Déclaration de Mme Clara Chappaz, ministre déléguée, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique, sur les initiatives européennes en matière de simplification et d'allégement de la charge administrative pesant sur les entreprises, au Sénat le 29 avril 2025.

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  • Clara Chappaz - Ministre déléguée, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique

Circonstance : Débat organisé au Sénat à la demande du groupe Les Républicains

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur les initiatives européennes en matière de simplification et d'allégement de la charge administrative pesant sur les entreprises.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l'orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Madame la ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l'hémicycle.

(...)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier pour l'organisation de ce débat sur les travaux européens en matière de simplification des obligations administratives des entreprises.

Il s'agit là d'une priorité du Gouvernement au moment où, comme vous l'avez très justement dit, monsieur le sénateur Rapin, la compétitivité européenne doit être renforcée, où le Pacte vert est en train d'être mis en œuvre et où les équilibres géopolitiques internationaux se recomposent.

À la suite de la publication du rapport Draghi et du constat unanime d'un déficit de compétitivité de l'Union européenne, la Commission a proposé, à la fin du mois de février dernier, un premier paquet omnibus de simplification de la réglementation en matière de durabilité.

Il ne s'agit en aucun cas, au travers de ces mesures, de remettre en question les objectifs environnementaux que s'est fixés l'Union européenne dans le cadre du Pacte vert – ils sont eux-mêmes gage de compétitivité – ni son leadership en la matière.

Nous savons en effet que l'inaction environnementale est un risque majeur. Selon le réseau des banques centrales sur le climat, la poursuite des trajectoires climatiques actuelles conduirait à une perte de 15 % à 20 % du PIB mondial d'ici à 2050. L'année 2024 a été l'année la plus chaude jamais enregistrée, marquant le premier dépassement du seuil des 1,5 degré Celsius de réchauffement.

Dans ce contexte, la mise en œuvre des objectifs du Pacte vert reste un impératif crucial et les entreprises doivent pleinement intégrer ces objectifs et les risques environnementaux dans leur gestion stratégique sans toutefois perdre en compétitivité.

En pratique, ces enjeux deviennent constitutifs des relations d'affaires, tandis que les institutions financières les intègrent de plus en plus dans leurs décisions d'investissement.

Il est capital de s'appuyer sur l'expérience concrète de nos entreprises européennes, dans un contexte où certaines grandes puissances se désengagent politiquement de la lutte contre le changement climatique.

L'appel lancé par Mario Draghi a bel et bien été entendu et la France agit pleinement pour proportionner sa réglementation et ne pas freiner sa compétitivité.

Le paquet omnibus prévoit de limiter le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières aux importations de plus de 50 tonnes de marchandises par an, alors que le seuil initial était de 150 euros d'importation. Il est important de le mentionner, car il s'agit d'une simplification massive et efficace, puisqu'elle sort du champ 92 % des entreprises tout en couvrant toujours 98% des émissions. Cet exemple est à suivre.

Le paquet omnibus vise également à réviser la directive CSRD, qui requiert la publication d'informations auditées et comparables en matière de durabilité. L'exercice étant manifestement trop lourd, il est prévu de recentrer la directive sur les entreprises de plus de mille salariés, ce qui conduit à exempter 80 % des entreprises. Un décalage de deux ans du calendrier est aussi prévu, en particulier pour les entreprises non cotées. Enfin, le volume des informations à publier sera réduit.

Il s'agit donc d'une simplification très forte, que le Gouvernement soutient vivement.

Au niveau national, nous avons pris le plus tôt possible, au travers de la loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne, dite loi Ddadue, adoptée par le Parlement voilà quelques semaines, des dispositions de transposition.

Pour ce qui est de la directive CS3D sur le devoir de vigilance, l'enjeu de la négociation européenne est de simplifier la directive actuelle, qui va au-delà de la loi française, et d'assurer des conditions de concurrence équitables.

La proposition de la Commission apporte des modifications bienvenues, qui renforcent la proportionnalité du cadre, comme la focalisation des mesures de vigilance sur les partenaires directs.

Le Gouvernement est favorable à des modifications supplémentaires, comme le rehaussement du seuil à cinq mille salariés, en cohérence avec la loi française, afin de limiter son application aux entreprises ayant les moyens humains et financiers suffisants, ainsi qu'une influence véritable sur leur chaîne de valeur.

Par ailleurs, la suppression d'un régime de responsabilité civile harmonisé se ferait au détriment des entreprises françaises. Il s'agit donc d'un point important dans les négociations qui sont en cours.

