Texte intégral
BENJAMIN FONTAINE
Bonjour Astrid PANOSYAN-BOUVET
VICTORIA KOUSSA
Bonjour.
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Bonjour.
BENJAMIN FONTAINE
Emmanuel MACRON sonne le tocsin, annonce des efforts à venir face à la menace russe. Il a rencontré hier les forces politiques, échangé avec les internautes pendant une heure et quart. Ça veut dire que l'heure est grave ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Oui, l'heure est grave et je pense qu'il faut éviter cette désynchronisation entre ce qui se passe dans le monde avec une accélération de l'histoire et c'est ce qui se passe en France. C'est très bien ce que fait le président de la République en ayant aussi cette discussion directe avec nos citoyens en disant qu'on est en train de changer de monde avec des États-Unis qui se désengagent non seulement de l'Europe mais qui maintenant se rapprochent dangereusement de la Russie et la nécessité maintenant de renforcer l'autonomie stratégique européenne et française.
BENJAMIN FONTAINE
Ça vous inquiète vous aussi ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Ça m'inquiète parce que monsieur POUTINE n'est pas nécessairement la personne la plus conciliable qu'on connaît. Elle a des vues, la Russie, expansionniste ; on l'a vu sur l'Ukraine mais pourquoi pas demain sur les Pays baltes ? Donc il faut qu'on soit préparé, d'où la nécessité aussi et l'impact que ça aura dans l'investissement de l'effort militaire aujourd'hui.
VICTORIA KOUSSA
Justement, face à ce danger, le chef de l'État veut augmenter le budget de la défense au détriment de quoi ? On a vu à quel point c'était compliqué déjà de trouver des économies.
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Mais on est à l'heure des choix, on est à l'heure des choix. Alors d'abord il y a une discussion européenne qui s'opère pour pouvoir voir si les dépenses militaires peuvent être sorties de cette règle des 3 %. Et puis il va falloir qu'on fasse des choix aussi, notamment sur la capacité, aujourd'hui, de notre économie d'être plus productive, plus productrice en emploi pour pouvoir ensuite financer des investissements, des investissements d'avenir, mais aussi la défense.
VICTORIA KOUSSA
Ça veut dire qu'il faut se préparer à de nouveaux sacrifices aussi à l'avenir pour financer ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Ça veut dire qu'il va falloir faire des choix et que rien n'est gratuit, effectivement.
BENJAMIN FONTAINE
Mais ça veut dire quoi concrètement, faire des choix ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Donc ça veut dire concrètement qu'aujourd'hui, la dépense militaire représente 2% du PIB. L'objectif c'était d'augmenter - c'était la loi de programmation militaire – à 3 % en 2027. On a aujourd'hui des pays européens, je pense à la Pologne, qui sont à 5 %. Je pense qu'il faut aujourd'hui – et ce sont les termes du Président de la République – tendre vers un effort plus important et ça doit se faire peut-être au détriment d'autres à la fois dépenses…
BENJAMIN FONTAINE
Vous pensez à quoi ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Mais ça doit se faire aussi dans la capacité à pouvoir, à un moment donné, augmenter la richesse productive de notre pays. On va peut-être en parler. Mais on a un taux d'emploi aujourd'hui, notamment chez les jeunes et les seniors…
BENJAMIN FONTAINE
Et vous pensez à quoi dans les dépenses ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
On a aujourd'hui… Regardez, sur mon ministère Mission, Travail, Emploi ; on est en train de réduire aujourd'hui de 4 milliards d'euros la dépense parce qu'on voit que sur des sujets par exemple de formation professionnelle, on peut dépenser moins en faisant mieux. Donc il faut qu'on arrête.
BENJAMIN FONTAINE
Donc la formation professionnelle par exemple, on pourrait aller encore plus loin ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Non, pour l'instant, je pense que, par contre, il faut organiser les choses maintenant. Je pense qu'il faut qu'on arrête, sinon on serait les champions du monde en tout, de se dire que c'est par de la loi et par de la dépense publique qu'on améliore les politiques publiques. Sinon, on n'aurait pas les services publics qu'on a et on n'aurait pas cette complexité des normes. Je pense qu'il faut qu'on apprenne tous – politiques, entreprises et citoyens – à faire beaucoup mieux, mais avec moins pour pouvoir dépenser dans des investissements d'avenir la défense, mais aussi l'innovation.
