Interview de M. Yannick Neuder, ministre de la santé et de l'accès aux soins, à France Info le 24 mars 2025, sur les déserts médicaux, la formation des médecins généralistes, la vaccination, le déficit de l'assurance-maladie et l'usage du cannabis thérapeutique.

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Média : France Info

Texte intégral

SALHIA BRAKHLIA
Bonjour Yannick NEUDER,

YANNICK NEUDER
Bonjour,

JÉRÔME CHAPUIS
Bonjour,

SALHIA BRAKHLIA
Jusqu'à plus de cinq heures d'attente dans certains services d'urgence, les patients doivent patienter de longues heures avant d'être pris en charge, un temps d'attente qui ne cesse d'augmenter ces dernières années, pourquoi on ne s'en sort pas ?

YANNICK NEUDER
Et puis, vous pourriez même rajouter, mis fortement en tension par le dernier épisode de grippe, en fait, on s'en sort pas parce qu'on a pris beaucoup trop de retard sur la formation des soignants, que ce soit médecins, infirmiers, aides-soignantes, et que si on veut des urgences qui soient beaucoup plus fluides, eh bien, il faut pouvoir ouvrir aussi plus de lits d'aval, donc, on a vraiment besoin de former plus de soignants pour justement réduire ces temps qui sont inadmissibles et dont je comprends bien le mécontentement des français. Il y a aussi dans cette étude, puisque vous évoquiez l'étude de la DREES, aussi un chiffre qui, moi, m'interpelle, puisque 40 % des passages aux urgences pourraient être évités et pourraient être traités par des consultations en amont.

SALHIA BRAKHLIA
Mais justement, c'est la question que j'allais vous poser, la relance, parce que le 15 normalement, devait faire un tri des patients pour éviter que tout le monde se précipite vers les urgences dès qu'il se passe quelque chose, là visiblement ce tri-là n'est pas suffisant.

YANNICK NEUDER
Alors attention, il faut resituer l'enquête, elle compare un point d'enquête qui a lieu en 2013 et un point en 2023. En 2023, on avait très peu de développement de la coordination et de la régulation en amont. Donc, il faut faire attention.

SALHIA BRAKHLIA
Donc, vous vous dites qu'aujourd'hui, ça va beaucoup mieux que ce tri du 15 ?

YANNICK NEUDER
Non, je ne peux pas dire ça. Je pense que chaque français qui passe une journée aux urgences, on ne peut pas lui dire que ça va beaucoup mieux. Il faut quand même ne pas, en plus, énerver les français qui, à juste titre, sont relativement compatissants avec les soignants. Moi je veux deux messages forts. Je veux un message vis-à-vis des soignants en leur disant qu'heureusement, et c'est grâce à leur engagement que le système de la santé tient en France, que ça soit à l'hôpital, public, privé, ce n'est pas ma discussion de faire battre les différentes personnes, et la ville. Par contre, ce que l'on voit, c'est qu'on ne peut pas reprocher à des gens qui vont aux urgences d'y aller parce que c'est qu'ils n'ont pas trouvé de solution en ville.

JÉRÔME CHAPUIS
Mais on avait envie de vous poser la question, ce cas il se présente souvent.

YANNICK NEUDER
Voilà, donc, il faut pouvoir augmenter l'offre de soins en ville. On aura des mesures qui vont le permettre, notamment les docteurs juniors qui sont la quatrième année de médecine générale, la fameuse, je vais prendre les décrets nécessaires en mai, et au 2 novembre.

JÉRÔME CHAPUIS
Expliquez-nous bien, docteur junior, c'est quoi ?

YANNICK NEUDER
Pour faire médecin généraliste, actuellement, il fallait 9 ans d'études. Il a été rajouté une dixième année, et cette dixième année, les premiers étudiants qui vont faire leur dixième année, ce sont des étudiants qui seront le 2 novembre 2026 sur les territoires. Donc, l'enjeu c'est 3 700 médecins, ça fait à peu près 35 à 40 par département en fonction de la taille du département. Et là, je travaille avec les élus locaux, les maires, les départements, les présidents d'intercommunalités, d'agglomérations, des régions, pour pouvoir installer ces docteurs et pour pouvoir aller dans les zones notamment sous-denses, pour pouvoir organiser du soin pour éviter que systématiquement, on ait recours à aller aux urgences.

