Texte intégral
M. le président
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Le devenir de la filière automobile en France et en Europe. » Il intervient à point nommé, vingt-quatre heures après l'annonce par le président Donald Trump de l'instauration de droits de douane exceptionnels de 25% sur tous les véhicules importés aux États-Unis.
Ce débat a été demandé par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine. À la demande de ce dernier, il se tient en salle Lamartine afin que des personnalités extérieures puissent être interrogées.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties, d'une durée d'une heure chacune. Nous commencerons par une table ronde entre personnalités invitées, qui donnera lieu à une séquence de questions-réponses. Puis, après une intervention liminaire du gouvernement, nous procéderons à une nouvelle séquence de questions-réponses. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
Pour la première phase du débat, je souhaite la bienvenue à M. Steve Marvin, directeur recherche et développement de la Plateforme automobile (PFA) et président du pôle de compétitivité Vedecom, à M. Tommaso Pardi, sociologue chargé de recherche au CNRS et directeur du Gerpisa, le groupe d'études et de recherche permanent sur l'industrie et les salariés de l'automobile, et à M. Benjamin Denis, conseiller politique chargé de la coordination de la politique industrielle à IndustriALL Global Union, fédération syndicale internationale des travailleurs de l'industrie.
Chacun de nos invités a la parole pour une intervention de cinq minutes.
(…)
La parole est à M. le ministre chargé de l'industrie et de l'énergie.
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie
Je dirai quelques mots d'introduction pour lancer notre discussion, d'autant qu'il y a autour de la filière automobile une actualité brûlante.
L'industrie automobile est une passion française. C'est une filière d'excellence, historique. Si l'on remontait aux premiers fardiers à vapeur réalisés à la demande du duc de Choiseul en 1769 et que l'on déroulait le fil de cette aventure industrielle jusqu'à la Renault 5 électrique ou la e-3008, dont j'ai pu visiter les lignes de production, on aurait une perspective enthousiasmante de ce qu'a été et de ce qu'est toujours l'automobile pour notre pays.
Cette filière fait la fierté de la France et imprègne notre quotidien, qu'il s'agisse de faire le trajet pour aller au travail ou rejoindre le lieu de vacances ou d'aller vibrer aux Vingt-quatre Heures du Mans. Elle est une filière industrielle, qui fait vivre des centaines de milliers de familles dans presque tous les territoires.
Le secteur est en pleine transformation, lancé à pleine vitesse dans la transition vers l'électrique et engagé dans une compétition internationale qui est de plus en plus intense et agressive –? l'actualité le montre. Du côté américain, le président Trump a annoncé il y a quelques heures des droits de douane de 25 % sur les véhicules importés aux États-Unis. Les Allemands ont dénoncé un « signal fatal » pour la filière automobile. Nous sommes bien sûr pleinement mobilisés sur ce dossier –? j'imagine que nous aurons l'occasion d'y revenir au cours de nos échanges. Du côté chinois, le premier constructeur automobile mondial, qui est désormais BYD, a présenté il y a quelques jours un chargeur permettant de récupérer en à peine cinq minutes près de 450 kilomètres d'autonomie –? une innovation qui change la donne.
Je remercie donc le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d'avoir pris l'initiative de ce débat sur le devenir de la filière automobile en France et en Europe. Le contexte le montre : c'est un débat essentiel, parce que ce devenir, il faut le dire, est à risque.
Nous sommes à un moment décisif pour le secteur. La filière fait face à des défis essentiels, disons même existentiels. C'est pourquoi le gouvernement –? notamment le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Éric Lombard, et moi-même – se bat avec force et détermination pour l'avenir de la filière, pour l'emploi, pour nos territoires.
Depuis ma prise de fonctions, fin septembre 2024, je me suis battu, avec mon équipe, pour arracher un certain nombre de solutions au niveau national et au niveau européen.
Le 14 octobre 2024, lors du Mondial de l'auto, le Salon de l'automobile, j'ai pris position en faveur d'un ajustement de la réglementation dite Cafe –? Corporate Average Fuel Economy – afin d'éviter à nos constructeurs d'avoir à payer des amendes de plusieurs milliards d'euros liées aux objectifs fixés par la Commission européenne. Début novembre, la Commission a décliné cette demande par voie de presse. Ont suivi d'intenses semaines de mobilisation, en liaison avec la filière et avec mes homologues européens, pour faire émerger une position commune. Le 28 novembre, j'ai défendu ces propositions devant le Conseil compétitivité. Début décembre, je me suis rendu à Bruxelles pour rencontrer les nouveaux commissaires et les convaincre de l'urgence d'agir. En parallèle, j'ai multiplié les déclarations dans la presse nationale et européenne au sujet du nécessaire ajustement du règlement Cafe. Début 2025, les échanges se sont intensifiés avec les autres États membres et avec la Commission. Et le 5 mars, j'étais à l'usine Renault de Douai aux côtés du vice-président de la Commission européenne, Stéphane Séjourné, pour l'annonce du plan européen d'urgence pour la filière automobile.
