Interview de Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics, à Public Sénat le 18 février 2025, sur la défense européenne, le budget de la Sécurité sociale et le déficit public.

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Média : Public Sénat

Texte intégral

ORIANE MANCINI
Bonjour Amélie de MONTCHALIN

AMELIE DE MONTCHALIN
Bonjour,

ORIANE MANCINI
Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation. Vous êtes la ministre des Comptes publics. On est ensemble pendant vingt minutes pour une interview en partenariat avec la presse régionale représentée par Stéphane VERNAY, d'Ouest-France, bonjour, Stéphane.

STEPHANE VERNAY, REDACTEUR EN CHEF DELEGUE CHEZ OUEST-FRANCE
Bonjour Oriane, Amélie de MONTCHALIN, bonjour,

AMELIE DE MONTCHALIN
Bonjour,

ORIANE MANCINI
On va évidemment parler du budget, des budgets dans quelques instants, Amélie de MONTCHALIN. Mais d'abord, un mot sur cette réunion qui a eu lieu hier à l'Élysée, notamment sur la question de l'Ukraine et la réponse des Européens à Donald TRUMP. Vous avez été, vous, secrétaire d'État aux Affaires européennes. Emmanuel MACRON a, donc, réuni des dirigeants européens pour tenter de peser face à Donald TRUMP. Mais est-ce qu'il a échoué à faire parler l'Europe d'une seule fois ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Alors déjà, je pense qu'il faut se souvenir d'il y a quelques années, la discussion sur notre sécurité, notre souveraineté, notre compétitivité, comment on est moins dépendant aux États-Unis en termes de sécurité, comment on est moins dépendant à la Russie en termes d'énergie, comment on est moins dépendant à la Chine en termes d'économie de commerce ? Vous vous en souvenez, au moment du discours de la Sorbonne ou même pendant la présidence française de l'UE en 2022, des sujets qui étaient portés par la France, par le président de la République et qui étaient vus par beaucoup d'Européens et d'ailleurs beaucoup d'observateurs comme à la fois étranges, décalés et pas nécessaires. Déjà, ce que je vois, c'est que ce travail-là, il a été très utile. Et il permet, aujourd'hui, que non seulement nous ayons quand même déjà commencé à faire des choses sur la défense, commencé à faire des choses sur notre indépendance, notre souveraineté. Et effectivement, les circonstances nous obligent à aller plus vite. C'est normal que dans un moment aussi critique, on prenne un peu de temps à définir la stratégie. Mais ce que je vois, c'est qu'il y a une unité européenne très forte pour dire que ce qui concerne les Ukrainiens doit se faire avec les Ukrainiens et que l'Europe est un pilier essentiel de cette sécurité collective que nous devons inventer. Donc, ça va prendre un peu de temps. Maintenant, je pense que l'unité européenne est totale.

ORIANE MANCINI
On a le temps d'attendre face à TRUMP ?

AMELIE DE MONTCHALIN
On n'attend pas face à TRUMP. Ce qui va prendre un peu de temps, c'est de définir précisément les investissements. Ce qui ne va pas prendre de temps, c'est de dire qu'on doit investir plus pour la défense. C'est fait dans l'unité. Ce qui ne va pas prendre plus de temps, c'est de dire que l'Ukraine doit pouvoir décider d'elle-même ce qui est son sort et au fond, sa réalité. Ce qui ne va pas prendre de temps, c'est de voir que nous avons à définir comment aussi l'Europe donne des sécurités et comment les États-Unis donnent de la sécurité à l'Ukraine demain.

ORIANE MANCINI
Juste à investir plus dans la défense, est-ce que ça veut dire que la loi de programmation militaire va être revue à la hausse ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Déjà, ce que je peux vous dire en tant que ministre des Comptes publics, c'est que la loi de programmation militaire est totalement tenue alors que le contexte de finances publiques aurait pu amener certains à se dire : « Au fond, on va faire un peu moins d'efforts dans la défense pour avoir un peu plus de moyens ailleurs ». La loi de programmation militaire est tenue, la loi de programmation pour le ministère de l'Intérieur est tenue, la loi de programmation pour la justice est largement aussi tenue, pourquoi ? Parce qu'on ne peut pas se permettre de raboter le régalien.

ORIANE MANCINI
Mais est-ce qu'on va aller plus loin en termes de défense ? Est-ce qu'il y aura un budget plus important ?

