Texte intégral
DIMITRI PAVLENKO
Merci à vous d'avoir choisi Europe 1 tout de suite. La ministre Aurore BERGÉ est l'invitée de la grande interview Europe 1-CNEWS, face à Sonia MABROUK.
SONIA MABROUK
Bonjour Aurore BERGÉ.
AURORE BERGÉ
Bonjour.
SONIA MABROUK
Et bienvenue à la grande interview sur CNEWS et Europe 1. Vous êtes la ministre de l'Égalité entre les femmes et les hommes. Vous êtes aussi en charge de la lutte contre les discriminations, nous allons en parler. Mais tout d'abord, le monde s'inquiète des droits de douane imposés par Donald TRUMP. Les Français s'inquiètent plus singulièrement pour leur pouvoir d'achat, les factures d'électricité, la non-maîtrise de l'immigration, la menace islamiste avec un attentat déjoué. Pourtant, hier, sous un beau soleil printanier, les politiques étaient rassemblés. Trois meetings différents. En quoi cela aide à résoudre les problèmes des Français, Madame la Ministre ?
AURORE BERGÉ
Alors, il y avait trois meetings, trois salles et trois ambiances qui étaient quand même radicalement différentes. Un meeting, nous, qu'on avait prévu de très longue date. Je crois que c'est important aussi que les partis politiques rythment, ou en tout cas essayent de rythmer la vie politique française. Un meeting en réaction à une décision de justice. Et d'ailleurs, il y a un meeting en réaction au meeting en réaction, pour être clair. Après, je pense qu'il ne faut pas…
SONIA MABROUK
C'était un dimanche de campagne.
AURORE BERGÉ
Oui, c'était quand même un dimanche de campagne, et je pense qu'il ne faut pas enjamber, justement. Moi, je pense qu'il ne faut pas enjamber, parce qu'aujourd'hui, déjà, on a un président de la République qui préside. On est nous-mêmes au travail. Moi, je suis membre du Gouvernement, et donc notre enjeu, il est là. Parce que si on dit aux Français, écoutez, il ne va rien se passer pendant les deux prochaines années, et attendez de voir la présidentielle, le risque, c'est le risque que les Français se détournent définitivement de la vie politique, et se disent qu'en effet, on est un peu loin de la balle, et un peu loin de leurs préoccupations.
SONIA MABROUK
Ce qui est déjà le cas en grande partie. Soient détournés…
AURORE BERGÉ
Ce qui risque d'être le cas. Et notre enjeu, c'est comment, justement, on les ramène à la vie politique, en leur disant que la vie politique, elle est utile pour eux. Ça veut dire des partis qui doivent travailler, qui doivent travailler sur les idées, qui doivent nourrir aussi, en termes d'idées et de projets.
SONIA MABROUK
On va en parler, vous nous direz quelle idée nouvelle est sortie hier.
AURORE BERGÉ
Et puis surtout, encore une fois, se dire qu'on n'enjambe pas avant l'élection présidentielle, avant que chacun ou chacune pense à l'élection présidentielle. Il faut d'abord avoir des résultats aujourd'hui.
SONIA MABROUK
Place Vauban, c'était le RN, La France Insoumise et l'extrême-gauche, Place de la République, la Cité du Cinéma avec Gabriel ATTAL, et plus largement le bloc central, vous y étiez. Côté Place Vauban, il n'y a pas eu de dérapage, pas de violence, fort heureusement, d'ailleurs pour notre pays. Il n'y a pas eu le remake de la prise du capital, pas de volonté séditieuse affichée, je pense, du côté du Rassemblement National. Est-ce que certains ont voulu, Aurore Bergé, faire peur, tout simplement ?