Ce plan prévoit une série de mesures poussées par la France, parmi lesquelles la plus grande flexibilité de la réglementation Cafe, mais aussi l'instauration d'une préférence européenne, un soutien à la demande de véhicules électriques et des financements pour la filière batterie. La France a ainsi réussi à soumettre des propositions, à rassembler ses partenaires et à obtenir un accord gagnant pour l'industrie et, espérons-le, pour l'emploi. Cette victoire montre qu'il est possible de remporter des batailles, à condition d'être déterminé à ne rien lâcher.
Le combat continue. Je souhaite évoquer avec vous trois priorités qui sont au centre de notre stratégie de soutien à la filière automobile : produire plus et plus vert ; faire connaître et aimer la voiture électrique ; se battre pour soutenir les entreprises en difficulté.
La filière automobile est confrontée à une baisse et à une transformation de la demande. Cette tendance n'est pas nouvelle : elle remonte aux années 2000. Néanmoins, elle s'accélère, avec une chute de près de 25% des immatriculations en 2024 par rapport à 2019.
Les raisons de cette baisse sont multiples ; parmi elles, le recul de l'intérêt du grand public pour l'automobile, un certain attentisme devant la nouvelle offre de véhicules électriques ou encore une conjoncture économique potentiellement défavorable à l'achat.
Dans ce contexte d'incertitude, la filière européenne se mobilise autour d'un cap : celui de la transition vers le moteur électrique à l'horizon 2035. Telle est notre ambition, au service de notre compétitivité et de la réduction de nos émissions de CO2.
Les constructeurs et les équipementiers ont investi massivement en ce sens : alors qu'aucune entreprise ne produisait de véhicules électriques sur notre sol il y a encore quinze ans, plus de dix-huit modèles électriques sont aujourd'hui produits en France.
Au-delà d'un défi technologique, cette grande transformation est avant tout un défi pour l'emploi, dont la sauvegarde constitue la condition clé de l'acceptabilité sociale de la sortie du moteur thermique. Que l'on pense aux usines Michelin à Cholet et à Vannes, à la Fonderie de Bretagne à Caudan, dans le Morbihan, ou encore à l'usine Bosch à Rodez, en Aveyron, c'est l'emploi industriel dans nos territoires qui est en jeu. Il s'agit pour nous d'une priorité absolue.
C'est pourquoi la France et l'Europe continuent à investir massivement dans les batteries pour créer un maximum d'emplois. Pour les batteries comme pour les autres filières émergentes, il est parfois difficile d'aller aussi vite et aussi loin qu'on le voudrait. À dire vrai, il est normal que cela soit difficile.
Au-delà des batteries, cette transition est exigeante et nous sommes aujourd'hui au milieu du gué : nous sommes lancés, la transition est en cours, le cap est devant nous et nous ne devons pas regarder en arrière. C'est, je crois, ce que nous demande la filière : non pas changer de cap, mais trouver les adaptations, les souplesses, les flexibilités qui permettent de l'atteindre sans créer d'effets dommageables du point de vue économique et social.
Dans dix ans, nous verrons sans doute les choses différemment : nous serons fiers demain des efforts accomplis aujourd'hui.
J'en viens au deuxième défi : faire connaître et aimer la voiture électrique.
Si nous voulons produire plus et plus vert, nous devons convaincre nos concitoyens que le véhicule électrique est la bonne solution pour la transition écologique –? en langage techno, à Bercy, on dirait : " la solution pour décarboner nos mobilités ", mais c'est un peu techno.
Cet enjeu décisif requiert un peu de pédagogie et beaucoup de moyens.
Un peu de pédagogie, d'abord. Si vous faites une centaine de kilomètres par jour et avez accès à une borne de recharge à proximité de votre domicile, le véhicule électrique est fait pour vous ! Cette solution convient aujourd'hui à de nombreux usages ; demain, elle conviendra à tous. Nous avons donc besoin de pédagogie pour montrer ce que sont les potentialités liées aux usages de la voiture électrique. Nous avons aussi besoin de moyens, alors même que le contexte budgétaire est fortement contraint.
En dépit de ces contraintes, le gouvernement poursuit une politique volontariste de soutien à la demande à plusieurs niveaux. Nous incitons les particuliers à acheter des véhicules électriques, via le bonus écologique –? dont le principe a été repris au niveau européen lors des annonces du commissaire Séjourné que j'évoquais à l'instant – et le leasing social. Nous engageons aussi les entreprises à accélérer le verdissement des flottes. Là encore, la Commission européenne a décidé de s'inspirer de l'exemple français –? la loi de finances pour 2025 prévoit l'extension du dispositif de verdissement et l'assortit de sanctions pour les entreprises qui ne verdiraient pas suffisamment rapidement leur flotte professionnelle.
Au niveau européen, nous menons le combat de la préférence européenne. De quoi s'agit-il ? Simplement de conditionner la commande publique et privée, via des critères de contenu local, à une part minimale de valeur ajoutée produite en Europe.
Enfin, nous poursuivons les efforts de généralisation des bornes de recharge partout en France. Sur ce plan, les progrès sont considérables : nous sommes passés de 30 000 bornes accessibles au public en 2021 à 150 000 fin 2024. On peut aujourd'hui se déplacer dans tout le territoire et trouver sans difficulté des points de recharge rapide sur son trajet. J'ai moi-même prévu d'en faire la démonstration à l'occasion d'un prochain déplacement.
Pour finir, je veux dire un mot sur le soutien que nous apportons aux entreprises en difficulté.
