Interview de M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur, à France Inter le 12 février 2025, sur la justice des mineurs, le droit du sol, la politique de l'immigration, les tensions avec l'Algérie, la lutte contre la criminalité organisée et la vie politique.

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Média : France Inter

Texte intégral

NICOLAS DEMORAND
Avec Léa SALAME, nous recevons, ce matin, le ministre de l'Intérieur, dans le grand entretien du 7-10, questions et réactions au 01-45-24-7000 et sur l'application de Radio France. Bruno RETAILLEAU, bonjour,

BRUNO RETAILLEAU
Bonjour Nicolas DEMORAND, bonjour, Léa SALAME.

NICOLAS DEMORAND
Et bienvenue sur Inter. Beaucoup de sujets à aborder avec vous ce matin. Le débat public sur l'identité française réclamé par François BAYROU, la remise en cause du droit du sol, votre politique sur l'immigration, ou encore la lutte contre le narcotrafic. Mais pour commencer, quelques mots sur ce meurtre qui bouleverse beaucoup de monde, beaucoup de parents. Celui de Louise, 11 ans, dont le corps sans vie a été retrouvé samedi à quelques centaines de mètres de son établissement scolaire à Longjumeau. L'ADN du principal suspect a été retrouvé sur les mains de la collégienne. Que pouvez-vous nous dire de plus ce matin, Bruno RETAILLEAU, sur l'avancée de l'enquête ?

BRUNO RETAILLEAU
Je ne dirai rien, parce que vous savez que les enquêtes, bien sûr, sont diligentées par des forces de sécurité intérieure, que ce soit des gendarmes, des policiers, mais une enquête est placée sous l'autorité judiciaire. Pas sous l'autorité du ministre de l'Intérieur. Ce que je veux dire, c'est vraiment ma compassion profonde. Je suis père de famille et j'imagine la douleur de la famille. Tous les crimes sont horribles, mais celui-là semble avoir dépassé dans un certain nombre de limites d'imagination. Mais je pense que le coupable a été arrêté. Vous me permettrez, quand même, de saluer les forces notamment de sécurité, les policiers, puisqu'en un peu plus de 48 heures, simplement, le coupable pourrait avoir été confondu, si j'en juge par les traces de l'ADN, par un certain nombre d'autres indices. Je veux vraiment les féliciter. Ils font un travail vraiment difficile.

LÉA SALAME
Vous êtes sûr que le coupable a été arrêté ?

BRUNO RETAILLEAU
On n'est jamais sûr. Et très franchement, c'est le procureur de la République qui va s'exprimer, ce soir, dans une conférence de presse à 18 heures qui pourra en dire plus que moi.

LÉA SALAME
Mais sur les motivations du suspect, on parle de jeux vidéo…

BRUNO RETAILLEAU
J'ai entendu. Mais très franchement, peut-on tuer un enfant de 11 ans parce qu'on a perdu, parce qu'on a été contrarié, parce qu'on est frustré à force d'addiction à des jeux vidéo ? Ce qui montre bien d'ailleurs que les écrans, les jeux vidéo, il faut y faire très attention, mais très franchement, de là, à commettre cet acte absolument irréparable. C'est absolument terrible. Et ça montre un ensauvagement, ça montre quelque chose quand même de notre société.

LÉA SALAME
Il y a une quinzaine de jours, c'est le jeune Elias qui mourait à Paris, poignardé par un adolescent. Ce drame a relancé le débat sur la justice des mineurs. C'est justement aujourd'hui, que Gabriel ATTAL présente à l'Assemblée nationale sa proposition de loi qui veut durcir la justice des mineurs. Comparution immédiate pour les mineurs, dérogation à l'excuse de minorité, sanction des parents. Ça va dans le bon sens à vos yeux ?

