Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, sur le thème : " Comment relancer le fret ferroviaire ? "
Je vous rappelle que le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur, pour une durée de deux minutes ; l'orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.
Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé sa place dans l'hémicycle.
(…)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de remercier le groupe CRCE-K d'avoir organisé ce débat ; c'est toujours un plaisir pour moi de revenir dans cette magnifique assemblée.
Le fret est un sujet qui me tient particulièrement à cœur. Nous avons eu l'occasion d'en discuter pendant des années au sein de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
Vous avez évoqué le sujet de l'ouverture à la concurrence. Je tiens à rappeler que le secteur du fret ferroviaire a connu cette évolution en 2006, en application des textes européens. Vous citez l'Allemagne en exemple sur ce sujet, mais ce pays est également ouvert à la concurrence. Cela démontre qu'il est possible de réussir dans le fret ferroviaire dans de telles conditions.
Concernant les difficultés du fret ferroviaire depuis plusieurs années, plutôt que l'ouverture à la concurrence, il me semble que c'est l'abandon de ce mode pendant plusieurs décennies au profit de la route et du transport de voyageurs qui est en cause.
En outre, plusieurs crises marquantes ont accéléré la désindustrialisation à la fin des années 2000 ; or la situation du secteur est intimement liée aux difficultés industrielles de notre pays.
La part modale du fret ferroviaire a ainsi connu le même déclin que la part de l'industrie dans l'économie française. Au cours des vingt dernières années, les corrélations entre ces deux trajectoires sont frappantes : la part de l'industrie dans notre économie est passée de 16,2% en 1995 à 10,1% en 2017, tandis que la part modale du fret ferroviaire a chuté de 16,8% en 1995 à 10,8% en 2017. Ces évolutions sont étroitement liées.
Si vous me le permettez, monsieur le président, je compléterai mon propos ultérieurement.
M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Michel Masset.
M. Michel Masset. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier nos collègues communistes pour ce débat qui fait suite à la publication en mars de la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, intitulée Ulysse Fret. Formons le vœu que, sous ce titre enchanteur, nous retrouvions le chemin du rail, car, pour l'heure, ce secteur se débat entre Charybde et Scylla.
Le transport de fret ferroviaire est au plus bas ; les chiffres confirment que l'activité est en berne tandis que le transport routier se taille la part du lion, avec près de 90% des tonnes-kilomètre. La part du fret ferroviaire est ainsi passée sous la barre des 10 % du transport de marchandises.
En Nouvelle-Aquitaine, le dernier contrat de plan État-région (CPER) fait état d'une part modale excessivement faible, de l'ordre de 2,3%. Si l'étude de vos services relève que 2023 fut une année marquée par une forte baisse imputable aux mouvements sociaux et aux prix élevés de l'électricité, elle met surtout en évidence une tendance lourde que nous ne parvenons pas à redresser, y compris dans le transport combiné rail-route.
Cette situation est un crève-cœur pour tous les Français attachés au maillage du territoire et aux infrastructures que nous voyons dépérir et dont nous constatons la sous-utilisation. Il est difficile de comprendre ce démantèlement d'un outil majeur pour la décarbonation de nos échanges commerciaux et pour la sécurisation du transport routier.
Dans le même temps, le Parlement européen a voté une révision de la directive relative aux poids et dimensions visant à permettre la circulation de mégacamions. Il est déconcertant qu'un tel gigantisme routier soit encouragé par la représentation européenne.
Nous pouvons nous interroger sur notre capacité à atteindre le doublement du trafic d'ici à 2030, pourtant inscrit dans la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et Résilience, alors que nous accusons une chute à peine quatre ans plus tard.
Monsieur le ministre, avez-vous de bonnes nouvelles à nous annoncer en la matière ?
La stratégie nationale, qui s'étale sur une période de dix ans, évoque la mise en place d'actions à gain rapide. Pourriez-vous nous préciser celles d'entre elles qui ont d'ores et déjà été identifiées ? Le Gouvernement annonçait un plan d'investissement de 4 milliards d'euros jusqu'en 2032, dont 900 millions pour l'État, en faveur du fret ferroviaire, la moitié passant par les CPER.
Cependant, les documents relatifs à la stratégie relèvent eux-mêmes le problème suivant : un CPER voté ne permet souvent pas d'identifier les lignes concernées par de potentielles modifications ; en outre, sans investissement, la pérennité des lignes capillaires n'excède pas dix ans.
Des projets emblématiques, comme l'autoroute ferroviaire Cherbourg-Mouguerre, dans les Pyrénées, sont pour autant bien spécifiés et identifiés. Je tiens également à saluer, dans un autre registre, l'intégration de projets de fret fluvial, comme celui de Damazan, un sujet qui mériterait un débat à lui seul.
Monsieur le ministre, pourriez-vous nous préciser où en sont les accords de programmation des avenants aux CPER ? Disposerons-nous bientôt d'une visibilité à ce sujet ?
Enfin, nous sommes confrontés à des questions préoccupantes dans le Sud-Ouest, avec la création de la ligne nouvelle – à grande vitesse – du Sud-Ouest (LNSO) entre Bordeaux et Toulouse. Nos concitoyens s'en souviennent et s'en souviendront longtemps, car ils y contribuent financièrement alors qu'ils ne le devraient pas. Le tracé avance aujourd'hui, mais il n'a pas fait l'objet d'une véritable réflexion concernant le fret, ce qui l'exclut de notre débat.
Il me semble qu'il est temps de mettre tous les acteurs autour de la table, en particulier nos entreprises, pour nous rapprocher de leurs besoins en termes de fret et d'infrastructures de stockage.
Le Lot-et-Garonne et les départements voisins sont producteurs de matières agricoles, mais également fabricants de matériaux de construction. Nous disposons d'atouts pour développer le fret ferroviaire, par exemple sur les lignes Agen-Auch et Agen-Périgueux, au sujet desquelles je vous ai sensibilisé. Des projets viables sont d'ores et déjà sur la table, qui pourraient permettre de désengorger certaines routes, en particulier la RN 21.
Enfin, une dernière question : monsieur le ministre, pouvez-vous nous assurer que l'État prendra sa part dans la réouverture de ces lignes et contribuera ainsi au désenclavement de cette partie du territoire, faisant de nos trois villes principales, Agen, Marmande et Villeneuve-sur-Lot, des carrefours ferroviaires incontournables ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Tout d'abord, en réponse au sénateur Masset, je tiens à réaffirmer ma position défavorable aux mégacamions. En effet, leur autorisation entraînerait une perte d'activité d'environ 25% pour le fret ferroviaire. Je sais que certains d'entre vous ont un avis différent sur ce sujet.
M. Jacques Fernique. Pas moi, en tout cas ! (Sourires sur les travées du groupe GEST.)
M. Philippe Tabarot, ministre. Je le sais bien, monsieur Fernique : je connais votre position !
Concernant l'année 2023, marquée par d'importants défis pour le secteur du fret, je souscris à votre analyse, monsieur le sénateur. Cependant, je note avec satisfaction une amélioration de la situation en 2024, avec 33,1 milliards de tonnes-kilomètre transportées et un rebond du fret ferroviaire de 12,1% par rapport à 2023, soit un mouvement positif.
Notre but est clair : il faut maintenir cette dynamique ascendante au cours des dix prochaines années pour atteindre l'objectif qui avait été fixé au sein de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat.
Pour y parvenir, il est essentiel que le secteur se mobilise. La stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, qui comprend soixante-douze mesures concrètes, est mise en place progressivement et avec une énergie indéniable.
Le rôle de l'État sera de sécuriser les financements dans le temps, notamment grâce à la conférence de financement qui nous réunira à partir du 5 mai prochain. La loi de finances 2025 prévoit également une enveloppe globale d'aide à l'exploitation des services de fret ferroviaire et de transport combiné de 370 millions d'euros, ce qui représente un arbitrage difficile dans le contexte que nous connaissons. Il est crucial que les régions continuent également à s'engager.
Enfin, et puisque vous réclamiez l'annonce de bonnes nouvelles, j'ai le plaisir de vous annoncer en exclusivité que le service d'autoroute ferroviaire entre Cherbourg et Mouguerre va démarrer dans les prochaines semaines, la Commission européenne venant de donner son accord. Il s'agit d'une excellente nouvelle pour le développement de ce secteur, sous l'égide d'un armateur privé.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. Monsieur le ministre, la loi Climat et Résilience a fixé un objectif de doublement de la part modale du fret ferroviaire et fluvial dans le transport intérieur des marchandises d'ici à 2030. Cette disposition, introduite dans le texte par un amendement du rapporteur de la commission d'aménagement du territoire et du développement durable, un jeune sénateur prometteur nommé Philippe Tabarot (Sourires.), est essentielle pour assurer la décarbonation du secteur du transport de marchandises, responsable de 13% des émissions de gaz à effet de serre françaises.
Depuis lors, le fret a fait face à une série de vents contraires : grève sur les retraites en 2023, crise de l'énergie et inflation, quasi-effondrement du tunnel de la Maurienne. L'année 2023 a ainsi été marquée par un report modal inversé au profit de la route, la part du fret ferroviaire tombant à 8,9% contre 10% en 2022.
La ligne de la Maurienne ayant enfin rouvert le 31 mars dernier, je forme le vœu que ces difficultés conjoncturelles sont désormais derrière nous. Monsieur le ministre, le trafic a-t-il retrouvé une trajectoire de croissance l'an passé ? Quelles sont les perspectives pour l'année 2025 ?
Il nous reste maintenant à nous attaquer à des enjeux structurels pour faire de l'objectif fixé par la loi Climat et Résilience une réalité. J'ai à l'esprit, en particulier, le vieillissement du réseau ferroviaire, qui entraîne un ralentissement des circulations et une pénurie de sillons, ainsi que les difficultés rencontrées par l'activité en wagon isolé.
Le plan Ulysse Fret, réalisé par l'État, SNCF Réseau et l'Alliance 4F – pour fret ferroviaire français du futur –, souligne qu'en raison de l'âge moyen élevé des lignes utilisées par le fret, il est urgent de mener des investissements sur le réseau afin d'éviter une baisse inéluctable du trafic. Il prévoit donc d'accélérer les investissements en faveur du fret ferroviaire, pour un total de 4,5 milliards d'euros entre 2023 et 2035, concernant notamment le renouvellement des voies de service fret, les équipements de tri à la gravité, indispensables pour le marché du wagon isolé, les terminaux du fret, les outils de développement du transport combiné et l'augmentation de la capacité du réseau ferroviaire en faveur du fret.
