Texte intégral
Mme la présidente
L'ordre du jour appelle le débat sur les conditions de travail et de détention dans les prisons françaises.
Ce débat a été demandé par le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires. Il se tient en salle Lamartine afin que des personnalités extérieures puissent être interrogées.
La conférence des présidents a décidé d'organiser le débat en deux parties. Nous commencerons par une table ronde en présence de personnalités invitées, d'une durée d'une heure ; puis, après une intervention liminaire du Gouvernement, nous procéderons à une nouvelle séquence de questions-réponses, d'une durée d'une heure également. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
(…)
La parole est à Mme la ministre déléguée auprès du premier ministre, porte-parole du Gouvernement.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du premier ministre, porte-parole du Gouvernement
Je vous prie d'excuser le garde des sceaux, en déplacement au Royaume-Uni. Je remercie le groupe LIOT pour l'organisation de ce débat.
Le contexte pénitentiaire est marqué par une surpopulation carcérale sans précédent – vous l'avez tous souligné. Au 20 mars 2025, nous comptions près de 82 500 détenus sur 97 730 personnes écrouées, pour seulement 62 385 places. La densité atteint 160 % dans les maisons d'arrêt. La situation y est dramatique, surtout si l'on se réfère au nombre de matelas au sol – 4 600 environ. Cette surpopulation crée évidemment des tensions importantes dans certains établissements. Elle engendre des difficultés pour gérer correctement les plus de 250 000 personnes sous contrôle judiciaire, qu'elles soient en prison ou suivies en milieu ouvert.
Les conditions de travail des surveillants et les conditions de détention des personnes incarcérées sont directement liées : l'endroit où travaillent quotidiennement les premiers est aussi le lieu de vie temporaire des seconds. Or la construction et la rénovation des prisons n'avancent pas aussi vite que souhaité : sur les 15 000 nouvelles places prévues, 6 500 auront été créées en 2025. Cette surpopulation emporte un grand nombre de conséquences pour les détenus comme pour les surveillants. Les détenus vivent dans la promiscuité – sinistre illustration, plusieurs milliers d'entre eux dorment sur des matelas posés à terre. Elle entraîne également une surcharge de travail pour les surveillants, qui peuvent avoir la responsabilité de plus d'une centaine de personnes, ce qui explique que 30 à 40 % des rendez-vous soient annulés, faute de pouvoir accompagner et raccompagner le détenu à sa cellule.
Face à ce constat, et afin d'améliorer immédiatement les conditions de travail du personnel pénitentiaire, il est urgent de changer profondément le suivi des personnes placées sous la responsabilité de la justice. Le garde des sceaux a récemment annoncé plusieurs mesures importantes. Toutes reposent sur un principe simple : une prise en charge adaptée, selon la dangerosité des détenus et les infractions qu'ils ont commises. Le but est clair, restaurer la crédibilité de la sanction pénale. Les annonces du ministère s'articulent autour de quatre axes.
Le premier concerne les détenus les plus dangereux. Dès le 31 juillet, une première prison de haute sécurité, destinée aux cent détenus les plus dangereux, liés à la criminalité organisée, ouvrira à Vendin-le-Vieil ; une seconde, à Condé-sur-Sarthe, ouvrira le 15 octobre. Très sécurisés et hermétiques, ces établissements protégeront efficacement les surveillants et empêcheront les détenus d'exercer leur influence, tant sur les autres détenus qu'à l'extérieur.
Le deuxième axe vise à créer un régime renforcé de détention, inspiré du modèle italien anti-mafia – l'Assemblée vient d'adopter l'article qui le prévoit, dans le cadre de l'examen de la proposition de loi relative au narcotrafic. Le régime comprend des mesures strictes : fouilles intégrales systématiques, limitation des appels téléphoniques, parloirs avec hygiaphones, suppression des unités de vie familiale (UVF). Un drame comme celui d'Incarville, où deux agents pénitentiaires ont perdu la vie le 14 mai 2024, ne doit plus jamais se reproduire.
Troisième axe : le renforcement de la sécurité des agents pénitentiaires. Cela suppose de généraliser les caméras embarquées dans les véhicules utilisés lors des transfèrements, de faire de l'intrusion dans un site pénitentiaire un nouveau délit, d'utiliser des drones, de créer une police pénitentiaire – dont les modalités sont à l'étude –, et de mettre en place une Inspection générale de l'administration pénitentiaire, qui aura aussi pour rôle de protéger les agents contre la corruption.