BRUNO RETAILLEAU
Ça va dans le bon sens. Malheureusement, c'est une proposition de loi qui a été largement détricotée en commission. Ça fait des années, moi, que je plaide pour une révolution juridique. Pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui, et le cas du meurtrier d'Elias est absolument typique, aujourd'hui, on enferme des mineurs violents dans des parcours de délinquance. On ne veut pas leur donner des peines de prison trop tôt, et donc, on attend 10, 15, 20, parfois 30 antécédents judiciaires avant que la sanction ne tombe. Pire même, vous savez ce qu'on fait, aujourd'hui, à la césure ? C'est-à-dire qu'on découpe, on dissocie le moment où on va reconnaître la culpabilité pour une faute d'un mineur du moment où plusieurs mois après, on fera tomber la sanction. Du coup, la sanction se vide de son sens.

LÉA SALAME
Vous savez que les magistrats et que beaucoup d'associations sont opposés à cette décision en disant que ce ne sont pas des adultes et ça détourne la justice de son rôle éducatif.

BRUNO RETAILLEAU
Mais je suis désolé, rien dans notre droit constitutionnel, notamment dans nos droits fondamentaux, disent qu'il faut faire une césure. C'est-à-dire séparer le moment où vous dites tu es coupable du moment où on va faire tomber la sanction. Ceux qui ont des enfants, est-ce que, très franchement, est-ce que quand un gamin fait une bêtise, vous lui dites " Tu as fait cette bêtise, tu es coupable, et on verra dans trois mois, dans six mois, la peine, la sanction que je vais te donner, c'est incompréhensible ". Et je pense là encore, qu'il faut assumer des peines courtes de prison. Des peines courtes de prison comme le font, par exemple, les Pays-Bas, d'une semaine ou deux semaines, dès le premier délit grave. Parce que c'est cela qui est éducatif. On a des enfants qui ont perdu, des jeunes mineurs, qui ont perdu toute empathie, qui peuvent tuer et, quelques minutes après, aller boire sur la terrasse d'un café. Et là, je crois que la prison, la butée, elle est essentielle. Maintenant, il faudrait abolir la loi de madame BELLOUBET de 2019.

LÉA SALAME
Cette proposition de loi la remet en cause en tout cas, la proposition de Gabriel ATTAL.

BRUNO RETAILLEAU
Partiellement, puisque justement, on interdit en France, jusqu'à présent, des peines de prison réelles et effectuées, justement, avant un mois.

LÉA SALAME
Le droit du sol.

NICOLAS DEMORAND
Oui, et Gérald DARMANIN réclame de revenir sur ce droit du sol. Il estime que l'obtention de la nationalité française ne doit plus être automatique. C'est ce qu'il dit. François BAYROU, lui, a un peu fermé la porte en appelant un débat public approfondi et beaucoup plus large sur l'identité française, sur ce que c'est que d'être français. Le premier ministre, Bruno RETAILLEAU, essaye-t-il de noyer le poisson ?

BRUNO RETAILLEAU
Non, pas du tout, parce que ce débat, il est né pour Mayotte, sur Mayotte. Je le sais très bien, nous avions, d'ailleurs, voté sur la loi immigration au Sénat, une restriction, un durcissement du droit du sol qui était ensuite censuré pour des raisons de formes, vous le savez, par le Conseil constitutionnel. À Mayotte, c'est quoi le droit du sol ? Ce sont ces femmes qui viennent dans la maternité, qui est la première de France, de Mamoudzou, pour accoucher. Elles sont souvent en situation régulière, irrégulière, pardon, mais lorsqu'elles viennent accoucher, le droit du sol peut donner à leur enfant, justement, la nationalité, à sa majorité française.

LÉA SALAME
On entend bien, mais François BAYROU ne veut pas ouvrir la question sur le droit du sol, il veut parler, il veut un grand débat sur l'identité française, ce qui fait dire à Marine LE PEN, ça fait 25 ans qu'on débatte ça, il y a une chose qui est mieux que le débat, c'est le vote. Il faut arrêter de blablater et organiser un référendum pour supprimer le droit du sol. Vous lui donnez un point, Marine LE PEN, là ?

