Texte intégral
THOMAS SOTTO
Il est 8 h 15. L'interview de Céline LANDREAU au cœur de l'actualité et au cœur des problématiques de notre société puisqu'on va parler de la place des femmes. Les mauvaises langues diront qu'il y a une journée pour les femmes le 8 mars et 364 autres pour les hommes, parce que ça suffit. Vous avez choisi d'inviter Aurore BERGE, ministre de l'Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les Discriminations. Elle publie chez Robert Laffont "Nos combats pour la République". Bonjour et bienvenue à vous.
AURORE BERGÉ
Bonjour.
CELINE LANDREAU
Bonjour, Aurore BERGÉ. Vos combats dans ce livre se confondent avec l'intitulé de votre ministère, Égalité entre les femmes et les hommes, Lutte contre les discriminations. Mais à la lecture, deux choix que vous partagez, deux choix personnels et respectables interrogent, je trouve, au regard de votre combat et de vos fonctions. Le premier, il concerne Victoire, votre fille à qui vous dédiez d'ailleurs ce livre, vous expliquez avoir caché votre grossesse lors des législatives de 2022. Parce que, dites-vous : "J'en craignais les conséquences politiques". En cette veille de journée internationale des droits des femmes, on en est encore là, Aurore BERGÉ, c'est un problème d'être enceinte dans notre pays ?
AURORE BERGÉ
Ce n'est pas un problème, et heureusement, mais ça a des conséquences. Ça a des conséquences sur votre vie ensuite professionnelle. Dans les dix années qui suivent la première naissance de votre enfant, les femmes perdent 38 % de niveau de revenu par rapport aux hommes, 38 % de niveau de revenu qu'elles ne rattrapent ensuite jamais. Donc la question de la parentalité, ce qu'on appelle en fait la pénalité parentale, c'est-à-dire que quand vous êtes une femme et que vous devenez mère, ça vous pénalise dans votre vie économique, ce qui n'est pas le cas pour les hommes et pour les pères.
CELINE LANDREAU
Mais sauf erreur, quand vous faites campagne pour être députée, l'indemnité est la même, que vous soyez maman ou pas. Votre inquiétude c'était quoi, c'était de perdre la campagne ?
AURORE BERGÉ
Alors, oui, mon inquiétude elle n'était pas celle-ci. Parce que je pense qu'il y a encore des qualificatifs qui sont attachés au fait d'être une femme en politique et au fait en plus d'être une mère. Et je l'ai beaucoup ressenti justement à partir du moment où j'ai dit que j'étais enceinte. Y compris d'ailleurs dans certaines interviews, où j'avais l'impression que je ne faisais jamais la bonne réponse. C'est-à-dire que si j'expliquais que je prenais un long congé maternité, ça veut dire que je n'étais pas vraiment une femme politique, que je n'étais pas un animal politique, que je n'avais pas envie, en fait, de continuer d'avoir une carrière. Et si je prenais un congé court, c'est que j'étais forcément une mauvaise mère. Donc j'ai préféré garder ce moment d'abord pour moi, intime, le dire quand j'estimais que je pouvais vraiment le dire. Et j'ai dit, c'est vrai, une fois que j'ai été élue présidente de groupe, parce que je ne voulais pas que ça rentre en ligne de compte de la part de mes collègues, de la part de l'environnement politique et médiatique sur le fait que j'étais enceinte et que je faisais campagne pour les législatives, que j'étais enceinte et que je faisais campagne pour être présidente de groupe, parce que je sais que dans un sens ou dans un autre, à un moment ça serait rentré en ligne de compte. Et je ne voulais pas que ça rentre en ligne de compte parce que je pense que le fait d'être enceinte, pour le coup, ne changeait rien, heureusement, à mes compétences. Après, le fait d'être mère, je pense, a changé un certain nombre de choses sur ma relation et mon rapport à la politique, au temps aussi, parce que je pense que pour chacun d'entre nous, en tant que parent, ça change évidemment beaucoup de choses.
CELINE LANDREAU
Autre choix sur lequel vous revenez, et là encore, il est personnel, respectable. En mars 2023, alors qu'il est question de violences conjugales à l'Assemblée Nationale, vous avez ces mots : "Je n'instrumentalise pas ce combat car je sais de quoi je parle". Vous revenez dans ce livre sur cet épisode douloureux, vous glissez, qu'aujourd'hui encore, vous vous demandez chaque jour si vous ne devriez pas porter plainte. Sans juger ce questionnement, politiquement, que même la ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes ait autant de difficultés à se dire enceinte, à porter plainte pour violences conjugales, est-ce que ça ne dit pas quelque chose de notre société aujourd'hui ?