AMELIE DE MONTCHALIN
La position française, c'est de dire que nous, nous sommes déjà au fameux 2 % de dépenses pour la défense. Il y a beaucoup de pays européens, notamment l'Allemagne, mais notamment beaucoup d'autres, qui ne sont pas à ce niveau-là. Et que l'effort pour la défense, il est évidemment français depuis longtemps.

ORIANE MANCINI
Il y a aussi des pays qui sont à plus de ce niveau-là.

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais il doit être collectif et je peux vous dire qu'en tant que ministre des Comptes publics, l'engagement avec le Premier ministre, avec le Président de la République, avec Sébastien LECORNU et l'ensemble du Gouvernement, c'est que nos actes essentiels d'existence, notamment pour la défense, ne sont pas…

ORIANE MANCINI
Donc, on tient les 2 % mais on ne va pas au-delà des 2 % pour le moment.

AMELIE DE MONTCHALIN
Je ne vous dis pas qu'on ne va pas aller au-delà.

STEPHANE VERNAY
Est-ce qu'on a les moyens, compte tenu du contexte budgétaire, est-ce qu'on a les moyens d'investir massivement, aujourd'hui, dans la construction d'une défense européenne ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce qui est certain, c'est que, un, défendre ce que nous sommes n'a pas de prix. Donc défendre notre sécurité n'a pas de prix.

STEPHANE VERNAY
Donc, c'est une priorité ?

AMELIE DE MONTCHALIN
C'est évidemment une priorité et je vous le dis, ça a été une priorité dans ce budget où nous avons fait beaucoup d'efforts, un effort sur la dépense de l'État inédit depuis 25 ans. Et nous l'avons fait en protégeant totalement notre domaine de la défense de l'intérieur de la ville.

STEPHANE VERNAY
Vous avez encore des marges de manoeuvre pour l'avenir, des leviers qui vous permettent d'investir sur des postes particuliers comme la défense ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais c'est exactement pour ça que vous voyez, dès la semaine dernière, le Premier ministre nous a réunis, tout le Gouvernement, le lendemain du vote du budget, en nous disant qu'il faut qu'on soit dans une logique qui soit celle du bon sens, que les Français vont très bien comprendre. Un, quelles sont les missions prioritaires ? Quelles sont nos priorités en tant que Gouvernement de la France, aujourd'hui en 2025 ? Et une fois qu'on a défini ça, où est-ce qu'on investit l'argent et où est-ce qu'on fait des économies du coup ? Si c'est moins prioritaire, on peut faire des économies. Cette logique-là que le Premier ministre porte avec nous tous, ministres du Gouvernement, pour construire le budget de 2026 et les suivants, il est exactement dans cette idée. Si nous avons des priorités, nous devons au fond, un, nous remettre sur une trajectoire de désendettement, 3 % de déficit en 2029, mais deux, faire des choix. Et moi, je pense que vous voyez, un budget, ce n'est pas un tableau de chiffre. C'est une somme de choix politiques. Et dans le budget 2025, je le redis, nous avons fait le choix de ne mettre aucun rabot, aucune économie sur notre défense, sur l'état de droit, sur la protection de l'ordre public, parce que c'est essentiel. Mais nous n'avons pas fait non plus d'économie, vous le savez, complètement indifférenciée ou rabotée sur la santé. Parce que là aussi, c'est une priorité. On ne fait pas d'économie sur le dos de la santé des Français. Donc, un budget, c'est des choix. Et dans nos choix, il y a évidemment l'essentiel. Et l'essentiel, c'est évidemment notre défense.

STEPHANE VERNAY
Juste une question, avant de parler du budget et d'autres sujets, par rapport à l'Ukraine, le Président de la République avait clairement dit qu'il fallait passer en économie de guerre. Pourquoi ça n'a pas été suivi des faits ? Parce qu'on n'est pas du tout en économie de guerre, il ne s'est rien passé. Pourquoi ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Il ne s'est pas rien passé.

STEPHANE VERNAY
En tout cas, on n'est pas au niveau des annonces qui avaient été faites.

