Interview de M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer, à BFM TV le 10 mars 2025, sur la politique migratoire allemande, la guerre en Ukraine, la lutte contre l'islamisme, les conséquences du cyclone Garance à La Réunion et les massacres de civils en Syrie.

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Média : BFM TV - RMC

Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
Il est 8h32 et vous êtes bien sur RMC et BFM TV. Bonjour Manuel VALLS.

MANUEL VALLS
Bonjour Apolline de MALHERBE.

APOLLINE DE MALHERBE
Merci d'être dans ce studio pour répondre à mes questions. Vous êtes ancien Premier ministre, vous êtes ministre d'État, ministre des Outre-mer. On va évidemment parler de Mayotte, de la Nouvelle-Calédonie et de La Réunion puisque vous en revenez. Vous êtes revenu ce week-end. On va parler aussi de la menace existentielle que représente désormais, selon les mots d'Emmanuel MACRON, la Russie. Mais je vais d'abord parler de ce qu'il se passe en Allemagne, parce que je ne sais pas si vous avez entendu, il y a le nouveau plan de Gouvernement qui a été dévoilé ce week-end par le nouveau chancelier, le chancelier MERZ, une remise en cause totale de la politique migratoire d'Angela MERKEL qui avait accueilli un million de migrants, principalement issus de Syrie. Alors même que vous étiez Premier ministre, Friedrich MERZ, qui parle du chaos, je cite : "D'une politique d'asile et d'immigration mal orientée depuis dix ans". J'ai retrouvé les titres des journaux à l'époque, lorsque Angela MERKEL a décidé d'accueillir tous ces migrants et que vous, vous l'aviez critiqué. Le Figaro : "Manuel VALLS charge la chancelière allemande et resserre l'accueil des réfugiés". Les Échos : "Pour Manuel VALLS, la politique de MERKEL n'est pas tenable dans la durée". L'Opinion : "Le Premier ministre Manuel VALLS critique sévèrement la politique migratoire de Merkel" et Libération, le plus beau pour la fin : "Face au courage de MERKEL, la lâcheté de VALLS". Qu'est-ce que vous en dites aujourd'hui ?

MANUEL VALLS
D'abord, vous m'envoyez il y a dix ans, mais sur ce sujet, j'avais raison et j'avais été un des rares dirigeants européens à interroger et à critiquer la politique d'ouverture absolue et totale d'Angela MERKEL, alors qu'elle était, en effet, saluée par toute la presse nationale et européenne. Je souligne d'ailleurs qu'avec François HOLLANDE et Bernard CAZENEUVE, qui étaient ministres de l'Intérieur, nous n'avions pas mené la même politique. Nous avions mené une politique d'accueil, évidemment, des réfugiés syriens, mais nous n'avions pas ouvert les frontières parce que nous craignions les conséquences sur nos sociétés. Rappelez-vous, quelques temps après cet article de cet intellectuel franco-algérien Kamel DAOUD, qui dans un long papier avait souligné la violence et les agressions sexuelles d'un certain nombre de migrants un 31 décembre à Cologne, comment il avait été lui-même accueilli. Et puis soulignons aussi peut-être les changements que l'Allemagne est en train d'opérer. Elle doit sortir de la dépendance...

APOLLINE DE MALHERBE
Mais sous la pression de l'extrême droite, c'est-à-dire qu'aujourd'hui, on le sent bien, il y a une montée de l'extrême droite en Allemagne et c'est aussi à cela que répond le nouveau chancelier.

MANUEL VALLS
Oui, bien sûr, c'était un de ses engagements de campagne, mais pas seulement. L'Allemagne est en train de sortir maintenant depuis deux-trois ans de la dépendance du gaz russe. Elle s'interroge évidemment sur les changements de la politique américaine et le fait qu'elle ne pourrait plus bénéficier du parapluie militaire et nucléaire américain. Et le chancelier, le nouveau chancelier, celui qui va être désigné comme chancelier, va être, je crois, un allié très structurant, très important pour la France et pour l'Europe face aux nouvelles menaces. Nous en dirons peut-être un mot. Il change aussi d'une certaine manière les équilibres financiers puisqu'ils vont investir dans la défense, mais aussi dans les infrastructures dont l'Allemagne a besoin. Donc, c'est des changements importants et donc sur l'immigration aussi, bien évidemment.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous parlez de la menace, Manuel VALLS. Vous avez entendu sans doute les mots d'Emmanuel MACRON qui dit que nous ne toucherons plus les dividendes de la paix. Sous-entendu, on en a quand même bien profité. Vous en avez profité. Et vous, tous les hommes politiques qui jusqu'alors trouvaient sans doute confortable que les Américains payent et que nous, on puisse dépenser ?