D'autres solutions sont envisagées pour les détenus moins dangereux. C'est le quatrième axe : le garde des sceaux souhaite construire des prisons à taille humaine, adaptées aux courtes peines ou aux fins de peine, qui facilitent la réinsertion et préviennent la récidive. Ces structures pourraient s'installer sur des terrains déjà disponibles, en s'inspirant des prisons modulaires expérimentées au Royaume-Uni – où le garde des sceaux s'est rendu aujourd'hui –, ainsi qu'en Allemagne.
Enfin, il faut utiliser plus largement les solutions alternatives à l'incarcération, comme le travail d'intérêt général (TIG), la semi-liberté, le placement extérieur, la liberté conditionnelle ou encore la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE). Les peines prononcées doivent être claires, rapides, crédibles, et surtout adaptées à chaque situation.
Plusieurs pistes sont envisagées pour que ces différents chantiers avancent plus vite : augmenter rapidement le nombre de places en prison en simplifiant les normes de construction ; expérimenter dès 2026 des structures telle que l'Inserre – Innover par des structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l'emploi – d'Arras ; doubler les places de semi-liberté, en adaptant les horaires aux situations professionnelles particulières des détenus ; développer le TIG dans de nouveaux secteurs, tels que le numérique ou l'écologie, en créant des missions certifiantes ; accroître les capacités de détention à domicile en améliorant la technologie des bracelets électroniques ; enfin, promouvoir davantage les partenariats extérieurs avec les associations et les collectivités territoriales.
Nous devons aussi prendre en compte la problématique psychiatrique, soulignée par les uns et les autres. Entre 20 % et 30 % des détenus souffrent de troubles psychiatriques. La prison ne doit pas pallier l'absence d'autres structures adaptées. En 2023, 157 prisonniers se sont suicidés. Cette réalité est évidemment intolérable. Il est urgent de créer ces fameuses structures spécialisées.
Nous devons également améliorer les conditions de travail des personnels pénitentiaires. Un protocole a été signé à cette fin le 13 juin 2024, après le drame d'Incarville. Il comprend trente-trois mesures destinées à renforcer la sécurité des agents. Des réformes majeures ont été décidées pour valoriser les métiers et améliorer les rémunérations des 31 000 membres de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) : l'indemnité pour charges pénitentiaires (ICP) augmentera ainsi très significativement dès 2026.
La prison est une institution sociale. Elle n'est ni bonne ni mauvaise en soi, elle dépend des moyens que la société lui consacre, des règles qu'elle fixe et des objectifs qu'elle se donne. La prison fait pleinement partie de notre société, elle garantit le pacte républicain et contribue à préserver notre contrat social.
Mme la présidente
Nous en venons aux questions. Leur durée, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à Mme Martine Froger.
Mme Martine Froger (LIOT)
Je tire une foule d'enseignements de la première phase de ce débat, mais j'en reviens toujours à la question de la surpopulation carcérale et de ses conséquences, notamment sur les conditions de travail des surveillants et sur les conditions – indignes – de détention.
Je rappelle que les cellules comptent actuellement plus de 4 300 matelas au sol…
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
4 600 !
Mme Martine Froger
Ce n'est pas possible, je ne comprends pas qu'on en soit arrivés là dans un pays comme le nôtre ! Le Conseil de l'Europe a déjà exprimé sa profonde préoccupation, mais nous restons sans réaction. Dans mon département se trouve une petite maison d'arrêt de 65 places. Elle abrite actuellement 145 détenus, sans bénéficier de personnels pénitentiaires ni de moyens supplémentaires. Comment faire manger 145 personnes avec un budget prévu pour 65 repas ? Comment les surveiller sans gardiens supplémentaires ? Les agents doivent travailler beaucoup plus, ce qui fait que les arrêts maladie se multiplient. Je ne sais pas comment fait la cheffe d'établissement ; elle est elle-même très préoccupée par cette situation !