Quel devrait être l'impact de ces investissements sur le volume du trafic ? L'objectif de doublement de la part modale du fret ferroviaire est-il encore atteignable d'ici à 2030 ? Ces travaux pourraient-ils emporter des conséquences temporaires négatives sur le trafic ?
Plus largement, les travaux sur le réseau ont souvent lieu la nuit pour ne pas pénaliser excessivement la circulation des trains de voyageurs. Comment concilier la nécessité d'intervenir sur un réseau vieillissant et l'exigence de ne pas causer une interruption de trafic de forte ampleur, dont le fret est souvent la première victime ?
Par ailleurs, la circulation des trains de voyageurs génère des ressources liées aux péages ferroviaires, plus élevés que ceux des trains de fret. Dans un contexte de manque de moyens sur le réseau, le gestionnaire d'infrastructures n'est donc pas incité à développer le fret. Comment répondre à cette difficulté ?
Enfin, il est indispensable que les investissements programmés en faveur du fret soient effectivement réalisés. La conférence nationale de financement des transports prévoit à ce propos un atelier consacré au verdissement du transport de marchandises. Avez-vous déjà étudié de nouvelles sources de financement que vous envisageriez de soumettre aux acteurs de la conférence ?
Considérez-vous que l'écotaxe poids lourds, qui sera bientôt mise en œuvre en Alsace, pourrait être étendue à d'autres territoires et fléchée vers le financement des transports ? Vous n'ignorez pas, monsieur le ministre, que certains poids lourds contournent les autoroutes en utilisant des voies inadaptées à leur transit, comme la RN 83, dans le Doubs, ce qui dégrade l'état de la route et est source de danger pour les usagers.
Développer le fret ferroviaire permettrait de diminuer le nombre de camions sur les routes.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Pour répondre au président Longeot, je tiens à rappeler que les années 2021 et 2022 avaient permis un redressement de la part modale du fret, tandis que l'année 2023 a été difficile pour plusieurs raisons, notamment la crise énergétique.
Je m'associe à l'hommage rendu aux cheminots, mais il me faut souligner que les mouvements sociaux, aussi justifiés fussent-ils, ont porté préjudice aux chiffres de l'année 2023.
M. Alexandre Basquin. Non, monsieur le ministre, vous ne pouvez pas avancer cet argument !
M. Philippe Tabarot, ministre. Vous ne pouvez guère le nier !
Cependant, je souhaite indiquer au président Longeot que SNCF Réseau entend faire un effort particulier pour que le fret ne soit pas relégué au second plan dans le cadre des travaux à mener ; il est pleinement intégré dans leur planification. C'est le cas, par exemple, concernant les travaux qui vont se dérouler sur la ligne Paris-Limoges-Toulouse, dont on a beaucoup parlé ces derniers mois. Contrairement aux pratiques antérieures, ceux-ci seront ainsi réalisés en journée, afin de minimiser l'impact sur le trafic de fret.
M. Jean-François Longeot. C'est bien.
M. Philippe Tabarot, ministre. S'agissant des péages ferroviaires que vous avez évoqués, je précise que, à la différence des péages relatifs au transport de voyageurs, les péages ferroviaires français demeurent parmi les plus bas d'Europe pour le fret, à 1,08 euro par train-kilomètre contre 2 euros en moyenne européenne.
Nous travaillons également à l'optimisation des sillons via les plateformes services et infrastructures, en intégrant les problématiques de travaux de nuit, comme je viens de le mentionner.
Enfin, concernant l'écotaxe, un sujet que vous suivez avec une attention particulière, vous savez que les régions frontalières peuvent désormais, grâce au travail de votre commission, mener des expérimentations.
Nos amis du Grand Est et de la Collectivité européenne d'Alsace vont ainsi y procéder. Cependant, je me dois de rappeler à certains d'entre vous combien il est regrettable que Ségolène Royale soit à l'époque revenue sur l'écotaxe. Cette mesure représentait 500 millions d'euros de recettes par an, soit 5 milliards d'euros sur dix ans, précisément la somme que nous recherchons aujourd'hui.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le ministre, depuis le vote dans cet hémicycle, le 7 décembre 2022, de la résolution pour le développement du transport ferroviaire déposée par notre groupe, ce sujet, pourtant central pour nos mobilités, notre économie et la transition écologique, est resté le parent pauvre de nos débats.
Ce n'est pas tout à fait le cas, il est vrai, puisque nous avons eu à débattre de la sécurité dans les transports ou de la restriction du droit de grève, stigmatisant les salariés du secteur !
Je salue ces syndicalistes cheminots présents ce soir dans les tribunes, qui défendent sans relâche les droits des salariés de la SNCF, des usagers, ainsi que le service public de transport ferroviaire afin qu'il retrouve la place stratégique dont le pays a besoin.
C'est de cette place que nous débattons, deux ans après les annonces d'Élisabeth Borne, alors Première ministre, qui brandissait un plan à 100 milliards d'euros d'ici à 2040, tentant de faire oublier un contrat de performance particulièrement régressif.
Depuis lors, cette nouvelle donne ferroviaire ne semble plus d'actualité pour le Gouvernement et la situation s'est aggravée. Le transport de voyageurs ne suit pas, en raison du manque d'anticipation et du mauvais état du réseau ; la SNCF applique la loi du marché et le manque d'offre allié à la forte demande conduit à des prix exorbitants au détriment des usagers, les obligeant à se rabattre vers des modes de transport plus polluants comme l'avion ou la voiture.
Alors que les transports constituent plus de 30% de nos émissions de CO2, l'effort public pour le développement du ferroviaire, saboté par des décennies de libéralisme, n'est pas au niveau des enjeux environnementaux et des engagements pris dans le cadre des accords de Paris. C'est particulièrement vrai pour le fret ferroviaire, alors que 24 % des émissions issues des transports sont liées aux poids lourds et donc au transport routier de marchandises.
En 2021, dans la loi Climat et Résilience, le Sénat avait introduit l'objectif louable de doubler la part modale du ferroviaire d'ici à 2030. Faute de moyens financiers pour les entretenir, les lignes capillaires, qui connectent entrepôts et usines au réseau principal, accusent une moyenne d'âge de 73 ans. Un quart des voies ont été fermées ces six dernières années.
La baisse du trafic ferroviaire est significative : –19,6% de fret conventionnel et –23,5% de transport combiné, lorsque, chez nos voisins européens, le transport ferroviaire des marchandises poursuit sa croissance. Il gagne ainsi 22% en Italie par rapport à 2019, 10 % en Allemagne, 2% en Suisse.
Le plan de discontinuité décidé par le Gouvernement à la suite des injonctions de la Commission européenne a porté un coup très dur au transport ferré de marchandises.
Le 1er janvier 2025, Fret SNCF, démantelé en deux sociétés, a dû vendre du matériel roulant et abandonner vingt-trois lignes, les plus rentables, bien sûr, sur lesquelles Hexafret, successeur de Fret SNCF, ne peut plus se positionner durant dix ans. Un non-sens dans un pays qui entend se réindustrialiser !
On nous répète que cette entreprise pourrait bénéficier d'une ouverture de son capital, mais qui viendra investir dans une entreprise que l'on oblige à réduire ses parts de marché ?
Le manque de moyens alloués au transport ferroviaire de marchandises est une aberration à l'heure où nous devons, de façon concomitante, soutenir la réindustrialisation en produisant du matériel roulant ; appuyer les entreprises, pour lesquelles notre pays sera plus attractif avec un réseau de transport ferré développé ; réduire nos émissions de gaz à effet de serre ; retrouver notre souveraineté et donc limiter la place des entreprises étrangères et les financements privés ou d'États étrangers qui les soutiennent. Keolis, par exemple, est ainsi détenue à 30% par la Caisse de dépôt et placement du Québec.
Nous le savons, le transport ferroviaire ne peut pas fonctionner sans soutien public, et la recherche de profit, tout comme l'ouverture à la concurrence du secteur, est forcément contraire à l'intérêt général. La recherche de la rentabilité maximum conduit à des suppressions d'emplois, à la dégradation des conditions de travail des salariés, à des économies sur la maintenance des infrastructures et des trains, ainsi qu'à la fermeture de guichets, voire de gares, si le chiffre d'affaires n'est pas à la hauteur souhaitée.
Nous devrions soutenir l'intermodalité en proposant un maillage au plus fin afin de réduire la présence de camions sur les routes. Ce n'est malheureusement pas le choix fait par les gouvernements successifs.
Des financements sont possibles, mon collègue l'a dit et je partage son avis. Nous savons que les premières concessions autoroutières prennent fin en 2030 et nous défendons la renationalisation de ces autoroutes en conservant une logique de péage qui pourrait nous permettre de financer la décarbonation des transports.
Ainsi, 1 milliard d'euros pourraient être alloués au ferroviaire, et 3,4 milliards d'euros aux autres modes, dont la mise en place des services express régionaux métropolitains (Serm).
La France ne peut pas continuer à afficher des ambitions climatiques sans les traduire en actes. La relance du fret ferroviaire est une urgence, une opportunité industrielle, une exigence écologique et sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Madame la sénatrice Varaillas, un certain nombre d'actions ont été menées ces dernières années sur cette question, et des moyens ont été alloués. Je soulignerai ainsi le triplement des aides à l'exploitation, avec en particulier la création d'une aide au wagon isolé, ainsi que le doublement des investissements de l'État en matière d'infrastructures.
S'agissant du plan de discontinuité du fret, la Commission européenne a ouvert, en janvier 2023, une procédure formelle d'examen sur certaines aides dont a bénéficié Fret SNCF. Je le précise d'autant plus sereinement que la décision du plan de discontinuité n'émane pas de moi, mais de l'un de mes prédécesseurs, et qu'elle était justifiée. Vous n'en êtes pas tous convaincus, mais le risque était purement et simplement la disparition de l'activité de Fret SNCF, avec un impact fort sur ses agents. L'emploi de 5 000 cheminots était en jeu !
Aujourd'hui, cette solution permet de sauvegarder ces emplois sans casse sociale, un aspect qui me semble vous tenir à cœur.