AMELIE DE MONTCHALIN
Notre capacité de production d'armement, notre capacité de livraison d'armement, notre capacité de formation, nos propres programmes d'armement, à nouveau, sont des programmes tout à fait ambitieux, soutenus et accélérés. Nous ne sommes pas en 2025, là où nous pensions être il y a même 4-5 ans, si cette guerre d'agression de la Russie en Ukraine n'avait pas eu lieu. Ce qui est certain, c'est que nous devons aller plus loin en européen. Aujourd'hui, on a beaucoup de normes, on a beaucoup de règles et on a un système européen, j'allais dire, de défense, à la fois en industrie et en capacité humaine, qui reste très contraint. Je vous rappelle aussi, vous vous souvenez, il y a quelques années, le Président de la République avait dit l'OTAN, il l'avait dit en état de mort cérébrale, parce que nous, les Européens, nous faisons comme si, parce qu'il y avait l'OTAN, nous n'avons rien à faire nous-mêmes. Vous voyez, l'économie de guerre dont parle le Président de la République, c'est aussi que ce n'est pas parce qu'il y a l'OTAN que ça nous dédouane des investissements, de la mobilisation et donc, au fond, de cette prise de conscience que notre autonomie stratégique, que notre souveraineté dépend de nos propres efforts. Et c'est un combat que la France a mené depuis 7 ans, que le Président de la République a mené depuis 7 ans, que tous les ministres des Affaires européennes ont porté. Et je pense que d'ailleurs, la France soutient pleinement cette vision, d'ailleurs depuis des années.

ORIANE MANCINI
On parle des budgets Stéphane, d'abord le budget de la Sécurité sociale.

STEPHANE VERNAY
Oui, le Sénat a adopté définitivement le budget de la Sécurité sociale hier. Alors la sénatrice Elisabeth DOINEAU, rapporteuse générale du PLFSS 2015, a qualifié de salée la note de ce budget en expliquant que le texte, bien qu'imparfait, a été voté pour avis conforme afin de ne pas perdre plus de temps. Mieux vaut avoir un mauvais budget que pas de budget ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Non, c'est d'abord, ce qui est certain, c'est qu'il nous faut un budget. Vous avez vu que le projet de loi de finances a été promulgué vendredi. Pourquoi il nous faut un budget ? Et pourquoi je suis satisfaite au fond d'avoir un budget ?

STEPHANE VERNAY
Donc, ce n'est pas un mauvais budget ?

AMELIE DE MONTCHALIN
C'est que c'est d'abord un budget de compromis, et en soi, ça en fait un outil utile au pays. Quand on parle de sujets aussi quotidiens qui concernent la petite enfance, le grand âge, la santé des Français, ne pas avoir de budget, c'est ralentir nos investissements, c'est empêcher, au fond, le système de se transformer, c'est aussi se mettre sur une pente de déficit qui est potentiellement dangereuse, parce qu'à un moment donné, si vous ne tenez pas la dépense, vous risquez le déficit trop important et donc, la fragilisation du système. Moi, je suis satisfaite. Maintenant, ce qui m'a beaucoup étonnée, c'est que sur des sujets aussi essentiels, encore la semaine dernière à l'Assemblée nationale, des forces de gauche attachées à cette solidarité nationale, attachées à ce contrat social de la nation avec elle-même, étaient encore en train de censurer, étaient encore en train de bloquer. Donc, aujourd'hui, si on est lucide, cette sécurité sociale, son financement, son déficit, il n'est ni de droite ni de gauche, il appartient aux Français. Et c'est le cas depuis 80 ans que cette sécurité sociale existe. Donc, notre mission, c'était d'avoir un budget, de redonner un cadre aux médecins, de redonner un cadre aux praticiens hospitaliers, de redonner un cadre à nos espaces.

ORIANE MANCINI
Est-ce que vous, ministre des Comptes publics, pouvez-vous vous satisfaire d'un budget qui a été voté avec 22 milliards de déficit ?

STEPHANE VERNAY
Au lieu de 16 milliards initialement prévus.

AMELIE DE MONTCHALIN
On en vient au sujet. C'est que oui, je suis satisfaite qu'il y ait un budget. Oui, j'ai été étonnée que des forces de gauche veuillent encore le censurer. Oui, je vous dis que ça appartient à la nation. Mais oui, je vous dis surtout que, vous voyez, je suis nommée depuis six semaines, notre ambition avec Catherine VAUTRIN et avec les sénateurs, les rapporteurs généraux, les présidents de commissions à la fois des finances et des affaires sociales, c'est que nous reprenions le chemin d'une trajectoire qui soit une trajectoire de retour à l'équilibre, qui soit une trajectoire de désendettement et au fond, qui soit une trajectoire de confiance.

STEPHANE VERNAY
Là, sur la sécurité sociale, le budget prévisionnel estimé pour 2028, c'est plus de 24 milliards d'euros.

AMELIE DE MONTCHALIN
Ça, c'est si on se laisse sur la pente actuelle.

STEPHANE VERNAY
Et comment on fait pour réduire la fracture ?