JÉRÔME CHAPUIS
Ils n'ont fait que 4 ans d'études ?

YANNICK NEUDER
Non, dixième année.

JÉRÔME CHAPUIS
Dixième année de spécialité, d'accord.

SALHIA BRAKHLIA
Et comment vous voulez les inciter à aller dans les déserts médicaux, par exemple ? Parce qu'on a vu que l'incitation, ça marchait moyen. Soyons clairs, monsieur le ministre, vous n'êtes pas le premier à tenir ce discours. À un moment, il ne faut pas obliger, il ne faut pas imposer.

YANNICK NEUDER
Alors là, sur la dixième année, on est en train de travailler justement avec eux, avec les syndicats d'interne. Je pense qu'ils ont pleinement conscience du rôle qu'ils ont à jouer. Il faut aussi trouver des maîtres de stage, puisqu'ils sont encore étudiants. Ce qui peut permettre aussi aux maîtres de stage de participer aussi à la régulation. Je l'espère, de reprendre les visites à domicile. C'est un concept qu'on a complètement perdu. Mais des personnes âgées, handicapées, avec des problèmes de mobilité, il y a beaucoup moins de visites à domicile par an. Donc, je crois qu'il faut une pleine conscience des médecins pour pouvoir s'organiser.

SALHIA BRAKHLIA
Vous faites le constat, mais vous, en tant que ministre, vous pouvez… En plus, il y a une proposition de loi qui va être présentée et qui est portée par le socialiste Guillaume GAROT. 258 députés sont avec lui pour réguler l'installation des médecins. Est-ce qu'il ne faut pas en passer par l'obligation de s'installer dans les déserts médicaux ?

YANNICK NEUDER
Ce sont des sujets qu'il faut naturellement mettre sur la table, parce qu'on a, d'un côté, un sentiment que des médecins s'installent toujours au même endroit, et de l'autre côté, des patients qui n'ont pas accès. Donc, je réunis à 18h, justement, ce soir, le député GAROT avec un certain nombre de ses collègues députés qui ont signé, le Conseil National de l'Ordre, les syndicats de médecins, une forme de conclave sur cette organisation de la santé, parce qu'il y a peut-être des voies de passage…

JÉRÔME CHAPUIS
Mais quelle est la position du Gouvernement ? Est-ce que vous soutenez ou pas le fait de réguler l'installation des médecins ?

YANNICK NEUDER
J'ose imaginer que si, ce matin, en un claquement de doigts, je vous répondais à cette question, on aurait réglé le problème des déserts médicaux depuis longtemps. De quoi on parle ? Actuellement, on forme le même nombre de médecins qu'en 1970. Qu'en 1970, et nous sommes 15 millions d'habitants en plus, il y a un rapport au travail qu'on a complètement oublié. Un médecin généraliste qui part en retraite, il en faut 2,3. Donc moi, si c'est prendre des mesures qui vont complètement dégoûter toute notre jeunesse de s'installer et de faire des études en médecine, qu'ils partent à l'étranger, qu'ils se mettent en secteur 3, c'est-à-dire que si demain, tout le monde se déplaque et n'est plus conventionné par l'ACNAM, on met une médecine pas à deux vitesses, mais à trois vitesses. Parce que vous le dites vous-même, il y a des déserts médicaux et en ville, on pourrait mieux se soigner. Je pense que ça, c'est d'ailleurs pas complètement vrai, mais attention de ne pas financiariser non plus de trop la médecine.

JÉRÔME CHAPUIS
On entend que vous lui trouvez des limites à cette proposition de loi qui est soutenue par, on le rappelle, 258 députés. Vous n'êtes pas complètement aligné ?

YANNICK NEUDER
Je pense qu'il faut discuter de ces sujets qui sont importants. Il ne faut pas que le remède soit pire que le mal.

SALHIA BRAKHLIA
C'est quoi les voies de passage ?