La discontinuité négociée reste proportionnée par rapport à une jurisprudence existante en la matière, celle d'Alitalia. En tout état de cause, nous avons garanti le respect de trois lignes rouges que vous partagez : préserver notre outil industriel, éviter les licenciements et prévenir tout report modal supplémentaire vers la route.
Enfin, concernant la question du financement, nous sommes également d'accord – même si nous ne le sommes pas sur la forme de la gestion des futures concessions autoroutières. Il s'agit de l'un des objectifs de la conférence de financement, qui débutera le 5 mai prochain à Marseille en présence du Premier ministre et se déroulera sur dix semaines.
J'ai ainsi souhaité qu'un des quatre ateliers soit spécifiquement consacré au transport de marchandises. Je forme le vœu qu'à l'issue de ces différents débats nous puissions aboutir à un fléchage très marqué des financements vers le transport de marchandises, de préférence en provenance de la route, notamment des autoroutes.
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Je remercie tout d'abord nos collègues communistes d'avoir permis ce temps de débat sur les conditions de la réussite de la relance du fret ferroviaire, d'autant que nous sommes en attente du rapport de synthèse du cycle sur le fret ferroviaire de notre commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
Ce débat est opportun à la veille de cette conférence de financement dont les conclusions, particulièrement celle de l'atelier 4, indiqueront si, oui ou non, les ambitions de la France en matière d'essor du fret ferroviaire pourront être réalisées selon une trajectoire adéquate d'ici à 2040.
Monsieur le ministre, concernant cette conférence, le Gouvernement a-t-il la volonté qu'y soient établies et garanties les conditions de financement de la trajectoire d'investissement nécessaire pour l'essor du fret ferroviaire d'ici à 2040 ?
Le débat de ce soir est l'occasion de clarifier les impacts éventuels d'une loi de finances en passe d'être rabotée de façon significative, s'agissant, particulièrement, du programme 203 " Infrastructures et services de transport " qui contient notamment l'action n° 41 " Ferroviaire " et l'action n° 45 " Transports combinés ".
Qu'en est-il précisément ? Le ferroviaire, notamment le fret, est-il ou non touché par ce nouveau reflux budgétaire de l'écologie ? La stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, Ulysse Fret 2023-2032, subira-t-elle ce reflux ? La somme de 1,5 milliard d'euros supplémentaires par an d'ici à 2027 et le plan de 4 milliards d'euros pour le fret d'ici à 2032 sont-ils remis en cause ?
Ce débat offre aussi l'occasion de dresser un état des lieux de la situation actuelle du fret, avec les mauvais résultats de 2023, qui ont remis en cause le début de tendance à la hausse qui s'amorçait depuis 2021.
Il est sans doute trop tôt pour connaître les conséquences de la dislocation de Fret SNCF, effective depuis le 1er janvier, notamment un éventuel report modal inversé, mais vous disposez sans doute de données récentes pour nous indiquer où nous en sommes au regard de la trajectoire fixée par la loi Climat et Résilience. Maintenez-vous l'objectif intermédiaire de doublement, soit 18 % de part modale en 2030, ou y renoncez-vous ?
Il serait faux de considérer que l'effort à consentir pour le fret ferroviaire constituerait une charge, une mise sous perfusion coûteuse, faute de modèle économique pour ce mode de transport.
Certes, le wagon isolé nécessite par nature un soutien public pour être rentable ; certes, il s'agit de poursuivre le dispositif de prise en charge des péages dus par les opérateurs à SNCF Réseau, qui place le coût de circulation des trains de fret en France nettement en dessous de la moyenne européenne.
Pour autant, ne perdons pas de vue les formidables atouts du ferroviaire, qui le rendent si compétitif : au moins six fois moins de consommation d'énergie que le camion et neuf fois moins de carbone à la tonne transportée.
Pour que ces avantages puissent déployer tout leur potentiel, des obstacles sérieux doivent être levés. Pour bien les identifier, il convient d'élargir la focale au niveau européen. Les pays dans lesquels la part modale du fret ferroviaire se situe entre 20 % et 30 %, voire au-delà, sont ceux dans lesquels les efforts sur l'infrastructure sont les plus importants et dans lesquels un travail déterminant de rééquilibrage compétitif entre la route et le rail est mené.
Le mode routier, en effet, ne paie guère ses externalités négatives : dégradation des routes, nuisances, engorgement, accidentalité, pollution, contribution forte à l'effet de serre, et j'en oublie. Le pollueur n'est pas le payeur, tant s'en faut, et cela creuse l'écart de compétitivité avec le rail.
En tant qu'Alsacien, du Grand Est, je mesure l'écart avec nos voisins européens. L'Europe d'aujourd'hui offre un contraste saisissant entre, d'une part, l'Espagne ou l'Italie au sud qui ont basculé dans le tout-camion, à l'instar d'une grande partie de l'Europe de l'Est, et, d'autre part, la Suisse, l'Allemagne ou les Pays-Bas, où le fret ferroviaire occupe une place significative, fruit d'investissements importants dans des sillons performants et des terminaux interconnectés, et où le déséquilibre entre la route et le rail est corrigé par des taxes sur les poids lourds élevées.
Dégager de telles recettes permettrait de réaliser les investissements massifs nécessaires pour un réseau plus circulé, grâce à des modernisations telles que la commande centralisée du réseau (CCR) et le système européen de gestion du trafic ferroviaire ERTMS, ainsi que, concernant le fret, pour le maintien et la modernisation des voies de service et de triage. En effet, sans régénération de ces voies d'ici à dix ans, la moitié du trafic fret serait, au mieux perturbée, au pire interrompue.
Jusqu'à présent, la France a manqué d'une réelle volonté d'augmenter les prélèvements sur le transport routier. Pour ce qui concerne l'application de la directive Eurovignette, nous nous en tenons au minimum, alors qu'il faudrait actionner résolument les leviers du système d'échange de quotas d'émission ETS et de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).
De ce déséquilibre favorable au routier découlent les autres obstacles qui entravent l'essor du ferroviaire : la capacité insuffisante d'un réseau vieillissant, le déficit de qualité de service qui privilégie le voyageur au détriment du fret, la pénalisation du fret par la réalisation des travaux de nuit, une ponctualité défaillante pour les trains de fret et, enfin, le déficit d'organisation conduisant à la sous-exploitation de la complémentarité entre le routier et le ferroviaire, alors que le potentiel du transport combiné est si prometteur.
Comme si les difficultés à surmonter n'étaient pas suffisantes, voilà que les camions de très gros tonnage, de quarante-quatre tonnes, en transit, voire les mégacamions atteignant soixante tonnes et vingt-cinq mètres de long, nous menacent de leur impact désastreux et de leur concurrence. Le Sénat, par une résolution européenne dont j'ai été corapporteur avec Pascale Gruny, vient d'exprimer sans ambiguïté sa désapprobation, que vous affirmez partager, monsieur le ministre.
Quelles sont donc les perspectives dans ce trilogue crucial, inscrit, me semble-t-il, à l'ordre du jour du Conseil européen de juin consacré aux transports, pour que ce projet de directive révisée ne se fasse pas au détriment du fret ferroviaire ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Monsieur le sénateur Fernique, en matière d'investissement, l'État a démontré son engagement. Les chiffres parlent d'eux-mêmes, puisque, comme je l'ai déjà dit, nous y consacrons 370 millions d'euros par an.
Une enveloppe significative – 100 millions d'euros – est spécifiquement dédiée au transport par wagon isolé. J'en parle d'autant plus volontiers que ce budget est passé de 70 millions à 100 millions d'euros l'année dernière, soit une hausse de 30 millions d'euros. Je peux vous assurer, compte tenu des divers coups de rabot dont il est si souvent question ces derniers temps dans cet hémicycle, qu'être parvenu à augmenter ce budget à un tel niveau l'an passé n'est pas un mince exploit. J'en suis particulièrement fier, et j'espère que l'on restera sur cette même dynamique lors du projet de loi de finances pour 2026, pour tenir les engagements pris dans le cadre de la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire.
Concernant la transformation de Fret SNCF, les résultats sont plutôt encourageants. Hexafret et Technis, qui sont opérationnels depuis janvier dernier, suivent leur trajectoire budgétaire. Une réorganisation sociale se déroule actuellement, conformément aux engagements que je vous rappelle : aucun licenciement économique, tandis que les deux tiers du personnel ont déjà retrouvé une place au sein du groupe ; maintien des services, évitant tout report vers la route.
J'ai par ailleurs une bonne nouvelle à vous annoncer, celle de la signature toute récente d'un très gros contrat d'Hexafret pour le marché de la sidérurgie, ainsi que la probable prochaine signature d'un autre contrat avec des céréaliers. Vous le voyez, Hexafret fonctionne et fonctionne même plutôt bien.
Je manque de temps, hélas ! pour aborder l'ensemble des sujets que vous avez évoqués. Je me contenterai de vous répondre sur la qualité de service sur les réseaux : sont engagées un certain nombre d'actions pour la sécurisation des sillons réservés au fret, la refonte des systèmes d'information de SNCF Réseau, la mise en place d'indicateurs adaptés, la mise en œuvre de plateformes de services et d'infrastructures. Je vous le dis sincèrement : il semble que, plus que jamais, ceux qui utilisent les infrastructures de SNCF Réseau pour le transport de marchandises sont plutôt satisfaits du service rendu actuellement pour pallier les manques de ces dernières années, notamment pour ce qui est de la qualité du service.
L'ensemble des mesures que je viens de citer visent à rétablir une qualité indispensable pour faire prospérer le fret et nous permettre de tenir les engagements pris dans le cadre de la loi Climat et Résilience.
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à mon tour à remercier sincèrement le groupe communiste de l'organisation de ce débat, qui peut certes sembler technique, mais qui est en fait très politique, tant l'activité de fret a un impact majeur et pourtant très mal évalué, que ce soit en matière d'écologie, d'aménagement du territoire, d'économie, d'industrie, de défense, d'alimentation ou en matière sociale.
Oui, le fret ferroviaire est un vecteur essentiel de la réindustrialisation du pays et du continent.
Oui, le fret ferroviaire est un maillon essentiel de notre système de défense à l'heure du retour de la guerre sur notre continent et de la nécessité de repenser notre stratégie nationale et européenne.
Oui, le fret et le transport ferroviaire sont des outils essentiels pour l'aménagement durable du territoire et font le lien entre les territoires. En cela, ils sont d'utilité démocratique.