AMELIE DE MONTCHALIN
On regarde les choses point à point. Et d'ailleurs, dans le budget 2025, il y a déjà des économies contre certains, on pourrait dire, gaspillages. On a une très grande ambition de renégociation des prix des médicaments. On a aussi une très grande ambition sur le volume de médicaments qui est prescrit. On a aussi une ambition sur la fraude. Tous ces éléments-là, vous savez, au fond, comment on fait des économies qui ne soient pas sur le dos de la santé, mais qui aillent chercher de l'efficience, de la meilleure gestion des prix ?

ORIANE MANCINI
Et sur les médicaments, par exemple, est-ce que vous allez, pour 2026, remettre sur la table la question du déremboursement de certains médicaments ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Avant le déremboursement, combien on paye les médicaments aux producteurs, aux grands laboratoires pharmaceutiques ? Comment on pousse ce qu'on appelle les génériques, mais aussi les biosimilaires ? S'il y a une même molécule qui coûte moins cher par un autre laboratoire, comment c'est plutôt celle-là qu'on va, évidemment, favoriser ? Tout ça, c'est un travail méthodique. Mais ce que je veux dire…

ORIANE MANCINI
Mais il n'y aura que ça, il n'y aura pas d'augmentation du reste à charge, par exemple ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Je ne vais pas vous faire, aujourd'hui, le budget de 2026. En revanche, le Premier ministre…

ORIANE MANCINI
On imagine que vous commencez à y travailler, ce budget de 2026.

AMELIE DE MONTCHALIN
Bien sûr, on y a travaillé, d'ailleurs, dès le lendemain du vote. Pourquoi ?

ORIANE MANCINI
Est-ce que cette piste est sur la table, par exemple ?

AMELIE DE MONTCHALIN
On a un travail qui cherche à dire, au fond, qu'est-ce qui est efficace pour la santé ? Où est-ce qu'on peut faire de l'efficacité ? Où est-ce qu'on peut faire des choses de bon sens ? Où sont nos priorités ? Et cette méthode-là, c'est la méthode de François BAYROU, avec tout le Gouvernement, pas que dans la santé. Mais voyez, dans ce budget de 2025, certes, vous avez dit, il y a un déficit important, parce que c'est un choix aussi politique, qui est de dire, on est dans l'urgence, il faut que les hôpitaux puissent fonctionner, et donc, on avance. Mais en parallèle, en effet miroir, vous avez l'effort de réduction de la dépense des ministères et de l'État, le plus important depuis 25 ans. Ça veut dire qu'il n'y a pas de fatalité, ça veut dire qu'il y a des choix, ça veut dire que le budget de l'année prochaine ne sera pas le même. Les collectivités, la sphère sociale, les ministères, évidemment, vous n'allez pas faire deux fois exactement la même chose, parce qu'à un moment donné, les économies, vous ne les trouvez plus. Mais parce qu'aussi, il faut qu'on se pose des questions sur les recettes, sur est-ce que la répartition de l'effort est la bonne ? Et donc, tout ce travail-là, c'est un travail méthodique, mais je veux le redire, et François BAYROU porte une vision qui, je crois, parle au français. Vous savez, il y a la charrue et les boeufs. On n'est pas en train déjà de faire le tableau chiffre, sans avoir précisément défini nos missions, nos priorités, et donc, nos choix politiques qui peuvent faire l'objet d'un consensus et d'un compromis.

ORIANE MANCINI
Il y a une mesure qui avait été mise sur la table ici au Sénat, c'est pour financer la dépendance, travailler sept heures de plus par an gratuitement. Est-ce que vous souhaitez ouvrir cette discussion avec les partenaires sociaux ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Je pense que le sujet, ce n'est pas le travail gratuit. Le sujet, c'est le travail. Depuis 80 ans, la sécurité sociale est assise sur le travail. Et donc, effectivement, il n'y a pas de miracle. Un pays qui a du chômage, c'est un pays où il n'y a pas assez de cotisations et c'est un pays où le déficit de la sécurité sociale s'accroît. Un pays où les seniors arrêtent de travailler beaucoup plus qu'ailleurs avant 55 ans, avec un taux d'emploi des plus de 55 ans qui, on le sait dans d'autres pays, est très bas. Ça fait à la fois des gens qui n'ont pas de revenus ou qui ont moins de revenus, et ça fait moins de cotisations. On a aussi des jeunes qui rentrent très tardivement sur le marché du travail avec des emplois stables. Donc, la question, oui, c'est le travail. C'est le travail des jeunes, c'est le travail des seniors, c'est le travail dans la vie. Et donc, je ne vais pas vous dire, aujourd'hui, qu'on relance cette idée du fameux travail gratuit, ça n'a pas de sens.