BRUNO RETAILLEAU
Je ne lui donne pas un point, puisqu'au moment de la loi l'immigration, j'avais fait voter au Sénat une restriction du droit du sol qui ne devenait plus automatique, c'est-à-dire que c'était la disposition de Charles PASQUA. Un enfant né de parents étrangers sur le sol français, avant sa majorité, pour devenir français, on lui demandait un acte consenti, une déclaration de sa propre volonté. C'est cela qui, pour moi, est important, pour ne pas devenir français, par hasard.

NICOLAS DEMORAND
De leur côté, d'autres ministres de votre Gouvernement, Elisabeth BORNE, Éric LOMBARD, ne voient pas l'urgence d'un tel débat. Éric LOMBARD, à l'économie, dit ainsi que le dispositif législatif actuel est tout à fait satisfaisant, je ne vois pas de raison de modifier le droit du sol. Que répondez-vous à ça ?

BRUNO RETAILLEAU
Il vient de la gauche, donc, il est conforme, si j'ose dire, à sa tradition de la gauche. Ce que je réponds, c'est que quand vous…

LÉA SALAME
Il y a deux lignes au Gouvernement ?

BRUNO RETAILLEAU
Non, mais le Gouvernement, Léa SALAME, vous le savez très bien, c'est l'union des bonnes volontés, qui ont des parcours très différents, mais qui se sont dit " Le pays risque le chaos, et il faut que l'on trouve un minimum d'accords sur un certain nombre de points, le budget, etc., pour faire fonctionner la France, pour que ce ne soit pas le chaos qui gagne notre pays ". Et bien entendu, on n'a pas tous les mêmes origines.

LÉA SALAME
Oui, mais surtout, on pourrait se demander, vous parlez des bonnes volontés au Gouvernement, mais vous, Bruno RETAILLEAU, vous êtes au Gouvernement pour faire avancer les choses selon vous, ce qui est important pour vous. Vos convictions, pour le coup, vous en avez depuis longtemps, et vous les assumez.

BRUNO RETAILLEAU
Et ce sont les mêmes.

LÉA SALAME
Et vous ne pouvez pas le faire. Oui, mais vous ne pouvez pas le faire. Vous voulez remettre en cause le droit du sol, vous n'avez pas la majorité. Vous voulez faire expulser les... Et on va en parler dans un instant, ceux que vous souhaitez expulser, vous n'y arrivez pas. Donc, c'est vrai qu'on peut se poser la question, pourquoi vous restez au Gouvernement, dans ce cas-là ?

BRUNO RETAILLEAU
Léa SALAME, bien sûr qu'il y a plein d'obstacles, mais moi, je veux être utile à mon pays, et je pense pouvoir l'être, d'ailleurs. Sur le droit du sol, écoutons les Français. D'ailleurs, sur tous les sujets de l'immigration, désormais, il y a un consensus. Il n'y a que le petit monde politico-médiatique parisien qui se dispute, où il y a des polémiques. Mais les Français, à plus de deux tiers, vous prenez tous les instituts de sondage, dans des dizaines et des dizaines d'études, 70% environ, souhaitent qu'on reprenne le contrôle, voilà, en termes d'immigration, y compris sur le droit du sol, parce qu'on ne comprend pas qu'on puisse devenir Français comme cela, par hasard. Donc, il faut remettre de l'ordre dans notre maison, et moi, je trouvais que faire en sorte qu'un jeune né de parents étrangers puisse assumer un consentement, c'est quelque chose qui me semble fondamental, parce que pour moi, être Français, c'est y consentir. Ça n'est pas le hasard. C'est le fruit d'une volonté.

LÉA SALAME
On va parler de cet influenceur algérien, DOUALEM, qui avait été interpellé pour les propos violents qu'il a tenus sur les réseaux sociaux, appelant à faire souffrir les opposants algériens. Il a été mis dans un avion direction l'Algérie, avant d'être renvoyé en France, de voir la justice française annuler son OQTF, et même condamner l'État humiliation suprême, à lui verser 1 200 euros. Où ça en est ? Vous allez en rester là ? Il va rester en France ? Il est actuellement où ? Il est en liberté ? Et puis, est-ce que ce n'est pas tout simplement un désaveu pour vous, personnellement, Bruno RETAILLEAU ?