Pourquoi les outils dont nous disposons, cette panoplie de solutions alternatives à la détention que vous venez de détailler, ne sont-ils pas utilisés ? Je ne comprends pas, d'autant que ces solutions coûtent beaucoup moins cher que l'incarcération – ce n'est donc pas une question de financement. L'absence de volonté politique est patente. Il faut travailler avec les magistrats à désengorger les prisons et à réinsérer les détenus grâce à ces outils.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
Le garde des sceaux est déterminé à développer les solutions alternatives à l'incarcération. Il souhaite que toutes les pistes soient explorées, en particulier l'Arse, la DDSE et les TIG. Depuis son entrée en fonction, des mesures ont été prises pour entamer cette désinflation carcérale que nous appelons tous de nos vœux.
Vous avez raison de souligner que des établissements qui connaissent un taux d'occupation de 160 % ne disposent pas de la logistique et du personnel pénitentiaire suffisants. Cela conduit à ce que des rendez-vous soient annulés, par manque de surveillants à même d'escorter les prisonniers.
Les états généraux de l'insertion et de la probation doivent se tenir prochainement. Ils couvriront l'ensemble des politiques publiques de l'insertion. Nous voulons faciliter la mixité des peines pour pouvoir, par exemple, associer un TIG à la semi-liberté. Il faudra décloisonner et trouver de nouvelles solutions. Cela impliquera aussi de solliciter les collectivités et les associations pour poursuivre le développement rapide des TIG – on est passé de 18 000 à 44 000 places en quelques années.
J'ai été maire et j'ai accueilli des personnes condamnées à un TIG au sein de mes équipes municipales ; je peux vous dire que ce n'est pas si facile que cela. Il faut donc mieux accompagner les structures d'accueil, probablement en proposant un accompagnement généralisé. En effet, il est très difficile de demander à un agent d'un service technique, dans un bâtiment ou aux espaces verts, d'accueillir une personne condamnée à un TIG, de répondre à ses spécificités. Il faut être suffisamment formé et encadré ; nous devons y travailler pour inciter davantage à recourir aux TIG.
Mme la présidente
La parole est à M. Jocelyn Dessigny.
M. Jocelyn Dessigny (RN)
Les prisons françaises sont en crise et nul ne peut plus l'ignorer : le système est à bout de souffle, du fait de l'inaction obstinée des gouvernements successifs d'Emmanuel Macron, du laxisme pénal de Nicole Belloubet et de l'impuissance d'Éric Dupond-Moretti. Certaines maisons d'arrêt connaissent ainsi un taux d'occupation supérieur à 140 %. Des surveillants se trouvent isolés, épuisés, agressés quotidiennement dans l'indifférence assourdissante de l'État. Le drame d'Incarville, le 14 mai 2024, au cours duquel deux agents ont été lâchement assassinés, illustre de manière tragique la gravité de cette dérive. La République doit à ces fonctionnaires tombés en service davantage qu'un hommage : elle leur doit une réforme en profondeur, une justice exemplaire, des actes.
La situation est indigne d'un État de droit : des détenus se radicalisent en prison, des téléphones et de la drogue y circulent librement, des drones en survolent les murs et des surveillants se trouvent démunis face à des réseaux criminels qui prospèrent depuis les cellules.
Le Rassemblement national formule des propositions claires : un plan national de recrutement pour rééquilibrer les effectifs et réduire l'épuisement professionnel ; une modernisation des infrastructures avec la création de nouvelles places de prison et la rénovation des établissements vétustes ; une sécurisation des établissements avec la généralisation des caméras-piétons, la détection systématique des objets illicites et la neutralisation des communications illégales ; un renforcement du cadre pénal avec une sanction systématique et dissuasive en cas d'agression de surveillant ; une revalorisation statutaire et salariale à la hauteur des risques encourus par le personnel pénitentiaire et du rôle essentiel qu'ils jouent au sein de la chaîne pénale ; enfin, l'expulsion systématique de tous les détenus étrangers condamnés, afin de ne plus faire peser sur le contribuable français le coût de leur incarcération.