ORIANE MANCINI
Mais de l'intérêt même.

AMELIE DE MONTCHALIN
Non, ce que je vous dis, c'est que c'est intéressant de se demander comment, effectivement, si on veut plus de cotisations et moins de déficit, comment il y a plus de travail. Et il y a plein de leviers, il y a plein de mesures. Et donc les partenaires sociaux…

ORIANE MANCINI
Mais pas celle-là, celle-là, elle est sur la table également.

STEPHANE VERNAY
Ça pourra faire partie des discussions que vont mener les partenaires sociaux dans le cadre de la conférence sur le travail ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Tout à fait.

STEPHANE VERNAY
Prévue en parallèle de la conférence sur les retraites, c'est ça ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Il y a une conférence sur le travail, les carrières, les salaires. Et vous savez, la Sécurité sociale, depuis 80 ans, elle a une gouvernance qui est celle du patronat et des syndicats. Le Gouvernement est présent, mais la gouvernance, la décision, la vision, la trajectoire d'équilibre, elle est portée par les forces syndicales patronales.

STEPHANE VERNAY
Donc, vous allez vous appuyer sur les partenaires sociaux et négocier entre eux pour trouver, pour éventuellement amener des pistes d'économie et des solutions par rapport à ces déficits ?

AMELIE DE MONTCHALIN
On croit la démocratie sociale. On croit la démocratie représentative. On croit que dans un moment politique aussi compliqué, c'est bien en s'appuyant sur ce dialogue, sur cette méthode, et François BAYROU le porte depuis le premier jour, que nous pouvons avancer dans un esprit de compromis, de consensus pour dépasser les blocages et les débats un peu tout fait qui ne nous permettent pas d'avancer.

ORIANE MANCINI
Sur le budget, la Cour des comptes a rendu un rapport assez alarmiste. Elle parle d'une dépense publique en roues libres. Le dérapage du déficit public depuis deux ans place la France au pied du mur. Les efforts sont insuffisants. C'est ce que dit l'institution. Comment vous allez répondre ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Déjà, je pense que c'est utile dans notre pays. Vous avez dit qu'on est la Cour des comptes, qu'on est le Haut conseil aux finances publiques, qui sont des instances indépendantes, qui sont sérieuses, qui offrent cette contre-expertise et pour redonner, au fond, à la fois une forme de vigie à nos comptes publics et une boussole. Ce qu'a dit la Cour des comptes, c'est qu'en 2025, l'objectif de déficit de 5,4%, c'était un impératif pour que nous puissions reprendre la maîtrise de nos comptes et que cet impératif, il était exigeant, mais il était atteignable. Et donc, comment on va faire ? On va se mettre du côté de l'exigence.

ORIANE MANCINI
Mais ça veut dire que vous, vous maintenez l'objectif à 5,4 ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce n'est pas moi qui le maintiens, c'est un engagement du Premier ministre.

ORIANE MANCINI
Parce que Charles de COURSON, le rapporteur général du budget à l'Assemblée, il nous dit qu'avec le budget qui a été voté, on sera autour de 5,7, 5,8.

AMELIE DE MONTCHALIN
C'est là qu'il y a un grand débat que je trouve utile à expliquer aux Français. Vous savez, le chiffre de 5,4 %, ce n'est pas un totem, ce n'est pas lancé dans le débat et puis on attend de voir si on va y arriver. C'est un engagement et nous avons à prendre les décisions pour que le budget qui a été voté soit le budget respecté. Et donc, nous allons avec Éric LOMBARD, avec Catherine VAUTRIN, avec l'ensemble des ministres du Gouvernement, sous l'autorité du Premier ministre, avoir une méthode extrêmement rigoureuse, peut-être inédite, parce que la situation est inédite, de suivi tous les mois, de la manière dont les recettes, dont les dépenses se déploient et comment donc, nous tenons, tout au long de l'année, le plus près possible pour atteindre le 5,4%. Pourquoi c'est nécessaire ? Parce que si on se laisse dans un peu parfois les habitudes, ce point de rendez-vous, il a lieu au mois de juin. Le problème, c'est qu'au mois de juin, vous avez déjà eu la moitié de l'année de passé. Donc, nous allons dès les prochaines semaines, tout dès le début du mois de mars, avec Éric LOMBARD, et c'est une annonce que je vous fais, réunir l'ensemble des comptables, l'ensemble des directeurs financiers des ministères. Nous allons aussi travailler avec les collectivités locales, avec la sphère sociale avec Catherine VAUTRIN et Yannick NEUDER, le ministre de la Santé, pour que cet objectif, cet engagement, ne soit pas juste un chiffre qui était utile au débat, mais que ce soit la réalité qui nous guide, notre boussole et notre cap. Et je pense que c'est ça qu'on va faire, être du côté de l'exigence, de la rigueur, du suivi. Et c'est, en particulier, le rôle qui est le mien, pour que si on a eu, au fond, il n'y ait pas eu de voie de défiance. C'est à nous maintenant de travailler sur cette trajectoire de confiance vers le fameux 3% en 2029. La trajectoire de confiance, elle commence par le fait qu'en 2025, nous fassions ce que nous avons écrit dans le budget.