AURORE BERGÉ
Non, je ne pense pas. Moi, je n'ai jamais cherché à faire peur. Moi, je suis quand même interpellée par le fait d'avoir un meeting, qui est un meeting uniquement en réaction à une décision judiciaire, et un meeting dont le seul propos est de dire : "Surtout, ne touche pas à ma candidature", en fait. Le seul propos, il n'est pas pour les Français, là. Le seul propos, il est Marine Le PEN qui dit : "Quoi qu'il arrive, c'est moi qui dois être votre candidate et c'est moi qui dois être présidente de la République". Encore une fois…
SONIA MABROUK
Les millions de Français le souhaitent aussi, derrière elle.
AURORE BERGÉ
Mais de toute façon, il y aura une candidature du Rassemblement National. Moi, je dis deux choses : un, Marine Le PEN, elle est présumée innocente jusqu'à ce qu'une décision définitive la condamne, puisque nous savons qu'elle s'est pourvue en appel, donc, il y aura un appel. Mais dans le même temps, il y a 154 pages de jugement. J'invite chacun à regarder, parce qu'à la fin, le Rassemblement National a été condamné pour quoi, en première instance ? Pour du détournement d'argent public.
SONIA MABROUK
Pas d'enrichissement personnel ?
AURORE BERGÉ
Mais ça, c'est toujours la formule que d'autres partis, d'ailleurs, ont rappelée avant que Marine Le PEN soit condamnée.
SONIA MABROUK
Pourquoi ? C'est un fait, non ?
AURORE BERGÉ
Pas d'enrichissement personnel, ça se discute à partir du moment où les personnes qui étaient engagées étaient des personnes qui travaillaient directement, non pas même pour le parti, encore moins pour le Parlement européen, mais pour la famille Le PEN. Le majordome de Jean-Marie Le PEN.
SONIA MABROUK
Vous dites "présumée innocente".
AURORE BERGÉ
Je dis qu'elle ne sera définitivement condamnée ou innocentée qu'au moment de l'appel.
SONIA MABROUK
Et pourtant, Gabriel ATTAL, hier, Aurore BERGÉ…
AURORE BERGÉ
4,4 millions d'euros d'argent public, c'est 250 années de SMIC, si vous la ramenez à ça. Les artisans qui nous écoutent, par exemple, les élus locaux qui nous écoutent, eux, si jamais ils étaient pris la main dans le sac en train de détourner de l'argent, vous pensez qu'il se passerait quoi ?
SONIA MABROUK
Vous direz la même chose quand il va y avoir en appel, puisque le parquet a fait appel pour le MoDem qui est pris dans la même affaire avec François BAYROU ?
AURORE BERGÉ
Je dis la même chose pour tout le monde. Je dis qu'on respecte l'autorité de la chose jugée, on respecte les décisions de justice, et on ne peut pas accepter que dans notre pays, nous ayons, aujourd'hui, des magistrats et des juges qui soient sous protection policière. Ça, ça devrait, quel que soit notre parti, quel que soit notre vote, nous interpeller, nous dire que seuls et ceux qui rendent la justice peuvent être placés sous protection policière.
SONIA MABROUK
Vous avez dit qu'elle est présumée innocente, c'est le cas avant l'appel. Pourtant, Gabriel ATTAL a lancé hier, au sujet de Marine Le PEN : "Qui vole, paye". Là, on foule aux pieds à la présomption d'innocence.
AURORE BERGÉ
Ça veut dire que si une décision de justice définitive est rendue, c'est ça.
SONIA MABROUK
Il n'y a pas de suite dans la phrase, "qui vole, paye".
AURORE BERGÉ
Moi, je tiens toujours cette même ligne-là. À partir du moment où elle s'est pourvue en appel, elle est présumée innocente. Mais pour l'instant, la condamnation, en première instance, dit quoi ? Dit 4,4 millions d'euros d'argent public détourné et encore une fois, il n'y a aucune raison qu'une forme de totem d'immunité au regard des sondages, parce que c'est un peu ça que nous dit le RN. Mais écoutez, comme on est haut dans les sondages, on ne mérite pas d'avoir telle ou telle condamnation. En fait, ce n'est pas une loterie et il n'y a pas un totem d'immunité parce qu'on serait haut dans les sondages. Ou alors, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que quel que soit le type de fait sur lesquels on serait jugé, on serait exonéré, finalement, de ses responsabilités. Non, on assume ses responsabilités. Jusqu'au bout. Et on laisse faire le travail de la justice puisqu'il y aura un appel.