À Bercy, on sait inventer des mots ; on sait aussi fabriquer des solutions. C'est même le cœur de notre action au quotidien : dans ce ministère de combat, on se bat chaque jour, sur chaque dossier, pour arracher des solutions partout où c'est possible.
Ces solutions, elles naissent du travail et de l'expertise du comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri), de la délégation interministérielle aux restructurations des entreprises (Dire), et, sur le terrain, des commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises (CRP). Je tenais à les citer et à saluer leur travail.
Elles sont aussi le résultat d'une collaboration au quotidien avec vous, parlementaires, qui nous sollicitez sur de nombreux dossiers d'entreprises en difficulté, notamment des équipementiers automobiles, mais aussi avec les élus locaux, et bien sûr avec les industriels.
Grâce à cette mobilisation collective, des entreprises sont soutenues, accompagnées et parfois sauvées. Je pense à l'entreprise Hachette et Driout, en Haute-Marne, fonderie d'alliages ferreux reprise par le groupe français ACI Groupe, où je me suis rendu le 3 mars –? 274 emplois sauvés. Nous pourrions évidemment développer ce point, mais nous aurons l'occasion de le faire au cours de nos débats.
La devise de mon équipe –? " On ne lâche rien " – résume mieux qu'un long discours notre état d'esprit et notre mobilisation pour l'avenir de la filière automobile en France et en Europe. Nous ne lâcherons rien, et je compte sur chacun d'entre vous pour nous soutenir et nous accompagner dans ce combat pour l'emploi dans nos territoires –? un combat pour une certaine idée de l'industrie française.
M. le président
Nous n'avons pas la quantité, mais la qualité : les meilleurs sont là. Nous commençons par un Havrais.
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR)
Je vous le confirme, monsieur le ministre : on ne lâche rien ! Nous avons au moins cela en commun.
L'annonce du plan d'investissements Rearm Europe par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a conduit les industriels du secteur automobile à envisager la réorientation de leur production vers les besoins de défense comme une solution à la crise industrielle que nous traversons.
Au niveau européen, le PDG de Volkswagen a annoncé que le groupe pourrait étudier les possibilités dans le domaine militaire. En France, le groupe Europlasma s'est porté candidat à l'acquisition de la Fonderie de Bretagne, sous-traitant de Renault, en cessation de paiements. Ce virage permettrait de préserver 240 emplois, soit plus de 80% de l'effectif actuel.
Europlasma –? dont le principal actionnaire est Alpha Blue Ocean, entité condamnée par l'Autorité des marchés financiers (AMF) – s'est imposé comme un acteur majeur dans la reprise de sites sidérurgiques en difficulté. Cela ne nous rassure pas toujours.
En effet, le groupe peine à tenir ses engagements en matière d'investissements, de sorte que les suppressions de postes continuent sur plusieurs sites, en dépit du soutien de l'État et des collectivités territoriales.
Vous m'autoriserez à évoquer le cas de Renault Sandouville, non loin du Havre, où nous étions récemment ensemble. Il y a tout juste un an, Bruno Le Maire annonçait 550 recrutements en CDI et CDD ; il y a quelques jours était soudain annoncée la suppression de 323 postes d'intérimaires. Vous comprendrez que la succession en yoyo de telles annonces officielles pose problème. Mettez-vous à la place des travailleurs des sites industriels : leur motivation a besoin d'un moteur –? puisque nous parlons d'automobile. Sur place, la situation est d'autant plus difficile que Renault use et abuse déjà de l'intérim : près d'un tiers des travailleurs de l'usine de Sandouville ont des contrats précaires. Ces emplois ne devraient pas être de simples variables d'ajustement au service de la maximisation de la rentabilité. Quand je me rends sur ce site avec mes camarades, nous expliquons qu'il faut embaucher –? et on ne lâche rien !
En tout état de cause, rien ne justifie une diminution des effectifs à Renault Sandouville : la production des trois versions du futur fourgon 100 % électrique conçu par la coentreprise Flexis –? nous en avons parlé au Havre, souvenez-vous, monsieur le ministre – a été confirmée et devrait assurer la pérennité du site ; le commissaire européen Séjourné a annoncé des mesures positives et concrètes pour soutenir le secteur automobile dans sa transition vers l'électrique. Nous attendons de l'État qu'il tienne parole et respecte ses engagements.
À l'heure où les autorités françaises et européennes annoncent le basculement vers une économie de guerre, est-ce ainsi que votre gouvernement prétend défendre les salariés automobiles contre la logique prédatrice des fonds d'investissement ?
Face à cette crise industrielle, l'État ne devrait-il pas conditionner le versement des aides dont ce secteur a besoin au maintien de l'emploi et de la production dans nos territoires ? Nous avons déjà discuté tout à l'heure des façons d'encourager financièrement l'industrie automobile.
Je terminerai en évoquant le verdissement des flottes des entreprises. Avez-vous pris des dispositions, vos collègues de Bercy et vous-même, pour que les services publics et les entreprises publiques puissent inclure des conditions spécifiques dans leurs appels d'offres ? Les services publics français seront-ils autorisés, voire encouragés, à verdir leur flotte en soutenant l'industrie française ou du moins européenne –? puisqu'il faut tenir compte de le réglementation européenne sur les marchés publics ? En effet, on a longtemps imposé aux collectivités et aux services publics de choisir le « mieux-disant », c'est-à-dire en fait le moins cher.