BRUNO RETAILLEAU
C'est un désaveu pour la France et les Français. Vous avez un individu, je l'ai déjà dit, qui, par deux fois, entre illégalement en France, qui a été par six fois condamné, deux fois pour stupéfiant, qui emmagasine, si j'ose dire, sur son parcours plus de 11 années et 11 mois de prison, et on est incapable de l'expulser parce que les Algériens n'en veulent pas. Ce sont les Algériens qui méprisent le droit international.

LÉA SALAME
Et parce que la décision, et la justice française a cassé, aussi.

BRUNO RETAILLEAU
Mais ce n'est pas ça, c'est parce que l'Algérie n'a pas respecté le droit. Le droit international, la convention de Chicago, notre droit, l'accord bilatéral entre l'Algérie et la France est clair. Dès lors qu'on a un passeport, en plus biométrique, infalsifiable, où c'est un ressortissant algérien, le droit international, comme notre droit, imposait à l'Algérie de le reprendre. Voilà, moi, je suis stupéfait, et on voit aujourd'hui, et compris d'ailleurs en matière de droits publics, de justice administrative, qu'il faut remettre parfois des règles dans le bon chemin. Il faut revoir le droit.

LÉA SALAME
L'état de droit n'est pas intangible, ni sacré. C'est votre phrase à votre arrivée à Beauvau.

BRUNO RETAILLEAU
C'est parce que certains nous présentent, comme appartenant à un Etat de droit, des règles qui pour moi, ne sont pas intangibles. Par exemple, lorsque la jeune Philippine est violée, est tuée, assassinée par un ressortissant marocain, si nous avions pu, par exemple, avoir une durée de rétention, dans les centres de rétention administrative, plus longue, elle serait en vie. Donc moi, je veux modifier les règles de droit quand elles ne protègent pas les Français. Pareil, pour les sortants de prison, on a le cas de cet individu qui est à Lure, il est sorti de prison, d'ailleurs, il n'a pas fait son quantum, il a été condamné, quand même, pour la préparation d'un acte terroriste. A 9 ans de prison, il n'en fait que 6. Pourquoi est-ce qu'on diminue les peines en France comme cela, pour des gens qui sont dangereux ? Et ensuite, on n'a pas le droit de le retenir, alors qu'il est dangereux. Par trois fois, on a fait des tentatives législatives pour avoir des peines de sûreté, des peines de rétention, notamment pour des individus dangereux. Par trois fois, le Conseil constitutionnel a censuré. Il faut que le droit protège les Français.

NICOLAS DEMORAND
On va passer au standard où Christophe nous attend. Bonjour !

CHRISTOPHE, MAGISTRAT ADMINISTRATIF AU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE MELUN
Oui bonjour,

NICOLAS DEMORAND
Vous êtes magistrat ?

CHRISTOPHE
Oui tout à fait.

NICOLAS DEMORAND
Expliquez-nous.

CHRISTOPHE
Oui, bonjour Nicolas DEMORAND, bonjour monsieur le ministre. Je suis Christophe, je suis magistrat administratif au tribunal administratif de Melun, ça doit vous parler. C'est le tribunal qui a annulé l'obligation de quitter le territoire français, prise à l'encontre de l'influenceur algérien monsieur DOUALEM. Je voulais juste vous rappeler monsieur le ministre que le jugement, qui apparemment a eu l'air de vous contrarier, le jugement d'annulation de l'OQTF n'est que la stricte application du droit. Le magistrat n'a fait qu'appliquer la loi, toute la loi, rien que la loi. Et notamment l'article L432-12 du code des étrangers, qui dispose que lorsqu'un étranger est titulaire d'une carte de résident et que l'administration y retire sa carte de résident de 10 ans, à ce moment-là, il ne peut pas faire l'objet d'une OQTF. Il ne peut pas faire l'objet d'une OQTF. C'est la loi qui le dit. Ce n'est pas le magistrat qui l'a décidée tout seul dans son coin. Voilà. Cette loi, je rappelle juste à monsieur le ministre que cette loi, elle a été votée, avec un peu de malice quand même, cette loi, elle a été votée en janvier 2024. Cet article, le L432-12, il n'existait pas auparavant. Il a été voté en janvier 2024, dans le cadre de la dernière loi immigration, en attendant la prochaine, il a été voté par le groupe LR du Sénat, dont monsieur RETAILLEAU était le président. Donc, si cette loi ne lui convenait pas, il ne fallait pas la voter. Mais maintenant, la loi, elle est dans l'ordonnancement juridique. Le magistrat ne fait que l'appliquer. Je voudrais juste également dire une chose.