SONIA MABROUK
Est-ce qu'il y a un totem d'immunité, pour reprendre votre formule, pour la gauche, qui aurait le monopole de la manifestation ?
AURORE BERGÉ
Vraisemblablement non. Puisque, pour le coup, la participation était résiduelle.
SONIA MABROUK
Ça provoque des cris d'orfraie quand le RN manifeste, reconnaissez-le.
AURORE BERGÉ
Pour reprendre une expression de Jean-Luc MÉLENCHON, là, c'était très résiduel sur la mobilisation qui était celle d'une partie de la gauche. D'ailleurs, toute la gauche n'a pas appelé à manifester. Le Parti Socialiste semble enfin et définitivement se détacher de la France Insoumise et tant mieux, parce que moi, je préfère qu'on ait une gauche républicaine. C'est peut-être plus difficile dans les urnes, pour nous, mais c'est mieux pour le pays, d'avoir une gauche qui croit en la République, qui croit en la laïcité, et qui refuse de se mélanger, avec d'ailleurs assez peu de drapeaux français, dans cette manifestation…
SONIA MABROUK
D'ailleurs, je le dis à nos auditeurs Europe 1 qui ne voient pas l'image. Effectivement, beaucoup de drapeaux, notamment palestiniens et d'autres, de syndiqués. Quel est le plus grand danger pour la République, à vos yeux, le RN ou LFI ? Je vous pose la question, parce que sur LFI, vous avez été assez claire. Vous avez dit que cet acronyme, la France Insoumise, représentait le nouvel antisémitisme. Est-ce que vous y voyez un même danger avec le RN ?
AURORE BERGÉ
Parce que moi, j'ai la responsabilité, notamment au Gouvernement, de la lutte contre l'antisémitisme. Donc, je suis bien obligée de voir ce qui existe dans notre pays. Et ce qui existe dans notre pays, c'est une explosion de l'antisémitisme. Et cette explosion, elle est attisée par ceux qui, finalement, autorisent, libèrent, voire encouragent, cette parole antisémite, Jean-Luc MÉLENCHON, en étant malheureusement le porte-drapeau. Et il faut le reconnaître. Il faut avoir la lucidité de le reconnaître pour le combattre. Mais je dis, dans le même mouvement, qu'il ne faut pas oublier qu'il y a quelques semaines, quelques mois, lors des élections législatives de 2024, Jordan BARDELLA a passé sa campagne à s'excuser des candidats qu'il avait lui-même choisis et investis. S'excuser parce qu'ici, il y avait eu un propos raciste. Ici, il y avait eu un propos négationniste.
SONIA MABROUK
C'est déjà reconnaître les faits ou les propos.
AURORE BERGÉ
Oui, mais c'est quand même un peu étonnant de les avoir investis. Donc, est-ce qu'il s'est excusé uniquement parce que les médias ont vu qui étaient les candidats ou est-ce qu'ils espéraient que ça passe entre les gouttes ? Je mets en garde aussi nos compatriotes de confession juive dont je sais qu'aujourd'hui, ils subissent des phénomènes qui sont absolument insupportables d'insultes, d'intimidations et d'agressions. Pour leur rappeler que la République, elle sera toujours avec eux et toujours de leur côté et qu'elle ne cédera rien. Mais que ce n'est pas parce qu'il y a un danger immédiat, imminent, qui est celui de la France Insoumise, qu'il faut oublier, encore une fois, non pas juste le passé, mais le présent.
SONIA MABROUK
Et vous, est-ce que vous allez vous excuser ?
AURORE BERGÉ
M'excuser de quoi ?