MANUEL VALLS
Pas que les politiques, nos sociétés, d'une certaine manière. La France, grâce au Général De GAULLE et tous les présidents de la République ont suivi la même doctrine, a toujours eu une attitude différente. Nous avons une véritable indépendance grâce notamment à la dissuasion nucléaire. Nous sommes, avec les Britanniques, une des rares armées européennes capables de se projeter à l'extérieur. Mais, c'est vrai, l'ensemble de l'Europe est en train de sortir d'une forme de naïveté.

APOLLINE DE MALHERBE
L'ensemble de l'Europe qui sort d'une naïveté, d'accord. Mais c'est vrai que la France, et la question désormais se pose, elle se pose même aux partenaires sociaux qui sont en conclave pour réformer la réforme des retraites. Et la question désormais, c'est : est-ce qu'on peut faire à la fois des pensions et des canons ? Et pendant longtemps, peut-être le fait que les canons soient payés par les Américains était bien confortable pour notre politique sociale. Est-ce que vous aviez conscience de cela ?

MANUEL VALLS
Oui, moi, je pense que je fais partie de ceux. Je suis venu souvent sur ce plateau, notamment depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie, pour dire que nous étions en train de changer d'époque. J'étais il y a un an et demi à Kiev et j'étais revenu marqué par le fait que tout le monde s'interroge là-bas. Mais il faut un plan B si Donald TRUMP est élu. Nous y sommes. Et au fond, la première question, la question fondamentale, Apolline de MALHERBE, c'est : est-ce que nous sommes capables, nous, Européens, de construire une puissance pour sauvegarder la liberté et la démocratie face, au fond, à la vassalité, au renoncement, à la lâcheté qu'on retrouve, y compris dans la classe politique française.

APOLLINE DE MALHERBE
La lâcheté, vous voulez dire, plutôt des Américains ou d'une partie ? C'est quoi cette partie de la classe politique française dont vous parlez ?

MANUEL VALLS
Non, c'est ceux qui renoncent, qui sont prêts aujourd'hui à accepter d'abord le fait établi, c'est-à-dire ce que POUTINE représente en termes de menaces existentielles pour la liberté et la démocratie.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous reprenez ces mots pour vous. La menace existentielle aujourd'hui, c'est la Russie, c'est POUTINE ?

MANUEL VALLS
Il y en a beaucoup. Mais en tout cas, celle-ci, elle est évidente. Et par aussi une guerre, parce que ce n'est pas uniquement la guerre militaire qui est menée. C'est une guerre idéologique, c'est une guerre hybride. Vous voyez ce qui s'est passé en Roumanie il y a quelques semaines au moment de l'élection présidentielle. La déstabilisation, elle nous concerne à chaque élection en Europe et dans le monde. Parlez avec les Polonais, avec les Baltes, avec les Moldaves, avec les Roumains, ce que cela peut représenter comme menace. Donc, cette menace, elle est là. Et face à cela, il y a toujours ceux qui, d'une certaine manière, s'accommodent de la puissance, de la violence, de la remise en cause de l'État de droit. Et ce qui est en train de changer, au fond, ce n'est pas la menace russe. Elle est présente déjà depuis un certain nombre d'années. C'est le comportement erratique, l'imprévisibilité de l'administration TRUMP. Et c'est ça qui nous oblige à réagir.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais pardon d'insister, mais Manuel VALLS, mais quand vous dites qu'il y a une partie de la classe politique, vous parlez de qui ?