Oui, le fret ferroviaire est un outil indispensable face à la crise écologique – d'autres orateurs l'ont dit.
Moins de camions, c'est moins de pollution. Moins de camions, c'est moins d'engorgement. Moins de camions sur les corridors européens, c'est moins de pertes de recettes pour l'État français du fait de moindres traversées sans faire le plein de carburant sur notre sol.
Moins de camions, c'est également moins d'usure de nos routes, d'autant plus que les routiers ne la paient pas ! Nos routes sont presque toutes gratuites pour les usagers : elles sont donc à la charge des contribuables. Il est particulièrement problématique que nos concitoyens paient pour des camions qui dégradent nos infrastructures, d'autant que cette dégradation s'inscrit dans un rapport de 1 à 100 000 si on la compare à celle qu'occasionnent les trajets effectués en voiture par M. ou Mme Tout-le-Monde. Et qu'en sera-t-il demain avec les mégacamions s'ils sont finalement autorisés à circuler dans notre pays ? Cette course au gigantisme doit cesser – vous m'avez d'ailleurs quelque peu rassuré sur ce point, monsieur le ministre.
Bref, vous l'aurez compris, le fret ferroviaire, comme le fret fluvial quand il existe, est un des principaux vecteurs de réduction des externalités négatives du transport routier. C'est un gage d'efficacité et d'économies que nos amis suisses, allemands et autrichiens ont identifié depuis longtemps et qui serait particulièrement utile au moment où vous recherchez 40 milliards d'euros d'économies supplémentaires.
Assez d'actions coups de poing, assez de tête-à-queue en matière de politique de transport, comme nous l'avons encore vu la semaine dernière avec le Pass Rail. Donnons une vision et des perspectives claires à un secteur d'activité qui ne peut se construire que sur le temps long.
Compte tenu des externalités positives du fret ferroviaire et fluvial, adaptons chez nous des solutions réglementaires qui ont fait recette ailleurs, afin de les faire monter en puissance. À titre d'exemple, nos amis suisses et autrichiens ont institué des interdictions de circulation routière sur des axes dotés d'une véritable alternative ferroviaire.
J'en viens au cœur de notre débat d'aujourd'hui, monsieur le ministre.
Pouvez-vous apporter des précisions sur l'évolution de la situation du fret ferroviaire ? Vous nous avez indiqué que cette situation s'était améliorée en 2021 et en 2022, mais pas en 2023. Le flux et la volumétrie des marchandises transportées sont-ils en hausse ou en diminution ?
Où en sommes-nous de la réalisation des soixante-douze mesures de la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire définie en 2020, dont plusieurs jalons ont été fixés en 2022 ? Sauf erreur de ma part, ce débat est la première occasion pour nous de faire un véritable point d'étape, ce que nous apprécions.
Puisque, en vertu de la Constitution, nous sommes chargés du contrôle de l'action du Gouvernement, pouvez-vous vous engager, monsieur le ministre, à rendre compte, régulièrement, de l'évolution du secteur et à présenter à cette occasion les mesures à prendre pour le soutenir et l'aider à se développer ? Dans cette veine, je souhaiterais – comme d'autres avant moi – disposer de davantage d'informations quant à l'éventuelle pérennisation en 2026 des « aides à la pince », dont le montant a été rehaussé de 30 millions d'euros cette année. Vous venez de préciser que vous espériez que ce budget de 100 millions d'euros serait reconduit dans le prochain projet de loi de finances – je l'espère également, et sachez, monsieur le ministre, que nous vous soutiendrons.
Surtout, la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire est-elle encore réalisable au vu des 40 milliards d'euros d'économies que vous visez ?
Il en est de même pour le programme Ulysse Fret, publié il y a un mois, qui prévoit 4 milliards d'euros d'investissements sur dix ans. Je voudrais également obtenir des précisions à ce propos.
À ce titre, je suis inquiet de constater qu'une nouvelle fois vous souhaitez mettre à contribution les collectivités pour mener une politique qui est purement du ressort de l'État. En effet, après les injonctions adressées au département de Meurthe-et-Moselle et à la métropole de Nancy pour relancer une ligne d'équilibre du territoire vers Lyon, voilà que vous souhaitez intégrer le fret aux contrats de plan État-région à partir de 2027 ! C'est écrit noir sur blanc à la page 19 du rapport Ulysse…
Par ailleurs, comment ferez-vous pour poursuivre la lutte contre les mégacamions si la part du fret continue de s'effriter ?
Depuis le début de l'année, Fret SNCF n'existe plus. Le plan de discontinuité a été mis en œuvre. Si nous continuons de penser que les gouvernements précédents n'ont pas du tout utilisé toutes les armes à leur disposition pour engager un véritable rapport de force avec la Commission européenne, c'est bien vers l'avenir qu'il faut se tourner.
Concrètement, comment jugez-vous l'activité commerciale d'Hexafret ? Pouvez-vous nous rassurer quant à sa viabilité économique, puisque de nombreuses alertes ont été émises par les syndicats et les professionnels du secteur en amont du plan de discontinuité ? Vous nous avez livré de premières informations ; j'aimerais de plus amples précisions.
Où en est-on de l'ouverture, potentiellement substantielle, du capital d'Hexafret, qui était prévue dans le plan de discontinuité ? Où en est-on de la réattribution des vingt-trois flux que devait obligatoirement " lâcher " la SNCF ? Vous venez d'expliquer que la route n'avait pas progressé et que le ferroviaire tenait son rang malgré cette discontinuité : qu'en est-il exactement ?
Je ne peux conclure mon propos sans parler de la situation sociale du secteur et de l'entreprise. J'en profite pour saluer, du haut de cette tribune, l'engagement des cheminots.
L'inquiétude était forte en fin d'année. Votre prédécesseur, monsieur le ministre, s'était voulu rassurant lors de ses différents entretiens avec les organisations syndicales, notamment sur l'absence de plan social affiché, bien que les effectifs soient tout de même en baisse, à l'inverse du signal que nous voulons collectivement envoyer.
Pour autant, le climat ne semble pas radieux, et les perspectives d'embauche dans le secteur ne sont pas au beau fixe. Comment développer le ferroviaire sans cheminot ? Il est plus que temps que vous lanciez, en lien avec l'ensemble des acteurs, un grand plan sur l'emploi et les compétences, notamment dans le fret, parce que, je le redis, sans cheminot, point de train !
Monsieur le ministre, nous nous sommes battus conjointement sur ces travées pour augmenter l'investissement public dans un secteur industriel stratégique pour notre pays. Je forme le vœu que vous parveniez à sortir le fret ferroviaire de l'impasse dans laquelle il semble se trouver. Il en est de même pour le fluvial, mais ce n'est pas le cœur de notre débat.
Je ne peux pas non plus terminer mon intervention sans formuler quelques propositions, surtout à une semaine de l'ouverture de la grande conférence Ambitions France Transports, une perspective qui, je l'espère, monsieur le ministre, ne vous poussera pas à dissimuler une partie de vos réponses. (M. le ministre sourit.)
Je pense notamment qu'il serait utile que vous repreniez à votre compte le dispositif de la proposition de loi que vous avez déposée le 11 janvier 2022 pour mieux valoriser le fret dans le contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État – d'autant plus qu'il faut le réviser. Il s'agissait en effet d'une belle initiative.
Depuis quelques années, je me dis aussi qu'il faudrait expérimenter l'obligation, sur les axes des autoroutes ferroviaires, de passer le transport de marchandises par le fer ou le fleuve plutôt que par la route. Seriez-vous prêt à engager cette réflexion ?
Enfin, puisque vous m'avez adressé un clin d'œil amical en évoquant une ancienne ministre et l'abandon, échec incroyable de triste renommée, de l'écotaxe – c'était vraiment une erreur absolue de l'abandonner –, je vous confirme qu'il convient selon moi de relancer la généralisation d'une écotaxe poids lourds en nous inscrivant dans les pas de la région Grand Est. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Marie-Claude Varaillas et M. Jacques Fernique applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Monsieur le sénateur Jacquin, je tiens avant tout à saluer votre détermination, que nous avons d'ailleurs en partage sur ce sujet – nous en avons si souvent parlé…
Sur la question des mégacamions, vous connaissez ma position, au regard des conséquences que cela aurait sur nos routes et surtout du report modal qui en découlerait, lequel tuerait définitivement, disons-le, le fret ferroviaire avec une baisse de 25 % de cette activité.
Nous avons une bataille à gagner d'ici à juin prochain, puisque la présidence polonaise du Conseil de l'Union européenne est plutôt défavorable aux mégacamions, à la différence de la future présidence danoise. Il nous faut, d'ici au mois de juin, tenter de régler cette question. J'ai ce dossier bien en tête et je déploierai toute l'énergie nécessaire pour y arriver.
Vous avez cité l'exemple déjà mentionné de la Suisse et de l'Autriche. Comme vous l'avez rappelé, ces pays taxent fortement la route. Or ils n'avaient pas la chance d'avoir Ségolène Royal ; aussi ont-ils pu mener la politique qu'ils souhaitaient en matière de transport routier… (Sourires.)
Concernant la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, les deux tiers des soixante-douze mesures qu'elle comprenait sont déjà en cours de mise en œuvre – je vous transmettrai les précisions attendues à ce sujet.
Pour ce qui est d'Hexafret, oui, l'entreprise ouvrira son capital en 2026, comme elle s'y était engagée. J'ai une pensée à cet instant pour les 500 collaborateurs qui sont en cours de reclassement dans l'ensemble du groupe. Je crois savoir qu'ils bénéficient d'un accompagnement social – en tout cas, c'est une demande de notre part, que je souhaite sincèrement voir satisfaite –, qui doit les aider à retrouver une activité au sein du groupe SNCF qui puisse les passionner de nouveau.
Vous avez évoqué le Pass Rail. Cette mesure coûtait 12 millions d'euros : nous préférons investir cet argent pour le fret, tout simplement parce qu'il y a eu très peu de report modal, que nous devons faire des choix, et que les régions ont vraiment montré peu d'entrain à ce sujet. Cela étant, notre position n'est pas définitivement arrêtée : nous parviendrons peut-être à trouver une meilleure formule.