YANNICK NEUDER
Les voies de passage, je pense que déjà, on pourrait voir comment s'installent nos 4 000 docteurs juniors. On pourrait aussi former beaucoup plus. On pourrait aussi récupérer nos étudiants français qui sont partis en Roumanie, en Espagne, en Belgique. On a beaucoup d'étudiants qui ne font pas leurs études de santé en France.

JÉRÔME CHAPUIS
Vous savez pourquoi ils ne font pas leurs études en France ? Parce qu'il y a un numerus clausus qui reste assez important. On dit qu'il n'y a plus de numerus clausus officiellement, mais 12 000 médecins formés aujourd'hui, c'est largement insuffisant.

YANNICK NEUDER
Merci beaucoup. C'est ce que je m'apprête à faire au mois de mai au Sénat. C'est-à-dire de supprimer le restant de numerus. C'est-à-dire qu'il y avait un numerus clausus qui est passé à apertus. Ce numerus apertus, on constate tout ce qu'il est encore beaucoup trop restrictif. Au mois de mai, si le Sénat m'accorde une majorité, je ferai voter la proposition de loi que j'avais fait voter à l'Assemblée nationale en décembre 2023 pour supprimer le numerus et permettre justement de rapatrier ces étudiants. On n'a pas une famille en France qui n'a pas un de ses enfants, ses petits-enfants, qui est parti faire des études de santé à l'étranger, faute de capacitaires en France.

SALHIA BRAKHLIA
Juste parce qu'on a parlé, on a dit 10 ans d'études, ça veut dire que ce dont vous parlez là, c'est que ça va prendre du temps.

YANNICK NEUDER
Non, pas forcément.

SALHIA BRAKHLIA
Alors que c'est maintenant dont on a besoin d'aider les médecins.

YANNICK NEUDER
Maintenant, au 2 novembre 2026, c'est demain, on aura 3 700 docteurs juniors de plus, chaque année. On a également l'EPADU, vous ne me parlez pas des praticiens diplômés hors Union européenne, pourtant, ils sont fondamentaux dans nos territoires, puisqu'ils assurent 30 à 40 % de la présence médicale. Donc, là aussi, c'est plus 1 700 médecins, puisqu'on a près de 4 000 praticiens diplômés hors Union européenne.

JÉRÔME CHAPUIS
Vous savez ce qu'on vous dit dans ces cas-là, on vous dit que ce n'est pas forcément très fair-play d'aller chercher des médecins, par exemple en Tunisie, etc.

YANNICK NEUDER
Mais ce n'est pas du tout ça, vous avez mal compris le sujet. On ne va pas aller chercher, je ne mets pas des missionnaires qui vont aller dépeupler. C'est des gens et des personnes qui sont déjà dans nos services, qui exercent déjà en France, et qui demandent juste à sortir d'un statut de précarité, puisqu'ils assurent la prise en charge de la santé des patients.

SALHIA BRAKHLIA
Il faut les entendre, c'est ce que vous dites, ce matin.

YANNICK NEUDER
Exactement, il faut les entendre. Par contre, il ne faut pas non plus faire un dispositif qui va être attractif, on ne va pas améliorer la santé en France en appauvrissant la santé d'autres pays.

JÉRÔME CHAPUIS
Par curiosité, vous dites qu'on va donc ouvrir, si le Sénat va dans votre sens, ce fameux numerus clausus…

YANNICK NEUDER
Le supprimer, faire un examen.

JÉRÔME CHAPUIS
Ça veut dire qu'à partir de l'année prochaine, on forme combien de médecins par an ?

YANNICK NEUDER
Alors ça dépendra, c'est la loi que j'ai fait voter en décembre 2023 à l'Assemblée Nationale, ça dépendra des besoins du territoire, et ça dépendra du capacitaire des structures de formation, pour ne pas les nommer, les universités et les facultés de médecine. Et moi, je fais confiance aux élus locaux, avec les universités et les agences régionales de santé, pour avoir un plan de charge progressif, pour accueillir ces étudiants dans les bonnes conditions, pour pouvoir, à terme, leur trouver des lieux de sages. Ces lieux de sages ne sont pas forcément à l'hôpital, ça permettra aussi de les mettre dans les territoires. Moi, je suis hospitalier, j'ai fait mes 10 ans d'études, même 12 ans d'études, qu'en structure hospitalière. Il est très compliqué quand vous avez 30-32 ans, de vous dire d'aller vous installer dans telle ou telle commune, quand vous avez déjà une organisation de vie, un conjoint, des enfants. Donc, on n'a pas une méthode pour régler les déserts médicaux, on a plein de méthodes et il faut les monter de façon parallèle. Mais oui, on a probablement perdu beaucoup trop de temps.

