Déclaration de Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi, sur les évolutions nécessaires dans la proposition de loi visant à garantir une protection sociale équitable aux travailleurs indépendants, à l'Assemblée nationale le 28 avril 2025.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Débat parlementaire sur le thème "Rendre plus efficace le dispositif d'allocation des travailleurs indépendants"

Texte intégral

Mme la présidente
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : "Rendre plus efficace le dispositif d'allocation des travailleurs indépendants". Je vous rappelle que la conférence des présidents a décidé que l'ensemble des débats de contrôle se dérouleraient désormais en salle Lamartine, quel qu'en soit le format.
Ce débat a été demandé par le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, dans le cadre de sa séance thématique. Conformément à l'organisation arrêtée par la conférence des présidents, nous entendrons d'abord les rapporteurs, qui ont établi une note mise en ligne sur le site de l'Assemblée nationale, puis les orateurs des groupes, et enfin le gouvernement. Nous procéderons ensuite à une session de questions-réponses.

(…)

La parole est à Mme la ministre chargée du travail et de l'emploi.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi
Merci, mesdames et messieurs les députés, d'avoir pris l'initiative d'organiser cette séance de contrôle autour du travail indépendant.

Je salue l'intérêt des groupes de l'Assemblée nationale pour la situation des travailleurs indépendants confrontés à de grandes difficultés ou à un choc, un échec, la fin de leur activité, la perte de leur emploi.

Les grands discours sur la beauté du risque sont souvent tenus par des personnes protégées par toutes sortes de statuts ou par un patrimoine. La réalité est bien différente : loin de ces grands discours et souvent dans le silence, les indépendants doivent se retourner et rebondir vous avez été un certain nombre à le dire.

En inscrivant l'allocation des travailleurs indépendants au nombre déjà important des dispositifs innovants de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, le législateur a voté une mesure de solidarité.

Sans créer une contribution spécifique des indépendants, il a institué un dispositif nouveau, adossé à l'assurance chômage, destiné aux travailleurs indépendants victimes d'une perte de leur activité et donc de leur emploi. Là où il n'y avait rien, le législateur a décidé de créer un nouveau droit.

L'étude d'impact du projet de loi fixait un objectif de 29 000 personnes indemnisées, pour un montant de 130 millions d'euros, chaque année. Vos différentes interventions ont été très claires à ce sujet et je l'ai moi-même dit en répondant à M. Stéphane Viry lors d'une récente séance de questions au gouvernement : les premiers résultats ont été décevants. Peut-être le législateur s'est-il montré un peu trop rigoureux, s'agissant de l'introduction d'une exception au sein du régime d'assurance chômage, qui est ordinairement de nature contributive ? La peur du coût budgétaire et celle de l'abus nous ont peut-être également conduits à une conception trop restrictive.

Face à de premiers résultats décevants – 1 000 bénéficiaires la première année –, et comme le dispositif peinait à trouver son public, les conditions d'accès ont été assouplies dès 2022. Cet assouplissement, tant législatif que réglementaire, a produit ses effets : nous en sommes aujourd'hui à 4 000 ouvertures de droits et les prises en charge ont augmenté de 40 % en 2022, pour doubler en 2023. Nous restons toutefois encore loin du compte. Nous avons également renforcé notre communication afin de mieux faire connaître le dispositif auprès des bénéficiaires potentiels. C'est le rôle de France Travail, où des conseillers prennent en charge les indépendants, ainsi que d'un site internet spécifiquement créé à cette fin. Il est vrai qu'il n'est peut-être pas naturel, pour des indépendants, de se tourner vers France Travail, structure qui paraît naturellement dédiée au monde salarié.

Nous devons donc aller plus loin. Même si les assouplissements apportés en 2022 ont contribué à l'augmentation du nombre de bénéficiaires, nous ne pouvons nier que ce dernier reste très faible au regard des objectifs initiaux.

Vous le savez, le groupe de travail présidé par Mme Hélène Bourbouloux a remis à la fin de l'année dernière un rapport très intéressant au ministère de l'économie et des finances. Ce rapport, monsieur Serva, sera publié avant l'été. Il préconise d'augmenter substantiellement l'ATI, tout en réduisant à trois mois, contre six actuellement, la durée pendant laquelle elle peut être perçue, afin d'inciter à un rebond rapide. Il préconise également d'assouplir les conditions d'éligibilité, afin de mieux appréhender les cessations d'activité pour difficultés économiques, comme de faciliter la procédure par la suppression de l'obligation d'une justification par un tiers autant de contraintes que les différents députés ont rappelées lors de leurs interventions. Ces préconisations sont en cours de discussion dans un cadre interministériel, afin d'offrir aux indépendants un filet de sécurité adapté et efficace.