Permettez-moi d'insister sur un dernier point : soyons positifs au sujet du fret ferroviaire. Arrêtons d'en parler négativement ! J'ai reçu ces jours derniers l'ensemble des acteurs de l'alliance 4F : je peux vous dire qu'ils y croient plus que jamais ! Arrêtons de tenir un discours négatif, même s'il est réaliste au regard des chiffres qui ont été cités. Il existe une véritable envie de la part de ces acteurs de continuer à investir dans le fret ferroviaire. À nous d'être capables de les accompagner utilement.
M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette.
M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de porter une voix non pas différente, mais quelque peu dissonante et, en tout état de cause, complémentaire. Après tout, dans le cadre d'un débat sur le ferroviaire, qu'il y ait plusieurs voies me semble une bonne chose… J'espère que vous apprécierez ce jeu de mots thématique en quelque sorte ! (Sourires.)
À l'heure où notre pays cherche à concilier souveraineté économique et sobriété carbone, une évidence s'impose : nous devons relancer le fret ferroviaire et, surtout, tout l'écosystème autour de ce fret.
Parler du seul fret ferroviaire est une grave erreur. La chaîne logistique ne se nourrit pas que d'une brique. Pour qu'elle soit dynamique, performante et efficace, il faut travailler sur toutes les briques. Parler du fret sans parler du reste ne peut pas être la solution. D'ailleurs, sur le temps long, le fret ferroviaire ne revivra jamais s'il est opposé aux autres modes de transport.
Permettez-moi de revenir un instant sur les propos que viennent de tenir plusieurs de mes collègues et M. le ministre.
Je vous le dis comme je le pense : si la France s'opposait aux mégacamions, ce serait une erreur. Plutôt que de les interdire purement et simplement, je préférerais de beaucoup que nous réfléchissions à une expérimentation autour des mégacamions qui servent le fret ferroviaire, une expérimentation que nous encadrerions et qui pourrait ne concerner que les flux à destination ou en provenance des plateformes multimodales, de manière à relancer et à agir en complémentarité du fret ferroviaire.
Aujourd'hui, les autres pays européens n'interdisent pas les mégacamions. Il serait donc vain de vouloir relancer le fret ferroviaire face à une concurrence européenne qui, elle, disposerait d'outils complémentaires, tels que les mégacamions, et qui, de ce fait, serait plus puissante, plus souple, plus agile d'un point de vue logistique. Une interdiction aussi brutale et une position aussi dogmatique ne seront jamais une solution.
Certes, un certain nombre de sujets posés par ces mégacamions méritent en effet d'être traités. Mais si l'on veut relancer le fret ferroviaire, qui est, par nature, la brique qui, au sein de la chaîne logistique, est celle qui permet de transporter les plus lourdes charges, on ne peut pas se contenter de décréter qu'à l'arrivée, pour le dernier kilomètre, il ne sera pas possible d'emporter des charges aussi volumineuses.
Il est inenvisageable de redynamiser la chaîne logistique si l'on ne traite pas le sujet de A à Z. Et c'est d'ailleurs pourquoi le transport routier est aussi puissant dans notre pays. C'est parce que cette chaîne ne fonctionne pas que le routier prend le pas sur les autres modes de transport.
N'opposons jamais les modes de transport entre eux. C'est là la principale erreur à ne pas commettre. J'y insiste, une expérimentation fermée autour d'une combinaison entre fret ferroviaire et mégacamions reviendrait, me semble-t-il, à faire preuve d'une ouverture d'esprit véritablement écologiste. En effet, on nous parle de camions électriques, mais si l'on ne veut pas alourdir le poids des camions en remplaçant le pétrole par des batteries, cela ne fonctionnera jamais. On perd en effet en charge utile et moins on transporte de marchandises, moins cela fonctionne… Je le redis, cette complémentarité est évidente.
Pour le fret ferroviaire, donc, la solution la plus performante est le transport combiné.
Aujourd'hui, ce mode de transport représente certes 41% du fret ferroviaire en France, mais le fret ferroviaire à lui seul ne représente que 10% du transport total de marchandises. De plus, il est en perte de vitesse depuis vingt ans face à l'essor du fret chez nos concurrents, nos voisins et amis allemands, suisses ou autrichiens, qui ont, eux, une vision totalement différente en matière de transport ferroviaire, puisqu'ils n'opposent pas tout le temps le rail à la route et préfèrent les faire travailler ensemble – c'est justement dans ces pays que cela fonctionne !
Je rejoins complètement les propos de ceux de mes collègues qui affirment que les camions ne sont pas adaptés pour les grands trajets. C'est en effet le transport ferroviaire qui doit jouer ce rôle, mais, je le répète, il restera toujours le premier et le dernier kilomètre à parcourir.
Si l'on veut relancer avec succès le fret ferroviaire, il faut aussi travailler sur les sillons. Aujourd'hui, les sociétés qui parviennent à obtenir une licence d'opérateur ferroviaire – il n'y a pas que des opérateurs publics : il y a aussi des opérateurs privés – ont du mal à exploiter les infrastructures, parce que les sillons ne sont pas alloués aussi simplement qu'ils le devraient par SNCF Réseau.
Les chantiers à engager sont nombreux : moderniser et adapter les infrastructures au fret – c'est une évidence – ; développer les plateformes multimodales ; enfin, encourager la concurrence en facilitant aux PME et aux petits opérateurs l'accès aux rails.
Que des opérateurs publics exploitent le réseau ne pose aucun problème. En revanche, il faut suivre la même règle que celle qui prévaut dans tous les autres pays où le fret ferroviaire fonctionne, à savoir que les logisticiens nationaux doivent aussi pouvoir avoir accès à des licences ferroviaires pour exploiter eux-mêmes le fret ferroviaire sans passer par les opérateurs publics. Dans notre pays, hélas ! les opérateurs privés sont trop peu nombreux.
Pour développer le fret ferroviaire, nous ne devons pas nous appuyer uniquement sur des opérateurs publics ; nous devons faciliter et accompagner les petits ou les grands logisticiens qui ont la volonté de décarboner et d'accéder au rail.
Je terminerai en évoquant la question de la réindustrialisation : aucune réindustrialisation ne sera possible sans un fret ferroviaire performant, dans la mesure où ce mode de transport de marchandises sert les industries de masse – le fret ferroviaire n'est pas conçu pour répondre aux besoins des épiceries par exemple. Et réciproquement : pas de fret ferroviaire performant sans industries à desservir.
Ce sujet fait directement écho à des débats que nous avons ici, au Sénat, notamment en matière d'urbanisme. Quand on crée une zone d'activité d'intérêt national ou quand on veut mettre en œuvre une opération d'intérêt national en France, comment traitons-nous la question des terminaux ferroviaires embranchés ? En termes d'urbanisme, c'est un vrai sujet ! Aujourd'hui, on ne peut pas penser une telle politique sans imaginer la connexion au réseau ferré.
Nous devons travailler sur l'ensemble de ces problématiques pour relancer le fret ferroviaire. Personnellement, j'y suis très favorable, mais nous devrons élargir le spectre de notre réflexion sur le sujet.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Monsieur le sénateur Rochette, je partage votre position sur presque tous les points que vous abordez, mais je le fais, comme je vous l'ai dit, sans opposer les modes de transport les uns avec les autres. C'est la ligne que je me suis fixée depuis que je m'intéresse à tous les sujets relatifs aux transports.
Je pense très sincèrement que la complémentarité entre le rail et la route existe, mais, en l'occurrence, le mode de transport bien spécifique que vous défendez – les mégacamions – porterait un coup fatal au fret ferroviaire. Je respecte votre opinion sur ce point, mais je ne la partage pas.
En revanche, je fais mien votre point de vue sur le rôle clé que doit jouer le transport combiné. Il s'agit en effet d'une solution d'avenir : les chaînes multimodales vertueuses, notamment par le biais des services de transport combiné, qui concilient le transport ferroviaire, le préacheminement et l'acheminement du conteneur par la route, permettent d'envisager un report modal.
C'est précisément sur cet aspect des choses que nous avons choisi de renforcer notre action, puisque nous consacrons chaque année depuis 2021 une enveloppe de près de 50 millions d'euros au soutien à l'exploitation de ces services.
Vous avez également évoqué la nécessité d'engager des actions concrètes. Nous nous y efforçons, notamment via l'élaboration d'un schéma directeur du transport combiné à l'horizon 2032 puis à l'horizon 2042, qui a été publié en octobre dernier. C'est un document stratégique qui dessine le maillage cohérent des plateformes sur l'ensemble du territoire.
Vous avez aussi parlé du raccordement direct de certains sites au réseau ferré national. Nous avons obtenu de la Commission européenne l'autorisation de soutenir financièrement – ce qui n'est pas toujours possible – les investissements de l'État ainsi que des régions qui ont décidé de financer ces projets dans le cadre d'un contrat de plan État-région. Parfois, l'État finance des projets qui sont uniquement régionaux ; de temps en temps, ce sont les régions qui financent des projets qui sont pourtant plutôt du ressort de l'État. C'est ce que j'appelle un bon partenariat entre collectivités.
Enfin, concernant les sillons, je rappelle ce que j'ai dit tout à l'heure : une démarche véritablement vertueuse est actuellement mise en œuvre à travers les plateformes d'infrastructures et de services ; elle permet d'assurer une meilleure qualité de service sur le réseau et de disposer de davantage de visibilité sur ces sillons.
C'est l'une des clés indispensables pour réussir à récupérer un certain nombre de clients qui, démotivés par les difficultés qu'ils ont rencontrées, se sont détournés vers d'autres modes de transport, qui ont certes le mérite d'exister, mais qui n'ont pas les mêmes vertus que le fret ferroviaire. En effet, décarboner nos modes de transport reste l'une de nos priorités.
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer. (Mme Marie Mercier applaudit.)
Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, mes chers collègues, je connais, monsieur le ministre, votre constante implication et votre grande expertise, de longue date, sur ce sujet du transport ferroviaire. Je tiens à mon tour à remercier le groupe communiste d'avoir pris l'initiative d'organiser ce débat, lequel me permet de vous interroger sur la connexion entre le fret ferroviaire et nos ports, une nouvelle brique !
En tant qu'élue du Havre, je mesure tous les jours la nécessité de la multimodalité pour le transport de marchandises. Aujourd'hui, un conteneur qui arrive dans le port du Havre a huit chances sur dix de prendre la route, une chance et demie sur dix de prendre la Seine et une demi-chance sur dix d'utiliser le rail ! Le train comme mode de transport des marchandises est donc bel et bien résiduel.