JÉRÔME CHAPUIS
Il y a un chiffre que vous avez donné tout à l'heure, sur lequel je voudrais revenir, il m'a intrigué Yannick NEUDER. Vous disiez, quand il y a un médecin qui s'en va, il en faut 2,3 en moyenne pour le remplacer, c'est une question de rapport au travail. Expliquez-nous.

YANNICK NEUDER
C'est assez simple, c'est-à-dire que vous avez tous connu, vous êtes plus jeune que moi, mais moi j'ai bien connu quand j'étais enfant, un médecin généraliste, qui travaillait du lundi matin jusqu'au samedi soir, souvent à son domicile, dans sa maison, avec souvent son épouse, qui vous faisait rentrer les patients et tout ça. Ce modèle-là a complètement changé, le rapport au travail a changé. Nos jeunes générations veulent plus de temps pour leurs familles, pour leurs enfants, que ce soit des hommes médecins ou des femmes médecins. Donc, ce rapport au travail a complètement changé. Les 35 heures ont aussi modifié le rapport au travail des médecins et maintenant on a beaucoup de médecins qui travaillent 3 jours, 4 jours, donc, naturellement un nombre de médecins identique. Nous n'avons pas forcément le même nombre de temps disponible pour les patients.

SALHIA BRAKHLIA
On a moins de médecins, mais on a plus de patients parce que plus de maladies. Un exemple, vous l'avez donné tout à l'heure, l'hiver marqué par une épidémie de grippe assez intense, il est peut-être un peu trop tôt pour faire un bilan ?

YANNICK NEUDER
Il est un peu trop tôt, mais cependant on peut encore en dire un certain nombre de choses. Je pense qu'au pays de PASTEUR, on a un problème vis-à-vis de la vaccination et je compte bien m'y attaquer. On a un obscurantisme qui est complètement relayé par les réseaux sociaux, qui est notamment complètement relayé par le ministre de la Santé américain, KENNEDY, qui est un antivax. Je pense qu'au pays de PASTEUR, j'étais encore justement à Dole, la semaine dernière, le pays natal, la ville natale de PASTEUR, la vaccination protège en France. On le voit bien avec la méningite. Pourquoi j'ai lancé la campagne de vaccination méningite sur Rennes et sa métropole ? Parce qu'en fait, la méningite, ça tue. Nous avons près de 60 patients, 60 Françaises et Français, qui sont morts depuis juillet de méningite. Nous avons décidé, avec l'Agence régionale de santé, avec madame le maire de Rennes, la métropole, l'ensemble des forces en présence, de faire cette campagne de vaccination.

SALHIA BRAKHLIA
Pourquoi ce n'est pas généralisé alors que la Haute Autorité de Santé l'a conseillé ?

YANNICK NEUDER
Moi, je l'ai fait parce qu'au niveau de Rennes, il y avait vraiment une augmentation des cas de méningite. Moi, j'ai pris cette décision quand je suis allé, début février, dans la Drôme, dans une école pas loin de chez moi, quand un enfant de 4 ans était décédé de méningite. Là, je pense qu'il faut qu'on prenne nos responsabilités. C'est ce que j'ai fait. J'ai saisi la Haute Autorité de Santé pour réévaluer la stratégie vaccinale sur la méningite. Cette stratégie vient d'être donnée par la Haute Autorité de Santé. Et oui, je vous confirme qu'il faut vacciner des enfants pour la méningite jusqu'à l'âge de 3 ans et qu'il faut vacciner nos jeunes de 14 à 25 ans sur la méningite. Donc tout ça, je vais l'amplifier et le diffuser pour l'ensemble du territoire et des Outre-mer.