STEPHANE VERNAY
En fait, vous êtes en train de nous annoncer la création d'un suivi, un vrai suivi mensuel plutôt que semestriel ou trimestriel. Est-ce que c'est aussi un enseignement de ce qui s'est passé l'année dernière, où on découvre, en cours de route, qu'il y a un trou énorme dans les finances publiques ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce qui s'est passé, l'année dernière, c'est que la dépense, au début de l'État, a été très bien tenue. Mais en revanche, on a eu un problème sur les recettes qui étaient décalées. Et donc oui, ce que je vous dis, c'est que dans une situation, vous voyez, on vient d'arriver il y a six semaines. Le budget, il a été voté et promulgué le 14 février. Jamais nous n'avons vécu ça. Dans ce moment-là, nous avons besoin d'être particulièrement exigeants, rigoureux, vigilants. Et oui, d'apprendre. Et oui, de tirer les conséquences. Et oui, de progresser par rapport à ce qu'il y a peut-être fait.

STEPHANE VERNAY
Progresser, tirer les conséquences, est-ce que ça veut dire aussi que si vous vous rendez compte qu'il y a un écart par rapport aux prévisions, si vous le constatez en amont, beaucoup plus tôt que l'année dernière, est-ce que ça vous permet de corriger, de prendre des mesures de correction pour rééquilibrer les choses et ne pas se retrouver dans une situation…

AMELIE DE MONTCHALIN
Vous savez, quand on est ministre, on n'est pas observateur. On est décideur. Quand on est Premier ministre, on ne fait pas juste regarder l'état de la France, on cherche à la transformer et donc piloter les choses. Donc, tout à fait, c'est bien l'objectif. C'est que vous savez qu'on a des leviers. On n'a pas tous les leviers en cours d'année. D'ailleurs, je ne tiens pas à ce que nous redonnions, vous voyez, de l'instabilité ni fiscale ni budgétaire en milieu d'année. L'objectif, ce n'est pas de faire un projet de loi de finances rectificatif en trois mois. Ça n'aurait pas de sens. On est déjà quasiment au mois de mars. Le prochain budget est dans six mois. Mais oui, tout à fait. Le but, c'est de dire aux Français, aux parlementaires, à l'ensemble des acteurs qui ont suivi ce budget, je pense notamment au travail de la Commission des finances ici au Sénat ou à l'Assemblée, qui a dit, voilà, " Nous, on a besoin de mieux comprendre l'exécution, comment ça se met en oeuvre ces budgets qu'on vote ". Eh bien, c'est ce que nous voulons faire avec Éric LOMBARD et le Premier ministre dès les prochains jours.

STEPHANE VERNAY
Excusez-moi de vous poser une question stupide, mais pour moi, ça paraît du bon sens. Pourquoi ça ne se faisait pas comme ça avant ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce qui est certain, c'est que ce qui va être un peu nouveau, c'est l'association que nous allons avoir des parlementaires. Au fond, c'est de rendre tout ce travail, qui était un travail des administrations, un travail technique, de le rendre public, de le rendre transparent. Ça, c'est nouveau. Évidemment que les administrations suivaient ce travail.

ORIANE MANCINI
Donc tous les mois, il y aura un compte rendu de vos réunions.

AMELIE DE MONTCHALIN
Et donc, on va trouver le bon rythme, parce qu'il faut qu'il y ait des choses à dire qui soient pertinentes. Il faut qu'on trouve le bon rythme aussi, en termes de capacité à décider. Mais évidemment, les administrations ont toujours fait ce travail. Là où c'est nouveau, c'est que, et parce que le moment politique est inédit, on pense qu'il est nécessaire que les parlementaires soient associés, qu'ils aient la transparence. Et au fond, c'est un pacte de confiance aussi avec eux, la représentation nationale et donc les Français.