VICTORIA KOUSSA
Et très rapidement, ce serait sur le prochain budget qu'il faudrait trouver ces économies-là ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Ça, ce sont des discussions qu'il faut qu'on ait avec Éric LOMBARD, Amélie De MONTCHALIN et en particulier le ministre de la Défense. Mais je pense que si on veut passer des paroles aux actes - et c'est ce que souhaite le Président de la République - et accélérer, il va falloir qu'on voie, dès le prochain budget, comment accélérer sur ce rythme de dépense militaire supérieur à ce qu'on avait prévu, égard à ce qui se passe dans le monde aujourd'hui.
BENJAMIN FONTAINE
Et aller plus loin dans les économies, on l'a compris. On va parler des retraites, Astrid PANOSYAN-BOUVET. Il n'y a pas de déficit caché sur les retraites, c'est ce que conclut la mission flash de la Cour des Comptes ; on l'a connue hier. Est-ce que c'est un désaveu pour François BAYROU ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Il faut qu'on arrête avec ça. Le déficit caché… Il faut d'abord revenir sur les conclusions de la Cour des Comptes.
BENJAMIN FONTAINE
Justement, ces décisions… On va y venir dans le détail, il n'y a pas de problème, mais est-ce que d'abord, il n'y a pas un désaveu pour le Premier ministre qui avait dit que le déficit serait plus important ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
La Cour des Comptes rappelle plusieurs choses ; d'abord elle rappelle la complexité et le manque de lisibilité aujourd'hui des retraites publiques en raison de la multiplicité des caisses et des différences de règles de calcul. Elle rappelle aussi qu'il y a des situations préoccupantes pour certaines caisses, notamment celles qui concernent les retraites des collectivités territoriales et de la profession hospitalière, et elle rappelle aussi que dans la dépense nationale aujourd'hui des retraites chaque année, l'État, au titre des contributions d'équilibre, dépense à peu près 55 milliards d'euros. Ça, c'est quelque chose de très factuel.
VICTORIA KOUSSA
Au niveau des chiffres, on est quand même très loin des 55 milliards d'euros évoqués par François BAYROU. La Cour des Comptes parle plutôt de 6 milliards à l'horizon 2030.
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Non, en fait, les 55 milliards, c'est ce que l'État dépense chaque année pour les contributions d'équilibre de la fonction publique.
VICTORIA KOUSSA
Donc c'est le mode de calcul qui diffère.
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Par contre, ce que dit la Cour des Comptes…
VICTORIA KOUSSA
Mais est-ce que ce n'était pas une erreur du Premier ministre de parler de… d'être alarmiste ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Je me focalise maintenant sur ce qui est important, c'est-à-dire d'abord ce rapport aux données incontestables qui donnent aujourd'hui la capacité à comprendre les enjeux, en particulier à chacun, parce que c'est aussi un débat citoyen qui doit s'installer, et aux partenaires sociaux qui vont commencer la négociation, et qui rappellent plusieurs choses, qui rappellent d'abord des bonnes nouvelles quand même, il faut le dire. C'est qu'aujourd'hui le niveau de vie de nos retraités est à peu près équivalent de celui des actifs, que le taux de pauvreté parmi les retraités a considérablement baissé ; ce qui n'est pas le cas de beaucoup de pays européens aujourd'hui. Par contre, il nous rappelle qu'on a une trajectoire financière qui est préoccupante : 6,6 milliards d'euros de déficit dès 2025, et jusqu'à 30 milliards d'euros en 2045, et ça c'est quelque chose qu'il faut pouvoir corriger, la Cour des Comptes le dit.
VICTORIA KOUSSA
Situation préoccupante, ce sont effectivement les mots qu'utilise la Cour des Comptes, qui évoquent différents leviers comme agir sur la durée de cotisation, vous en pensez quoi, c'est une bonne piste ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Pierre MOSCOVICI a eu un terme très juste. Il a dit : "la Cour des Comptes a dressé la table et c'est maintenant aux partenaires sociaux de décider de ce qu'il faut préparer." Je ne vais pas commencer à préempter. Il y a effectivement différents leviers qui sont aussi présentés par la Cour des Comptes. C'est maintenant aux partenaires sociaux, forts de ce diagnostic commun qui est quand même très costaud, très robuste, de se saisir des différents leviers.
BENJAMIN FONTAINE
Vous avez un avis, forcément.
