Texte intégral
Madame la Première Ministre, chère Elisabeth BORNE,
Monsieur le Ministre d'État, Ministre de l'Intérieur, cher Bruno RETAILLEAU,
Mesdames les Ministres, chère Isabelle ROME, chère Georges-Pau LANGEVIN,
Mesdames et Messieurs les parlementaires et élus locaux,
Monsieur le Délégué interministériel, cher Mathias OTT,
Madame et Monsieur les pilotes des groupes de travail, chère Marie-Anne MATARD-BONUCCI et cher Richard SENGHOR,
Mesdames et Messieurs les membres des groupes de travail,
Messieurs les représentants des cultes,
Mesdames et Messieurs les magistrats et avocats,
Mesdames et Messieurs les représentants d'associations et de fondations, directeurs d'établissements, chercheurs, professeurs,
Mesdames et Messieurs,
Je veux saluer le travail remarquable des deux groupes de travail, ainsi que l'engagement de toutes celles et ceux qui ont contribué à ces Assises.
Ce que vous nous avez livré ce matin, c'est un appel à la responsabilité.
Le 7 octobre 2023, 50 Français ont été assassinés parmi plus de 1 200 hommes, femmes, enfants dans les attentats terroristes perpétrés par le Hamas en Israël.
Le Président de la République l'a dit avec clarté : ce fut le plus grand massacre antisémite de notre siècle.
Toutes les démocraties ont eu à affronter un regain massif d'antisémitisme et la France n'a pas été épargnée.
Ce qui se dresse devant nous, ce n'est pas une vague, c'est une lame de fond.
Ce qui nous menace, ce n'est pas une convulsion, c'est un réenracinement profond et durable.
Il y a l'antisémitisme qui frappe : celui qui tague, qui insulte, qui crache, qui attaque, qui incendie, qui blesse, qui viole, qui tue.
Il y a aussi l'antisémitisme d'atmosphère : celui qui s'installe au quotidien, qui invite à ne pas faire de vagues, qui impose aux victimes de disparaître.
L'antisémitisme enferme nos concitoyens juifs dans des sentiments de peur, de solitude et d'abandon.
Et face à lui, il n'y a pas d'ambiguïté possible.
L'antisémitisme ne se débat pas, il ne se comprend pas, il se combat.
La réponse de la République est un refus en bloc, total, absolu.
Et elle doit s'incarner, concrètement, à travers trois boussoles claires :
- La fidélité absolue à nos principes et à nos valeurs universalistes ;
- La lucidité face à toutes les formes de haine anti-juive ;
- Et la transmission, comme rempart durable contre la haine.
Trois boussoles pour tenir dans la tempête.
L'universalisme d'abord.
L'esprit de ce rapport est résolument universaliste et profondément républicain : ce choix fait sens.
Car le débat existe.
Faudrait-il découper en tranches la lutte contre les haines ?
Faudrait-il déléguer un monopole de la lutte antiraciste à untel, de la lutte contre l'antisémitisme à untel ?
Je ne le crois pas.
Je suis même convaincue du contraire :
Dans un moment de l'Histoire où tant de forces nous poussent à nous séparer, nous fragmenter, nous opposer, rien ne serait pire que d'accréditer l'idée d'une compétition entre les luttes et entre les victimes.
Ce serait un aveu d'échec et une source de grand danger.
La République lutte contre toutes les haines, puissamment et en même temps.
Elle ne reconnaît aucune communauté.
Elle n'en connaît qu'une seule : la communauté nationale au sein de laquelle chacun de nos compatriotes doit pouvoir vivre l'identité qu'il choisit ou non de se donner.
Car ce que nous défendons, c'est une idée exigeante de la France.
Celle de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Celle de la loi de 1905, qui établit la laïcité comme le socle garant de la liberté de conscience et de l'égalité de tous devant la loi.
Lutter contre l'antisémitisme,
C'est défendre la liberté de vivre dans tous les territoires de la République, d'être reconnu, d'être protégé, sans peur pour soi, pour ses enfants, pour ceux qu'on aime.
C'est défendre l'égalité de tous nos concitoyens, dans leur dignité et leurs droits, dans leurs mémoires et leur histoire.
C'est défendre la fraternité, cette responsabilité collective qui nous relie, qui nous oblige, qui affirme que la haine de l'autre est toujours la défaite de tous.
Et c'est défendre la laïcité, non comme une interdiction, mais comme une protection, un bouclier commun, une liberté, un espace où chacun peut croire ou ne pas croire, sans jamais avoir à se justifier.