ORIANE MANCINI
Quand vous dites les parlementaires, c'est les présidents de commissions des finances et les rapporteurs du budget, ou il y aura des débats au Parlement régulièrement ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Alors vous savez, nous, on est toujours, par définition, disponibles pour la représentation nationale. Je sais que Jean-François HUSSON et Claude RAYNAL souhaitent, par exemple que, dès les prochaines semaines, il y ait un premier rendez-vous ici au Sénat avec Éric LOMBARD et moi pour justement tirer les conséquences de 2024, comment nous allons travailler en 2025. Et je trouve que c'est très sain.

ORIANE MANCINI
Donc, c'est une forme d'audition par la commission ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Oui, c'est très sain. Et c'est la bonne manière d'une démocratie de fonctionner, surtout dans un moment comme celui que nous vivons.

ORIANE MANCINI
Un dernier mot là-dessus, est-ce que vous maintenez les prévisions de croissance à 0,9% ? La Cour des comptes dit, c'est un peu optimiste.

AMELIE DE MONTCHALIN
À nouveau, la Cour des comptes dit, c'est une prévision qui est atteignable. Nous savons qu'une énorme partie de notre croissance dépend de l'incertitude. Le but, et c'est pour ça aussi qu'on cherche à aller vite sur les budgets, c'est que nous sortions de l'incertitude.

ORIANE MANCINI
Mais vous maintenez pour le moment ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Et donc, il n'y a pas de raison que, voilà, et à nouveau, c'est une prévision mais qui est là pour bâtir un budget qui a été vu par ce haut conseil des finances publiques comme atteignable. Maintenant, il faut qu'on se donne les moyens, collectivement, de sortir de l'incertitude et de refaire que le pays reparte.

ORIANE MANCINI
Stéphane.

STEPHANE VERNAY
Je vais vous reparler de la Cour des comptes qui rendra les conclusions de sa mission flash sur le financement des retraites demain. Quelles en seront les grandes lignes ? Vous avez quelques indications sur ce qui va sortir du chapeau ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Alors, je ne vais pas vous dévoiler un rapport de la Cour des comptes, je suis ministre du gouvernement. En revanche, je crois que nous attendons plus…

STEPHANE VERNAY
Vous avez déjà les éléments.

AMELIE DE MONTCHALIN
Une chose, c'est que ce diagnostic demandé par le Premier ministre serve de point de départ, j'allais dire incontestable et incontesté, de ce conclave des retraites, de ce dialogue social qui reprend,…

STEPHANE VERNAY
Qui va durer 3 mois.

AMELIE DE MONTCHALIN
…Qui est, à nouveau, inédit. Il y a quelques semaines, on vous aurait dit : " Voilà, les partenaires sociaux vont voir leur mission être celle d'une potentielle renégociation, dans un cadre financier clair, partagé ". Et je pense que c'est positif pour notre pays.

STEPHANE VERNAY
Et le conclave en question, il va démarrer immédiatement, dans la foulée ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Dans la foulée, maintenant que le diagnostic est posé, qu'il est transparent, la durée qu'avait fixée le Premier ministre, c'est effectivement trois mois, pour que ce qui peut être amélioré, ce qui peut aussi être construit par le dialogue social, par cette démocratie sociale, puisse devenir une réalité.

STEPHANE VERNAY
Sur quoi, en particulier, sur les retraites, vous pensez que les partenaires sociaux peuvent se mettre facilement d'accord ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais ce n'est pas à moi de décider ce qui est facile ou pas facile. C'est aux partenaires sociaux de voir comment, patronat, syndicat, sur les enjeux de pénibilité, de carrière des femmes, sur les mesures d'âge, quelles sont les choses qui peuvent, dans le cadre financier posé, améliorer la situation ?

ORIANE MANCINI
. Stéphane, un dernier mot sur le budget ?