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre
Je vais essayer de répondre aux différentes questions que vous soulevez.
Je confirme que le plan Rearm Europe constitue une occasion de diversification à saisir –? je ne dis pas « exploiter », car on n'exploite pas une situation géopolitique comme celle que nous connaissons.
Vous avez cité l'exemple de la Fonderie de Bretagne. Le projet de reprise d'Europlasma s'appuie notamment sur la production de têtes d'obus. Compte tenu de la qualité de l'outil de production, le volume produit pourrait augmenter de manière très significative dans les prochains mois si le projet de reprise aboutissait. Je veux d'ailleurs saluer à cette occasion la mobilisation du député de la circonscription, Jean-Michel Jacques, président de la commission de la défense, qui a contribué à faire émerger cette solution de reconversion en lien avec les entreprises de défense.
Nous nous montrerons bien sûr très attentifs à la qualité de l'offre déposée. Comme vous l'avez indiqué, 240 des 300 salariés que compte l'entreprise pourraient être repris. Dans le cadre du précédent projet de reprise –? porté par Private Assets –, l'État avait proposé de contribuer au tour de table à hauteur de 14 millions d'euros, prêtés par le fonds de développement économique et social (FDES) en vue d'assurer la pérennité du modèle économique de la Fonderie de Bretagne.
Cette proposition tient toujours : nous attendons de connaître les attentes du repreneur et nous serons attentifs à la pérennité du modèle économique proposé, mais en tout état de cause, l'État s'est engagé à aider à la reprise.
Durant la transition vers le modèle économique fondé sur l'industrie de défense que propose Europlasma, nous souhaitons que Renault maintienne une partie de ses commandes pendant quelques années –? je l'ai dit et je le redis. Après l'échec de la reprise par Private Assets, nous sommes restés en contact avec Renault, comme il importait de le faire. Nous espérons que l'entreprise maintiendra un niveau de charge suffisant pour permettre la transition vers un autre modèle économique.
Quant à la perspective ouverte par le réarmement, j'ai récemment échangé sur ce sujet avec plusieurs présidents de conseils régionaux à Bercy ; ils souhaitaient précisément m'interpeller sur les potentialités de diversification des équipementiers automobiles ouvertes par le renforcement de nos efforts de défense. Étaient présents M. Loïg Chesnais-Girard, président de la région Bretagne ; Mme Marie-Guite Dufay, présidente de la région Bourgogne-Franche-Comté ; un représentant de M. Xavier Bertrand pour la région Hauts-de-France ; M. Franck Leroy, président de la région Grand Est. Nous sommes convenus d'une méthode : traduire, en toute transparence, les décisions intervenues au niveau européen –? je pense aux annonces concernant le soutien à la demande – en dispositions législatives et réglementaires nationales, elles-mêmes déclinées à l'échelon territorial.
Voici un exemple : nous avons un dialogue exigeant à mener avec les constructeurs afin de savoir quels équipementiers présentent à leurs yeux un intérêt stratégique, ceux sur lesquels ils souhaitent s'appuyer dans un futur proche, et quels sont ceux sur lesquels ils ne comptent pas autant. Nous établirons ce diagnostic le plus finement possible, en lien avec les élus locaux, afin de définir une stratégie de maillage territorial et d'identifier les entreprises les plus à risque et celles qui gardent un potentiel au sein de la filière automobile, les premières ayant éventuellement vocation à se diversifier.
Comme nous l'ont demandé les présidents de conseils régionaux, cette diversification sera appuyée par les CRP, premier maillon dans la chaîne du diagnostic territorial. Nous ferons également en sorte que l'accompagnement financier se poursuive –? il existe déjà, puisqu'au titre du plan France 2030, nous avons lancé un appel à projets relatif à la diversification des équipementiers automobiles. Nous avons encore quelques difficultés juridiques à lever au regard du droit européen, car cet appel à projets était initialement inscrit dans le régime d'aides d'État instauré pendant la période du covid, qui n'est plus valable. Il nous faut donc trouver un nouveau cadre juridique, mais notre but reste d'accompagner financièrement les entreprises qui se diversifieraient en se tournant vers l'industrie de défense, sur la base du maillage territorial très fin que nous aurons opéré avec l'aide des élus locaux.
Voilà concrètement comment le plan Rearm Europe a vocation à se décliner dans nos territoires ; nous avons engagé cette démarche qui produira, je l'espère, un cadre et une méthode pour agir dans les prochains mois.
S'agissant de Renault, je ne me prononcerai pas sur le cas du site de Sandouville, mais je dirai simplement qu'il illustre la difficulté du moment. Je ne dédouane pas entièrement les constructeurs, mais le contexte est celui d'une demande atone, notamment en ce qui concerne le véhicule électrique, pour de nombreuses raisons que j'ai évoquées dans mon propos liminaire. Cette demande atone est liée au contexte, mais aussi aux choix culturels des consommateurs, qui ne se sont pas approprié le véhicule électrique. Peut-être y a-t-il aussi une forme de réticence qui s'explique par la crainte de ne pas trouver des bornes de recharge partout ; c'est pourquoi il nous faut communiquer sur leur existence.