C'est pourquoi aucune forme de haine ne peut être tolérée.
Je veux rendre hommage à Aboubakar C., assassiné la semaine dernière dans une mosquée, lieu de paix et de prière.
L'effroi est immense, l'émotion totale.
À sa famille et à ses proches, à nos compatriotes musulmans, la Nation toute entière adresse son soutien, sa peine, sa solidarité.
Qu'elles prennent la forme de la haine anti-musulmane, de la haine anti-juive ou anti-chrétienne, les haines anti-religieuses, comme toutes les formes de haine, n'auront jamais leur place en France.
La réponse de notre République est claire et elle tient en un mot : intransigeance.
Intransigeance contre toutes les formes de haine,
Intransigeance sans exception,
Intransigeance sans hiérarchie.
Car chaque fois qu'en France on est ciblé pour son identité, réelle ou supposée, son nom, son apparence, c'est toute la République qui vacille.
Et nous ne laisserons jamais la République vaciller.
Être républicain, c'est être acteur.
C'est refuser l'indifférence, ce poison qui gangrène notre société et permet aux injustices de prospérer.
C'est s'engager, clairement et sans ambiguïté, pour défendre notre démocratie et réaffirmer ses valeurs.
Car si nous cédons à l'essentialisation, si nous cédons au piège du repli, si nous laissons s'installer l'idée que seul celui qui souffre est légitime à se battre, alors nous avons déjà cédé quelque chose de fondamental : le sens même de notre République.
Depuis quand faut-il être juif pour dénoncer l'antisémitisme ?
Depuis quand faut-il être victime pour s'indigner ?
Depuis quand faut-il être soi-même concerné pour agir ?
La lutte contre la haine, c'est un combat universel.
Et rappeler cela, c'est notre première boussole.
Notre deuxième boussole, c'est la lucidité.
C'est regarder le réel en face.
Et voilà le deuxième grand mérite de ce rapport : il dit les choses.
Scientifiquement, sereinement, il pose des chiffres et des mots sur le réel.
Et le réel, ce sont d'abord des chiffres alarmants :
- 1 570 actes antisémites recensés en 2024 dont deux-tiers sont des atteintes aux personnes ;
- Et 62 % des actes antireligieux dirigés sur moins de 1 % de la population : les Français juifs.
La maison brûle ; nous ne regarderons pas ailleurs.
Et chacun ici connaît la grande vigilance de Bruno RETAILLEAU à la tête du ministère de l'Intérieur.
Le réel, c'est la prévalence d'un antisémitisme d'extrême droite et l'explosion d'un antisémitisme d'extrême gauche selon une courbe en U que vous décrivez avec beaucoup de pertinence.
Le réel, c'est une fracture générationnelle qui risque de devenir un fossé si nous ne nous dressons pas.
Le réel, c'est un antisémitisme plus prégnant chez nos compatriotes de confession musulmane que dans aucun autre groupe.
Cela est terriblement difficile à dire pour tout républicain attaché à l'idée de citoyenneté.
Mais c'est un fait qu'il faut courageusement regarder dans les yeux pour mieux le faire refluer.
Le réel, ce sont les ravages du complotisme et de la caisse de résonance que lui offrent les réseaux sociaux, faisant de la lutte contre la haine en ligne une exigence de notre siècle.
Le réel c'est une véritable "alya scolaire" à l'œuvre depuis plusieurs décennies de même qu'une "alya territoriale" qui voit les juifs quitter certains quartiers pour en préférer d'autres, plus sûrs.
Au fond, le réel c'est cette capacité redoutable de l'antisémitisme : il mute, il s'adapte, il épouse les codes de son époque.
Aujourd'hui, il prend le plus souvent la forme de l'antisionisme, de la haine décomplexée d'Israël, seul État au monde ainsi visé par une telle obsession.
Critiquer la politique d'un Gouvernement est un droit.
Personne ne le remet en cause.
Mais diaboliser, essentialiser nos compatriotes juifs en les rendant coupables par procuration d'un conflit se situant à 4 000 kilomètres d'ici, c'est leur planter une cible dans le dos.
Et cela, il faut le dire clairement : ça suffit.
L'antisémitisme d'aujourd'hui ne se cache plus, il parade même.
Il s'exprime, il se revendique.
Il cherche à se rendre fréquentable, légitime, cool.
Mais la haine n'est jamais cool.