STEPHANE VERNAY
Oui, je voulais qu'on évoque les grands défis d'investissement pour l'avenir, puisqu'il va falloir trouver de l'argent, on a parlé de la défense, tout à l'heure, il y a un certain nombre de priorités, vous avez évoqué la souveraineté, la réindustrialisation, la transition écologique, l'intelligence artificielle, est-ce que sur tous ces grands enjeux, vous disposez de marges de manoeuvre, aujourd'hui ou dans les mois qui viennent, qui vont vous permettre d'investir à la hauteur des défis qui s'imposent ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Tout l'effort qu'on a fait en 2025 dans le budget, cet effort de réduction des dépenses des ministères inédit depuis 25 ans, il s'est fait sur le fonctionnement de l'État, il s'est fait sur nos achats, sur notre rythme de recrutement, il s'est fait sur la manière dont on est organisé, et on va continuer, le Premier ministre l'a dit, notamment sur parfois le foisonnement d'agences, d'opérateurs, qui créent des coûts et qui créent la complexité. Pourquoi je vous parle du fonctionnement ? Parce que toute l'ambition c'est que ce que nous réduisons sur le fonctionnement soit libéré pour notre investissement, parce que dans ce même budget 2025, que ce soit sur la prévention des risques, le fonds BARNIER, que ce soit sur la rénovation énergétique des bâtiments, la prime Renov', que ce soit sur le fonds vert qui accompagne les collectivités dans leur transition et leur adaptation, nous avons remis des moyens. Là aussi, vous voyez, c'est la méthode du Premier ministre, on fait des choix.

STEPHANE VERNAY
Ce n'est pas ce que disent les écologistes, ils disent l'inverse, ils disent qu'en fait, il manque une partie.

AMELIE DE MONTCHALIN
Agnès PANNIER-RUNACHER peut le dire sur ce plateau, vous détaillez tout le budget de son ministère. Ce que je peux vous dire, c'est que le fonds vert, il y a autant d'argent en début 2025 qu'en début 2024, que le fonds BARNIER de prévention contre les risques naturels, il est augmenté, que les agences de l'eau, pour le plan eau notamment, il est augmenté. Donc, on a fait des choix, et oui, ce qu'on a mis en face de ce fonctionnement qui est réduit, c'est des capacités d'investissement. Et donc, cette boussole, préparer l'avenir, vous voyez, on a remis de l'argent dans les universités, dans la recherche, parce qu'on veut préparer l'avenir, préparer l'avenir de nos enfants, préparer l'avenir de la planète, et en faisant des efforts, effectivement, sur notre fonctionnement, et c'est d'ailleurs ce qui a été demandé aussi aux collectivités locales. Vous savez, ce 2 milliards d'euros qui a été, ici, négocié au Sénat, c'est aussi un effort sur leur fonctionnement.

STEPHANE VERNAY
Donc, la transition écologique reste une priorité.

AMELIE DE MONTCHALIN
Évidemment que c'est une priorité.

STEPHANE VERNAY
On s'étonne, par exemple, du départ d'Antoine PEILLON de Matignon, qui vient d'être annoncé et qui s'occupait de la planification écologique, ça ce n'est pas un mauvais signe ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais ce n'est pas parce qu'une personne fait un choix de carrière différent que l'ambition écologique de la France est remise en question. Vous savez que les États-Unis sortent de l'accord de Paris, la France en est à fer de lance, nous nous battons au niveau européen depuis 7 ans pour qu'un certain nombre de politiques industrielles aussi aillent avec la transition écologique.

ORIANE MANCINI
Donc, il n'y a pas un choix de carrière, pas un signal politique sur la fin d'engagement écologique du Gouvernement ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais, vous imaginez qui je serais, vous voyez, faisant partie d'une génération qui voit l'enjeu climatique être aussi destructeur en vie humaine, à Mayotte, aussi destructeur de notre potentiel économique. Je me suis engagée, moi, depuis que je fais de la politique, justement pour que nous allions la science, pas la désinformation, la science, la réalité économique à cette transition écologique. Vous voyez dans le budget de 2025, il y a 1,6 milliard d'euros pour la décarbonation des grands sites industriels. Ça, ça fonctionne. Ça, c'est, d'ailleurs, une des recommandations depuis le départ de ce secrétaire général à la planification écologique, c'est que nous planifions, que nous accompagnons les acteurs et les structures qui sont les plus polluantes, que nous fassions des choix, que nous soyons dans la priorisation. Tout ça, nous le portons. Et nous le portons avec une conviction très forte, c'est que la France a, par ailleurs, l'énergie la plus décarbonée d'Europe. Pourquoi l'intelligence artificielle s'installe en France ? Parce que nous investissons dans le nucléaire, parce que nous avons retrouvé une base décarbonée sur laquelle construire l'avenir. Et ça, je peux vous dire à nouveau que dans le budget, ce sont évidemment des éléments que nous continuons de soutenir.

ORIANE MANCINI
Merci, Amélie de MONTCHALIN. Merci beaucoup d'avoir été notre invitée.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 février 2025