SONIA MABROUK
Pas vous-même, le Bloc Central.
AURORE BERGÉ
Sur ?
SONIA MABROUK
Gabriel ATTAL. Vous venez de parler de la campagne des législatives pour Jordan BARDELLA. Je vous rappelle que pour une autre campagne des législatives, second tour, Gabriel ATTAL avait appelé à faire barrage au RN, même avec un bulletin LFI.
AURORE BERGÉ
Vous savez que ce n'était pas ma position.
SONIA MABROUK
Enfin, vous faites partie d'un Bloc Central.
AURORE BERGÉ
Oui, mais moi j'ai assumé d'avoir une position différente.
SONIA MABROUK
Et l'ancien Premier ministre, a-t-il assumé ?
AURORE BERGÉ
Alors que j'étais au Gouvernement et qu'il était Premier ministre, j'ai assumé dès le soir du premier tour des élections législatives qu'on ne combat pas le Rassemblement national avec un bulletin de vote LFI.
SONIA MABROUK
Mais vous étiez, hier, à son meeting.
AURORE BERGÉ
Oui, parce que j'appartiens au Bloc Central. Édouard PHILIPPE aussi était présent. François BAYROU était présent. Et je pense que c'est important de montrer qu'on doit travailler ensemble parce qu'aujourd'hui, on gouverne ensemble et que j'espère que demain, on aura une candidature commune pour l'élection présidentielle.
SONIA MABROUK
Mais pourquoi faut-il que Gabriel ATTAL soit au clair sur ce sujet ? J'entends qu'une ministre est claire sur ce qu'incarne La France Insoumise…
AURORE BERGÉ
Mais je pense que ce sera un point central de la campagne présidentielle de 2027 et que quiconque envisagerait de se présenter en 2027 doit clarifier sa position. Pour moi, elle est très claire. On ne combat pas le RN en appelant à voter pour la France Insoumise. Je l'ai toujours dit et je l'ai dit dès le soir du premier tour des législatives. Je n'ai pas attendu les débordements actuels pour le dire.
SONIA MABROUK
Encore un mot sur ce sujet, Aurore BERGÉ, au sujet de l'exécution provisoire. Justement, le président du groupe UDR, Éric CIOTTI, allié du Rassemblement national, va donc déposer une proposition de loi pour supprimer cette exécution provisoire des peines d'inéligibilité. C'est l'un des leviers à travers lequel Marine LE PEN pourrait se présenter en 2027. Vous y êtes favorable ?
AURORE BERGÉ
Il y aura un débat au Parlement si vraiment la proposition de loi est inscrite. J'entends qu'au Sénat aussi, peut-être que cette proposition de loi serait proposée. Moi, je pense qu'il faut vraiment là laisser totale liberté de vote aux députés. Je suis aujourd'hui membre du Gouvernement et je pense que nous, quand vous êtes membre du Gouvernement, en s'exprimant sur ce sujet, on donne le sentiment qu'on voudrait d'une quelconque manière influer sur une décision de justice.
SONIA MABROUK
Vous, députée, vous diriez oui ou non ?
AURORE BERGÉ
Mais moi, je suis membre du Gouvernement.
SONIA MABROUK
Ça s'appelle la langue de bois, ne plus vouloir répondre. On ne vous connaît pas pour ça.
AURORE BERGÉ
J'avoue un peu, mais parce que je pense aussi que toute parole que je dirais sur la question de l'exécution provisoire sera vue comme une manière d'interpréter une décision de justice. Et moi, une décision de justice, j'ai…
SONIA MABROUK
Mais le premier ministre s'est dit troublé.
AURORE BERGÉ
Non.
SONIA MABROUK
Vous avez été troublée par le trouble du Premier ministre.
