Interview de Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics, à TF1 le 16 avril 2025, sur la préparation du budget 2026, les niches fiscales et la Sécurité sociale.

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Média : TF1

Texte intégral

ADRIEN GINDRE
Bonjour, Amélie de MONTCHALIN,

AMELIE DE MONTCHALIN
Bonjour,

ADRIEN GINDRE
François BAYROU a présenté, hier, son diagnostic en vue de la préparation du budget 2026, il a promis de dire la vérité. Alors, on va tâcher d'être très clair, ce matin, avec vous. Pas d'augmentation des prélèvements, nous dit le Premier ministre. Mais on avait cru comprendre que vous vouliez toucher à certaines niches fiscales, autrement dit, à certaines réductions d'impôts. Alors oui ou non, allez-vous toucher à certaines réductions d'impôts ?

AMELIE DE MONTCHALIN
D'abord, moi je ne serai pas la ministre qui augmentera les impôts des Français, des classes moyennes, des classes populaires, ni des entreprises d'ailleurs. On est le pays qui a le record du monde des impôts. Donc, il faut qu'on arrête de penser que c'est comme ça qu'on va résoudre nos problèmes. On a beaucoup augmenté les impôts dans le temps, ça n'a pas réduit ni le déficit, ni la dette.

ADRIEN GINDRE
Mais est-ce que ne pas augmenter, ça veut dire toucher ou pas à des réductions ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Donc, sur les niches, on a, aujourd'hui, sur les niches fiscales 467 niches fiscales. On en a des dizaines, qui bénéficient à moins de 100 contribuables. Et donc moi, c'est quoi ce qu'on veut faire ? C'est de dire : " On préfère avoir des impôts qui soient potentiellement plus bas pour tout le monde, plutôt que d'avoir des impôts élevés avec certains qui eux ont des très fortes réductions d'impôts ". Donc, on préfère des impôts pour tout le monde qui soient plus bas, plutôt qu'un système où on a des impôts élevés avec certains qui ont des niches.

ADRIEN GINDRE
Donc, il y aura bien des augmentations pour quelques-uns, ou des réductions qui vont disparaître.

AMELIE DE MONTCHALIN
Et si, vous voyez, on supprime beaucoup de niches, si du coup ça veut dire potentiellement beaucoup d'argent pour l'État, et bien on fera des baisses d'impôts pour tout le monde.

ADRIEN GINDRE
Ça c'est de la théorie où vous envisagez sérieusement, en 2026, d'être capable de baisser les impôts ?

AMELIE DE MONTCHALIN
On est en train d'y travailler. Vous savez il y a 85 milliards de niches fiscales. Si vous avez 10% de niches en moins, ça fait 8 milliards. Avec 8 milliards, je peux vous dire qu'on peut faire un peu pour l'État et beaucoup par les baisses d'impôts.

ADRIEN GINDRE
L'une des plus grosses niches fiscales, pardon Amélie de MONTCHALIN, c'est l'emploi à domicile, les services à la personne, la garde d'enfants.

AMELIE DE MONTCHALIN
Vous savez, j'ai parlé de niches qui bénéficient à quelques-uns. Je ne suis pas en train de vous parler des services à la personne qui bénéficient à beaucoup de familles, beaucoup de personnes âgées. Je ne suis pas en train de vous parler de la garde d'enfants. Quand j'étais députée en 2018-2019, on avait fait un coup de balai sur des niches avec le rapporteur général qui étaient pour moins de 10 contribuables. Et on en avait trouvé des dizaines. Donc, moi je veux continuer ce travail parce que c'est un enjeu d'équité, c'est un enjeu de lisibilité, c'est un enjeu de justice fiscale.

ADRIEN GINDRE
Ça se rapporte combien ? Quand vous dites…

AMELIE DE MONTCHALIN
On n'a pas, notre but c'est supprimer ce qui est inutile. Supprimer.

ADRIEN GINDRE
Qu'est-ce qui est inutile, aujourd'hui ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais on a des petites niches qui correspondent à des dispositifs.

ADRIEN GINDRE
Par exemple ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Je ne vais pas les citer aujourd'hui parce que sinon après vous allez avoir des gens qui vont dire : " Ah là là, c'est la mienne ".

ADRIEN GINDRE
Il faudra bien y aller à un moment.

AMELIE DE MONTCHALIN
On va y aller, le Premier ministre.

BRUCE TOUSSAINT
Vous avez dit 10%, ça pourrait être un objectif ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais ça peut être un objectif. Je vous dis juste aujourd'hui…

BRUCE TOUSSAINT
Est-ce que c'est le vôtre ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Aujourd'hui, on regarde ce qui n'est pas efficace, ce qui ne bénéficie qu'à quelques-uns, ce qui correspond à une économie qui était une économie d'il y a 15 ans, 20 ans, 30 ans parfois ces niches, elles n'ont plus de bénéficiaires parce qu'elles ne correspondent plus à l'économie d'aujourd'hui.