Comme vous le voyez, le Gouvernement ne recule pas devant l'obstacle, il agit avec détermination pour que ce travail de simplification soit ambitieux et adapté aux réalités économiques, sans toutefois compromettre – j'insiste sur ce point – nos objectifs premiers.

Renforcer notre compétitivité en limitant la lourdeur administrative nous permettra d'atteindre de façon pragmatique les objectifs du Pacte vert, qui restent notre priorité.

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Gérard Lahellec. (M. Michaël Weber applaudit.)

M. Gérard Lahellec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la Commission européenne a présenté le 26 février dernier une proposition de directive dite omnibus visant à réduire les charges administratives et réglementaires pesant sur les entreprises d'au moins 25%.

Sous prétexte de renforcer la compétitivité, cette proposition fragilise plusieurs avancées récentes : la responsabilité sociétale des entreprises, la finance durable et les exigences accrues de transparence.

Or, si nos entreprises sont dans une situation compliquée, c'est parce que l'économie contemporaine est régie par une forme de prime au vice.

En gros, plus une entreprise a des pratiques délétères pour l'intérêt général, plus elle est profitable. Si vous décidez de délocaliser pour produire dans des pays où les normes sociales et environnementales sont limitées, vous obtenez des coûts de production moins élevés et vous êtes donc plus compétitifs.

Forcément, pour les entreprises qui veulent produire en France tout en respectant le droit applicable, il est extrêmement compliqué de s'en sortir.

La fast fashion est l'incarnation, dans le secteur du textile, de ces pratiques délétères : les entreprises vendent à bas prix des produits fabriqués dans des conditions déplorables et acheminés souvent par avion. En face, les PME françaises qui veulent produire du textile de qualité en Europe sont étranglées par cette concurrence déloyale.

Dans le contexte de guerre commerciale engagée par Donald Trump, le phénomène pourrait s'amplifier. Faute de débouchés aux États-Unis, les produits chinois à prix cassés vont affluer et investir le champ européen. C'est déjà le cas, notamment, pour les voitures électriques.

Les entreprises de plusieurs secteurs ont donc besoin de régulations pour être protégées de ce système pernicieux.

Je prends pour exemple la proposition de loi visant à réduire l'impact environnemental de l'industrie textile, dite " anti fast fashion ", qui a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale en 2024.

Elle prévoit notamment d'augmenter les contributions financières payées par ces entreprises dans le cadre de la responsabilité élargie des producteurs (REP), en prenant en considération l'impact environnemental des produits mis sur le marché. Ce type de mesures contribuerait à réduire la concurrence déloyale que subissent les acteurs du made in France ou du made in Europe.

Méfions-nous donc de certaines préconisations affirmant que la régulation est un fardeau administratif. Elles servent des intérêts privés. Les lobbies profitent des inquiétudes sur le commerce international pour remettre en cause l'ensemble du cadre réglementaire.

Ce n'est pas parce qu'il y a des accidents à certains carrefours qu'il faut pour autant supprimer les feux rouges ! C'est au contraire en régulant la vitesse et le trafic qu'on peut fluidifier la mobilité.

Les entreprises ont besoin de régulations qui les protègent du dumping social et environnemental. Sans régulation, c'est toujours la loi du plus fort et du moins scrupuleux qui s'applique.

L'Europe fait face à une perte de souveraineté économique. Si nous voulons nous en sortir, nous avons tout intérêt à préserver la qualité de nos emplois, notre système de santé, nos sols, la qualité de notre air et de notre eau. Pour cela, il faut des règles.

L'Europe a la possibilité d'incarner une autre économie, sociale et écologique. C'est aussi ce qui lui permettra de rester une puissance durable sur la scène mondiale.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur Lahellec, je vous remercie d'avoir attiré notre attention sur un certain nombre de points.

Je reviendrai dans un instant sur la question de la fast fashion et des produits chinois, sur laquelle nous avons particulièrement travaillé ce matin avec mes homologues relevant du périmètre de Bercy.

Il est vrai que nous entendons beaucoup parler de cette Europe qui régule, mais nous devons faire la différence entre, d'une part, l'objectif de la régulation, laquelle vise très souvent, en Europe, à protéger nos valeurs et à définir les modalités selon lesquelles nous souhaitons que l'Union européenne fonctionne, et, d'autre part, la mise en œuvre de cette régulation. Nous travaillons, à cet égard, à simplifier le plus possible afin de ne pas ralentir nos entreprises, qui elles-mêmes portent nos valeurs.

Il ne faut donc pas se laisser enfermer dans un discours, qui est d'ailleurs parfois instrumentalisé – je vous rejoins sur ce point, monsieur le sénateur –, selon lequel la régulation serait une fin en soi et ne serait que négative.