Si les situations des entrepreneurs et des indépendants sont très diverses, ces travailleurs non salariés sont néanmoins fragiles, en particulier dans un certain nombre de territoires, comme nos députés ultramarins l'ont rappelé. Ils sont fragiles les premières années, qui voient de nombreux projets échouer, fragiles car plus exposés aux retournements de conjoncture comme celui que nous connaissons aujourd'hui, plus exposés aux aléas économiques, aux donneurs d'ordres et également – cela n'a peut-être pas été suffisamment souligné – aux accidents de la vie. En effet, les indépendants rencontrent souvent des difficultés en matière de couverture des incapacités longues liées à des accidents du travail.

Dans de nombreuses situations, le filet de sécurité du travailleur indépendant est l'allocation chômage d'aide au retour à l'emploi : 77 % des refus de l'allocation des travailleurs indépendants se justifient parce que l'ARE est plus favorable gardons cela à l'esprit. Dans les autres cas, ce sont le RSA et ses compléments famille qui jouent le rôle de filet de protection du travailleur indépendant. Entre, d'un côté, l'ARE, qui répond à la situation de personnes venant du salariat et qui ont acquis des droits, et, de l'autre, des produits assurantiels qui sont loin d'être partout accessibles, comme l'a rappelé Mme Morel, il y a de la place pour un dispositif spécifique apportant un peu de sécurité au travailleur non salarié.

Nous devons réfléchir ensemble à l'efficacité de l'allocation des travailleurs indépendants. Des évolutions législatives ou réglementaires sont nécessaires, que le groupe LIOT envisage dans la proposition de loi visant à garantir une protection sociale équitable aux travailleurs indépendants en simplifiant l'accès à l'allocation des travailleurs indépendants qu'il a déposée au mois de mars. Nous pouvons en discuter, en gardant à l'esprit la contrainte budgétaire qui est la nôtre aujourd'hui. Nous devons continuer à valoriser ce dispositif et à en assurer la publicité, auprès des fédérations professionnelles comme auprès des banques, qui sont souvent les premiers interlocuteurs des entrepreneurs quand ils rencontrent des difficultés financières.

Nous préparons un plan de communication à ce sujet, qui devrait être lancé en septembre 2025.

Mme la présidente
Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que la durée de chaque question et de chaque réponse est de deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Stéphane Viry.

M. Stéphane Viry (LIOT)
Je tiens à remercier Mme la ministre pour sa réponse, ainsi que nos collègues pour la qualité de leurs interventions, pour leurs idées et pour leurs suggestions tendant à améliorer cette disposition spécifique de protection des travailleurs indépendants.

Nous avons bien compris – vous en conviendrez avec nous, madame la ministre – que l'ATI ne peut demeurer en l'état. Vous avez cité un rapport qui formule des propositions de réforme. Si j'ai bien compris, celles-ci tendent à arrimer ou à connecter davantage la solution spécifique de l'ATI au droit commun, qu'il s'agisse de l'ARE ou du RSA. Cette voie est-elle celle que vous retenez en priorité ?

Selon moi, elle pourrait constituer une vraie bonne solution. Il convient d'éviter toute concurrence ou cannibalisme entre les dispositifs : ils doivent au contraire se compléter. Un travailleur indépendant en échec, qui perd son activité et son emploi après avoir rencontré une difficulté, doit pouvoir bénéficier des mécanismes de droit commun au-delà de l'ATI afin de retrouver sa place dans la société par le travail. Cela implique peut-être de refondre complètement l'ATI. L'envisagez-vous ?

Ma deuxième question porte sur l'hypothèse d'une modulation de l'ATI, sujet que j'avais déjà évoqué et qui a été abordé par de nombreux collègues. Josiane Corneloup l'a dit, il y a 1 000 profils de travailleurs indépendants et autant de situations familiales, d'antériorité d'activités économiques ou de revenus différents. L'idée d'une allocation qui tienne compte du parcours de vie et de la situation de ses bénéficiaires fait-elle également partie de vos pistes de réflexion pour moderniser et corriger l'ATI ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre
Quelles que soient les pistes qui seront étudiées, il serait opportun de nous revoir dans ce même cénacle pour tester les propositions qui pourraient être faites.

Actuellement, nous disposons de la proposition du rapport Bourbouloux, mais ce n'est pas nécessairement celle que nous privilégierons.

Il peut être intéressant d'envisager une harmonisation des règles de l'ATI avec celles du régime d'assurance chômage – notamment en ce qui concerne les conditions d'activité antérieures et le versement en capital – afin d'assurer davantage de cohérence.