Cette situation a malheureusement des conséquences environnementales et économiques, qui, inévitablement, nous poussent à nous poser un certain nombre de questions : comment garantir, demain, une logistique décarbonée, performante et assurer une meilleure compétitivité face aux défis climatiques et géopolitiques ? Comment garantir que nos ports par lesquels transitent plus de 325 millions de tonnes de marchandises soient connectés à un réseau ferroviaire performant pour développer la multimodalité ?
En France, cette réflexion a conduit à l'élaboration de la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire inscrite dans la loi Climat et Résilience, qui fixe des objectifs ambitieux, comme de nombreux intervenants l'ont déjà mentionné.
Cette feuille de route vise un doublement de la part modale du fret ferroviaire en France, de 9 % en 2019 à 18 % en 2030, avec un objectif de 25 % à l'horizon 2050. Il y a donc urgence à agir pour atteindre cet objectif. Car, malheureusement, une telle ambition se heurte à la saturation chronique du réseau ferroviaire, conséquence directe de nos lignes obstruées, particulièrement en Normandie.
C'est pourquoi la ligne nouvelle Paris-Normandie, la LNPN, est tant attendue, et pas seulement par les Normands, qui sont depuis toujours exclus de la grande vitesse, mais surtout par l'ensemble des acteurs économiques et portuaires, qui sont las des promesses tant de fois repoussées. Faire du Havre le port de Paris n'est pas une idée nouvelle ! D'ailleurs, toutes les grandes puissances maritimes ont leur capitale reliée à un port…
Et si Haropa – regroupement du Havre, de Rouen et de Paris – donne corps aujourd'hui à l'axe Seine, le lien entre la capitale et le port du Havre ne peut pas être simplement fluvial.
Pensée dès 1991, défendue en 2009 par le président Sarkozy, soutenue par tous les gouvernements depuis lors, la LNPN est aujourd'hui toujours bloquée par l'opposition de la région d'Île-de-France et la lenteur des études préalables.
Cette ligne est pourtant indispensable, non seulement pour les passagers, mais surtout pour le fret. Elle désaturerait le réseau existant, soulagerait nos autoroutes, favoriserait une desserte efficace de Paris, principal bassin de consommation, et étendrait l'hinterland portuaire.
Aujourd'hui, Haropa traite 80% de ses volumes de marchandises dans un rayon de moins de 160 kilomètres. C'est insuffisant quand les ports du range nord atteignent, eux, 250 kilomètres…
Si nous voulons rivaliser, si nous voulons que l'axe Seine devienne une véritable colonne vertébrale logistique nationale, il faut faire sauter les verrous qui bloquent la LNPN.
Le coût total du projet est estimé à près de 10 milliards d'euros, avec une réalisation par phases prévue à l'horizon 2040. Néanmoins, l'action de l'État manque encore de clarté, tant pour ce qui concerne sa participation exacte au financement que pour ce qui est du respect du calendrier prévu.
En attendant, d'autres leviers existent pour pallier le manque d'attractivité du fret ferroviaire.
Le premier d'entre eux est un investissement massif dans le réseau stratégique dédié au fret. Les lignes et les terminaux doivent être renforcés, notamment pour augmenter le maillage et les sillons.
Le second levier consiste à s'inspirer des bonnes pratiques européennes, notamment de celles de la Suisse, qui, depuis 2016, grâce à la loi, réserve des sillons à long terme pour le fret, assurant ainsi une planification pérenne et équilibrée entre les trains de passagers et ceux de marchandises.
Je me félicite qu'Haropa Port et SNCF Réseau se soient engagés dans la recherche de solutions concrètes pour le déploiement du ferroviaire sur l'axe Seine. La recherche d'un accord marque une étape importante dans le déploiement du fret ferroviaire, car elle soutient la création d'un corridor logistique et industriel décarboné à l'échelle de l'axe, en lien avec la stratégie nationale bas-carbone et l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050.
Enfin, si l'enjeu du report vers le fret ferroviaire est avant tout celui de la massification du transport de marchandises et de sa décarbonation, la question du coût des modes de transport combiné ne peut être négligée.
Je me permets d'insister sur un point trop peu évoqué et pourtant essentiel pour la compétitivité du transport ferroviaire, à savoir les aides au transport combiné, aussi appelées " aides à la pince ". Cette aide s'élève à 23 euros par transbordement et vise à couvrir une partie du coût réel de l'opération. Elle permet de réduire l'écart de compétitivité entre le rail et la route.
L'enveloppe budgétaire allouée dans le cadre du plan Fret était de 47 millions d'euros par an pour la période 2021-2024. La stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire a prévu de maintenir le niveau de cette aide jusqu'en 2027, et le précédent gouvernement a pris l'engagement en novembre dernier de préserver ce soutien complémentaire jusqu'en 2030.
C'est bien, mais il faut aller encore plus loin. Concrètement, il s'agirait de concentrer ces aides sur les axes stratégiques.
Face aux impératifs climatiques et énergétiques liés au transport de marchandises, le fret doit être la solution. Nous le savons tous ici : le rail est le mode de transport massifié par excellence pour tous les grands pays.
L'objectif est donc clair : faire du fret ferroviaire, non pas un complément, mais un pilier de notre politique industrielle, environnementale et territoriale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe GEST. – M. Franck Dhersin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Madame la sénatrice Canayer, je vous remercie de votre question, qui me donne l'occasion de parler des grands ports maritimes.
Vous le savez : la mobilisation de ces modes de transport massifiés que sont le ferroviaire et le fluvial pour la desserte des hinterlands est un enjeu majeur pour les ports, en particulier pour les grands ports maritimes. Non seulement elle permet la massification des flux de marchandises, mais elle constitue un levier de croissance et d'attractivité pour les ports français et favorise l'optimisation des flux du transport maritime lui-même.
En 2023, 22,5% des pré- et post-acheminements portuaires relevaient des modes massifiés – plus précisément, le ferroviaire représentait 11,5% de ces flux, et le fluvial 11%. Ce niveau est stable depuis la sortie de la crise sanitaire, mais nous devons, collectivement, être plus ambitieux.
À cette fin, nous avons déployé deux stratégies nationales complémentaires : la stratégie nationale portuaire (SNP) en 2021 et la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire en 2022.
Ces documents-cadres se traduisent par divers engagements financiers. Au total, 164 millions d'euros doivent être mobilisés entre 2023 et 2027 pour améliorer la desserte de la multimodalité ferroviaire et fluviale de nos ports maritimes.
J'en viens plus spécifiquement au port du Havre, qui vous est si cher, à juste titre. La logistique et la multimodalité sont au cœur de son développement.
Premièrement, sur le volet fluvial, je pense à la réalisation de la chatière, qui sera opérationnelle en 2026. Cet aménagement vise à connecter directement au fleuve le port en eau profonde de Port 2000, qui, comme vous le savez, accueille les principaux terminaux et containers du Havre. Cet aménagement renforcera considérablement l'efficacité de notre chaîne logistique.
Deuxièmement, sur le volet ferroviaire, Haropa Port poursuit la régénération et la modernisation de son réseau ferré. Les dessertes terrestres de Port 2000 bénéficient notamment d'une opération de 25 millions d'euros. Le projet structurant de port Seine-Métropole Ouest (PSMO), plateforme multimodale, viendra compléter le dispositif d'ici à 2040, grâce à un investissement de plus de 120 millions d'euros.
Madame la sénatrice, vous pouvez être assurée de la détermination du Gouvernement à faire du Havre un hub multimodal d'excellence.
J'aurais voulu en dire davantage au sujet de la LNPN. J'ai conscience du caractère primordial de ce projet pour votre région, et je précise à ce titre que M. Serge Castel est le nouveau délégué interministériel au développement de la vallée de la Seine. Nommé tout récemment, il doit poursuivre au plus vite la concertation avec les élus. Nous allons l'installer officiellement et je présiderai le premier comité de pilotage.
Mme Agnès Canayer. Merci, monsieur le ministre !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd'hui d'un sujet majeur pour notre économie, pour l'environnement et pour l'avenir de notre système de transport : celui du fret ferroviaire.
Nous le savons tous ici, le fret ferroviaire a connu de nombreuses difficultés en France. Entre 1990 et 2000, le trafic est resté relativement stable, autour de 52 milliards de tonnes-kilomètre. Puis, à partir des années 2000, il a commencé à baisser régulièrement.
La crise économique de 2008 a fortement aggravé la situation. En 2010, le trafic est ainsi tombé à 30 milliards de tonnes-kilomètre et, depuis lors, il n'a pas vraiment rebondi.
La part du fret ferroviaire dans l'ensemble du transport de marchandises a elle aussi chuté. Elle est passée de 20 % en 1990 à environ 10,5 % en 2006 et, depuis cette date, elle n'a pas progressé.
Cette situation s'explique par plusieurs facteurs connus.
Tout d'abord, la géographie industrielle de la France n'est pas favorable à un réseau ferroviaire performant : les sites de production sont dispersés, ce qui rend difficile la concentration des flux nécessaires à la rentabilité du rail.
Ensuite, la part de l'industrie dans notre économie a fortement baissé au cours des vingt dernières années.
Enfin, de nombreux clients demandent aujourd'hui des livraisons très rapides et flexibles, ce qui favorise le transport routier.
Pourtant, le fret ferroviaire présente de nombreux avantages. C'est un mode de transport beaucoup moins polluant que la route. Il consomme moins d'énergie et émet moins de gaz à effet de serre. Un train de marchandises remplace plusieurs dizaines de camions, ce qui signifie moins de bouchons, moins d'accidents et moins de pollution.
Dans le contexte actuel, marqué par l'impératif de transition écologique, il est essentiel de développer les modes de transport propres, et le fret ferroviaire en fait partie. Il permet aussi de renforcer la résilience de nos chaînes logistiques. Il pourrait jouer un rôle important pour désengorger les routes et mieux organiser nos flux de marchandises à l'échelle du pays.
Toutefois, la relance du fret ferroviaire exige d'importants investissements. Il faut moderniser les infrastructures, remettre en service certaines lignes abandonnées ou encore construire de nouveaux terminaux. Il faut aussi adapter le réseau aux besoins actuels : augmenter la capacité, faciliter les connexions entre rail et route, et rendre le système plus fiable.