MANUEL VALLS
Quand je lis l'entretien de François FILLON à Valeurs Actuelles, quand je vois un certain nombre de déclarations de responsables politiques du Rassemblement National, il y a une partie de la gauche qui est aussi du côté de la France Insoumise depuis déjà longtemps et dans ses relations, dans sa vision du monde marquée par sa relation avec la Russie ou par l'antiaméricanisme. Bref, tout cela nous oblige d'une manière ou d'une autre à une réaction, et c'est vrai en termes d'investissement pour la défense, et donc à revisiter d'une manière ou d'une autre nos modèles.

APOLLINE DE MALHERBE
Quand François FILLON dit : "On se trompe de guerre, la menace existentielle immédiate ce n'est pas POUTINE, c'est l'islamisme" ?

MANUEL VALLS
L'islamisme représente aussi une menace, d'ailleurs le 26 mars prochain au Dôme avec plusieurs milliers de personnes, nous allons nous réunir, intellectuels, politiques, nous allons nous mobiliser contre cette menace que représente l'islamisme pour la démocratie et nos valeurs, ça fait partie, évidemment, de mes combats, et nous l'avons vu avec cette montée, cette déferlante de la haine des juifs et d'Israël, mais il y a aussi, ce n'est pas parce qu'il y a la menace islamiste qu'on ne doit pas regarder...

APOLLINE DE MALHERBE
François FILLON, il en minimise la menace russe ?

MANUEL VALLS
On ne peut pas le minimiser pour nous, du fait du changement que représente, je suis prudent, le caractère imprévisible de la politique américaine. Vous savez que dans le monde, aujourd'hui, au fond il y a, je ne vais pas simplifier les choses parce que c'est évidemment toujours beaucoup plus complexe, mais d'un côté il y a la brutalité, le règne de l'argent, la remise en cause de l'État de droit, et de l'autre côté cette vieille Europe, nos valeurs universelles, mais nous partageons aussi avec le Canada, menacé par les États-Unis, avec l'Australie qui travaille aussi avec nous sur ces questions-là, la vieille Europe, la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la France et la Grande-Bretagne ont une vision du monde, une vision stratégique, possèdent l'arme nucléaire, il faut un réveil, et ce réveil il est autour, pardon, des valeurs de la démocratie, de l'État de droit, de la liberté, pour moi et pour nous ça doit compter.

APOLLINE DE MALHERBE
Manuel VALLS, est-ce que vous iriez jusqu'à dire qu'il y a une forme de traîtrise dans les propos d'un François FILLON, ou de certains des politiques dont vous venez de parler ?

MANUEL VALLS
Non, c'est des mots qui vont trop loin, et je fais attention, je suis prudent, enfin prudent, mais il y a une forme de renoncement, ça c'est clair, il y a du renoncement, ce n'est pas nouveau, il y a toujours eu, au fond, une fascination vis-à-vis de la Russie, qui est évidemment un grand peuple, une grande culture, et que nous avons toujours eu des liens, il y a une fascination toujours par rapport à la puissance, à la brutalité, les mêmes qui sont fascinés par POUTINE le sont aujourd'hui par Donald TRUMP. Non, je pense que la remise en cause de l'ordre international tel qu'il a été conçu depuis la dernière guerre mondiale, d'un certain nombre de valeurs, de la démocratie, enfin menacer le Canada, menacer le Groenland, menacer le Panama, on voit bien qu'il y a quelque chose qui est en train de changer, et au-delà de la critique que nous pouvons apporter à l'administration américaine, cela nous oblige surtout, nous ; à réagir, et c'est ce qu'impulse le président de la République, et je m'en félicite.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous avez eu cette expression, "nous nous préparons à la guerre", encore un mot là-dessus, les Français qui se disent favorables à un retour du service militaire obligatoire, 61 %, c'est un sondage du journal Ouest-France, est-ce que ça veut dire que les Français, eux, sont dans une attitude presque aujourd'hui de capacité de défense, ou de prendre à un moment les armes s'il le faut pour défendre la France ?