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Parce qu'un point qui est important aussi, on a ce premier rapport sur l'impact des finances publiques, mais on a aussi un deuxième rapport qui va arriver, qui moi m'intéresse au premier lieu en tant que ministre du Travail et de l'Emploi, c'est l'impact aussi des régimes de retraite sur l'emploi. Quand même, il faut savoir, il faut peut-être le rappeler aujourd'hui, que 28 % des cotisations sociales, employeurs, employés, financent aujourd'hui les retraites. 28 % des salaires aujourd'hui financent les retraites, donc ça a un impact sur le coût du travail.
BENJAMIN FONTAINE
Pour revenir sur le rapport, il fait l'impasse sur un retour à 62 ans, ça coûterait trop cher, c'est ce que dit Pierre MOSCOVICI. Vous le regrettez ? Ça peut compliquer le début des discussions ou pas ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Ça fait partie des discussions, c'est-à-dire que rien n'arrive gratuitement. Si, effectivement, des partenaires sociaux veulent se saisir de la question des 62 ans, il faut, à l'égard à la trajectoire financière, qu'ils montrent comment on y arrive. Rien n'arrive gratuitement, et si c'est par une augmentation des cotisations – puisque la Cour des comptes montre aussi des simulations en termes de destruction d'emploi – si c'est par une augmentation, une sous-indexation des retraités, il y a également d'autres pistes, mais rien n'arrive gratuitement.
BENJAMIN FONTAINE
Cette piste-là justement de ne plus indexer les retraites sur l'inflation, c'est une piste sérieuse pour vous ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Mais ça fait partie des sujets qui doivent être regardés aujourd'hui.
BENJAMIN FONTAINE
Mais vous, vous ne voulez influer sur rien en fait ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Vous savez, moi quand j'étais ministre du Travail les trois derniers trimestres de l'année dernière, j'étais nommée en septembre… On a eu deux accords qui ont été signés par les partenaires sociaux, l'un très important sur l'assurance chômage, l'autre sur les seniors. Moi, je me vois comme facilitant la négociation, mais certainement pas en m'immisçant sur la négociation.
VICTORIA KOUSSA
Et c'est sur ces bases, ces chiffres de la Cour des Comptes que vont pouvoir démarrer jeudi prochain, donc dans à peu près une semaine, le fameux conclave. C'est quoi votre sentiment aujourd'hui ? Vous vous dites "C'est bon, on a les chiffres, ça va pouvoir démarrer sereinement" ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Moi je l'espère, je l'espère. Et j'ai vu justement à la faveur aussi des discussions qu'ont pu avoir les partenaires sociaux lors de ces deux accords qui ont été signés en novembre, qu'ils ont un esprit de responsabilité et que c'est leur responsabilité de pouvoir aussi… Et on le voit sur l'Agirc-Arrco, qui est le régime complémentaire géré par les partenaires sociaux, où d'abord ils ont une vision à quatre ans, donc pas année par année. Ils établissent des règles d'or. Ils sont capables parfois, sans drama, de prendre des mesures qui peuvent parfois être difficiles.
VICTORIA KOUSSA
Et quand vous entendez LFI dire "ce conclave n'aura aucune chance, il va échouer. Les positions des uns et des autres, du patronat et des syndicats sont trop opposées", qu'est-ce que ça vous fait ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Ce n'est pas la première fois que La France Insoumise est dans un discours totalement maximaliste, ça ne me surprend pas.
VICTORIA KOUSSA
Ça commence mal quand même, quand on voit les positions diamétralement opposées.
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Moi ce qui m'intéresse, et c'est pour ça que je crois depuis le début au dialogue social, c'est la parole des partenaires sociaux et leur esprit de compromis et de responsabilité.
BENJAMIN FONTAINE
Il y a peut-être une autre piste. On parlait de créer des richesses en début d'interview justement pour soutenir le budget de la Défense. Certains veulent avancer sur une retraite par capitalisation, aujourd'hui c'est le cas de Gérald DARMANIN ; Gabriel ATTAL qui ne ferme pas la porte. Le président de la CPME, la Confédération des petites et des moyennes entreprises, propose, lui, de travailler une heure de plus, à créer de la productivité pour le coup ; une heure de plus par semaine pour financer sa propre retraite. Bonne idée ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors, je pense qu'il y a quand même un accord de tous les partenaires sociaux pour dire que le régime de répartition, qui est les actifs, nous autour de la table, finançons les pensions des retraités actuels, doit rester le régime de base. Après, vous savez, la capitalisation et l'épargne retraite est déjà utilisée par 15 millions de concitoyens…
BENJAMIN FONTAINE
Dans la fonction publique notamment.