NICOLAS DEMORAND
Rapidement, Christophe, s'il vous plaît.

CHRISTOPHE
C'est que depuis maintenant, 3-4 jours, au tribunal administratif de Melun, c'est un déchaînement de haine sur les réseaux sociaux, de toute la fachosphère. La présidente, on a appelé à la pendre aux écours, le premier vice-président, à le décapiter, etc. Il y a même des individus qui ont été sur internet, à partir d'un organigramme, essayer de penser qui pouvait être l'auteur de ce jugement, qui, encore une fois, n'est que l'application de la loi, strictement de la loi. Voilà, et le genre de commentaire, c'est, lui, il a un prénom maghrébin, ça peut être lui, elle, elle a un nom à consonance espagnole ou portugaise, ça doit être elle. Alors qu'en plus, elle est greffière, elle ne prend pas de jugement. Voilà où on en est aujourd'hui. Simplement parce qu'un magistrat ne sait qu'appliquer la loi. Et si cette loi ne plaît pas au ministre, qu'il la change.

NICOLAS DEMORAND
Merci Christophe. Qu'est-ce que vous lui répondez, Bruno RETAILLEAU ?

BRUNO RETAILLEAU
Je veux lui dire qu'il ne se sent pas visé. Je ne l'ai jamais visé. Je viens d'expliquer précisément qu'on a construit, notamment sur le droit des étrangers, un échafaudage juridique qui protège tellement les étrangers, parfois en situation irrégulière, que l'Etat régalien, lui, est désavoué. Ce ne sont pas les magistrats que je critique, je critique simplement des textes dont il va falloir revoir profondément un certain nombre de règles.

LÉA SALAME
Mais quand il dit que vous avez voté ce texte quand vous étiez au Sénat…

BRUNO RETAILLEAU
Ecoutez, ça m'étonne, peu importe. En tout cas, quand on constate, c'est l'expérience. On avance par l'expérience. Je pense que quand l'expérience nous montre qu'une règle n'est pas adaptée, il faut être pragmatique. Il faut changer la règle. Voilà tout. Voilà, je pense que ce que je conteste, vous voyez, c'est un déséquilibre. J'en parlais, par exemple, pour la censure du Conseil constitutionnel qui n'a pas permis aux législateurs, à trois reprises, pour des individus terroristes dangereux qui sortent de prison, de mettre des peines de sûreté. Je pense que le déséquilibre, il est celui-là. Il est le déséquilibre entre la protection individuelle de gens qui sont dangereux et la protection des Français, de la société. Je pense que le curseur, il faut qu'on le mette un peu plus du côté de la protection des Français plutôt qu'un peu plus du côté de la protection de ces individus qui sont dangereux. C'est ce que nous demandent les Français. Et comme ministre de l'Intérieur, ne me demandez pas autre chose que de vouloir, que de pouvoir, y compris parfois contre le droit, qu'il faut alors changer, protéger la société française.

NICOLAS DEMORAND
Retour au standard. Bonjour Stéphane,

STÉPHANE, FONCTIONNAIRE DE POLICE
Bonjour,

NICOLAS DEMORAND
Vous êtes fonctionnaire de police depuis trente ans.

STÉPHANE
Depuis trente ans et plus spécialement chargé de la lutte contre les stupéfiants. Et donc moi, ça fait vingt ans maintenant que j'interpelle différents ministres de la Justice et de l'Intérieur sur les antennes de France Inter sur la réforme de la procédure pénale, la simplification nécessaire, indispensable de la procédure pénale qui permettra vraiment de lutter contre le trafic de stupéfiants. Et puis, une dernière remarque sur la dernière réforme de la police judiciaire, qui est venue justement accroître les difficultés en termes de lutte contre le narcobanditisme. Et donc, je voulais savoir si le ministre de l'Intérieur allait faire en sorte que la procédure pénale soit vraiment simplifiée pour permettre aux policiers de faire leur travail correctement.