La prison ne doit plus être une zone de non-droit ni un incubateur du terrorisme. Il est urgent que la République reprenne pleinement en main ses établissements pénitentiaires.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
Plutôt que de porter des appréciations sur le passé, nous devons traiter les problèmes présents. Le garde des sceaux prévoit le recrutement annuel de 1 000 membres du personnel pénitentiaire, qui se trouvera ainsi renforcé. Je tiens à saluer l'action menée lors des Jeux olympiques : d'intenses campagnes de recrutement ont été lancées, sous le contrôle de l'administration, auprès des personnels de sécurité ; elles ont bien fonctionné. Comme je l'ai dit, les caméras-piétons seront généralisées. La neutralisation des téléphones portables, notamment dans les prisons de haute sécurité, sera instaurée.
Quant à la revalorisation des salaires du personnel pénitentiaire, elle sera effective au 1er janvier 2026 avec le rehaussement de l'ICP. De plus, depuis le 1er janvier 2024, le corps des surveillants pénitentiaires est passé de la catégorie C à la catégorie B. Les efforts de revalorisation salariale et statutaire sont donc réalisés ou en passe de l'être.
S'agissant des prisonniers d'origine étrangère, le garde des sceaux a récemment publié une circulaire demandant aux chefs d'établissement pénitentiaire de recenser les détenus étrangers. Nous menons également des négociations, soit au niveau européen – elles sont alors facilitées par les textes en vigueur qui simplifient les procédures de retour de ces personnes dans leur pays d'origine –, soit avec d'autres pays étrangers, ce qui pose les difficultés que vous connaissez. La volonté existe.
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon.
M. Jean-Hugues Ratenon (LFI-NFP)
La surpopulation carcérale est d'une gravité sans pareille en outre-mer. Les détenus se retrouvent souvent à quatre ou cinq dans une cellule de 10 mètres carrés. Cette situation favorise les dysfonctionnements, comme les violences entre détenus ou à l'encontre des surveillants. Par ailleurs, nous assistons à une augmentation des projections d'objet depuis l'extérieur et les solutions pour y remédier demeurent très insuffisantes.
À La Réunion, les syndicats sont unanimes : il faut construire une nouvelle prison dans le sud de l'île, comme cela a été promis à maintes reprises. Il manque également une cinquantaine de gardiens : allez-vous organiser le retour tant attendu d'agents, étant donné que nombre d'ultramarins exercent comme surveillants dans les prisons de métropole ?
Enfin, il convient d'évoquer l'absence de prise en charge des détenus souffrant de problèmes psychiatriques. La santé mentale des détenus constitue un réel sujet de préoccupation. L'unité de soins intensifs en psychiatrie est insuffisante : à quand la création d'une nouvelle unité hospitalière de ce genre ?
Les personnes qui travaillent dans les établissements pénitentiaires sont à bout, elles se trouvent à la merci des pressions et des agressions. Les détenus méritent, quant à eux, de meilleures conditions de détention. Comment le ministre compte-t-il agir ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
Je n'aurai pas de chiffres précis à vous donner s'agissant du retour d'une cinquantaine de surveillants à La Réunion. En revanche, la détention d'un CIMM, un centre des intérêts matériels et moraux, permet d'être rapatrié quand on le souhaite dans sa région d'origine, notamment outre-mer – mais je déduis à votre mine que ce n'est pas si évident. Je demanderai au garde des sceaux de se montrer attentif à cette question.
Quant à la surpopulation carcérale à La Réunion, elle est très proche, malheureusement, de celle que nous connaissons en métropole ; mes réponses seront donc les mêmes.
Mme la présidente
La parole est à Mme Céline Hervieu.
Mme Céline Hervieu (SOC)
Nous avons beaucoup évoqué la surpopulation carcérale. En 2022, les états généraux de la justice avaient proposé de définir, établissement par établissement, un seuil critique au-delà duquel l'état d'urgence carcérale devait être décrété. Que pensez-vous de ce dispositif ? Le Gouvernement entend-il enfin instaurer un système de régulation carcérale ? La prison de la Santé connaît désormais un taux d'occupation supérieur à 172 % – un niveau inédit pour cet établissement. Comptez-vous prendre exemple sur d'autres pays européens de taille comparable à la nôtre ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
Vous avez raison de mentionner les outils de régulation entre établissements, qui permettent d'atténuer la surpopulation carcérale. Le problème est qu'ils ne peuvent être employés dans les maisons d'arrêt, alors que c'est précisément dans ces établissements que la surpopulation est la plus élevée. En revanche, ces outils ont produit des résultats significatifs dans les centres de détention, et dans les quartiers des centres de détention : le 1er mars 2025, leur taux d'occupation s'élevait à 98 % contre 87 % le 1er octobre 2020. Certains centres étaient donc sous-occupés, si l'on peut dire, et une meilleure répartition est désormais assurée.