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
10 millions dans le secteur privé, mais essentiellement des gens qui travaillent dans les grandes entreprises, et 5 millions dans la fonction publique. Donc, on est peut-être en train de faire du JOURDAIN sans vouloir le dire.
BENJAMIN FONTAINE
Donc sur cette piste-là, ça vous intéresse malgré tout. Vous trouvez ça intéressant ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
C'est encore une fois, je ne suis pas en train de décider du menu, c'est aux partenaires sociaux de s'en saisir. Mais en tout cas, je vois que les Français ont décidé de s'en saisir avant que les partenaires sociaux regardent cette question.
VICTORIA KOUSSA
François BAYROU évoque maintenant l'idée d'un débat sans vote au Parlement sur les conclusions du rapport de la Cour des comptes. Pourquoi faire ? Pour gagner du temps ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Non, je pense que c'est très important que chacun de nos concitoyens et que tous les partis politiques se saisissent de ce rapport.
VICTORIA KOUSSA
Mais le risque, ce n'est pas de mettre de l'huile sur le feu sur un sujet déjà très complexe ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Ça doit partir d'un diagnostic commun. Le diagnostic commun, vous l'avez rappelé, sur le déficit actuel, le déficit et les projections financières. Le président de la Cour des Comptes va également présenter son rapport devant les deux commissions sociales de l'Assemblée nationale et du Sénat. Ça me semble important que les partis politiques soient aussi sensibilisés à ce diagnostic qui, encore une fois, est incontestable parce que c'est la Cour des Comptes est indépendante, pendant que les partenaires sociaux se saisissent des leviers de négociation.
VICTORIA KOUSSA
Mais ces partis veulent surtout voter sur un texte. Ça, ce n'est pas la solution ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
C'est étape par étape. Il y a un temps pour l'expertise. Ça a été celui de la Cour des Comptes. Et je rappelle encore que la Cour des Comptes va revenir avec un deuxième rapport important sur le sujet de l'emploi et de la compétitivité des entreprises. Il y a le temps social des partenaires sociaux et il y aura le temps politique, sur la base des accords ponctuels qui auront pu être faits entre partenaires sociaux pour que le Parlement puisse se saisir de la question.
VICTORIA KOUSSA
Il y aura un vote alors ? Vous êtes en mesure de l'affirmer ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Le Premier ministre a dit dans la lettre qu'il a écrit au Parti socialiste que le Parlement aura le dernier mot. Moi, je crois qu'il y aura des accords ponctuels. Il y aura des accords qui sont importants notamment sur les carrières pénibles et ou le sujet des femmes. Mais je pense qu'il faut qu'on améliore et il faut aussi qu'on corrige cette trajectoire financière.
BENJAMIN FONTAINE
Astrid PANOSYAN-BOUVET, vous restez avec nous. On poursuit cette interview après le fil info à 8h45 avec Théo METTON-REGIMBEAU.
/// (Fil info)
VICTORIA KOUSSA
Vous êtes sur France Info avec Astrid PANOSYAN-BOUVET, ministre du Travail et de l'Emploi. Une victoire de la gauche très symbolique cette nuit. Les députés adoptent un impôt sur le patrimoine des ultra-riches, ce qu'on appelle la taxe ZUCMAN. C'est un sacré revers pour vous ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors, le débat pose quand même quelque chose qui est objectivement révoltant. C'est-à-dire qu'il peut y avoir des situations en France, comme dans d'autres pays, de personnes extrêmement riches qui, finalement, ont un taux d'imposition effectif moindre que des infirmières, des sapeurs-pompiers ou des travailleurs de conditions modestes. Je ne pense pas néanmoins que la solution qui est proposée par l'économiste Gabriel ZUCMAN, que j'ai par ailleurs rencontré quand j'étais députée, donc je m'intéresse à ses travaux, soit la bonne solution. Je sais qu'Amélie De MONTCHALIN est précisément en train d'y travailler pour faire des propositions en mai prochain. Et moi, j'aurais préféré attendre, de la laisser travailler là-dessus.
BENJAMIN FONTAINE
On parle d'un impôt plancher à 2 % sur le patrimoine. 2 %.