MANUEL VALLS
Mais ce peuple est très intelligent, nos compatriotes sont très intelligents, ils ont le sens de l'histoire, ils savent ce qu'a pu représenter deux guerres mondiales, ils connaissent le prix de la liberté et de la démocratie, donc, il faut expliquer, c'est ce que fait le président de la République, c'est ce que fait le Premier ministre, c'est ce que font les ministres de la Défense et des Affaires étrangères, c'est ce que nous devons tous faire, quels sont les enjeux, pourquoi il faut investir, demain sans doute cent milliards dans la défense, l'Europe prend ses responsabilités, il y a une course contre la montre, parce que l'Ukraine et son Président Volodymyr ZELENSKY représentent précisément cette liberté et cette démocratie, on cherche aussi évidemment un cessez-le-feu, la possibilité pour éventuellement des armées européennes de préserver ce cessez-le-feu demain face à d'éventuelles nouvelles agressions de la Russie, donc, il y a un débat aussi qui implique les diplomates, parce qu'on veut que cette guerre s'arrête, mais pas à n'importe quel prix, pas au prix de la vassalité, pas au prix du renoncement, pas au prix de la fin de l'Ukraine.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous rentrez, Manuel VALLS, de la Réunion, où vous étiez notamment, pour répondre évidemment au cyclone Garance, qui avez-vous vu et quelles réponses avez-vous apportées ?

MANUEL VALLS
D'abord, vous avez raison de me ramener à ma mission, et ma mission c'est d'être ministre des Outre-mer, j'ai le sentiment, je comprends avec l'actualité que nous venons de décrire, j'ai le sentiment qu'ici, à Paris, pas du côté du Gouvernement, croyez-moi, mais on n'a pas pris conscience de l'impact de ce nouveau cyclone. Un an après un autre cyclone, quelques mois après une sécheresse très dure, le cyclone a impacté très durement l'île. Il y a cinq morts, des blessés, des écoles, des établissements publics détruits, toute l'agriculture, notamment celle de la canne qui est totalement détruite, c'est plusieurs centaines de millions d'euros de dégâts. Et puis des Réunionnais qui, certes, ont une culture des phénomènes de ce type depuis des années, mais qui ont le sentiment vraiment que le dérèglement climatique est bien là, et qu'ils vont subir de nouveau dans les mois, dans les années qui viennent, de nouveaux phénomènes de ce type.

APOLLINE DE MALHERBE
Ça veut dire qu'on n'est pas que dans la reconstruction, on doit être aussi dans l'anticipation aussi ?

MANUEL VALLS
Oui, j'ai proposé donc, nous travaillons très vite sur un plan de reconstruction, de développement, de relance de La Réunion, qui anticipe évidemment tous ces phénomènes. C'est vrai notamment dans le domaine du logement, de l'économie, donc, il y a des investissements importants à faire.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que 200 millions, ça va suffire ?

MANUEL VALLS
C'est déjà important, ces 200 millions, c'est ce fonds que j'ai annoncé pour reconstruire les écoles, les bâtiments publics, l'agriculture. Il y a beaucoup de force, heureusement, à La Réunion. Il y a une vision aussi de la place du territoire dans l'océan Indien. Il y a des élus très impliqués, mais il faut les soutenir, il faut les aider. D'une manière générale dans les Outre-mer, nous sommes au cœur de ces changements climatiques, de ces dérèglements climatiques, ce qui nous oblige là aussi à une autre vision. La montée des océans, le réchauffement de la planète, la montée des eaux, tout ça nous oblige à des changements profonds et à les traduire dans les actes, alors qu'il y a d'autres défis dans les Outre-mer.

APOLLINE DE MALHERBE
Mayotte, trois mois après, est dans quel état aujourd'hui ? Est-ce que la reconstruction commence à se voir pour les habitants ?

MANUEL VALLS
Elle est lente, elle est trop lente, elle est difficile. Je présenterai dans quelques semaines, en Conseil des ministres puis au Parlement, un nouveau projet de loi, mais là, c'est pour la reconstruction à long terme. Il reste encore des problèmes. Je pense notamment à celui de l'eau qui est rare, qui est difficile d'accès, même si nous faisons tous les efforts pour y arriver. C'est lent et c'est difficile, mais j'y retourne dans quelques semaines. Il y a un général, le général FACON, qui est à mes côtés et qui dirige la mission Mayotte pour mettre les bouchées doubles. Nous le devons aux Mahorais qui ont été non seulement touchés par ce cyclone Chido il y a quelques semaines, mais qui vivent aussi d'autres problèmes : les problèmes d'immigration, de violence, d'inégalité sociale, d'écoles qui sont bondées. Donc, non, il faut continuer, il y a un élan de travail.