ADRIEN GINDRE
Dans ce cas-là, elles ne nous coûtent pas grand-chose.

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais vous voyez, notre boussole c'est quoi ? C'est un, on n'augmente pas les impôts pour les Français, la situation est difficile budgétairement, mais on ne va pas, à nouveau, nous dire qu'on va aller encore plus loin dans le record du monde.

ADRIEN GINDRE
Prenons juste un exemple, Amélie de MONTCHALIN, indépendamment des niches, il y a aussi des Français qui bénéficient d'aide, de chèque. Hier, le Premier ministre a fait allusion au bonus réparation. Il dit quand on amène ses chaussures chez le cordonnier. Ça par exemple, est-ce que vous allez le supprimer ? Est-ce que le bonus réparation va disparaître ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Le Premier ministre a dit des choses qui ne sont pas très forcément utiles, qui ne sont pas ce que les Français attendent de l'État. Et donc, notre objectif là aussi, c'est de, vous avez entendu, faire une revue mission par mission, ministère par ministère. Quelles sont nos priorités ? Qu'est-ce que les Français attendent ? Nous notre objectif surtout, c'est que le travail paye, qu'on ne vive pas de ces chèques temporaires et de ces aides. Je crois que tous les Français, qu'on soit de droite ou qu'on soit de gauche, on veut dans notre pays vivre mieux de son travail et pas vivre mieux des aides. Vous savez, aujourd'hui, on a un problème majeur, c'est qu'il y a des gens qui disent, " Oh là là, si je suis augmentée au travail, je vais perdre des aides ". Ça c'est un scandale. Comment dans un pays, voyez, on a dit hier, on a trop de chômage des jeunes, trop de personnes dites seniors, mais ce n'est pas qu'on travaille pas assez, c'est que c'est un fait. On a trop de chômage chez les jeunes, trop de chômage chez les seniors. Dans un pays, quand vous avez cette situation de chômage d'une part, et que vous avez un système d'aide sociale qui ne garantit pas que quand vous travaillez plus, quand vous êtes augmentée à la fin du mois, ça fait pas une différence, moi je voudrais qu'on ait un bouclier salarial. Certains ont voulu faire un bouclier fiscal, moi je veux un bouclier salarial. Le travail doit toujours payer plus à la fin du mois et les aides ne doivent pas être un frein à cela.

ADRIEN GINDRE
Très concret, s'il vous plaît. Quand on dit qu'il faut que le taux d'emploi des jeunes, des seniors s'améliore, est-ce que c'est le seul levier pour travailler plus ou est-ce que vous envisagez que demain, le nombre d'heures de travail, de jours de travail dans l'année, d'années de travail dans la vie augmentent également ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Le Premier ministre, vous avez vu, il avait écrit devant lui " La vérité permet d'agir ". Il y a deux vérités sur le travail sur lesquelles on doit être, je crois, très lucides collectivement. Ce n'est pas une opinion, c'est un fait. On a moins d'heures de travail par habitant parce qu'on a trop peu de gens, notamment jeunes et seniors, qui trouvent du travail. Ça c'est la première priorité.

ADRIEN GINDRE
Pour finir, pour ceux qu'il faut ramener dans l'emploi.

AMELIE DE MONTCHALIN
Après, dans l'emploi, il y a une différence avec l'Allemagne très grande qui sont les arrêts maladie. Ceux qui travaillent et qui ont un contrat de travail ne travaillent pas moins que les Allemands sauf qu'on a beaucoup plus d'arrêts maladie. Et les arrêts maladie, aujourd'hui, ils ont augmenté, pour la facture collective, de 25% depuis la fin du Covid. Ça c'est une alerte, c'est-à-dire qu'il y a des enjeux de conditions.

ADRIEN GINDRE
Vous allez interdire aux jeunes d'être malades ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Non, il y a des enjeux de conditions de travail, il y a des enjeux de travailler mieux, il y a des enjeux de comment on trouve sa place, comment on fait de la prévention sur les maladies.

ADRIEN GINDRE
Ça, ça se règle que dans un budget ? C'est une mesure budgétaire qui va régler le problème de la maladie ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Hier, le Premier ministre n'a pas fait un budget. On est au mois d'avril, le budget c'est en octobre. Le Premier ministre, il a posé…

ADRIEN GINDRE
Présentation qui doit mener à la présentation du budget.

AMELIE DE MONTCHALIN
Oui, mais pas que. On a parlé travail, on a parlé conditions de travail, on a parlé innovation, on a parlé soutien aux entreprises. Pourquoi ? Parce que le Premier ministre, il a dit, voilà, " On entend des hommes et des femmes politiques toute la journée nous dire, dites-nous la vérité ". Cette vérité, on l'a posée. On a montré quels sont nos grands défis pour qu'on reste un pays souverain, un pays indépendant, un pays qui crée des emplois. Et donc, il y a des sujets qui concernent le budget, mais il y a des sujets qui concernent d'autres enjeux de notre pays.