NICOLAS DEMORAND
Merci beaucoup Stéphane. Bruno RETAILLEAU vous répond.

BRUNO RETAILLEAU
Excellente question. Les policiers et les gendarmes sont dans un étau. Il y a de plus en plus de violences et la procédure est de plus en plus lourde. Ils perdent du temps justement dans des procédures qui les amènent vraiment à passer plus de temps administratif plutôt que sur la voie publique. Ce que je veux lui dire, c'est qu'il y a un acte très important qui s'est passé au Sénat, il y a quelques jours, puisqu'à l'unanimité, les sénateurs ont voté un texte qui va tout refonder en matière de lutte contre la criminalité organisée, avec une organisation nouvelle de l'État, un parquet national spécialisé, un état-major notamment pour réunir dans un même lieu, à Nanterre, les services d'enquête, les services de renseignement de quatre ministères concernés et avec des nouvelles procédures plus simples pour le contrôle blanchiment, bien sûr, contre la corruption. Un dossier qu'on appelle gossier-coffre pour que les criminels, ces grands criminels, n'aient pas accès aux informations qui sont fondamentales.

LÉA SALAME
Vous allez y arriver ou c'est trop tard ? On avait Roberto SAVIANO à votre micro la semaine dernière, qui disait " Enfin la France ouvre les yeux sur le narcotrafic. Oui, il y a des mafias en France ". Vous n'osez pas employer le mot de mafia, vous parlez de gang ou de grand banditisme, etc. Non, il y a des mafias, il y a des mafias internationales, des cartels, la France y appartient pendant longtemps. Il disait, bon la gauche n'a jamais voulu voir le problème, quant à la droite elle expliquait que ce n'était pas le problème français, c'étaient les pays sous-développés, c'était les Marocains, c'était les Italiens, c'est ses mots à lui. Vous vous êtes voilé la face, est-ce que vous allez y arriver ou c'est trop tard ?

BRUNO RETAILLEAU
Écoutez, c'est moi qui, il y a deux ans, ai demandé une commission d'enquête sur le narcotrafic quand j'étais sénateur. Et le texte qui a été voté, la semaine dernière, provient justement des conclusions de cette commission d'enquête. Il y a un tsunami blanc qui est en train de submerger la France. On a, en 2023, la saisie de cocaïne, 23 tonnes. Un an plus tard, plus du double, 47 tonnes. Cette nuit, des douaniers à Lille, plus de 400 kilos. Les drogues les plus dures sont disponibles partout, pas seulement en ville, dans les quartiers, mais aussi en milieu rural, dans nos villages, tout le temps avec le uber cheat. C'est une menace fondamentale. Ce que je veux dire, aujourd'hui, c'est que les narcotrafiquants utilisent des jeunes, ils sont de plus en plus jeunes. Et donc, le narcotrafic, ce sont des jeunes soldats, des soldats qui sont mineurs, qui sont recrutés, et les tués sont de plus en plus jeunes. Et il y a une menace sur nos institutions avec notamment la corruption. Oui, nous allons y mettre un terme. Ce que nous avons fait, ce que nous allons faire avec cette nouvelle organisation, cet arsenal juridique, c'est exactement ce que nous avons fait contre le terrorisme, il y a dix ans. Et ça a fonctionné. L'an dernier, je rappelle, neuf attentats terroristes qui ont été déjoués. Pas de mort. Je ne veux pas dire que demain, il n'y aura jamais d'attentats, mais nous nous sommes réarmés. Il faut que l'état régalien, celui pour lequel je plaide, qui protège les plus faibles de la loi du plus fort…

LÉA SALAME
C'est en culpabilisant les consommateurs comme vous le faites. Vous avez lancé une grande campagne pour expliquer que fumer un joint ou prendre un rail de cocaïne, c'est d'avoir du sang sur les mains. C'est comme ça que vous allez changer les choses, vous pensez ?