Les constructeurs font donc face à une demande atone. Ils affrontent aussi une concurrence dont j'ai dit qu'elle était agressive et souvent déloyale. Vous le savez, la Commission européenne a récemment surtaxé les véhicules électriques chinois, dont une enquête publiée il y a quelques mois a montré qu'ils étaient subventionnés sur l'ensemble de la chaîne de valeur, de l'extraction du lithium pour les batteries jusqu'au fret maritime. Nous soutenons cette décision, mais voilà le contexte dans lequel évoluent les constructeurs. Je ne dis pas qu'il justifie les restructurations ou les suppressions de contrats d'intérimaires, mais on ne peut pas le balayer d'un revers de la main : il faut en tenir compte et nous devons, de la manière la plus coopérative et la plus collaborative possible, essayer de trouver des solutions au niveau français comme au niveau européen.
Vous m'avez ensuite interpellé sur le sujet de la conditionnalité. Nous en débattons très fréquemment ici, que ce soit dans l'hémicycle ou en commission. Les aides que reçoivent les entreprises industrielles –? et pas uniquement les constructeurs ou les équipementiers automobiles – sont assorties de contreparties, donc d'une conditionnalité. Quand une entreprise reçoit du crédit d'impôt recherche (CIR), elle doit justifier de dépenses de recherche et développement. (M. Nicolas Sansu proteste.)
Monsieur Sansu, je peux même vous dire que les entreprises jugent le plus souvent très contraignantes les exigences qui sont associées à l'éligibilité au CIR.
M. Nicolas Sansu
Le CIR n'est pas jugé contraignant, non !
M. Marc Ferracci, ministre
Pour les petites entreprises, c'est parfois d'ailleurs une difficulté. Il y a donc des contreparties : une entreprise qui touche du CIR doit effectuer des dépenses de recherche et développement ; quand elle reçoit des aides pour s'engager dans un projet d'investissement et de diversification, elle est dans l'obligation de le réaliser effectivement, faute de quoi elle doit rembourser.
Vous me demandez s'il serait souhaitable d'aller plus loin et d'introduire de nouveaux critères de conditionnalité ou des critères additionnels, fondés par exemple sur le maintien de l'emploi. Il est complètement légitime d'en débattre –? nous le faisons d'ailleurs fréquemment –, mais je précise que cela suppose, dans la plupart des cas, de changer la loi. Cela nécessite aussi de tenir compte d'une réalité : quand on verse une aide et plus généralement quand on utilise un instrument de politique économique, il vaut mieux éviter d'associer à un seul instrument des objectifs multiples. Par exemple, si l'on poursuit en même temps l'objectif de susciter de la recherche et développement et celui de maintenir l'emploi, il peut arriver –? c'est en général ce qui se passe – que l'on n'atteigne ni l'un ni l'autre. Les économistes ont depuis longtemps identifié cette incompatibilité ; elle a même fait l'objet d'une théorie que nous devons à l'économiste néerlandais Jan Tinbergen,…
M. Nicolas Sansu
Prix Nobel 1969 !
M. Marc Ferracci, ministre
…selon laquelle un seul instrument doit correspondre à un seul objectif. Nous pouvons légitimement en débattre, mais je pense pour ma part qu'en ce qui concerne la conditionnalité des aides, c'est une approche de bon sens. Si nous voulons conditionner un certain niveau d'aide à de l'emploi, ce doit être la seule condition : la sauvegarde de l'emploi ne doit pas être associée à d'autres objectifs. C'est d'ailleurs ce que nous faisons avec les aides à l'embauche ou les aides à l'apprentissage : si vous n'embauchez pas, vous n'obtenez pas l'aide ; et si vous ne maintenez pas l'emploi qui a fait l'objet d'une aide, vous devez rembourser.
Enfin, le dernier point sur lequel vous m'avez interpellé a trait au verdissement des flottes publiques. Vous avez noté, je pense, que l'amendement sur le verdissement déposé par le gouvernement lors du PLF pour 2025 concerne les entreprises privées. Notre objectif, c'est que les services publics soient exemplaires en la matière. La direction des achats de l'État pilote le verdissement des flottes en référençant les offres électriques par l'intermédiaire de l'Ugap –? Union des groupements d'achats publics. En 2023, 30 % des achats étaient électriques ou hybrides, contre 10% pour les flottes d'entreprises privées. On peut dire que ce chiffre de 30 % n'est pas suffisant, mais c'est tout de même un verdissement bien supérieur à celui qui s'observe dans les entreprises privées. Il est sans doute possible d'aller plus loin ; à titre d'exemple, je précise que les véhicules utilisés par notre pool de chauffeurs, à Bercy, sont électriques.
Pour terminer, je précise que certains véhicules des services publics, en particulier ceux de la gendarmerie et de la police, ne se prêtent guère à l'électricité, car les contraintes de rechargement peuvent nuire à la qualité du service rendu.
J'ai tenté de dresser le tableau le plus large possible et j'espère avoir répondu à la plupart de vos interrogations.
M. le président
Vous avez été très complet, monsieur le ministre. La parole est à M. Nicolas Sansu.