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Oui, mais je vais vous donner un exemple très concret qui a été rappelé par Paul MIDY, député, hier soir. Il y a aujourd'hui…
VICTORIA KOUSSA
Député Renaissance.
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Député Renaissance, excusez-moi, hier soir lors de ce débat. Il y a aujourd'hui une biothèque qui est en mesure de pouvoir, aujourd'hui, travailler sur la capacité à détecter le cancer du sein 5 ans avant qu'il n'arrive. Et donc tout ça, ça va créer une survalorisation de la société. Et cette taxe ZUCMAN imposerait au fondateur de cette biothèque de payer finalement des millions et des millions avant même qu'il n'ait effectivement cette richesse en main. Et donc ça veut dire quoi ? Ça va se traduire concrètement comme quoi ? Eh bien, par la vente de brevets à une biothèque américaine ou alors par l'installation de ses fondateurs de cette biothèque à Boston.
VICTORIA KOUSSA
Est-ce que vous, de l'aile gauche, il faut plus de justice fiscale ? Est-ce que vous êtes pour ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Moi, je pense qu'il faut typiquement sur ce sujet-là, qui est effectivement relevé par Gabriel ZUCMAN, trouver les bonnes corrections. Mais je pense que ce qui a été trouvé aux États-Unis ou dans certains cantons en Suisse ou dans d'autres pays d'ailleurs, ou Luxembourg, me semble plus intelligent aujourd'hui que ce qui est proposé par la taxe dite ZUCMAN qui a été votée hier.
BENJAMIN FONTAINE
On va poursuivre cette interview avec le budget 2025 enfin adopté. Mais la pilule passe encore mal du côté des entreprises avec un nouveau coup de rabot sur les exonérations de cotisations sociales. Est-ce que ce sont les grandes perdantes de ce budget ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Les entreprises ?
BENJAMIN FONTAINE
Oui.
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Tout le monde doit participer à l'effort.
VICTORIA KOUSSA
Elles le vivent comme ça.
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Tout le monde doit participer à l'effort. Et je pense qu'on a réussi à trouver un compromis aujourd'hui sur la participation des entreprises sur ce coup de rabot de 1,6 milliard d'euros. Mais ça pose quand même – et je tente aussi d'avoir ce sujet dans le débat public – la participation du financement de la protection sociale par le travail, c'est-à-dire et par l'employeur et par l'employé. Ça se traduit comment ? Par un coût du travail qui est très élevé…
VICTORIA KOUSSA
Et qui va augmenter sur les profils les plus qualifiés ; c'est la crainte des entreprises.
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Qui pose effectivement des sujets de compétitivité. Et puis aussi par un salaire net, par le pouvoir d'achat que vous avez chaque mois dans vos comptes en banque. Et donc il y a un moment donné où il va falloir qu'on réfléchisse à diversifier le financement de la protection sociale. Le rapport de la Cour des comptes – je vais revenir à votre première question – rappelle que les retraites aujourd'hui sont financées à 66 % par les salaires, c'est-à-dire les employeurs et les salariés.
VICTORIA KOUSSA
Donc ce que vous dites c'est qu'il n'y avait pas d'autre choix que de prendre cette mesure ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Nous n'avions pas d'autre choix que de prendre cette mesure, parce que pour compenser cet écart entre le super brut et le net, qu'est-ce qu'on a fait ces 30 dernières années, gauche comme droite confondue ? On a fait ce qu'on appelle des allégements généraux, c'est ceux sur quoi on revient, qui nous coûtent quand même 80 milliards d'euros aujourd'hui, donc bien plus que le budget de l'éducation nationale, et la prime d'activité pour subventionner les petits salaires. Tout ça, c'est de l'argent public qu'on n'a plus, finalement. Donc je pense qu'il faut maintenant réfléchir – c'est exactement l'exemple que je vous donnais – réfléchir en faisant moins, mais en faisant beaucoup mieux pour la compétitivité, l'emploi et la justice sociale de notre pays.
VICTORIA KOUSSA
Il n'y a pas de risque que ça bloque l'évolution salariale, tout simplement, cette mesure, quand on voit qu'il n'y aura plus d'exonération de cotisation sociale pour un salaire au-dessus de 3,3 SMIC contre 3,5 SMIC auparavant ? Est-ce que ça ne va pas bloquer finalement la chaîne des salaires ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
On voit quand même, ces dernières années, malgré d'ailleurs la forte inflation, que les négociations salariales ont suivi. Ce qui est très important quand même de rappeler, et merci de me permettre de le faire, c'est que cette exonération est neutre sur les très bas salaires, les 1 à 1,2 SMIC.