AURORE BERGÉ
Je n'ai pas entendu le Premier ministre dire ça. J'ai lu des entourages disant ça. Donc moi, je me méfie aussi de ça et vous savez très bien comment ces choses-là existent aussi dans la presse. Je sais juste que quand une décision de justice est rendue, on n'a ni à s'en réjouir ni à manifester une opposition. On a à acter cette décision de justice. On a rappelé, encore une fois, la présomption d'innocence tant que l'appel n'est pas prononcé, mais ne jamais oublier ce pourquoi, en première instance, ils ont été condamnés. 4,4 millions d'euros d'argent public, donc de l'argent des Français, qui auraient été détournés.
SONIA MABROUK
Je voudrais qu'on évoque à présent, Aurore BERGÉ, ce qui s'est passé à l'université Lyon 2. Les ministres affirment que la République ne cédera rien, mais n'a-t-elle pas déjà cédé lorsque des étudiants, si ce sont des étudiants parce qu'ils étaient encagoulés, d'extrême gauche, s'en prennent à un professeur en scandant "sioniste", "raciste" et qu'il soit mis d'ailleurs sous protection fonctionnelle ? Ce même professeur, maître de conférences, qui s'est exprimé dans Le Parisien et qui affirme que lui-même, évidemment, ne reculera pas. Mais est-ce que la République, elle-même, n'a pas reculé ?
AURORE BERGÉ
On est dans un pays où plusieurs enseignants ont payé de leur vie le fait d'enseigner. On a eu Ozar Hatorah, Toulouse, où un enseignant et des enfants ont été pris pour cible et ont été assassinés à bout portant dans une école. On a connu Samuel PATY, on a connu Dominique BERNARD. Donc prendre pour cible des enseignants, qu'ils soient à l'université, qu'ils soient au collège, qu'ils soient au lycée, est absolument insupportable, intolérable. Il faut qu'il y ait une réponse implacable et systématique. Moi, ce qui m'a le plus choqué dans ces images, au-delà, en effet, je ne sais pas s'ils sont des étudiants parce qu'ils n'ont pas le courage de se montrer à visage découvert, c'est le silence dans cette salle. Il n'y a pas un étudiant, deux étudiants, trois étudiants qui sont venus prendre la défense de leur enseignant.
SONIA MABROUK
De quoi est-il révélateur, ce silence ?
AURORE BERGÉ
Ben d'une forme d'indifférence, encore une fois.
SONIA MABROUK
Ou de complicité.
AURORE BERGÉ
L'indifférence, elle est complice. À partir du moment où vous laissez faire dans un pays qui a connu des attentats islamistes qui ont ciblé délibérément des enseignants qui enseignaient, qui l'ont payé de leur vie, oui, je pense que l'indifférence, le silence, devient complice. Et il ne faut en aucun cas qu'il y ait un silence de l'État. Il n'y a pas de silence de l'État, il y a évidemment une protection fonctionnelle. Le fait que nous-mêmes, État, on se porte partie civile et on est aux côtés de nos enseignants, de manière à ce que ce ne soit pas eux qui, ensuite, soient en première ligne d'un point de vue judiciaire, mais ça veut dire qu'il faut être très lucide sur les menaces, très lucide sur l'entrisme islamiste qui, malheureusement, existe dans notre pays.
SONIA MABROUK
Alors c'est important, la lucidité est-elle partagée ?
AURORE BERGÉ
Et ça n'est pas un hasard si l'université, si l'école sont des lieux pris pour cible puisque ce sont des lieux de transmission de savoir et la manière avec laquelle certains chercheraient à détourner, justement, ces lieux.
SONIA MABROUK
Non, par exemple, Aurore BERGÉ, après avoir demandé à une élève de retirer son voile, une enseignante a été prise à partie et filmée à son insu. Là encore, les mêmes mots, mots que vous avez utilisés assez clairement. Vous dites : "Nous ne céderons rien, la laïcité ne se négocie pas". Êtes-vous sûre que la laïcité n'a pas été négociée pendant des années via des accommodements raisonnables qui sont très déraisonnables dans notre pays ?