M. Nicolas Sansu (GDR)
Je voudrais commencer par une petite incise sur le CIR, parce qu'il se trouve que j'ai un peu travaillé dessus à la commission des finances. Son montant s'élevait à 7 milliards d'euros en 2024, contre 3 milliards en 2019 ; je ne pense pas que les dépenses de recherche aient été multipliées par deux entre-temps ! Ce crédit d'impôt reste en grande partie opaque. Des études seront certainement publiées bientôt et nous aurons l'occasion d'en reparler, mais un doctorant en sciences humaines, par exemple, est comptabilisé dans le CIR comme un doctorant en recherche fondamentale : voilà la réalité ! J'en termine sur ce sujet.
Vous avez dit, à raison, que nous sommes à un moment de bascule. Vous avez même évoqué un défi existentiel qui se pose à la fois aux consommateurs et aux constructeurs, mais aussi à toute la filière automobile –? qui, avez-vous rappelé, fait la fierté de notre pays. Sur les trente dernières années, la tendance est à l'alourdissement et au renchérissement des véhicules individuels. Il faut désormais fortement soutenir le passage au véhicule électrique, qui est une obligation dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique –? ne nous voilons pas la face. Or cette transition se heurte à plusieurs écueils, à commencer par le prix.
Vous savez que le prix d'un véhicule électrique neuf, une fois décomptées les aides diverses et la prime à la conversion, atteint encore en moyenne 24 000 euros, ce qui est énorme. C'est un problème aussi pour les administrations : vous avez évoqué l'utilisation de véhicules électriques par les administrations centrales, mais je pense également aux collectivités locales, qui doivent effectuer des arbitrages budgétaires ; il est impossible d'ignorer que le prix de ces véhicules reste beaucoup plus élevé que celui des véhicules thermiques. Ma question est donc la suivante : comment allez-vous faire pour mieux soutenir les consommateurs ?
À la question du prix s'ajoute évidemment celle de la protection de la filière. Vous avez évoqué l'annonce faite par Donald Trump et les subventions considérables accordées par la Chine à l'ensemble de sa filière. Comment l'Europe compte-t-elle se protéger ? Elle doit le faire vraiment, en instaurant des barrières douanières dignes de ce nom, pour qu'une filière européenne puisse se développer.
J'ai à ce sujet plusieurs questions. D'abord, vous avez parlé d'un plan d'urgence, mais s'il s'agit encore de réunir un observatoire de la transition juste –? c'est ce qui semble se profiler –, ce ne sera pas suffisant ! Pouvez-vous nous expliquer de quelle manière ce plan d'urgence se concrétiserait ?
Ensuite, les investissements qui sont réalisés –? notamment dans la filière automobile – pour lutter contre le réchauffement climatique pourraient-ils être exclus des critères de Maastricht, comme pourraient apparemment l'être ceux consentis dans le cadre de l'économie dite de guerre ? Il serait intéressant qu'une véritable filière se développe dans ce domaine.
Enfin, compte tenu de la faillite d'un projet de gigafactory comme celui de Northvolt, ne risque-t-on pas de rater complètement le virage vers l'automobile électrique ?
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre
S'agissant du CIR, nous pouvons à nouveau en débattre.
M. Nicolas Sansu
Nous en reparlerons une autre fois !
M. Marc Ferracci, ministre
C'est à mon sens un débat tout à fait légitime. Vous avez évoqué des évaluations à venir ; en réalité, certaines sont déjà sur la table, notamment celles qui ont été faites par France Stratégie. Elles ont abouti à quelques aménagements du CIR, dans le PLF pour 2025 : puisque vous avez parlé des doctorants, il se trouve que nous avons supprimé le dispositif qui permettait de doubler le montant des dépenses de personnel prises en compte pour l'embauche de jeunes docteurs. Des ajustements ont donc déjà été réalisés ! Peut-être vont-ils dans le bon sens ; certains diront qu'ils vont dans le mauvais sens, mais en tout état de cause, il n'y a pas d'immobilisme. Je suis pour ma part très attaché à cette démarche d'évaluation des politiques publiques, puisque –? vous le savez – j'y ai consacré une partie de ma vie professionnelle, avant d'être député puis ministre. S'agissant du CIR et en particulier des doctorants, les choses ont donc évolué.
Vous avez ensuite évoqué le prix de l'électrique. Vous avez raison, c'est un point essentiel. Au-delà des aspects culturels, notamment la crainte de ne pas trouver de borne de recharge, c'est un frein incontestable à l'acquisition de ces véhicules. Rappelons que la batterie représente 40% du prix d'une voiture électrique. Compte tenu de l'évolution technologique qui se fait jour en la matière et qui est plus rapide que pour d'autres composants de la voiture –? c'est un domaine sur lequel se concentre beaucoup de recherche et développement, notamment chez les constructeurs chinois –, il y a ici une marge de manœuvre.
Cela me permet de répondre à votre question sur les gigafactories de batteries et d'évoquer ce qu'il faut faire pour éviter des Northvolt à la française sur notre territoire. Nous avons besoin de soutenir la filière électrique et, en son sein, la filière batterie. Nous l'avons fait au moyen du soutien à l'investissement, ces dernières années, puisque nous avons dépensé 2 milliards d'euros d'argent public pour aider la filière batterie ; ils ont engendré 6 milliards d'euros d'investissements qui contribuent à l'innovation et permettent une montée en capacité. Notre souci, c'est de structurer une filière qui soit compétitive sur le territoire national, l'idée étant aussi de faire baisser les prix.