BRUNO RETAILLEAU
Eh bien oui, j'assume aussi de sortir de cette culture récréative, un peu Beauvau, et j'assume de dire aux consommateurs s'il y a des trafiquants, c'est parce qu'il y a des consommateurs. S'il y a une offre, c'est parce qu'il y a une demande. Et moi, j'en ai marre de voir ces jeunes. Je me souviens à Marseille, un gamin de 15 ans, lardé de 50 coups de couteau, achevé par le feu. Ils l'ont brûlé vif. Je me souviens de cet enfant. Il en réchappe, mais avec quelles séquelles. Cinq ans, deux balles de balle dans la tête tirée par là encore, un mineur de quatorze ou quinze ans. J'en ai marre. Donc je dis aux Françaises et aux Français « Responsabiliser vous ? » On ne peut pas disjoindre la consommation de la demande. Que ça plaise ou non, je le dis et on le montre pour la première fois dans une campagne. Campagnes payées, campagnes payées par l'argent de la drogue par la saisie des biens des narco racailles.

NICOLAS DEMORAND
Bruno RETAILLEAU. Quelques mots sur la fin de vie. Hier, à ce micro, la ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités, Catherine VAUTRIN, nous disait que le choix de François BAYROU de scinder le texte en deux avec, d'un côté les soins palliatifs, de l'autre, L'aide active à mourir n'était pas actée. L'Élysée est sur un seul texte, disait-elle et elle-même, qui vient de la droite, comme vous dites aussi clairement préférer un texte et un seul. Qu'est-ce que vous lui répondez ? Qu'elle a tort ? Que c'est François BAYROU qui a raison.

BRUNO RETAILLEAU
J'approuve totalement le Premier ministre François BAYROU. Nous en avons parlé à plusieurs reprises et je ne vois pas ce que cela enlève d'avoir deux textes plutôt qu'un. D'avoir qu'un seul texte, c'était une confusion. Il y a des centaines de milliers de soignants qui nous ont dit " Attention, c'est deux choses différentes ". Aujourd'hui, ce qu'il faut, c'est qu'on ait des soins palliatifs partout en France parce qu'il y a des centaines, chaque jour, de Françaises, de Français qui meurent dans la souffrance parce qu'ils ne disposent pas de Français.

LÉA SALAME
C'était une ligne rouge pour vous. Vous avez dit " Je quitte le Gouvernement si le texte n'est pas scindé en deux ".

BRUNO RETAILLEAU
Non. J'avais indiqué que je ne souhaitais pas qu'un PJL un projet qui viendrait du Gouvernement à projet unique…

LÉA SALAME
Ce qui n'est pas le cas.

BRUNO RETAILLEAU
Ce qui n'est pas le cas, non. Ce que je veux dire c'est, qu'avant la mort, d'abord, il y a la conscience, et que Catherine VAUTRIN pense différemment du Premier ministre ou de moi, ça ne me choque pas du tout.

LÉA SALAME
Elle vient de la droite, comme vous.

BRUNO RETAILLEAU
Oui mais sur ces questions, encore une fois. Ce sont des questions de conscience et je crois que chacun doit apporter ces réponses. Simplement, la réponse que moi, j'apporte, c'est qu'on ne doit pas laisser souffrir les gens quand ils vont mourir. Les soins palliatifs, c'est d'abord, le remède.

LÉA SALAME
Un mot sur Emmanuel MACRON qui choisit Richard FERRAND pour succéder à Laurent FABIUS à la tête du Conseil constitutionnel. C'est un bon candidat à vos yeux ?

BRUNO RETAILLEAU
Je ne me prononcerais pas parce que, désormais, les trois présidents, président de la République, les deux présidents des Assemblées ont mis sur la table, trois noms, et maintenant, c'est le Parlement qui va devoir déterminer si ce sont des bons candidats, voilà.

LÉA SALAME
Vous préféreriez langue de bois, ce matin.