AURORE BERGÉ
Déjà, qu'il ne faut jamais juger les femmes et que quand on a subi des violences, c'est à la personne qui les a subies de savoir le moment où elle le révèle ou pas, et le moment où elle décide ou non de porter plainte. Et je trouve qu'il y a encore trop de jugement dans la société, et à partir du moment où une femme porte plainte, on interroge toujours les raisons pour lesquelles elle le fait. Là encore, soit elle le fait trop tôt, soit elle le fait trop tard, elle le fait toujours pour intérêt. Alors que quand on porte plainte, c'est d'abord parce qu'on a nécessité de réparation. Quand on s'exprime publiquement, c'est qu'il y a aussi ça, la nécessité que ça puisse être utile. Et le moment dont vous parlez, dont je fais référence au sein du livre, c'était une séance à l'Assemblée nationale où j'avais porté une proposition de loi pour dire que j'estimais qu'un homme qui avait été condamné pour violences sexuelles…
CELINE LANDREAU
Né au moment de l'affaire QUATENNENS, pour faire clair.
AURORE BERGÉ
… exactement, ne devait pas et ne pouvait pas normalement se représenter à une élection. Parce que j'estimais que quand on avait levé la main sur sa compagne ou sur son enfant, il y avait un tel interdit qui avait été franchi que ça légitimait qu'on ne puisse pas être candidat à une fonction élective. Et ce moment à l'Assemblée nationale a été absolument insupportable. L'Assemblée nationale, l'hémicycle, c'est une arène. Ça dépend si vous êtes le taureau ou si vous êtes le tauréador. Et là, j'avais quand même sacrément l'impression d'être le taureau. Et vraiment l'impression que de l'extrême gauche à l'extrême droite, il y avait cette volonté de m'abattre presque physique.
CELINE LANDREAU
Mais sur la plainte, Aurore BERGÉ, sur l'action en justice, je pense aux femmes qui nous écoutent qui peuvent être…
AURORE BERGÉ
Parce que c'est très personnel…
CELINE LANDREAU
Est-ce qu'il n'y a pas une notion peut-être que le mot est trop fort, mais d'exemplarité, je pense aux femmes qui vous écoutent qui se disent peut-être si même elles à ces responsabilités n'y arrivent pas comment je peux faire, moi ?
AURORE BERGÉ
Parce que c'est un cheminement qui est très intime et qui est très personnel et que la question que je me suis posée, c'est est-ce que moi j'avais besoin ou pas de porter plainte ? Est-ce que c'était important pour moi ou pas de le faire ? Et après, en effet, étant ministre, je me dis est-ce que ce serait utile à d'autres que je le fasse ? Mais en fait le raisonnement, il est d'abord intime. Et c'est pour ça que je pense qu'il ne faut jamais juger les femmes sur la manière avec laquelle elles révèlent ou elles ne révèlent pas comment on le fait. Parce que le moment où vous dites que vous avez été victime, parce qu'évidemment, quand vous êtes victime il y a un tel niveau de honte, de culpabilité, de secret qui entoure tout ça pour des raisons évidentes, que le moment où vous le révélez, vous venez heurter la fragilité d'un environnement familial, la fragilité d'un environnement amical, et la question du dépôt de plainte évidemment est une étape supplémentaire. Donc, mon inquiétude n'est pas du tout d'être crue ou pas. Mon inquiétude n'est pas qu'on accueille bien ma plainte parce que je n'ai aucun doute là-dessus. Mon inquiétude est plutôt sur, est-ce que moi, j'en ai besoin ou pas ? Est-ce que ma famille en a besoin ou pas ? Et ça, c'est une question qui est extrêmement intime. Moi, mon travail en tant que ministre, c'est de garantir déjà la possibilité pour chaque femme de le faire, mais surtout le fait que ça concerne toute la société et qu'enfin on arrive à lutter contre une forme d'indifférence où on se dit qu'après tout ça reste une affaire de famille, ça reste une affaire de couple, ça reste une affaire privée. Non, une femme qui est victime de violence ce n'est pas une affaire de couple. Un divorce, c'est une affaire de couple. Une victime de violence, c'est l'affaire de toute la société.