J'ignore dans quelle mesure il est possible de faire de même dans les maisons d'arrêt : comme elles sont situées dans le ressort de certains départements seulement, il est malheureusement plus difficile de créer un système de régulation qui implique l'ensemble des établissements. La solution tient sans doute davantage à la construction de nouvelles maisons d'arrêt.
Mme la présidente
La parole est à M. Frantz Gumbs.
M. Frantz Gumbs (Dem)
Les dernières statistiques de la direction de l'administration pénitentiaire, publiées en février, établissent la densité carcérale à environ 130 % au niveau national et à 144 % dans les outre-mer. Ce chiffre s'élève à 177 % dans la maison d'arrêt de Basse-Terre, en Guadeloupe, compétente pour accueillir les détenus de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin : 229 détenus y sont écroués, pour 129 places. Les conditions matérielles d'hébergement y sont attentatoires à la dignité des détenus, comme le jugeait déjà le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, lors de sa visite en 2010. Quinze ans plus tard, la situation s'est encore dégradée. Certes, des travaux d'envergure pour la reconstruction de la maison d'arrêt sont en cours, mais le nouveau projet ne prévoit que 200 places, soit moins que le nombre actuel de détenus.
J'évoquerai le cas particulier des détenus originaires de Saint-Martin, qui représentent environ 25 % des détenus de la prison de Basse-Terre. Leur situation est d'autant plus difficile qu'ils ne reçoivent guère de visites ; en effet, ils sont trop éloignés de leur île d'origine, ce qui ne favorise pas leur réinsertion sociale. La plupart s'expriment d'ailleurs difficilement en français car l'anglais saint-martinois est la langue la plus parlée sur cette île. À leur sortie, ces détenus doivent se rendre à l'aéroport de Pointe-à-Pitre, situé à 60 kilomètres de Basse-Terre, et trouver 200 euros pour parcourir en avion les 250 kilomètres qui les séparent de Saint-Martin.
La politique pénitentiaire actuelle n'est pas suffisamment efficace : face à l'urgence et à la gravité de la situation, quelles nouvelles mesures sont envisagées pour en finir avec la surpopulation carcérale ?
Pour améliorer la prise en charge des détenus saint-martinois et favoriser leur réinsertion, ne faudrait-il pas recourir plus fréquemment à des peines alternatives, telles que le TIG, en incitant les entités publiques et privées locales à devenir structures d'accueil ? Ne faudrait-il pas que Saint-Martin dispose de son propre lieu d'incarcération ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
Le garde des sceaux est tout à fait conscient de la situation particulièrement alarmante dans laquelle se trouve la maison d'arrêt de Basse-Terre ; il partage votre préoccupation.
Pour limiter la surpopulation carcérale, la construction et la modernisation des infrastructures demeurent la priorité. Des travaux d'envergure pour la reconstruction de la maison d'arrêt de Basse-Terre sont en cours et prévoient 200 places, soit 80 places supplémentaires, ce qui fera baisser la tension à l'intérieur de cet établissement en assurant de meilleures conditions de détention.
Toutefois, nous reconnaissons que la seule augmentation de la capacité pénitentiaire ne suffira pas. Là encore, la promotion des solutions alternatives à l'incarcération doit être poursuivie, en particulier à Saint-Martin, dont l'éloignement d'avec la prison de Basse-Terre doit être pris en compte pour favoriser la resocialisation des détenus à leur sortie. En effet, nous sommes conscients des difficultés supplémentaires que rencontrent les détenus originaires de Saint-Martin avec, outre l'éloignement, la barrière linguistique.
Afin de mieux prendre en charge ces personnes, le ministère de la justice s'engage à proposer l'accès à des programmes d'accompagnement adaptés, comme la formation et l'éducation à la langue française ou à une autre langue. Ces dispositifs jouent un rôle crucial pour la réinsertion des prisonniers.
Mme la présidente
La parole est à M. Salvatore Castiglione.