BRUNO RETAILLEAU
Non, c'est la séparation des pouvoirs. Si jamais je j'entrais dans cette discussion, me dirais mais c'est l'exécutif.

LÉA SALAME
Aujourd'hui, Bruno RETAILLEAU, vous avez un avis.

BRUNO RETAILLEAU
Et je le garde pour moi, Léa SALAME.

LÉA SALAME
Très bien. Un mot sur votre parti LR. Depuis octobre, Laurent WAUQUIEZ, chef des députés LR, s'est lancé dans le chantier de la refondation du parti. Il y aura bientôt un congrès avec l'élection du nouveau président de LR. Vous êtes candidat ?

BRUNO RETAILLEAU
Si je devais l'être, ce n'est pas ici que je l'annonce.

LÉA SALAME
Pourquoi donc ?

BRUNO RETAILLEAU
C'est devant les militants. Si je devais l'être aussi, si je dois être amené à prendre cette décision.

LÉA SALAME
Vous avez des idées.

BRUNO RETAILLEAU
Je la réserverai aux militants.

LÉA SALAME
Vous avez décidé ?

BRUNO RETAILLEAU
Ah ça, c'est mon for intérieur qui ne peut pas vous le dire.

LÉA SALAME
Laurent WAUQUIEZ, il s'inquiète. Il vous rappelle le deal que vous avez passé " A toi d'incarner la droite, au Gouvernement, à moi de reconstruire notre famille politique. Si tu romps cet accord, Bruno, tu porteras la responsabilité d'allumer une guerre des chefs qui sera dévastatrice ".

BRUNO RETAILLEAU
Non, mais la démocratie a été inventée en Grèce et on l'a en France. Pour éviter la violence justement. Voter, ce n'est pas diviser la démocratie, c'est au contraire faire des choix. Et on verra bien quel sera le choix des uns et des autres. Tant que je ne suis pas candidat, je l'étais avec monsieur CIOTTI, à l'époque. Est-ce qu'il y avait eu une guerre des chefs ? Est-ce qu'il y avait du sang sur les murs ? Je pense qu'on a besoin et je le vois bien, et pas que moi, mais on l'a vu aussi dans des résultats des élections législatives, partielles, municipales. La droite retrouve des couleurs et je pense qu'il faut vraiment refonder un grand parti de droite qui accepte de s'élargir. Il y a un goût parce que les Français viennent vers nous, parce que je pense qu'ils adhèrent à nos solutions et à nos propositions.

NICOLAS DEMORAND
Allez, une dernière, que pensez-vous de l'idée d'une grande primaire du centre et de la droite comme le souhaite le maire de Cannes, David LISNARD ?

BRUNO RETAILLEAU
Très franchement, je me consacre à ma tâche. 2027, c'est beaucoup trop loin, donc je ne m'embarrasserai pas avec ce genre de questions que je n'ai pas résolues non plus, en plus, au moins moi je vous en parle.

LÉA SALAME
Mais vous vous tâtez quand même, tout le monde dit que vous vous préparez, c'est ce que dit votre entourage…

BRUNO RETAILLEAU
Mon entourage, je l'ai dit, c'est le seul entourage que je connais, c'est mon tribunal intérieur.

LÉA SALAME
Et alors il en est où le tribunal intérieur ? Comment va le tribunal intérieur ? Que dit le tribunal intérieur ?

BRUNO RETAILLEAU
Eh bien, il n'a pas délibéré. Et je crois que ma force vient de ma liberté, la liberté de dire ce que je pense. Je crois qu'on peut me critiquer, je comprends, parce que j'ai des options qui sont fortes, j'ai des convictions que j'assume, elles sont cohérentes depuis longtemps, mais au moins, on ne peut pas dire qu'il en change en permanence. Ce que je veux simplement dire, c'est que ma liberté, c'est cette force, et cette force aussi, c'est que je ne suis pas dans le coup d'après. Voilà, je me consacre totalement à ma tâche.

NICOLAS DEMORAND
Eh bien merci, Bruno RETAILLEAU, d'avoir été au micro d'Inter, ce matin.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 février 2025