CELINE LANDREAU
Autre sujet très rapidement, Aurore BERGÉ, c'était un chantier lancé par Emmanuel MACRON au printemps dernier, le congé de naissance, qui doit remplacer le congé parental. Quatre mois, seulement, ça peut être jusqu'à trois ans aujourd'hui, mais mieux indemnisé pour chacun des parents. Vous l'avez ressorti des cartons il y a quelques jours, c'est pour quand ?
AURORE BERGÉ
J'espère que c'est pour bientôt. Moi, mon rôle, c'est aussi d'alerter et de mobiliser à la fois l'ensemble du Gouvernement, mais mobiliser aussi la société sur cette question-là. Ce chiffre que je vous donnais de dire quand même qu'après la première naissance de notre enfant en tant que mère il y a une perte de niveau de revenu de 38 % pour les femmes versus les hommes et plus vous avez d'enfants et plus ça s'aggrave. Donc, ça veut dire qu'on a aujourd'hui des jeunes femmes qui renoncent au fait d'être mère parce qu'elles ont peur des conséquences professionnelles qui diffèrent ce choix au risque de ne jamais pouvoir l'être ou des femmes qui en subissent des conséquences dans leur mobilité professionnelle dans leur carrière. Je pense que le fait qu'enfin il y a un vrai congé qui puisse être pris parce que bien mieux indemnisé que celui actuel qui est environ à 427 euros permettrait aux hommes et aux femmes, aux pères et aux mères de pouvoir enfin s'ils le souhaitent avoir du temps auprès de leur enfant et que la présomption de parentalité ne pèse pas que sur les femmes comme c'est le cas aujourd'hui.
CELINE LANDREAU
Mais on n'a pas le montant de l'indemnisation et on ne sait pas si ce sera sacrifié sur l'hôtel du financement de la guerre.
AURORE BERGÉ
Je n'espère pas parce que je pense que c'est un enjeu d'avenir, c'est un enjeu d'avenir sur l'égalité entre les femmes et les hommes, c'est un enjeu d'avenir sur la natalité, c'est un enjeu d'avenir aussi sur la conception qu'on a de la société, sur le fait que la parentalité ce n'est pas que la maternité et on a progressé, on a fait progresser les droits de ce point de vue là on a créé un congé paternité par exemple au moment où il a été créé, souvenez-vous, des critiques aujourd'hui je crois que c'est rentré et heureusement quand même dans la culture de notre société.
CELINE LANDREAU
Ce livre Aurore BERGÉ, "Nos combats pour la République", c'est une profession de foi pour 2027 ? Ça pourrait en avoir le parfum.
AURORE BERGÉ
En tout cas il y a des combats que je pense essentiels à mener pour 2027 et oui, je serai dans ce débat national en 2027, parce que je pense déjà que les ambitions, elles ne sont heureusement pas que masculines pour en revenir aux enjeux d'égalité entre les femmes et les hommes, mais au-delà de ça, parce que je pense que j'appartiens à une génération où la République ou la laïcité sont plus des évidences et à une génération qui aimerait que certains combats soient derrière nous notamment les combats de l'égalité de la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants de la lutte contre l'antisémitisme et malheureusement, aujourd'hui, ces combats, ils sont pleinement dans l'actualité donc ça suppose qu'on s'engage.
AURORE BERGÉ
Merci beaucoup, Aurore BERGÉ.
AURORE BERGÉ
Merci à vous.
CELINE LANDREAU
"Nos combats pour la République", c'est chez Robert Laffont, merci.
THOMAS SOTTO
"Je serai dans ce combat pour 2027", on dirait une phrase de langue de bois d'homme politique, une femme politique est plus cash normalement.
AURORE BERGÉ
Mais je pense qu'on a des ambitions évidemment quand on est une femme, moi, ce que je vois, c'est qu'en général, quand vous alignez sur la ligne de départ beaucoup d'hommes et je pense que oui et heureusement qu'il y a des femmes qui peuvent être sur la ligne de départ, je pense que ce n'est pas totalement le sujet d'aujourd'hui. Moi, ce que je fais, c'est de travailler déjà, travailler et de porter un certain nombre de combats que j'estime être absolument déterminants pour notre société pour notre quotidien, mais surtout pour notre avenir, parce qu'encore une fois, c'est des sujets qui devraient être des évidences et qui ne le sont plus.
THOMAS SOTTO
Merci beaucoup, Aurore BERGÉ. Vous restez avec nous, dans un instant, c'est Philippe CAVERIVIERE qui arrive, à tout de suite.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 mars 2025