Ces sommes dégagées en France se doublent –? et vont se doubler – de ressources au niveau européen, comme en témoignent les annonces faites par Stéphane Séjourné il y a quelques jours à Douai –? je le disais tout à l'heure. La France a demandé qu'il soit possible de soutenir la filière batterie en utilisant des ressources issues des fonds européens, non seulement pour innover mais aussi pour renforcer la capacité de production des usines. C'est un élément essentiel, car la doctrine de la Commission européenne en matière d'aides publiques –? qu'il s'agisse d'aides européennes ou d'aides d'État – refuse absolument toute aide qui n'aurait pas pour finalité l'innovation ou la décarbonation.
Il y a là une évolution majeure, qui est la conséquence des propositions que nous avons faites et de l'action du commissaire Séjourné : la doctrine bouge. Concrètement, cela signifie que nous pourrons aider des gigafactories non seulement à innover, mais aussi à monter en volume. C'est un élément fondamental en vue de la baisse des prix. Dans quelle mesure cela va-t-il se concrétiser ? J'attends de voir, évidemment : il faut d'abord que les actes législatifs soient adoptés et que toutes ces évolutions se traduisent dans les faits.
En tout cas, notre stratégie est bien de continuer à aider la filière batterie, sachant –? je le répète – que la batterie représente 40 % du prix d'un véhicule électrique, sans pour autant brider la créativité et le professionnalisme des constructeurs.
À Douai, où j'ai visité l'usine Renault qui produit notamment la R5 électrique, j'ai pu constater que les procédés innovants comme la robotisation ou la digitalisation sont les meilleurs leviers de la baisse des prix, qui est d'ailleurs observable : des véhicules électriques qui se vendaient hier entre 30 000 et 35 000 euros se vendent désormais 25 000 euros. Ce prix est encore beaucoup trop élevé par rapport à la concurrence, mais la dynamique de baisse des prix est intéressante. Voilà pour le volet technologique.
Vous m'interpellez aussi sur le soutien à la demande, c'est-à-dire, pour aller vite, sur le bonus. Certes, le bonus a été réduit pour les raisons budgétaires que vous connaissez, mais reconnaissez-le, il a été maintenu dans son principe. Tous les pays n'ont pas fait ce choix. L'Allemagne l'a supprimé purement et simplement. Il est d'ailleurs possible que la baisse de la demande de véhicules électriques à l'échelle européenne s'explique partiellement par les revirements un peu trop brutaux effectués par nos voisins. Nous continuons donc à soutenir le véhicule électrique, y compris par un soutien à la demande.
Par ailleurs, le verdissement des flottes est un levier de soutien qui ne consomme pas d'argent public et va s'avérer contraignant pour les seules entreprises qui possèdent des flottes de plus de cent véhicules, à la suite de l'adoption d'un amendement dans la loi de finances. Seules les grosses entreprises seront donc concernées par les mesures incitatives au verdissement des flottes, qui s'inscrivent aussi dans cette logique de soutien de la demande et de baisse des prix du véhicule électrique.
S'agissant de la protection commerciale, ma réponse sera forcément prudente car l'actualité est très récente. Après les annonces faites il y a seulement quelques heures par Donald Trump, les dirigeants des pays européens ont déjà entamé des discussions et vont les poursuivre de manière très intense dans les prochains jours pour définir la bonne réponse à apporter. Je peux simplement vous livrer la conviction qui a toujours été la mienne, non seulement pour le secteur automobile, mais pour ce qui est de l'industrie en général, face à la menace commerciale brandie par l'administration américaine.
Je crois que le président des États-Unis obéit à une logique profondément transactionnelle : pour conclure des deals –? ce qui constitue son objectif –, il s'engagera le moment venu dans une négociation portant soit sur des baisses de tarifs, soit sur le renoncement aux hausses de tarifs annoncées, en contrepartie de je ne sais quoi, par exemple l'achat d'autres biens comme le gaz naturel liquéfié massivement exporté par les États-Unis –? ce n'est qu'une simple hypothèse de travail.
Ma conviction profonde est qu'on ne s'engage pas dans une négociation en position de faiblesse, en ayant d'emblée consenti des concessions. En Européens, notre premier devoir est celui de l'unité et de la fermeté dans la riposte. Concrètement, cela signifie que celle-ci doit porter sur un montant équivalent au volume de tarifs imposé par les États-Unis aux constructeurs automobiles et plus largement aux industries européennes. Cette riposte se répartira entre plusieurs produits, parce que chaque pays a sa propre structure d'exportation.
Il convient d'être prudent sur les résultats de ces discussions entre Européens, mais les premières déclarations, notamment des pays très concernés par les hausses de tarifs dans le secteur automobile, sont intéressantes. Les constructeurs français sont beaucoup moins exposés que les entreprises allemandes –? l'Allemagne exporte pour 24 milliards d'euros de véhicules aux États-Unis –, ce qui ne veut pas dire que la France ne risque rien : il faut aussi penser aux équipementiers.