Et je vais le dire très clairement : la responsabilité historique de l'extrême gauche dans le ré-enracinement de l'antisémitisme est écrasante, accablante.
Je l'ai dit, je le répète et je l'assume : depuis le 7 octobre 2023, cette responsabilité tient en 3 lettres : L-F-I.
Un parti politique qui a fait de la haine d'Israël non pas un dérapage, mais une stratégie électorale.
Des parlementaires de la Nation qui s'improvisent géopoliticiens, appellent à je ne sais quelle libération du fleuve à la mer, mais qui au fond ne connaissent du Jourdain que la station de la ligne 11 du métro parisien.
Des élus de la République qui ont choisi la compromission avec l'islamisme politique, culturel, identitaire.
En 2025, il n'y a pas de combat contre l'antisémitisme sans combat contre l'islamisme qui porte la haine du juif dans son code génétique.
Cela aussi, il faut le nommer.
Le courage, ce n'est pas le vacarme ; le courage, c'est dire les choses.
Calmement, lucidement, fermement et sans reculer.
Ce n'est pas stigmatiser une religion qui a autant de place que les autres dans notre République, ni plus, ni moins.
C'est nommer une idéologie ; et une idéologie n'a pas de droits.
Oui, l'antisionisme est devenu le cheval de Troie de l'antisémitisme.
C'est pourquoi vos travaux sont si précieux.
Vous proposez notamment la création d'un nouveau délit relatif à la provocation à la destruction ou à la négation d'un État internationalement reconnu, comme le prévoit la proposition de loi visant à lutter contre les formes renouvelées de l'antisémitisme portée par Caroline YADAN ; je soutiens cette proposition.
Vous recommandez, par la voie d'une circulaire générale de politique pénale, de reprendre la définition de l'antisémitisme adoptée par l'alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste (IHRA), et plus encore de s'inspirer des exemples qui l'accompagnent : j'y suis favorable, pleinement.
Parce que cette définition permet de traquer la haine là où elle se cache, dans les ambiguïtés de langage, dans les insinuations, dans les discours pseudo-politiques.
Chaque acte, chaque insulte, chaque menace, chaque haine camouflée doit être identifiée, reconnue, caractérisée, sanctionnée.
Implacablement.
Aujourd'hui, des contenus antisémites ou racistes circulent librement sur des sites hébergés à l'étranger, sous couvert d'anonymat, d'opacité, ou de frontières numériques.
La France ne peut pas devenir un marché libre pour la haine importée.
Je suis donc favorable à ce que les responsables de ces organes de presse ou plateformes numériques, même étrangers, puissent être poursuivis.
Vous posez également le débat de la loi de 1881.
Cette question de la sortie des 5 infractions à caractère raciste et antisémite du droit de la presse pour les intégrer dans le droit pénal général ne fait pas consensus.
Mais ce n'est pas le consensus que je recherche, mais l'efficacité face au fléau sous nos yeux.
Alors pour ma part – et je ne doute pas qu'il y aura débat aussi au sein du Gouvernement – j'y suis extrêmement favorable.
Notre arsenal doit évoluer : en 2025, qui peut comprendre que l'on traite des propos racistes et antisémites comme des opinions, en lieu et place de délits ?
Enfin, il n'y a pas de lutte durable contre l'antisémitisme sans transmission.
Et ce doit être notre troisième boussole.
Transmettre, c'est armer l'esprit contre les falsifications, contre les manipulations, contre la haine qui avance masquée.
C'est donner à chaque enfant de France les repères nécessaires pour comprendre, pour décrypter, pour résister.
Et l'éducation, oui, est notre première ligne de défense.
Mais aujourd'hui, le risque est grand que ce pilier vacille.
Le constat est clair : nos enfants sont à la fois victimes et parfois auteurs.
Victimes de l'ignorance, de la banalisation, des replis identitaires.
Auteurs aussi, par mimétisme, par provocation, sous l'influence d'un climat numérique qui préfère le clash à la nuance.
Ce fossé générationnel, c'est un fait et ce serait une erreur majeure de le taire ou de le minimiser.
Mais ce n'est pas une fatalité et je refuse l'idée d'une génération perdue.
Pour cela, il faut lui parler, il faut lui transmettre.
C'est pourquoi, lutter contre l'antisémitisme, c'est une mission éducative avant tout.
Ce n'est pas seulement sanctionner les actes ; c'est prévenir les dérives, avant qu'elles ne s'enracinent.