VICTORIA KOUSSA
Mais ça va encourager à embaucher à des bas salaires.
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Par contre, on rabote effectivement sur les salaires plus élevés. Je pense qu'il y a vraiment la nécessité post-PLFSS de réfléchir aujourd'hui à comment est-ce qu'on finance autrement la protection sociale pour qu'elle ne nuise moins à la compétitivité des entreprises et aux salaires des travailleurs de notre pays.
VICTORIA KOUSSA
On sait que certains secteurs et certaines filières reposent sur la main-d'oeuvre étrangère. Plus d'un an après le vote de la loi Immigration, la régularisation des travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension reste assez laborieuse. On attend une actualisation de cette liste. Où en est-on ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors, on a travaillé avec le ministère de l'Intérieur. On a travaillé aussi avec les régions et les partenaires sociaux pour avoir une liste des métiers en tension par grande région. On a enfin cette liste qui a été établie. Je vais demander, aujourd'hui, aux partenaires sociaux une dernière consultation nationale pour la publication de cette liste très bientôt. Donc, vous vouez, on avance.
BENJAMIN FONTAINE
Très bientôt, c'est quand ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Il y a les étapes de consultation qui sont obligatoires. Aujourd'hui, je demande aux partenaires sociaux de pouvoir dire ce qu'ils ont à dire sur ces listes et ensuite, ça devrait prendre quelques jours, quelques semaines.
BENJAMIN FONTAINE
Qui entrerait dans cette liste alors ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Les métiers en tension que vous connaissez tous, c'est-à-dire l'hôtellerie, la restauration, il y a un certain nombre de métiers agricoles, il y a les métiers du lien et du soin. C'est ce qui a fait l'objet de cette consultation avec les différentes fédérations professionnelles par région, parce que les métiers en tension peuvent aussi être différents en fonction des régions et des départements.
VICTORIA KOUSSA
Comment est-ce que vous expliquez qu'il n'est pas encore possible de faire cette demande de métier en tension dans certaines préfectures comme en Seine-Saint-Denis, en Haute-Garonne ou en Savoie ? Pourquoi ça prend autant de temps ? Pourquoi ces travailleurs sont dans une telle situation alors que le vote date d'il y a plus d'un an ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Vous n'êtes pas sans savoir qu'il y a quand même eu quelques instabilités…
BENJAMIN FONTAINE
Légères.
En 2024, il y a eu un Gouvernement chargé des affaires courantes et qui ne pouvait donc pas avancer sur cette situation.
VICTORIA KOUSSA
C'est ce qui explique cette situation.
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
C'est ce qui explique qu'on a encore pris du retard fin d'année, puisqu'on était déjà en train d'y travailler avec Bruno RETAILLEAU. Maintenant, les choses vont se normaliser très rapidement. J'espère que ces métiers en tension pourront répondre à cette problématique que vous soulignez.
VICTORIA KOUSSA
Et vous diriez que dans combien de temps, ce sera réglé ? Dans combien de temps, tout va se débloquer ? Si vous deviez donner un horizon ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Cette liste des métiers en tension doit paraître, c'est une affaire de quelques, c'est une affaire de vraiment quelques semaines.
VICTORIA KOUSSA
Vous n'étiez pas à l'aise avec la loi immigration, il faut le rappeler, Astrid PANOSYAN-BOUVET, comment vous le vivez de devoir la faire appliquer, cette loi ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Je vais vous dire pourquoi je n'étais pas à l'aise et pourquoi je reste très à l'aise avec ma position en tant que ministre du Travail. La raison pour laquelle je n'ai pas voté cette loi immigration, c'était précisément sur la question du travail, notamment la question du travail régulier des étrangers en France. Cette loi prévoyait, d'ailleurs, elle n'a pas été déclarée constitutionnelle sur cette partie, que des gens qui sont étrangers, qui travaillent de manière régulière, qui payent leurs impôts, qui payent leurs cotisations sociales, ils n'avaient pas accès aux mêmes droits. Donc, moi, j'aimerais que sur la question de l'immigration, on revienne à quelque chose de nuancé. On n'est ni dans le tout compassionnel ni dans le tout sécuritaire mais on doit pouvoir à un moment donné se dire que sur l'immigration, notamment de travail, quand on cotise, qu'on paye des impôts, qu'on est en situation régulière, on a les mêmes droits qu'un travailleur français.