AURORE BERGÉ
En fait, il n'y a aucun accommodement qui peut être raisonnable sur la question de la laïcité.
SONIA MABROUK
Il n'y en a pas eu ?
AURORE BERGÉ
Il ne faut pas qu'il y en ait, jamais. Mais ça veut dire qu'il faut des enseignants courageux comme cette enseignante qui dit à partir du moment, mademoiselle, où vous êtes dans l'enceinte de l'établissement scolaire et l'enceinte de la République, vous n'avez pas à porter un voile, vous n'avez pas à porter un signe religieux ostensible parce que c'est la loi. Et la loi, elle s'impose à tous. Et la loi, elle s'applique pour tous et partout sur le territoire de la République. Donc cette enseignante, elle a été courageuse et elle a fait son travail. Et ce qui est insupportable, c'est qu'ensuite, c'est à elle qu'on met une cible dans le dos parce qu'immédiatement, sur les réseaux sociaux, des images circulent. C'est comme ça que Samuel PATY a été pris pour cible. C'est parce que sur les réseaux sociaux, il y a eu un emballement et qu'ensuite, malheureusement, il y a eu ce drame absolu. Donc il faut, là encore, qu'il y ait une réponse très claire.
SONIA MABROUK
D'accord. Fermeté, lucidité. Mais alors, quelle est votre position, madame la ministre, dans le Gouvernement au sujet du voile ? On a du mal à comprendre, malgré les demandes répétées de la droite. Le Premier ministre tarde à inscrire le texte interdisant le port du voile dans les compétitions sportives. Il paraît que ce sera avant l'été. François BAYROU qui a affirmé qu'il ne fallait pas stigmatiser nos 9 millions de compatriotes musulmans. En quoi faire appliquer une loi, c'est stigmatiser des millions de musulmans ?
AURORE BERGÉ
Je pense qu'il n'y a aucune stigmatisation. Parce que d'abord, en effet, on est Français avant d'être musulmans, juifs ou que sais-je. Et je pense qu'il faut assumer de dire que la religion, c'est une opinion. Et que la religion, dans notre pays, évidemment, elle ne doit pas être...
SONIA MABROUK
Vous l'assumez.
AURORE BERGÉ
Oui.
SONIA MABROUK
Est-ce que c'est la ligne du Gouvernement ?
AURORE BERGÉ
Mais c'est la loi de la République.
SONIA MABROUK
Il n'y a pas de secret que…
AURORE BERGÉ
La laïcité dit ça.
SONIA MABROUK
Ce n'est pas un secret de Polichinelle que vous n'avez pas la même ligne que la ministre des Sports, que la ministre de l'Éducation ?
AURORE BERGÉ
Oui, mais la ligne, elle a été tranchée et arbitrée.
SONIA MABROUK
Vous trouvez là ?
AURORE BERGÉ
Il y a une proposition de loi qui a été adoptée au Sénat. Il y a une proposition de loi, et le Premier ministre l'a lui-même dit dans une interview, qui sera adoptée avant l'été. Donc, c'est très clair. Encore une fois, quand on est sur un terrain de sport, on laisse ses idées, qu'elles soient religieuses ou politiques, aux vestiaires. Et je pense d'ailleurs que dans notre société, il devrait y avoir un peu plus de discrétion sur le fait religieux. Je pense que les Français sont lassés d'avoir en permanence du commentaire sur des faits qui sont des faits religieux et qui sont des faits d'entrisme et parfois même d'idéologies là, qui ne sont même plus religieuses mais d'idéologies politiques.
SONIA MABROUK
Il faudrait aller plus loin. Il y a quelques années, vous étiez même pour l'interdiction du voile pour les accompagnatrices scolaires. Vous aviez d'ailleurs ému votre camp. Je ne sais pas si vous êtes sur la même ligne.