APOLLINE DE MALHERBE
J'avais reçu Linda KEBBAB sur ce même plateau qui revenait de dix jours à Mayotte et qui disait qu'elle avait honte, c'étaient ses mots, honte, parce qu'elle avait le sentiment que ce n'était pas aider et accompagner comme un département français, mais plutôt comme une colonie. C'étaient ses mots.

MANUEL VALLS
Non, je pense que ce sont des mots de trop, mais il y a beaucoup de retard qui a été pris, bien évidemment. Et puis, la marche forcée de la départementalisation qui est utile, qui est attendue par les Mahorais, n'a pas toujours répondu aux exigences de ces derniers. Mais il y a les écoles, il faut les développer, il y a les services publics, il faut les renforcer, il y a la nécessité de reconstruire la forêt, l'agriculture, l'industrie. Le cyclone a été terrible, il a tout balayé. Je peux comprendre d'ailleurs le sentiment d'exigence et même d'agacement et de colère des Mahorais vis-à-vis de l'État. Mais une colonie, non. C'est un département français, ils sont Français, ils sont patriotes et ils attendent donc beaucoup de la France.

APOLLINE DE MALHERBE
Manuel VALLS, la Nouvelle-Calédonie, l'épisode d'extrême violence qu'a traversé la Nouvelle-Calédonie, est-ce qu'aujourd'hui, et c'était l'une de vos missions, vous y avez passé plusieurs jours, est-ce qu'aujourd'hui vous estimez qu'il y a une forme de cohésion à nouveau et que l'épisode de violence est vraiment derrière nous ?

MANUEL VALLS
Non. Vous savez, dans la coutume Kanak, il y a deux mots qui sont prononcés à chaque fois. C'est l'humilité et le respect. Donc moi, je vais continuer à travailler avec beaucoup d'humilité parce que même si nous avons réussi à rassembler toutes les forces politiques, à ce qu'elles se reparlent, nous sommes encore loin d'un accord.

APOLLINE DE MALHERBE
Quand vous dites non, c'est quand même non, la situation n'est pas apaisée.

MANUEL VALLS
Non, parce qu'elle est tendue, parce qu'il y a beaucoup de violences, beaucoup de peurs, du racisme, des gens qui ne se parlent plus, qui se regardent en chien de faïence. Il faut comprendre la peur qu'ont éprouvée tous nos compatriotes là-bas, sur place, et notamment ceux d'origine européenne à Nouméa. Il faut comprendre aussi l'aspiration à l'émancipation, à la décolonisation des Kanaks. Et donc, ce sont, au fond, deux logiques qui maintenant cheminent. Il faut réussir – et c'est évidemment la mission que m'a confiée François BAYROU – il faut réussir à ce que le dialogue permette de trouver un accord politique.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous parliez tout à l'heure, à propos de la Russie, de la manière dont ils s'infiltraient, y compris dans une forme d'influence ou de tentative de déstabilisation de la démocratie. On sait qu'au moment de la violence en Nouvelle-Calédonie, la question de l'influence étrangère avait été posée à posteriori. Est-ce que vous diriez aujourd'hui que ça a été en effet un lieu, un espace, un moment d'influence étrangère ?

MANUEL VALLS
La France est présente sur trois océans et cinq continents. C'est une des rares puissances encore qui est ainsi présente dans le monde. Et nous le disions tout à l'heure, il y a cette guerre hybride que nous mènent un certain nombre d'États.

APOLLINE DE MALHERBE
On avait évoqué l'Azerbaïdjan.

