception de l'enfant, contre trois mois actuellement. En exigeant la régularité du séjour des deux parents, et non plus d'un seul, il permettra également de porter un coup sévère aux reconnaissances frauduleuses de paternité.
Ces mesures ne régleront évidemment pas tous les problèmes…
Mme Léa Balage El Mariky
Elles ne changeront rien !
M. Gérald Darmanin, ministre d'État
Une réforme constitutionnelle sera nécessaire pour mettre fin au double droit du sol, qui s'applique aux enfants nés à Mayotte, d'au moins un parent également né en France. Nous en reparlerons. En attendant, le texte s'inscrit pleinement dans l'équilibre souhaité par le Conseil constitutionnel, notamment dans sa décision du 6 septembre 2018, qui a expressément reconnu que Mayotte présentait des caractéristiques et des contraintes particulières justifiant une adaptation du droit de la nationalité. Il a alors admis qu'il était possible de moduler les conditions d'accès à la nationalité française sur ce territoire, dès lors que les mesures étaient limitées, adaptées et proportionnées. C'est ce que nous avons voulu faire il y a un an, quand le Parlement a voté la loi " immigration ". Si cette disposition a été censurée, alors qu'elle avait été proposée par le rapporteur Olivier Serva – qui ne compte pas parmi les soutiens du gouvernement –, c'est parce qu'elle était un cavalier législatif, comme M. le rapporteur l'a rappelé. La délégation aux outre-mer, qui n'était pas totalement favorable au texte et à notre majorité, l'avait adoptée. Il s'agit donc d'une disposition de bon sens, pour laquelle je salue le travail du rapporteur et du groupe Droite républicaine.
M. Philippe Gosselin, rapporteur
Un travail collectif !
M. Gérald Darmanin, ministre d'État
L'unanimité doit pouvoir se trouver sur ces bancs pour répondre aux difficultés de nos compatriotes mahorais. Ces derniers ont besoin de notre aide ; nous devons voir les choses telles qu'elles sont, et non pas comme elles devraient être. C'est cela qui marque la différence entre les gens responsables et ceux qui s'expriment par incantations. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur quelques bancs du groupe Dem. – M. le rapporteur applaudit également.)
(…)
Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Gérald Darmanin, ministre d'État
Je remercie les orateurs.
M. Aurélien Le Coq
Tous ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux
Oui, tous. Il est intéressant d'avoir ce débat démocratique sur un sujet important pour nos compatriotes mahorais, qui touche au code civil.
Monsieur Bernalicis, qu'auriez-vous dit si c'était le ministre de l'intérieur qui avait défendu la modification du code civil ?
M. Aurélien Le Coq
Attendez ! M. Bernalicis n'a pas parlé !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux
Vous auriez demandé la présence du ministre de la justice.
M. Ugo Bernalicis
C'est vrai !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux
Je vous ai trop manqué dans cet hémicycle, on dirait.
Mme Dieynaba Diop
Oui, vous êtes notre chouchou !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux
Je suis heureux de vous voir. Je change de ministère, mais vous n'êtes toujours pas à Beauvau, monsieur Bernalicis.
La démonstration de M. Rimane m'a beaucoup intéressé, même si j'ai trouvé ses propos sur la colonisation excessifs – c'était sans doute une manière de renforcer l'efficacité de son argumentation. Il a oublié de dire qu'à l'occasion de deux référendums, l'immense majorité des Mahorais a exprimé clairement son attachement à la France. Et cette population, intégralement mahoraise, contrairement à celle de la Nouvelle-Calédonie, la France devrait la renvoyer vers les Comores ? Ce ne serait pas digne de la grande République égalitaire que nous défendons.
Mme Dieynaba Diop
Vous la piétinez par ce texte !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux
M. Houlié a été peu applaudi quand il a évoqué le président Azali Assoumani et les ingérences étrangères, de l'Azerbaïdjan à la Russie. La France insoumise applaudissait moins ! (M. Philippe Gosselin applaudit. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Elsa Faucillon
Ce n'est pas sérieux !
M. Ugo Bernalicis
Là, on ne vous applaudit pas !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux
M. Houlié a dit beaucoup de choses justes, en particulier s'agissant des nombreuses difficultés à Mayotte. Vous avez en grande partie raison, mais permettez-moi de vous corriger sur un point. La modification du droit du sol par la loi Collomb a montré une certaine efficacité, sans tout régler – c'est la raison pour laquelle nous nous penchons à nouveau sur le sujet. Elle a permis qu'il n'y ait plus de parturientes, sous l'emprise de passeurs, qui accouchent dans les kwassa-kwassa ou sur les plages de Mayotte. Même s'il ne s'agissait que de quelques femmes chaque année, l'accès au droit du sol sur le fondement de la naissance sur le territoire français à Mayotte mettait en danger des bébés et des femmes. On ne peut pas rejeter cela d'un revers de la main. Le Parlement a fait œuvre utile en modifiant le code civil en 2018.
Monsieur Gillet, selon vous, ce qui est proposé ne suffit pas. Cela me fait penser à la citation de Clemenceau à propos de Jean Jaurès : " On reconnaît un discours de Jaurès à ce que tous les verbes sont au futur. " On n'a toujours pas compris si vous vous prononcerez en faveur du texte. Que vous remerciiez ou non le groupe Droite républicaine, le socle commun et le gouvernement pour ces mesures, pour ma part, ce qui m'intéresse, c'est leur efficacité pour nos compatriotes mahorais, pas les postures idéologiques.
Mme Dieynaba Diop
Bien sûr ! N'est-ce pas vous qui trouviez Marine Le Pen trop molle ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux
Enfin, chers députés de la France insoumise, connaissez-vous M. Abdullah Mikidadi ? Ce porte-parole local de la France insoumise à Mayotte a déclaré en novembre 2023, lorsque nous réfléchissions sur l'opération Wuambushu et le droit du sol à Mayotte, qu'il fallait beaucoup plus de fermeté sur l'île mais aussi revoir les conditions d'octroi de la nationalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur quelques bancs du groupe LIOT.)
En janvier 2018, Jean-Luc Mélenchon avait, quant à lui, déclaré à l'Assemblée nationale : " C'est une situation ingérable […]. L'île ne peut plus accepter de flux migratoires […]. Tout est saturé, tout est débordé […]. " (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et LIOT.)
source https://www.assemblee-nationale.fr, le 10 février 2025