BENJAMIN FONTAINE
Et est-ce que vous êtes à l'aise avec le fait de modifier le droit du sol, de fait ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors, sur le sujet de Mayotte, je pense que oui.
BENJAMIN FONTAINE
Oui et au niveau national, puisque le débat semble le relancer ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Et par contre, parce que Mayotte, c'est un cadre, je suis totalement en ligne avec les propos de Madame YOUSSOUPHA, la députée de Mayotte, c'est-à-dire qu'on a atteint une situation à Mayotte qui est très difficile parce que Mayotte est à quelques kilomètres de pays qui ont des niveaux de vie cinq fois, huit fois moins importants que le nôtre. Par contre, je ne souhaite pas, aujourd'hui, que ces problématiques de droit du sol viennent sur la métropole parce que ça fait rentrer dans la question de la nationalité une logique ethnoraciale liée au droit du sang qui est totalement étrangère à la tradition française.
VICTORIA KOUSSA
Est-ce que vous partagez cette phrase du Premier ministre François BAYROU qui parle de sentiments, que les Français ont un sentiment de submersion migratoire ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Le sujet, c'est-ce que c'est le sentiment ou est-ce que c'est la submersion ? Donc, je pense qu'on ne peut pas disqualifier les gens au motif qu'ils auraient des sentiments. Si c'est le cas de sentiments, d'ailleurs, c'est partagé par un certain nombre d'électeurs de gauche, il faut l'entendre. Moi, je pense encore une fois que l'État français est dans son droit le plus souverain de décider qui entre, qui séjourne et dans quelles conditions, qui sort. Et après sortir du tout compassionnel et du tout sécuritaire pour être plutôt sur une immigration choisie, mais sur la question du droit du sol, je pense, et c'est une Française justement de deux parents naturalisés qui vous le dit, je pense que ce qui fait qu'on est français ce n'est pas une base ethnoraciale, c'est la langue française, c'est le travail et c'est l'adhésion à des valeurs républicaines et une fierté, une fierté fondamentale d'être français, d'avoir la nationalité de ce beau pays.
BENJAMIN FONTAINE
Ça vous heurte quand Bruno RETAILLEAU dit que l'immigration n'est pas une chance ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Après… Oui, je pense que ce n'est ni une chance ni une fatalité. L'immigration, c'est celle qu'on se choisit, en fonction, en particulier, de la langue, de la capacité à travailler et de la capacité à adhérer aux valeurs de ce pays et à son histoire.
BENJAMIN FONTAINE
Pour en venir au sentiment de submersion, si j'ai bien compris, vous dites s'il y a un sentiment de submersion chez les Français, un sentiment qui est ressenti comme tel, il faut le reconnaître, sur la submersion, vous n'êtes pas d'accord ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Non, parce que submersion ça veut dire qu'il y aurait une espèce de flot incontrôlable. Par contre, il faut arrêter de disqualifier au motif qu'il y aurait des sentiments qui ne seraient pas moraux. Je pense que ça veut dire qu'il faut regarder ces sujets en face et les traiter avec la sérénité qu'il faut.
VICTORIA KOUSSA
Astrid PANOSYAN-BOUVET, avez-vous l'impression de voir votre place au sein de ce Gouvernement, la survie de votre Gouvernement aux oppositions aujourd'hui, notamment au RN, qui n'a pas voté la censure ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Après la dissolution de juillet dernier, j'étais sur ce plateau où j'appelais de mes voeux une coalition, ce n'était pas encore le socle commun, qui n'est ni à dépendre du Rassemblement national, ni de la France insoumise.
BENJAMIN FONTAINE
C'est réussi ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Je pense que c'est pour l'instant réussi, c'est-à-dire qu'on a un PLF, une loi de financement de la sécurité sociale qui apporte cette stabilité dont le pays a besoin et qui ont été passées sans avoir à dépendre ni de l'un ni de l'autre. Je pense que c'est extrêmement responsable de la part des partis qui ont décidé de ne pas censurer.
BENJAMIN FONTAINE
Merci, Astrid PANOSYAN-BOUVET.
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Merci.
BENJAMIN FONTAINE
Invitée du 8.30 France Info ce matin. Merci Victoria.
VICTORIA KOUSSA
Merci à vous et bonne journée.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 février 2025