Nous pouvons également réfléchir à un assouplissement des conditions d'accès au dispositif afin de l'élargir à de nouveaux bénéficiaires. Cela fait partie des propositions qui ont été faites ici et qui nous semblent tout à fait pertinentes.

Une revalorisation de l'allocation est aussi envisageable à la condition d'être budgétairement soutenable, c'est-à-dire de tenir compte du contexte de nos finances publiques. On peut imaginer que cette revalorisation consiste d'abord à prendre en considération l'inflation – ce qui n'est pas le cas actuellement – mais aussi la situation familiale ou le revenu antérieur. Il y a une différence entre un microentrepreneur ayant créé une entreprise à la durée de vie limitée et un indépendant qui a été en activité pendant de longues années.

Nous ne disposons pas aujourd'hui d'estimation du coût potentiel d'évolution de cette allocation.

Monsieur Viry, votre proposition de loi prévoit d'accorder le bénéfice de l'ATI dans les cas de liquidation amiable : je trouve cette idée très intéressante.

Imaginer une prolongation du versement de l'allocation lorsque la personne est en situation de rebond ou suit une formation auprès de France Travail me semble également pertinent.

Mme la présidente
La parole est à M. Olivier Serva.

M. Olivier Serva (LIOT)
Vous l'avez dit, madame la ministre, si le dispositif de l'ATI a le mérite d'exister, il est en partie inadapté aux réalités du terrain, notamment en outre-mer. Dans nos territoires où le taux de chômage oscille entre 15 et 37 % – contre 7,3 % à l'échelle nationale –, il est évident que les dispositifs de retour à l'emploi doivent être adaptés. Je regrette que ce ne soit pas le cas.

J'ai échangé sur ce sujet avec M. Dominique Virassamy, président du syndicat Sauvez notre entreprise guadeloupéenne (SNEG), et je salue le travail de fond qu'il mène pour nos indépendants en Guadeloupe depuis de nombreuses années.

Plusieurs points suscitent des interrogations sur nos territoires.

En premier lieu, le montant de l'ATI s'élève à 800 euros par mois pour toute la France et en outre-mer et à 600 euros à Mayotte. C'est inadapté, puisque dans les outre-mer, le coût de la vie est supérieur d'environ 40 % à celui de l'Hexagone.

Deuxième point : la période de six mois durant laquelle l'indépendant peut bénéficier de l'ATI est trop courte au regard des chiffres relatifs au chômage que je viens de donner. Madame la ministre, avez-vous réfléchi à ces questions et disposez-vous d'éléments pour y répondre ?

Le troisième point d'interrogation concerne le nombre d'indépendants qui ne sont pas à jour de leurs cotisations malgré leur bonne volonté en raison de la complexité administrative du dispositif, plus durement ressentie sur les territoires particulièrement touchés par l'illectronisme, tels ceux des outre-mer. Quel traitement est réservé à l'indépendant qui n'est pas à jour de ses cotisations mais qui souhaite bénéficier de l'ATI ? Enfin, un dispositif est-il prévu à l'issue des six mois afin d'accompagner le travailleur indépendant dans sa reconversion ?

Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre
Je ne dispose pas ici de données spécifiques aux outre-mer. Nous pourrons les verser au dossier ultérieurement.

Je peux seulement vous dire qu'entre 2019 et 2024, 24 220 dossiers ont été traités, dont 4 461 ont donné lieu à une ouverture de droits ; 19 280 dossiers ont été rejetés. Je le disais tout à l'heure, la très grande majorité de ces rejets ont été décidés en raison de la possibilité de bénéficier d'une allocation chômage plus favorable ; 10 % des rejets s'expliquent par des revenus inférieurs au seuil requis. Il est intéressant de constater que peu de dossiers sont rejetés parce que la condition tenant au seuil de revenus n'est pas remplie.

Il serait pertinent de voir comment ces chiffres sont ventilés par territoire, en prenant en compte la réalité ultramarine.

Nous ne sommes pas défavorables à une prolongation de la durée de versement de l'allocation, pour peu que le bénéficiaire suive une formation ou soit accompagné par France Travail pour rebondir, soit dans le cadre d'une activité salariée, soit dans celui d'une création d'entreprise.

Être à jour de ses cotisations constitue une condition d'éligibilité au dispositif ; il est donc compliqué d'allouer l'allocation à une personne qui n'a pas payé ses cotisations même si je comprends que, comme vous le dites, cette situation peut s'expliquer par l'illectronisme. Je ne peux donc pas répondre précisément à votre question, monsieur le député.

Mme la présidente
Le débat est clos.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 5 mai 2025