C'est enseigner à distinguer la vérité historique du mensonge numérique.
C'est replacer nos valeurs comme des remparts vivants, pas des slogans vides.
C'est le temps des professeurs.
Et pour cela, nous devons plus que jamais – comme le fait Elisabeth BORNE avec beaucoup de force et de courage – soutenir et accompagner nos enseignants et l'ensemble des professionnels de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur.
Nous devons aussi leur donner les outils adéquats.
À ce titre, vous avez formulé de nombreuses propositions en matière de formation initiale et continue, que j'accueille très favorablement.
Je pense par exemple à cette proposition d'inclure, dans les concours de recrutement des enseignants, des épreuves spécifiques sur la lutte contre l'antisémitisme et tous les racismes car l'éducation contre les haines est au cœur de la mission de l'école.
Je pense également à cette idée forte : la création d'un institut national de formation et de recherche sur le racisme et l'antisémitisme avec des postes dédiés, comme cela existe déjà au Royaume-Uni et en Allemagne.
La France ne peut rester en retrait : aujourd'hui, les rares recherches existantes reposent trop souvent sur la seule énergie de personnes engagées, passionnées mais isolées.
Nous devons assumer pleinement ce devoir de connaissance, de veille et d'analyse.
Mais la bataille de la transmission ne se limite pas à l'école, elle se mène aussi dans l'enseignement supérieur.
L'université, c'est le lieu du débat et de la nuance, de la confrontation d'idées, de la liberté intellectuelle.
Pas celui de l'intimidation et de la peur.
Ce climat n'est pas une opinion, c'est une menace et nous devons y faire face.
Je dois dire que les images de cet enseignant de Lyon 2 menacé dans son amphithéâtre sont absolument insoutenables.
Elles disent tout de ce nouvel antisémitisme qui intimide, qui censure, qui pourchasse pas simplement les juifs, mais tous ceux qui, en républicains, refusent de se soumettre au narratif idéologique des nouveaux antisémites.
Je veux dire tout mon soutien à Fabrice BALANCHE : la place de l'État est aux côtés des enseignants qui transmettent, pas des individus encagoulés qui menacent.
Car oui, dans la France de 2025, des agents publics sont menacés, insultés, attaqués pour ce qu'ils incarnent – l'État – et pour ce qu'ils exercent – une mission de service public.
C'est pourquoi je soutiens pleinement votre proposition de permettre à l'administration de déposer plainte en lieu et place de l'agent, lorsqu'il est victime d'une agression raciste ou antisémite.
De la même manière, et je le dis avec force : la protection fonctionnelle ne peut plus être une faveur discrétionnaire. Elle doit devenir un droit, clair, automatique, obligatoire.
On ne laisse pas seuls ceux qui enseignent, protègent, qui soignent, qui rendent justice.
Enfin, il nous faut le dire avec lucidité : le devoir de mémoire ne suffit plus.
Il demeure essentiel mais il ne suffit plus à lui seul pour parler à des générations qui ne seront plus en contact avec les témoins directs de la Shoah.
Il ne suffit plus face à ceux qui instrumentalisent la Shoah pour en relativiser la portée.
Il ne suffit plus face aux récits concurrents qui installent le soupçon, la confusion, le brouillage.
Le devoir de mémoire est indispensable.
Mais il doit se doubler d'un devoir de compréhension, d'un devoir de vigilance, d'un devoir d'intelligence, en élevant les consciences, en posant des repères.
C'est cela, la transmission. Et c'est cela, notre responsabilité.
Mesdames et Messieurs,
L'heure est à la décision, l'action, à la fermeté.
Le Gouvernement sera au rendez-vous.
Nous allons former, pour éclairer.
Nous allons transmettre, pour armer les consciences.
Nous allons sanctionner, pour protéger.
Nous allons soutenir, pour ne laisser aucun citoyen seul face à la haine.
Et surtout, nous allons tenir : tenir notre ligne, tenir notre parole, tenir la République.
Oui, nous pouvons gagner le combat contre l'antisémitisme si notre Nation tout entière se réveille.
Si notre société comprend que ce combat n'est pas celui des juifs, mais celui des justes.
De tous ceux qui refusent que la haine gagne et que la République se couche.
Oui il est minuit moins le quart.
Mais moins le quart, ça n'est pas trop tard, alors : Réveillons-nous !
Pour que vive la République et que vive la France !
Source https://www.dilcrah.gouv.fr, le 5 mai 2025