SALHIA BRAKHLIA
Et sur la grippe, vaccins largement conseillés pour les personnes fragiles, mais où en est-on de l'idée de vacciner obligatoirement les soignants ? Est-ce que ce sera fait l'hiver prochain ?

YANNICK NEUDER
Je pense que là aussi, c'est ce que je vais relancer le 18 avril prochain dans mon ministère, de faire un point sur la vaccination, de pouvoir reprendre ces questions, ces discussions. Je crois qu'il faut réexpliquer, notamment aux soignants, que c'est les principaux aussi symboles et que c'est compliqué d'expliquer à un patient. Moi, je le vois bien, j'ai des insuffisants cardiaques, j'étais cardiologue jusqu'au 23 décembre dernier. Quand on a des patients insuffisants cardiaques, il faut qu'ils se fassent vacciner pour la grippe, pour le pneumococque, parce que c'est des populations fragiles. C'est sûr que le poids de l'indication médicale perd de son sens si le médecin ou l'infirmier n'est pas vacciné.

SALHIA BRAKHLIA
Donc, obligation dès l'année prochaine ?

YANNICK NEUDER
On n'est pas obligé de parler d'obligation, mais on peut parler de forte sensibilisation, de responsabilisation des soignants. Il faut que les soignants soient les ambassadeurs de la vaccination en France, pour pouvoir faire qu'il y ait un taux d'acceptation beaucoup plus important. Et je pense qu'il faut qu'on ait des campagnes beaucoup plus importantes pour inciter la vaccination. Je crois qu'on était sortis d'une période Covid où les gens avaient ras-le-bol de tout ça. Je crois surtout qu'on a eu une grippe extrêmement grave, ce qui a d'ailleurs fait le lit aux infections de méningococque, de méningite, et j'entends aussi beaucoup de patients qui m'ont dit "On a été bien malade docteur, on se revaccinera l'année prochaine". Donc, tout le rôle de mon ministère maintenant, c'est d'organiser la campagne de vaccination 2025-2026, et nous sommes attelés à faire ça avec l'ensemble de la communauté médicale et paramédicale, puisque peuvent vacciner infirmiers, sages-femmes, pharmaciens, médecins, tout le monde sera mobilisé.

JÉRÔME CHAPUIS
On a encore beaucoup de questions à vous poser qui nous concernent tous. Yannick NEUDER, ministre de la Santé et de l'Accès aux soins, avec nous jusqu'à 9h. Il est 8 h 47, on laisse passer le fil info. Marine CLETTE.

(…)

SALHIA BRAKHLIA
Yannick NEUDER, ça en a surpris quelques-uns, c'est symbolique, vous avez décidé de restreindre la délivrance initiale de pansements prescrits à 7 jours à compter du 1er avril. Clairement, vous êtes sur une ligne, il n'y a pas de petites économies.

YANNICK NEUDER
Non, mais je crois que c'est aussi d'éviter le gaspillage. On a tous, en tout cas moi en tant que professionnel de santé, puis j'ai rencontré aussi beaucoup de patients qui se sont vus délivrer des quantités de pansements de façon extrêmement importante, qui stagnent dans les placards ou chez les patients, donc l'idée, c'est de délivrer pour 7 jours, pour que l'infirmière puisse faire les pansements.

SALHIA BRAKHLIA
Vous allez nous dire que c'est une visée écologique en fait ?

YANNICK NEUDER
Non, c'est tout, c'est écologique, c'est anti-gaspillage et non, on ne restreint pas l'accès aux pansements en France. Par contre, ça ne sert à rien de délivrer des pansements pour 30 jours, si au bout de 7 jours, vous n'avez plus besoin, parce que le reste…

SALHIA BRAKHLIA
Clairement, on gagne combien d'argent ? Quelles économies on fait ?