AURORE BERGÉ
Moi, je continue à assumer les convictions qui sont les miennes et je n'en ai pas changé parce que je suis devenue ministre. Je pense notamment au voilement des petites filles. Je pense que c'est intolérable de se dire qu'aujourd'hui, dans la République française, on a des enfants de 7 ans, 8 ans, 10 ans qui sont couvertes comme si quoi ? Leurs cheveux étaient indécents ou impudiques. Et comment vous voulez que nos enfants grandissent de la même manière si, dès toutes jeunes, on leur explique qu'en fait, elles doivent se limiter ?
SONIA MABROUK
Et les accompagnatrices ?
AURORE BERGÉ
Ça, c'est un débat qu'on a déjà eu malheureusement. Il n'y a pas eu une majorité…
SONIA MABROUK
Bruno RETAILLEAU... Mais vous avez changé d'avis ou pas ?
AURORE BERGÉ
Il n'y a pas eu une majorité pour le voter. Non, je n'ai pas changé d'avis parce que je persiste à penser que l'école doit être un sanctuaire absolu et que sur le temps scolaire, sur des moments qui sont des moments obligatoires, eh bien, il faut que la laïcité puisse s'appliquer parce qu'il ne faut aucune influence autre que l'influence qui est celle de l'école et des valeurs éducatives.
SONIA MABROUK
Aurore BERGÉ, je voudrais conclure, mais c'est important, c'est une seule question sur un autre sujet qui fait partie de vos priorités qui est ô combien important. Vous avez vu la série sur NETFLIX autour de Bertrand CANTAT intitulée "De rockstar à tueur : le cas Cantat", plus de 20 ans, c'est ça, après le meurtre de Marie TRINTIGNANT. Vous l'avez vue cette série ?
AURORE BERGÉ
Oui, je l'ai vue, je l'ai vue ce week-end.
SONIA MABROUK
J'allais dire, qu'en avez-vous pensé ? J'ai noté que les médias à l'époque évoquaient un accident, une dispute de couple qui a mal tourné, bref, un crime passionnel. On retiendra peut-être certainement d'ailleurs le courage de Lio qui en a parlé sous les ricanements de certains.
AURORE BERGÉ
Déjà, je remercie la journaliste qui a d'abord écrit un livre et qui a ensuite réalisé ce documentaire, qui nous réinterroge nous-mêmes sur nos propres comportements à l'époque parce qu'à force d'avoir entendu les médias dire que tout ça n'était qu'un accident, on a oublié qu'il l'avait brutalement frappée à plusieurs reprises et qu'il l'a laissée mourir toute une nuit puisqu'il a refusé de lui porter secours. Et Marie TRINTIGNANT, elle n'est pas morte d'amour. Marie TRINTIGNANT, elle est morte sous les coups d'un homme, les coups répétés d'un homme qui l'a assassinée. Et puis, il y a une autre femme ensuite qui est morte et on l'a reconnue dans la loi qui est la question du suicide forcé suite justement à ce drame de cette épouse de Bertrand CANTAT qui ensuite s'est donnée la mort parce que vraisemblablement elle avait subi des violences répétées physiques et psychologiques. Donc encore une fois, on ne meurt jamais d'amour. Il n'y a pas de crime de passion. Il n'y a pas de crime passionnel. Il y a malheureusement des femmes qui sont mortes et qui sont mortes sous les coups de leurs conjoints ou de leurs ex-conjoints. 20 femmes sont mortes depuis le début de l'année dans le cas de féminicide. Aujourd'hui, on ne dit plus crime passionnel, on dit féminicide. Donc, il y a des choses qui ont évolué dans la société, il y a des lois qui ont progressé. Mais il y a aussi toute une culture qu'il faut qu'on continue à modifier.
SONIA MABROUK
Merci Aurore BERGÉ.
AURORE BERGÉ
Merci à vous.
SONIA MABROUK
C'est l'occasion de penser évidemment à la mémoire de ces femmes et à la mémoire de Marie TRINTIGNANT. Merci à vous. Bonne journée. À bientôt.
AURORE BERGÉ
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 8 avril 2025