Avant la fin du mois d'avril, si les menaces sont exécutées, une liste de composants, produits en particulier par les équipementiers automobiles, sera publiée par l'administration américaine et nous donnera une vision beaucoup plus fine des conséquences sur nos unités de production et nos usines. Pour l'instant, nous ne disposons pas de ces informations. En tout cas, si l'on s'en tient aux véhicules assemblés, les plus exposés sont les Allemands, même si nous devons rester vigilants.
Cela m'amène à un principe absolument essentiel de la protection commerciale s'agissant du secteur automobile : on ne peut pas protéger uniquement les constructeurs. Il faut au contraire se donner l'ambition de protéger l'ensemble de la chaîne de valeur, notamment les équipementiers. Lorsque nous avons décidé de fixer des tarifs entre 20 % et 50 % sur les véhicules chinois, nous avons protégé les constructeurs. Les équipementiers sont alors venus nous voir et se sont plaints, de façon légitime, de ne pas tirer un grand bénéfice de cette mesure.
Comme je le défendais dans mon propos liminaire, il faut donc trouver les voies et moyens d'imposer des critères de valeur ajoutée produite en Europe, à savoir une certaine proportion de composants fabriqués sur le sol européen. C'est le cas des batteries –? des annonces ont été faites en ce sens par le commissaire Séjourné –, mais il faut aller plus loin. Une protection commerciale intelligente passe par cette philosophie, qui était d'ailleurs inhérente à l'Inflation Reduction Act adopté par les États-Unis en 2022 et dont il faut s'inspirer.
Des débats très riches en matière de droit commercial international ont lieu pour savoir si ce type de démarche est conforme aux règles de l'Organisation mondiale du commerce. Certains n'en sont pas convaincus. Ma conviction est qu'il faut tout faire pour rester dans le cadre multilatéral, sous peine de passer dans un régime de relations commerciales internationales gouverné par la loi du plus fort. Néanmoins, il faut se donner toutes les souplesses permises par le droit. À cet égard, dans le secteur automobile comme dans d'autres secteurs –? je pense en particulier à l'acier, filière amont qui dépend beaucoup de la dynamique du marché automobile –, les mesures de protection commerciale proposées vont tout à fait dans le bon sens, mais pourraient peut-être encore aller plus loin.
Vous m'avez également interrogé sur le plan d'urgence européen, dont je ferai une courte synthèse. Les mesures d'urgence concernent notamment le lissage des amendes dues au titre de la réglementation Cafe, à propos duquel je me suis exprimé dans l'hémicycle lors des questions au gouvernement. Nous demandons que ce lissage sur trois ans soit porté à quatre ans pour les véhicules utilitaires, dont la maturité de marché est moins importante que celle des véhicules individuels.
Cette flexibilité était absolument nécessaire. En effet, si les constructeurs avaient dû payer des amendes au titre de l'année 2025 sans bénéficier de ce lissage, trois options s'offraient à eux : soit ils auraient payé les amendes –? ce qui est toujours pénible ; soit, pour éviter de les payer, ils auraient acheté des crédits d'émission à leurs concurrents, c'est-à-dire à BYD ou à Tesla –? solution qui n'était pas satisfaisante ; soit ils auraient été tentés, comme certains nous l'ont confié, de réduire la production et la vente de véhicules thermiques afin de modifier le niveau d'émission moyen des véhicules vendus et d'éviter ainsi de dépasser les seuils qui déclenchent les amendes. Nous souhaitions absolument éviter les conséquences de cette dernière option sur l'ensemble de la chaîne de valeur : si vous réduisez les volumes de véhicules thermiques, ce sont les équipementiers qui souffrent. Nous avons donc obtenu cette flexibilité très bienvenue dans le cadre du plan d'urgence européen.
Nous avons aussi obtenu le principe du verdissement des flottes à l'échelle européenne, qu'il faut saluer. En la matière, notre initiative dans la loi de finances pour 2025 a suscité non seulement l'intérêt, mais la décision de la Commission.
Nous avons aussi obtenu le principe d'un bonus écologique européen. En la matière, l'ambition initiale de la Commission était limitée à l'harmonisation des bonus nationaux existants, fondés sur des critères assez différents et qui génèrent –? il faut le reconnaître – une complexité certaine. Pour notre part, nous souhaitions qu'un bonus écologique européen soit créé pour pallier les contraintes budgétaires qui sont les nôtres. Il a finalement été intégré dans les propositions et il s'agit désormais de trouver des ressources européennes pour financer ce bonus, ce qui constitue aussi une manière de répondre à la question des prix.
La Commission s'est engagée à trouver des ressources européennes. Nous avions proposé d'utiliser le produit des amendes dues au titre de la réglementation Cafe pour financer le bonus, ce qui aurait eu au moins le mérite de la cohérence. En tout cas, nous surveillons très attentivement cette question et souhaitons bien sûr la création de ressources nouvelles pour soutenir l'achat, en particulier par les ménages les plus modestes, de véhicules électriques.
Enfin, comme je le disais, nous avons demandé et obtenu un soutien à la montée en cadence des usines de batteries. Une somme de 1,8 milliard d'euros sera utilisée pour soutenir le développement des gigafactories, au titre de leurs capacités de production et pas seulement au titre de l'innovation, ce qui constitue aussi un changement profond dans la doctrine européenne.
M. le président
Le débat est clos.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 31 mars 2025