Face à ces enjeux, le Gouvernement a lancé, en 2021, une stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire.
En outre, en mars dernier, a été publié le rapport Ulysse, élaboré conjointement par la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) du ministère des transports, SNCF Réseau et l'alliance 4F.
Les auteurs de ce rapport préconisent notamment 4 milliards d'euros d'investissement sur la période 2023-2032, 2 milliards d'euros étant déjà engagés d'ici à 2027. Ils proposent des actions concrètes, comme la remise en état de 2 700 kilomètres de lignes dites capillaires, utilisées principalement pour le fret. Près de 200 millions d'euros sont également prévus pour moderniser la gestion du trafic et améliorer le partage de données.
Le programme Ulysse va dans le bon sens. Mais, pour sa réussite, plusieurs conditions doivent être réunies.
Monsieur le ministre, comment allez-vous garantir que ces investissements seront bien réalisés dans les délais prévus et comment comptez-vous organiser le suivi du plan Ulysse ? Comment le Gouvernement entend-il assurer la pérennité des lignes de fret existantes, notamment celles qui sont menacées par des restructurations, ainsi que le maintien des petites lignes, avec le démantèlement de Fret SNCF ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre intervention : vous venez de résumer une grande partie de notre débat.
Le Gouvernement a pleinement conscience des impacts à la fois écologiques et économiques d'un éventuel désengagement du fret ferroviaire. C'est pourquoi nous avons fait le choix d'un soutien massif et structuré au secteur – vous l'avez souligné –, notamment via la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire.
Cette stratégie se traduit par deux engagements financiers, qui me semblent de nature à vous rassurer : premièrement, le renforcement considérable du soutien à l'exploitation ; deuxièmement, l'effort massif en faveur des infrastructures, notamment la rénovation des voies capillaires, si importantes pour le fret ferroviaire.
Cet effort doit maintenant être amplifié – vous l'avez dit vous-même. C'est tout l'enjeu de la conférence de financement Ambition France Transports, qui va s'ouvrir le 5 mai prochain,…
M. Jean-Pierre Corbisez. Tout à fait !
M. Philippe Tabarot, ministre. … en présence de M. le Premier ministre.
Je plaide depuis des années pour que les recettes des transports financent le développement de l'ensemble des transports.
Vous avez cité le rapport Ulysse Fret, publié en mars dernier. Ce document constitue véritablement notre feuille de route pour la période 2023-2032. Il résulte d'une large concertation entre l'État, SNCF Réseau et – c'est là le plus important – les acteurs de la profession. Il pourra servir de base à la prochaine conférence de financement.
Enfin, vous avez évoqué les livraisons rapides. Vous avez raison de souligner qu'elles contribuent à renforcer le mode routier. Face à ce constat, nous devons envisager de nouvelles évolutions. Ce sujet fait d'ailleurs l'objet de travaux depuis un certain nombre d'années : je pense en particulier à l'excellent rapport de Nicole Bonnefoy et de Rémy Pointereau, dont les recommandations doivent maintenant être mises en œuvre. Nous devons faire preuve, à cet égard, d'un grand volontarisme !
M. le président. La parole est à M. Franck Dhersin.
M. Franck Dhersin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à mon tour, je tiens à remercier les membres du groupe communiste d'avoir demandé l'inscription de ce débat à l'ordre du jour.
On le constate une fois de plus ce soir, sur la relance du fret ferroviaire, il y a beaucoup à dire.
Nous avions tous ici pour ambition que la part modale du fret ferroviaire avoisine les 25 % à l'horizon 2030. Mais il est d'ores et déjà acquis que cet objectif ne sera pas atteint. Pis encore, il semblerait qu'au titre de l'année 2024 la part modale du fret ferroviaire ait un peu régressé.
Les années passent et le constat demeure : pourquoi a-t-on tant de mal à faire progresser le transport ferré de marchandises dans notre pays ? Sa part modale est deux fois plus élevée outre-Rhin et trois fois plus élevée chez nos voisins helvètes.
Quand on interroge les chargeurs, ils nous font comprendre que le critère fondamental, pour eux, est le respect des délais d'acheminement. Il faut le dire, le fret est trop souvent devenu la variable d'ajustement du réseau. Il dispose de sillons insuffisamment qualitatifs, souvent perturbés par des travaux nocturnes. Les temps de trajet ne sont pas assez compétitifs face au mode routier : le constat est clair.
L'état général du réseau est un autre élément majeur d'explication. Les lignes dites secondaires, largement empruntées par les trains de marchandises, souffrent d'un manque criant d'investissement. Il n'est pas possible d'y rouler à une vitesse commerciale satisfaisante.
Monsieur le ministre, lors de l'examen du dernier projet de loi de finances, l'ensemble des groupes politiques du Sénat ont déploré le manque d'investissement de l'État dans le réseau. Sans revenir sur ces discussions – nous ne saurions nous répéter inlassablement ! –, je vous soumets une proposition à même de rendre notre réseau plus robuste et, in fine, de faciliter les circulations de fret comme de voyageurs.
Le système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne – l'EU ETS, déjà cité – connaît une importante augmentation de ses recettes depuis deux ans.
De plus, depuis 2024, une directive européenne oblige les États membres à flécher 100% de ces fonds vers des dépenses vertes. Une partie de ces crédits est d'ores et déjà attribuée à l'Agence nationale de l'habitat (Anah), pour financer les travaux de rénovation. Ne pourrions-nous pas en flécher une autre partie vers la régénération du réseau ferroviaire ? Jusqu'à présent, une part de ces fonds reste affectée au budget général de l'État, et nul ne peut savoir si cet argent est bien utilisé pour des projets favorables à l'environnement. (M. Alexandre Basquin acquiesce.)
Aussi, je propose de flécher une partie de ces crédits de manière inconditionnelle et pérenne à l'entretien du réseau et une autre partie à SNCF Réseau, à titre de dédommagement, pour compenser la baisse des péages ferroviaires sur les dessertes jugées non rentables aujourd'hui, mesure à même de renforcer le nombre de circulations.
Grâce aux droits de péage dégagés, les opérateurs alternatifs pourraient apporter 600 à 900 millions d'euros de recettes annuelles supplémentaires au réseau d'ici à 2030-2035. En dix ans, ce dernier disposerait ainsi de 1,5 milliard à 2 milliards d'euros de recettes annuelles supplémentaires, à condition qu'il bénéficie d'une part des crédits d'ETS au moins égale à celle qui est aujourd'hui destinée à l'Anah, c'est-à-dire 700 millions d'euros par an.
Nous ne ferons pas de miracle avec le peu de moyens financiers dont nous pouvons disposer actuellement. Il faut faire preuve d'audace si nous voulons redresser notre réseau et ainsi redonner de la compétitivité à ce mode face à la route.
Monsieur le ministre, allez-vous défendre cette position auprès du Premier ministre, pour convaincre enfin le Gouvernement de flécher une partie de l'ETS vers le secteur ferroviaire ?
Rendez-vous le 5 mai à Marseille !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Monsieur le sénateur Dhersin, je vous remercie de votre intervention.
Vous formez le vœu que la part modale du fret atteigne 25% en 2030 : ce serait extraordinaire ! Certes, un certain nombre de pays européens atteignent d'ores et déjà ce taux, mais nous conservons l'objectif de doublement de cette part, pour la porter de 9% à 18 % – elle est aujourd'hui de presque 11%.
Ce choix s'explique par plusieurs raisons, que vous avez évoquées, auxquelles s'ajoutent la crise de notre industrie, qui perdure depuis un certain nombre d'années, et la non-taxation de la route – cher Olivier Jacquin, je ne reviens pas sur cette décision prise par la ministre d'alors, que j'ai citée tout à l'heure…
Vous évoquez d'autres formes de financement. À cet égard, plusieurs pistes peuvent être explorées : nous en parlerons lors de la conférence de financement qui se tiendra…
M. Franck Dhersin. Le 5 mai ! (Sourires.)
M. Philippe Tabarot, ministre. Tout à fait : ce sera à Marseille, en présence de M. le Premier ministre – je ne l'avais peut-être pas encore dit. (Nouveaux sourires.)
Les participants seront appelés à innover, à faire preuve de créativité, pour identifier des sources pérennes de financement. Quelques pistes ont déjà été évoquées, notamment au sujet de la route.
Comme le propose l'alliance 4 F, nous devons également réfléchir à un financement privé sur certains aspects.
Enfin – vous l'avez très justement dit –, je suis favorable à l'affectation de nouvelles recettes au secteur des transports, notamment au titre des ETS. Évidemment, le ministère des transports n'est pas seul sur le coup ! Mais il serait tout à fait logique qu'une part de ces crédits reviennent au secteur ferroviaire.
Je n'ai pas attendu l'organisation de la conférence de financement pour défendre cette idée auprès des services de Matignon et, bien sûr, de Bercy. Peut-être ce rendez-vous nous permettra-t-il d'avancer en la matière. En tout cas, c'est mon souhait, et je sais qu'un certain nombre de membres de cette assemblée, notamment vous, ont le même objectif.
M. Franck Dhersin. Merci beaucoup !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Delia.
M. Jean-Marc Delia. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la relance du fret ferroviaire est un enjeu majeur. Il focalise en ce sens de très nombreuses attentes, qu'il s'agisse de la transition écologique, de la compétitivité économique ou de l'équilibre de nos territoires.
Étant moi-même petit-fils de cheminot, ce sujet me touche particulièrement. J'ai grandi en écoutant les récits de ces femmes et de ces hommes qui ont fait vivre notre réseau ferroviaire, souvent dans l'ombre, mais avec une passion et un dévouement sans faille.
Aujourd'hui, le Gouvernement affiche une ambition forte : doubler la part modale du fret ferroviaire d'ici à 2030, en la portant de 9 % à 18 %, conformément à la loi Climat et Résilience.
Réaffirmée par la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire, cette volonté se décline en plusieurs axes structurants. Elle s'appuie en outre sur le programme Ulysse Fret, dont la feuille de route a été précisée en mars 2025 par le ministère des transports, SNCF Réseau et l'alliance 4F.
Soyons clairs : pour relancer le fret ferroviaire, il faut des actes forts, pas seulement des discours.