ADRIEN GINDRE
Alors, typiquement, vous parlez de la question de la maladie. La Cour des comptes, en début de semaine, a fait une proposition, moduler les remboursements de la Sécurité sociale en fonction des revenus. Ça permettrait justement de faire des économies. Hier, votre collègue Laurent SAINT-MARTIN, à cette même place, n'a pas fermé la porte. Est-ce que vous considérez que c'est une piste qu'il faut explorer, qu'il faut retenir même ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce qu'il faut d'abord redire, c'est qu'aujourd'hui, la Sécurité sociale a un déficit de 22 milliards d'euros. Si on continue d'avoir un déficit chaque année de 22 milliards d'euros, nous allons tuer la Sécurité sociale. La Sécurité sociale n'existera plus. Elle ne peut pas générer autant de dettes. Donc, il faut soit, comme dit ma collègue Catherine VAUTRIN, c'est stop ou encore. Soit on la remet sur pied, et j'y travaille avec Catherine VAUTRIN, pour que nous proposions, à la fois, quelque chose qui réponde aux Français sur leurs besoins de santé, le vieillissement, les déserts médicaux, mais qui, d'autre part, permettent de revenir à l'équilibre. Et dans les propositions que nous ferons, nous allons regarder qu'est-ce qui est inefficace, qu'est-ce qui est du gaspillage, comment on peut répartir l'effort. Il y a une question qui se pose aussi…

ADRIEN GINDRE
Mais y compris moins remboursés.

AMELIE DE MONTCHALIN
Mais on va regarder tous les sujets. Mais ce que je veux dire aux Français, c'est qu'on ne le fait pas parce qu'on veut faire juste des économies comptables. On veut le faire parce que sinon, la Sécurité sociale va tomber. Elle ne va plus pouvoir exister. Parce qu'il y a 80 ans, tout juste 80 ans, quand on a créé la Sécurité sociale, il n'a jamais été question, juste après la Deuxième Guerre mondiale, que le système fasse de la dette. Parce que sinon, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que nos enfants sont en train de payer, paieront demain, les boîtes de médicaments d'aujourd'hui. Ça ne peut pas marcher comme ça. Donc, il faut qu'on trouve des mécanismes à la fois justes, efficaces.

ADRIEN GINDRE
Un dernier mot.

AMELIE DE MONTCHALIN
Et donc, on présentera un grand plan. Catherine VAUTRIN dit même que ce sera un Big Bang, parce que soit on sauve la Sécu maintenant…

ADRIEN GINDRE
Mais au futur, pas tout de suite.

AMELIE DE MONTCHALIN
Soit elle aura beaucoup, beaucoup de difficultés.

ADRIEN GINDRE
Un dernier mot, rapidement. Quand le Premier ministre dit le discours de la vérité, est-ce que la vérité, Amélie de MONTCHALIN, ce n'est pas aussi reconnaître devant les Français qui nous regardent qu'Emmanuel MACRON et ses gouvernements ont commis des erreurs depuis 2020 ? Il y a certes eu le Covid, des crises, sauf qu'en fait, notre dette, notre déficit se sont aggravés quand d'autres pays ont rétabli leurs comptes. Est-ce que la vérité, ce n'est pas avoir l'honnêteté de dire ça aussi ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Moi, j'ai beaucoup d'honnêteté, j'ai beaucoup d'humilité devant vous. En 2019, nous avions remis la sécurité sociale à l'équilibre, nous avions un déficit qui était de moins de 3%, Édouard PHILIPPE, les premières années du quinquennat d'Emmanuel MACRON avaient remis de l'or dans les comptes. J'étais une députée et on l'a fait ensemble. Depuis, on a eu le Covid, on a eu la guerre en Ukraine, on a eu l'inflation.

ADRIEN GINDRE
Comme tous les autres, mais on a moins maîtrisé nos dépenses.

AMELIE DE MONTCHALIN
Et je reconnais qu'il y a certains dispositifs dont on aurait probablement dû mettre fin plus tôt. Mais rappelez-vous les débats à l'époque. Toutes les oppositions. Et pourquoi le Gouvernement ne fait pas plus ? Et pourquoi on n'a pas plus de soutien sur le carburant ? Et pourquoi ? Donc, c'est une responsabilité collective. Nous, nous sommes aux responsabilités, aujourd'hui. On n'est pas là pour chercher des coupables. On est là pour nous dire : " Regardons la vérité en face. Le monde, par la guerre commerciale, par la pression de défense, est instable, soit on reste une puissance et on regarde nos problèmes en face, soit malheureusement, c'est l'impuissance, c'est les extrêmes et c'est le déclassement de la France ". Nous ne le souhaitons pas. Nous avons mis tous les faits sur la table.

BRUCE TOUSSAINT
Merci Amélie de MONTCHALIN, merci Adrien GINDRE. On va se retrouver dans quelques instants.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 avril 2025