YANNICK NEUDER
Vous voulez vraiment des chiffres ? Le coût des pansements à peu près en France, c'est 700 millions d'euros. Je pense que si effectivement, sur 700 millions d'euros, il y a peut-être un quart ou 30 % qui partent à la poubelle, c'est autant de ça d'argent économisé. Moi, je crois que chaque euro qu'on peut utiliser correctement dans le système de santé, c'est un euro de plus pour la santé des Français, parce que les Français ont quand même le sentiment aussi de finalement ne pas avoir une bonne répartition et une bonne utilisation de l'argent. Donc, je pense qu'il faut être aussi prudent. Tout le monde, de toute façon, n'achète pas des quantités de produits pour un mois, quand il n'en a besoin que d'une semaine.

JÉRÔME CHAPUIS
C'est le moment de rappeler les ordres de grandeur, justement, parce que l'assurance-maladie devrait être déficitaire d'environ 15 milliards d'euros, cette année. Et on entend toujours un peu les mêmes recettes. Là, on parlait des pansements, vous nous disiez quelques dizaines de millions d'euros éventuellement d'économies attendues. Pour le reste, on entend lutte contre la fraude, bien sûr, recours aux médicaments génériques, lutte contre les antibiotiques. Est-ce qu'on n'agit pas seulement à la marge ? Est-ce que ce n'est pas le système qu'il faudrait complètement changer ?

YANNICK NEUDER
Alors, vous avez raison. Je pense que si on veut vraiment changer les choses, il faut une réforme structurelle de notre système d'organisation de soins avec la ville et l'hôpital et favoriser une meilleure coordination. Ça ne nous a pas échappé que je suis le quatrième ministre de la Santé en 2024. Donc, avec des délais, là, je suis à 90 jours, je crois. Globalement, j'ai quasiment fini mon temps au ministère. C'est utopique de penser qu'on peut réformer un système de santé avec des ministres qui restent trois mois.

JÉRÔME CHAPUIS
C'est inquiétant ce que vous nous dites.

YANNICK NEUDER
Non, c'est la réalité.

JÉRÔME CHAPUIS
Oui, mais c'est très inquiétant.

YANNICK NEUDER
C'est très inquiétant. C'est pour ça que je pense qu'il faut de la stabilité. Je ne parle pas que pour moi. Il faut de la stabilité politique pour ce pays pour enclencher un certain nombre de réformes. Maintenant, il n'y a effectivement pas de petites économies. Je reviendrai simplement sur le sujet de la fraude. Ce n'est pas rien, quand même, la fraude en France. C'est 20 milliards, dont 13,5 milliards pour le système social, pour notre sécurité sociale. Moi, je pense que, ministre de la Santé que je suis, je ne peux pas rester à côté d'un sujet où 13,5 milliards d'argent de cotisations des Français, de cotisations des entreprises, est mal utilisé et profite à certains. On voit une organisation, maintenant, avec le Dark Web sur de la falsification d'arrêt de travail, sur de la falsification d'ordonnances, des scandales qui ont été mis en exergue, notamment autour de l'audioprothèse et tout ça. Je pense que c'est normal. Je l'ai lancé début janvier, chez moi, à Grenoble, au niveau de la Caisse primaire d'assurance-maladie, où il y a une organisation avec des anciens gendarmes qui sont recrutés par la Caisse primaire d'assurance-maladie, avec la caisse d'allocation familiale et le procureur, qui font des véritables coups de poing sur, notamment, des cyber enquêteurs. Et c'est plus de 1 000 postes qui vont être déployés, dont 450 cyber enquêteurs, pour pouvoir, justement, éviter toute cette fraude et surtout rendre l'argent aux Français, au système social pour mieux les soigner.

JÉRÔME CHAPUIS
Mais si on parle du budget de l'assurance-maladie, ça nous renvoie d'ailleurs un peu au sujet précédent. Vous nous parliez du fait qu'on allait former plus de médecins. Tout ça, ça a un coût. Ça va alourdir encore ce déficit ?