Le premier pilier de cette politique, c'est un investissement massif, avec le plan Ulysse Fret. Nous devons disposer des crédits nécessaires pour moderniser notre réseau, rénover nos gares de triage, créer de nouveaux terminaux de ferroutage et redonner vie à nos lignes capillaires.
Ces investissements sont vitaux, car ils permettront de préparer l'avenir. Grâce à eux, on évitera la dégradation du service – à défaut, plus de la moitié du trafic de fret serait menacée dans la décennie à venir.
Dès 2026, 62,5 millions d'euros, puis 75 millions d'euros, seront injectés chaque année pour entretenir et rénover nos voies de service. On parle non pas de rustines, mais d'une vraie cure de jouvence pour notre réseau !
Cette évolution nécessaire doit s'appuyer sur le réseau existant, que des générations de cheminots ont patiemment tissé.
Le deuxième pilier de cette politique est un soutien financier renforcé de l'État. Ce sont non plus 170 millions d'euros, mais 200 millions d'euros qui seront versés chaque année, et ce jusqu'en 2030. Ce soutien, c'est le gilet de sauvetage d'un secteur dont la rentabilité reste fragile, notamment avec la transformation de Fret SNCF et la création de nouvelles entités comme Hexafret et Technis pour répondre aux exigences européennes. La stabilité financière offrira la visibilité nécessaire aux opérateurs pour investir et innover.
Le troisième pilier est le développement du transport combiné et de l'intermodalité : la stratégie nationale vise à tripler le volume du transport combiné en dix ans, en modernisant les infrastructures multimodales et en améliorant l'articulation entre le rail, le fluvial et le portuaire. En 2025, le schéma directeur des transports de semi-remorques va donner un vrai coup d'accélérateur à cette dynamique.
Le quatrième pilier est l'amélioration de la qualité de service. Fiabilité, ponctualité et compétitivité : tels sont les maîtres mots. À cet égard, on mise sur la digitalisation, l'innovation et la simplification des procédures pour les chargeurs.
Le plan Ulysse Fret entend offrir un service moderne et efficace, à la hauteur des attentes du marché. Mais les défis sont considérables.
Avec sa flexibilité et ses coûts souvent imbattables, la route continue d'exercer une forte concurrence. En parallèle, le modèle économique du fret ferroviaire demeure fragile, plombé par des péages élevés et un manque de visibilité à long terme.
Comme le disent souvent les cheminots, un train qui passe, ce sont des dizaines de camions en moins sur les routes. Aujourd'hui plus que jamais, cette maxime doit guider nos politiques.
Les contraintes européennes, notamment l'obligation pour Fret SNCF de céder ses activités rentables, fragilisent la filière et risquent de renvoyer des flux vers la route.
Enfin, la modernisation du réseau exige une planification rigoureuse. Cet effort est indispensable pour répondre aux besoins de la logistique urbaine et des dessertes fines du territoire.
Dans ce contexte, le programme Ambition France Transports, pilier de la relance du fret ferroviaire, doit apporter des réponses concrètes : investissements massifs, soutien financier pérenne aux opérateurs ou encore promotion de l'innovation et de l'intermodalité. Ce sont là des leviers indispensables pour répondre aux attentes des chargeurs et accompagner la transition écologique du secteur.
Mes chers collègues, relancer le fret ferroviaire, c'est mettre sur les rails un train plus performant. Ce travail suppose de l'huile de coude, des investissements solides et de la technicité. C'est aussi un devoir envers ceux qui ont fait du rail l'épine dorsale de notre économie. Grâce à Ambition France Transports, ce train-là pourrait arriver à destination.
Avec l'État, les collectivités territoriales, les opérateurs et les chargeurs, embarquons tous ensemble dans ce train de la transition écologique, avant que les transports routiers ne prennent définitivement la tête du convoi. C'est à ce prix que nous réussirons la transition écologique, renforcerons la compétitivité de nos entreprises et offrirons à nos territoires un avenir logistique durable et performant. (Mme Agnès Canayer applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Monsieur le sénateur Delia, permettez-moi de vous dire avant tout combien j'ai été heureux – et même fier – de vous entendre à cette tribune.
Le Gouvernement est convaincu de la nécessité de soutenir le développement du fret ferroviaire, que vous avez très bien défendu dans votre intervention. Les chiffres sont éloquents : le fret ferroviaire émet neuf fois moins de CO2 que le fret routier et consomme six fois moins d'énergie à la tonne-kilomètre de marchandise transportée.
Vous avez raison de le souligner, la relance du fret ferroviaire exige à la fois de la persévérance et des investissements dignes de ce nom : c'est exactement la ligne que nous suivons avec la stratégie nationale.
En outre, le Gouvernement ne s'est pas arrêté là. Ainsi – vous l'avez également rappelé –, une stratégie claire et des actions communes à l'ensemble des acteurs du secteur ont été définies dans le cadre de la démarche Ulysse Fret, laquelle nous permet également d'établir une priorisation des investissements pour les infrastructures ferroviaires nécessaires au développement du fret. C'est peut-être le plus important.
Cela étant, nous devrons bel et bien faire preuve de patience pour obtenir des résultats concrets, garantissant une augmentation significative du report de la part modale en faveur du fret ferroviaire.
Vous êtes bien placé pour le savoir, le temps ferroviaire est un temps long et sensible à divers aléas. À ce titre, notre premier défi est de garantir le bouclage du financement de la démarche entreprise. C'est pour cette raison que j'ai souhaité que le fret ferroviaire soit un thème à part entière de la conférence de financement que nous lancerons lundi prochain, le 5 mai, à Marseille, en présence de M. le Premier ministre.
Je souhaite que la mobilisation des acteurs se poursuive dans ce cadre, sur la base solide que constitue le rapport Ulysse. L'engagement de tous doit soutenir, in fine, l'ambition que nous avons pour ce très beau secteur.
- Conclusion du débat -
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. le ministre.
M. Philippe Tabarot, ministre auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je profiterai pleinement du temps qui m'est imparti, car je n'ai pas pu répondre aussi longuement que je l'aurais souhaité à toutes les excellentes interventions auxquelles ce débat a donné lieu.
Nos échanges de ce soir ont mis en évidence les défis concrets auxquels le fret ferroviaire est aujourd'hui confronté.
En regardant dans le rétroviseur, je pense que nous pouvons être fiers de la première étape réalisée ces dernières années pour soutenir le fret ferroviaire. Tous les acteurs ont travaillé ensemble pour avancer et donner une nouvelle chance à ce secteur essentiel pour la décarbonation de nos transports.
Je tiens à souligner ici le travail structurant et visionnaire de l'alliance 4F, qui a permis de fédérer l'ensemble des acteurs de la filière au moment le plus difficile – l'État, SNCF Réseau, qui accomplit un travail remarquable en matière de fret, les entreprises ferroviaires, l'Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF) et le Cerema – autour d'objectifs communs, afin de définir une stratégie concertée de développement du fret ferroviaire. Cette dynamique se poursuit et fait l'objet d'un suivi rapproché pour en garantir la mise en œuvre.
Grâce à ce travail collectif, nous avons mis en place une stratégie unique au service du fret ferroviaire, avec quatre axes prioritaires que nous avons déjà largement évoqués : restaurer la viabilité des services et le modèle économique des opérateurs de fret ferroviaire ; améliorer la qualité de service de SNCF Réseau ; investir dans les infrastructures permettant le développement du fret ferroviaire ; accentuer la coordination avec le portuaire et le fluvial.
Ce travail se poursuit, via l'étude approfondie d'identification à dix ans des grandes priorités d'investissement pour le fret ferroviaire, dans le cadre du rapport Ulysse Fret, publié récemment.
Par ailleurs, l'État soutient massivement l'exploitation avec une enveloppe de près de 370 millions d'euros en 2025, alors même que la période est extrêmement complexe. Un effort particulier a été réservé au wagon isolé, dont l'aide a été augmentée en 2025, passant de 70 millions à 100 millions d'euros. Je rappelle qu'il s'agit de la seule mesure en augmentation dans le budget des transports terrestres. C'est dire combien le fret est pour nous une priorité.
Collectivement, nous avons réalisé un travail considérable pour surmonter les difficultés de ce secteur, après la crise du covid-19 et la crise de 2023.
Vos interventions l'ont souligné : la question des péages, de la desserte des ports, du maillage territorial ou encore du développement du transport combiné sont autant de sujets qui nécessitent une réponse coordonnée.
Ainsi, nous devons garantir la pérennité des investissements, poursuivre les efforts pour valoriser le fret face à – ou à côté de – la route, toujours dans un esprit de complémentarité entre les modes de transport, ou encore sécuriser l'ouverture du capital d'Hexafret. D'ores et déjà, nous sommes en mesure d'annoncer de bonnes nouvelles concernant de futurs clients pour cet opérateur.
C'est tout l'enjeu de la conférence de financement des transports que nous lançons lundi prochain.
M. Jean-Pierre Corbisez. À Marseille ! (Sourires.)
M. Philippe Tabarot, ministre. En effet, monsieur Corbisez… (Mêmes mouvements.)
J'ai voulu que le fret soit un axe à part entière de cette initiative, car il s'agit d'un moment décisif pour l'avenir du secteur.
Le fret ferroviaire n'est pas seulement un mode de transport parmi d'autres : il est un pilier central de notre politique de décarbonation et d'aménagement territorial. En investissant dans le fret, nous investissons dans un avenir plus durable, plus résilient et plus équilibré. Le fret ferroviaire permet de réduire les émissions de CO2 – je rappelle qu'un train de fret représente l'équivalent de quarante camions –, de désaturer les routes et de soutenir le développement économique des territoires. Il est essentiel pour connecter les ports, les industries et les zones rurales, en favorisant une logistique plus efficace et plus respectueuse de l'environnement. Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais pouvoir compter sur vous.
Malgré les difficultés du fret énumérées lors de ce débat, je vois également un secteur qui se réinvente, qui innove, qui ose. Merci au groupe CRCE-K de nous avoir permis de l'exprimer ce soir.
Quand un train de fret circule sur nos voies, ce ne sont pas seulement quarante camions en moins sur nos routes, c'est l'avenir de notre industrie et de nos territoires qui se met en mouvement.
Oui, le défi est immense, mais la France du rail a toujours su repousser ses limites. C'est ce que nous allons faire, ensemble ! (Applaudissements.)
source https://www.senat.fr, le 7 mai 2025