En ce qui concerne la fast fashion et la concurrence des produits chinois, j'indique tout d'abord que la proposition de loi que vous avez évoquée sera examinée en séance publique, au Sénat, les 2 et 3 juin prochains. Je m'en réjouis. Nous serons très attentifs à l'évolution des débats.

J'ai en effet pu observer de mes propres yeux, ce matin, comment se matérialisait le risque que vous avez décrit, monsieur le sénateur. Autour du ministre Éric Lombard, nous étions ainsi, avec mes collègues Amélie de Montchalin et Véronique Louwagie, à Roissy. Nous avons pu constater la masse des petits colis d'une valeur inférieure à 150 euros : on estime que 800 millions de ces colis arrivent chaque année en France !

Nous avons discuté avec les agents des services des douanes et des autres services concernés. Ces colis présentent des risques avérés : pour les Français, tout d'abord, parce que dans 94% des cas ils contiennent des produits non conformes, mais aussi pour notre économie, en raison notamment de la contrefaçon, et pour nos finances publiques, parce que ces colis ne sont pas toujours bien déclarés.

Nous allons donc renforcer les contrôles. Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics, envisage d'ailleurs d'instaurer des frais de gestion pour les financer, car il ne revient pas aux contribuables d'en payer le coût.

M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jacques Fernique. Madame la ministre, le paquet omnibus proposé par la Commission européenne prétend alléger les charges administratives qui pèsent sur les entreprises. Derrière ce vernis de simplification se concrétise en réalité un très net coup de frein à la transition écologique européenne.

On veut nous faire croire que l'objectif serait de faciliter la vie de nos entrepreneurs écrasés par les formalités administratives, que les obligations sociales et environnementales seraient des tracasseries qui, permettez-moi l'expression, pourriraient la vie des acteurs économiques, et cela sans utilité.

En fait, parler de simplification à propos du paquet omnibus relève de l'abus de langage. Ce qui se joue réellement, ce n'est pas la suppression de lourdeurs administratives. En vérité, on assiste à un renoncement, à une régression par rapport à des avancées qui ne résultent pas de décisions prises à la légère, mais qui ont été réalisées en toute connaissance de cause, à l'issue de concertations,…

M. Olivier Rietmann. Certainement pas !

M. Jacques Fernique. … de négociations difficiles, en trilogue notamment.

Le Pacte vert européen est un acquis de la précédente législature. Ce paquet omnibus marque ainsi une régression. Si le Sénat devait le soutenir, cela constituerait aussi une régression pour notre assemblée.

Je me souviens qu'en 2022 – ce n'est pas si loin ! – le Sénat avait adopté, de manière transpartisane, une résolution européenne, dont j'étais l'auteur avec Christine Lavarde et Didier Marie, sur la proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité.

Je me souviens aussi des recommandations – c'était l'an dernier – de la commission d'enquête sénatoriale sur les moyens mobilisés et mobilisables par l'État pour assurer le respect par TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France.

Ces travaux témoignaient d'une exigence, d'une ambition en ce qui concerne la directive sur le devoir de vigilance des entreprises, dont la Commission, en présentant le paquet omnibus, prône désormais l'affadissement.

Il s'agit d'un choix politique, délibéré, soutenu – il faut le dire – par la droite et l'extrême droite européennes. Sous prétexte de simplifier, on prend pour cible tout ce qui relève du progrès environnemental ou des droits sociaux à l'échelle de la planète. Les règles sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) sont pointées du doigt comme bouc émissaire des difficultés des entreprises.

Je ne citerai que les principaux reculs qu'entraînerait l'adoption de ce paquet omnibus.

La mise en œuvre des directives CSRD et CS3D serait reportée dans le temps, ce qui serait contre-productif.

Le champ d'application de la directive CSRD serait réduit : 80% des entreprises qui auraient dû y être assujetties seraient épargnées, si bien que ne seraient plus concernées, en définitive, que 0,02% des entreprises européennes.

L'évaluation des impacts négatifs de l'activité de l'entreprise ne serait plus obligatoire que tous les cinq ans, et non plus tous les ans.

L'obligation de rompre les relations commerciales en cas d'incidences négatives avérées serait supprimée.

Surtout, le devoir de vigilance ne s'appliquerait plus à l'ensemble de la chaîne d'activité : ainsi, le principe même de cette directive serait liquidé.

Enfin, les victimes perdraient leur possibilité de recours juridique.