YANNICK NEUDER
Disons que je pense que personne ne va quand même reprocher. C'est quand même l'enjeu de notre système social, qui date quand même de la Seconde Guerre mondiale et du Conseil de la Résistance, qui était de permettre à chaque concitoyen d'avoir accès à un niveau de santé, quel que soit son niveau de rémunération. On va avoir les 80 ans de la sécurité sociale cette année, donc, c'est peut-être le moment de se poser la question. Mais je crois que personne ne nous en voudra de former plus de soignants, parce qu'on oublie aussi une chose…

SALHIA BRAKHLIA
Non, ce n'est pas le sens de la question. En fait, il nous manque des soignants, donc, ça va nous coûter évidemment plus cher, parce qu'on a besoin de plus de bras. Et en parallèle, le patron de la Caisse nationale de l'assurance-maladie, on le rappelait hier, chaque année, 300 à 400 000 personnes entrent dans le système d'affection longue durée. En gros, est-ce qu'avec ces données-là, le système reste soutenable ?

YANNICK NEUDER
C'est-à-dire que si on continue de fonctionner comme nous fonctionnons actuellement, certainement pas. Par contre, il y a deux choses que vous avez dites. C'est-à-dire que ce n'est pas parce qu'on ne va pas recourir aux soins, parce qu'on n'a pas de professionnels de santé, qu'on ne va pas être malade. Donc, ça, c'est une vieille théorie de Bercy, d'il y a une trentaine d'années, à l'époque où en 1993, on avait diminué le fameux numerus clausus. On formait, à l'époque, 3 500 médecins par an. Bon, sur un postulat qui était complètement stupide, c'est que moins il y avait de médecins, moins il y avait de prescriptions, et moins il y avait de dépenses de santé. Au final, qu'est-ce qu'on voit ? On voit que maintenant, ça explose de toutes parts. Et je crois que surtout, il y a aussi un sujet que vous n'avez pas évoqué, c'est la prévention. Donc moi, je souhaite que les Françaises et les Français voient un médecin plus tôt, un professionnel de santé plus tôt, et qu'il y ait une vraie politique de prévention.

JÉRÔME CHAPUIS
Mais ce n'est pas ça qui va faire disparaître les 300 à 400 000 personnes qui entrent dans l'application de l'immunisation.

YANNICK NEUDER
Attendez, je vais vous donner quelques chiffres, mais bien sûr que si. Moi, je vais parler d'une pathologie que je connais bien, c'est le cardiovasculaire. Je suis cardiologue. 140 000 décès par an d'infarctus, d'accidents vasculaires cérébraux. Si déjà, à un moment de la vie qu'on définira ensemble avec les autorités compétentes, on est capable de dépister si vous avez du cholestérol, si vous avez du diabète, si vous avez de l'hypertension artérielle, si vous fumez, qui sont les quatre facteurs de risque essentiels des maladies cardiovasculaires. Quand vous aurez déjà 140 000 décès en moins, après, il faut compter globalement. Vous avez des dépenses de santé en moins, mais vous avez aussi des indemnités journalières parce que les gens, quand vous faites un infarctus ou un AVC, vous n'allez pas travailler pendant au moins un à trois mois, et parfois vous ne retournez jamais travailler. Et puis par ailleurs, vous n'avez un défaut de productivité, donc, vous avez une perte de PIB. Donc c'est comme ça qu'il faut voir l'ensemble du système. Les dépenses de santé, c'est parfois un investissement dans notre société. C'est un investissement, les dépenses de prévention.

SALHIA BRAKHLIA
Sauf que là, sur le plan financier actuel, tous les voyants sont au rouge écarlate, notamment au niveau des hôpitaux publics, le déficit atteint 2,8 milliards.

YANNICK NEUDER
Oui, et il sera même probablement à 3,5.

SALHIA BRAKHLIA
Voilà, c'est ça. Qu'est-ce que vous pensez du livret H que les hôpitaux publics veulent créer pour financer les équipements très coûteux ? En fait, c'est bien simple, à partir de l'épargne privée des Français, certains seraient fléchés vers la santé, comme ça a été évoqué pour la Défense.