MANUEL VALLS
Et l'Azerbaïdjan en fait partie. Il y a un certain nombre d'élus néo-indépendantistes en Calédonie, aux Antilles, en Guyane ou depuis, d'ailleurs, également les Comores jouent avec ça contre Mayotte. Oui, il y a des gens qui s'y prêtent. Je ne veux pas l'exagérer, ça n'était pas ça le facteur déclenchant des violences. Mais j'ai averti les uns et les autres, et je le fais encore à votre micro, que nous n'accepterons pas que cet État d'abord se livre à ces ingérences, notamment sur les réseaux sociaux, mais également en organisant des colloques, en soutenant un certain nombre de leaders indépendantistes, très minoritaires, bien évidemment condamnés souvent par les autres formations. Mais nous ne l'accepterons pas, et je l'ai dit aux intéressés aussi, à ses élus ou à ses responsables politiques qui s'y prêtent. Une chose est la liberté d'opinion pour proférer évidemment des idées à l'indépendantisme, mais on ne peut pas atteindre aux intérêts stratégiques de la France.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce qu'on a les moyens de lutter, y compris en termes de réseaux sociaux, comme vous dites ?

MANUEL VALLS
Bien sûr, sur les réseaux sociaux, en s'exprimant, rappelant quelle est l'histoire de la Calédonie, ce que nous sommes en train de faire tout de même depuis 1988, avec Michel ROCARD, Lionel JOSPIN, ce que j'essaie de faire d'une certaine manière dans leurs traces, c'est-à-dire en respectant les uns les autres, en trouvant le consensus, en rassemblant la société calédonienne, en créant les conditions d'un peuple calédonien, en gardant ce lien évidemment très étroit avec la France. Mais bon, nos services de renseignement, TRACFIN, tous ces moyens doivent être déployés pour lutter contre ces ingérences. Elles sont inacceptables.

APOLLINE DE MALHERBE
Un dernier mot, Manuel VALLS, sur ce qu'il se passe en Syrie, où c'est probablement autour de 1 000 civils, chrétiens d'Orient, alaouites, qui ont été littéralement massacrés ces dernières 48 heures. Est-ce qu'on ne s'est pas réjoui trop vite ?

MANUEL VALLS
Vous savez, le concept d'islamiste modéré est à réétudier. Non, ça n'existe pas. Mais de l'autre côté, ce pays a subi une telle violence. Il y a sans doute des pulsions de vengeance terribles. Le pouvoir actuel sera réduit. La guerre est passée par là, les massacres, les civils, ce qui s'est passé est évidemment inacceptable. Et moi aussi, je m'inquiète sur le sort des alouiites, des chrétiens d'Orient bien évidemment qui ont tellement subi au cours de ces dernières années un peu partout, en Irak et en Syrie. Donc la communauté internationale doit être présente, doit rappeler le nouveau pouvoir à ses obligations. Il y a une commission d'enquête qui est en place. Mais faisons attention, nous sommes sur une poudrière là-bas. Et là aussi, n'oublions pas quels sont nos véritables alliés. Nos alliés là-bas, ce sont les Israéliens et les Kurdes. Ne l'oublions jamais.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que vous êtes inquiet sur la situation aujourd'hui ? Est-ce que vous faites partie de ceux qui vous dites : "On est en train de vivre un point de bascule, globalement ?"

MANUEL VALLS
D'une certaine manière, au cours de ces 20 dernières années, depuis le 11 septembre 2001, nous sommes rentrés dans une nouvelle ère. Et chaque moment nous y apporte. Ce qui est évidemment redoutable, c'est que la grande puissance américaine, notre allié, je continue de penser que ce sont nos alliés, c'est une grande démocratie, semble préférer d'autres types d'alliances. Et cela nous oblige à un réveil, à une très grande responsabilité. Ceux qui partagent d'ailleurs les mêmes visions du monde, de l'Europe et de la démocratie, dans la vie politique française, doivent être capables de se rassembler sur l'essentiel. Nous sommes sur l'essentiel. Nous sommes l'un de ces moments majeurs. J'avais écrit un petit livre sur le courage. Je terminais d'ailleurs avec un portrait sur Volodymyr ZELENSKY qui incarne ce courage. Mais nous sommes dans ces moments où il faut relire CHURCHILL et DE GAULLE pour nous rappeler nos obligations et notre responsabilité.

APOLLINE DE MALHERBE
Merci, Manuel VALLS, d'avoir répondu à mes questions. Ministre d'État, ministre des Outre-mer. Il est 8h52 sur RMC - BFM TV.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 11 mars 2025