M. Salvatore Castiglione (LIOT)
Je voudrais revenir sur la livraison illicite de colis dans les lieux de détention, contre laquelle l'administration pénitentiaire a toujours lutté. Ces projectiles se sont modernisés : fini – ou presque – le lancer par-dessus les murs des prisons,…
Mme Ségolène Amiot
Non, ce n'est pas fini !
M. Salvatore Castiglione
… place aux livraisons par drone dans les cours, qui compliquent le travail des surveillants pénitentiaires et occasionnent des nuisances dont se plaignent les riverains.
Je suis conscient que la lutte contre ces projections sauvages, de plus en plus sophistiquées, est difficile. Pourriez-vous, cependant, nous indiquer de quelle manière le ministère de la justice s'y prend pour les endiguer ?
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
La prolifération des drones au-dessus des établissements pénitentiaires représente un effet un défi nouveau. La position du ministère de la justice est intransigeante. Plusieurs mesures ont été prises pour détecter, caractériser et neutraliser ces appareils. Depuis 2016, l'administration pénitentiaire participe à un groupe de réflexion, sous la conduite du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) : il s'agit de détecter les drones, mais également leurs télépilotes, et d'empêcher ainsi leur progression sur le domaine pénitentiaire.
Suite aux deux marchés successifs de lutte anti-drone, en 2019 et en 2021, soixante-dix dispositifs ont été commandés ; ils seront déployés avant la fin de l'année. Cinquante sites ont été équipés à ce jour et sont d'ores et déjà opérationnels. Ces dispositifs couvrent six bandes de fréquences, ce qui permet de répondre à 95 % des menaces de drones.
Les criminels tentent toujours d'innover, nous devons essayer d'aller aussi vite, voire plus vite qu'eux : l'État mobilise les meilleures technologies et s'appuie sur des entreprises françaises spécialisées afin de concevoir des solutions de plus en plus performantes. Soyez-en assuré : nous ne laissons aucun angle mort et nous sommes particulièrement vigilants.
Mme la présidente
La parole est à Mme Ségolène Amiot.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP)
La littérature scientifique nous prouve que l'ouverture d'un nouvel établissement ne fait pas diminuer la surpopulation carcérale – au contraire, le nombre des incarcérations augmente.
Quel est le sens de la peine quand 30 % des détenus seraient plutôt à leur place dans un centre de soins psychiatriques ? Quel est le sens de la peine quand la surpopulation carcérale ne permet plus aux détenus d'accéder à une activité ou à un travail – seulement 30 % des hommes et 23 % des femmes travaillent ? Quel est le sens de la peine quand ils n'ont pas accès à la formation, quand les mineurs ne sont pas éduqués ? Quel est le sens de la peine quand ils n'ont pas même accès aux soins ? Ce sont pourtant là des droits fondamentaux.
Quelles solutions envisagez-vous pour que, sans plus attendre, ces droits soient respectés, tout en assurant la sécurité et la santé des agents pénitentiaires ? Pensez-vous qu'il faudrait instaurer, comme nous le proposons pour les établissements de santé, un ratio minimum entre le nombre de détenus et le nombre d'agents ? On pourrait ainsi inciter, voire contraindre, à la mise en œuvre des outils de régulation carcérale.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
Au risque de me répéter, je pense que la solution aux problèmes que vous soulevez fort légitimement réside dans la différenciation des peines. Il faut examiner le cas des détenus en fin de peine, distinguer selon la gravité des peines et des infractions : on pourra ainsi faire baisser la tension sur la population carcérale et, du même coup, celle qui s'exerce sur les services et sur les personnels.
Le ministère de la santé travaille à améliorer la prise en charge des cas les plus difficiles en matière psychiatrique, afin de mieux accompagner les prisonniers et les personnels.
Nous allons également renforcer les moyens alloués aux personnels du Spip, en charge de la réinsertion et de l'accompagnement.
Enfin, nous travaillons avec le ministère de l'éducation nationale à améliorer l'offre de cours pour les adolescents incarcérés, dont Mme Simonnet soulignait tout à l'heure l'insuffisance.
Il faut faire feu de tout bois : différencier les peines, travailler à faire baisser la charge, construire des prisons, améliorer le service, mieux collaborer avec les ministères de l'éducation nationale et de la santé. Tous ces chantiers sont ouverts.
Mme la présidente
Le débat est clos.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 31 mars 2025