YANNICK NEUDER
Mais moi, je crois que là aussi, il n'y a pas une méthode, il y en a différentes. Et je travaille régulièrement tous les mois avec l'ensemble des directeurs généraux d'hôpitaux, notamment de CHU, et des directeurs généraux d'agences régionales de santé. Donc, c'est tout à fait important qu'il y ait aussi des éléments qui remontent du terrain avec des organisations financières. Après, ça ne passera pas par une vraie réforme structurelle. Le Premier ministre, dans son discours de politique générale, a annoncé aussi une vision pluriannuelle de la santé. Quand vous faites des dépenses de prévention qui vont coûter, il ne faut pas espérer un retour sur investissement l'année prochaine. Si demain, on se met à mieux dépister le cancer en France, je rappelle qu'on a à peu près certains cancers qui ne se dépistent que de 50 %. Par exemple, les femmes de 50-74 ans, on n'a que 50 % des femmes qui se dépistent. On peut aussi diminuer l'âge de dépistage, puisqu'on sait qu'il y a beaucoup de femmes qui ont des cancers dès l'âge de 40 ans. On pourrait s'harmoniser avec l'autre pays européen. C'est un discours que je porterai demain en Pologne, puisque nous avons le Conseil européen des ministres de la Santé. Il faut investir sur la prévention, mais ce n'est pas sur un retour sur investissement qui sera immédiat. Par contre, ça fera diminuer les infections longue durée, puisque les infections longue durée, on le sait bien, c'est les maladies chroniques, le cancer et la santé mentale.

SALHIA BRAKHLIA
Yannick NEUDER, est-ce que c'est vous qui allez porter les deux textes qui arrivent le mois prochain à l'Assemblée sur la fin de vie ?

YANNICK NEUDER
Je ne sais pas, le Premier ministre orchestrera et arbitra.

JÉRÔME CHAPUIS
D'un mot, le calendrier parlementaire, est-ce qu'il permet d'envisager que des personnes en France puissent accéder à l'aide active à mourir avant la fin de l'année ?

YANNICK NEUDER
Ça dépendra des travaux du Parlement et de ce que le Parlement souhaitera voter dans les semaines qui viennent.

SALHIA BRAKHLIA
Bon, il reste des points d'interrogation là-dessus. Les textes encadrant l'usage du cannabis médical, eux, ont été notifiés à la Commission européenne. Une expérimentation est en cours, il faut le dire, depuis 4 ans dans le pays. Mais on n'est quand même pas prêts de généraliser le cannabis médical en France ?

YANNICK NEUDER
Écoutez, moi je suis arrivé dans une situation où le 31 décembre, les patients qui étaient dans des études thérapeutiques n'allaient pas pouvoir poursuivre leur traitement. Donc, j'ai pris les mesures adéquates et j'ai repris une lettre de couverture pour permettre que les 1 500 à 2 000 patients qui bénéficient de cannabis thérapeutique puissent ne pas avoir d'interruption de traitement. J'ai saisi la Haute Autorité de Santé pour effectivement faire évaluer l'intérêt de cette nouvelle classe thérapeutique. Nous avons donc, maintenant jusqu'en mars 2026 pour savoir si oui ou non le cannabis thérapeutique est une alternative sérieuse à des douleurs rebelles comme les algies vasculaires, les rétractions, les douleurs post-accidents vasculaires cérébraux et de savoir si l'industrie pharmaceutique est capable de mettre en place une filière.

SALHIA BRAKHLIA
Vous êtes pour la généralisation ?

YANNICK NEUDER
Moi je suis pour que si c'est des molécules et des traitements qui permettent de soulager les patients, moi je suis pour tout ce qui peut soulager les patients. Cependant, il y a des autorités scientifiques indépendantes qui détermineront s'il y a intérêt à agir ou pas. Pour l'instant nous ne le savons pas. Donc, continuons de travailler sur cette filière ce qui permet de réaffirmer que je suis pour le cannabis thérapeutique mais je ne suis, en aucun cas, ministre de la Santé, favorable à la légalisation du cannabis et d'une façon générale de toutes les drogues parce qu'on sait très bien que la drogue, pardon l'expression, c'est de la merde et que ça tue des milliers de gens, chaque année.

JÉRÔME CHAPUIS
Yannick NEUDER, ministre de la Santé et de l'accès aux soins, vous étiez l'invité de France Info, ce matin. Merci d'avoir été avec nous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 25 mars 2025