Madame la ministre, mes chers collègues, lorsque l'on affaiblit les obligations de reporting et que l'on recule sur la régulation, on ouvre les vannes au dumping social et environnemental qui, précisément, malmène nos entreprises et entrave la réindustrialisation. Vouloir affaiblir nos instruments extraterritoriaux et pousser à l'adoption de ce paquet omnibus vont à l'encontre de nos objectifs en matière de souveraineté industrielle.

La France, à la suite de l'effondrement du Rana Plaza, a été pionnière en ce qui concerne le devoir de vigilance. Notre pays était alors à l'avant-garde.

Si nous sapons ainsi nos acquis sociaux et environnementaux, nous allons perdre un temps précieux, alors qu'ailleurs les autres pays travaillent à renforcer la résilience de leurs entreprises. La Chine nous talonne ainsi en matière de standards de durabilité. L'Australie, le Japon, le Canada adoptent des législations sur le devoir de vigilance.

Voulons-nous vraiment perdre notre avance ? Cette dérégulation se ferait au détriment de la souveraineté européenne, de l'emploi et des entreprises qui ont investi : en revenant sur les règles existantes, on encourage le vice et on sanctionne la vertu ! (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, nous maintenons avec détermination l'objectif de réduction de 55% des émissions de gaz à effet de serre, au niveau européen, d'ici à 2035, ne serait-ce que pour des raisons économiques – mais il y en a d'autres –, car, comme je l'ai dit dans mon propos liminaire, la trajectoire climatique actuelle aurait un impact de 15% à 20% sur le PIB mondial.

Il s'agit d'avancer vers cet objectif en simplifiant de manière utile et intelligente, sans alourdir la charge pour nos entreprises. Tel est l'enjeu des discussions actuelles. Je prendrai l'exemple, que j'ai déjà évoqué, mais qui est particulièrement parlant, du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières : il est envisagé de retirer 92 % des entreprises de son champ, mais on couvrirait toujours 98 % des émissions.

Vous avez parlé du devoir de vigilance. La France, vous l'avez dit, a joué un rôle précurseur en la matière. Le Gouvernement défend, dans les négociations européennes, le maintien d'un certain nombre d'obligations. Nous avons ainsi fait savoir que la suppression d'un régime de responsabilité civile harmonisé se ferait au détriment de nos entreprises. C'est un point important, sur lequel nous serons très attentifs dans les négociations.

Le paquet omnibus actuel vise les dispositions relatives aux devoirs des entreprises en matière de responsabilité sociale et environnementale.

Pour autant, nous travaillons aussi à simplifier toutes les réglementations européennes, y compris celles qui sont en cours de discussion, comme la proposition de règlement relatif à un cadre pour l'accès aux données financières, dit Fida (Financial Data Access).

De même, un paquet spécifique sera consacré au secteur du numérique ; il sera présenté en octobre prochain.

J'y insiste : nous œuvrons à simplifier dans tous les secteurs.

M. le président. La parole est à M. Michaël Weber. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Michaël Weber. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, face à une mondialisation sans foi ni loi, qui creuse les inégalités et nous pousse vers un modèle de consommation toujours plus destructeur pour la santé humaine et l'environnement, la norme peut être protectrice.

La déréglementation et la dérégulation financière constituent une réponse dangereuse au haro contre la charge administrative. Un espace existe entre bureaucratie et réglementation nécessaire. La frontière est certes ténue, mais nous pouvons diminuer la complexité sans restreindre nos exigences.

L'Europe doit fonder sa compétitivité sur les atouts de son modèle social, qui est unique au monde, et ne rien renier de son ambition. Elle seule porte, de nos jours, un projet et une vision cohérente pour une économie responsable et durable.

L'Union européenne réglemente l'accès à son marché pour favoriser le développement d'entreprises européennes vertueuses, limiter nos émissions de carbone, lutter contre l'érosion de la biodiversité et la pollution de l'air et améliorer notre alimentation.

L'Europe met en œuvre des mesures concrètes pour garantir le respect des droits humains, afin que nos valeurs ne deviennent pas de simples idéaux vénérables inscrits dans nos constitutions et un alibi juridique sans réalité dans nos vies quotidiennes.

L'argument est aussi d'ordre économique. L'Europe propose un modèle de vie attractif et innovant fondé sur la durabilité. Le renforcement de la qualité de nos modes de production et de consommation constitue l'avantage compétitif de notre système.

Les investissements verts, l'innovation durable, l'harmonisation du marché européen, qui pèse autant que celui des États-Unis, constituent ainsi des piliers de la compétitivité européenne : nous n'opposons pas la stabilité financière à la transition écologique et au respect des droits humains.

Or c'est au nom de cette même compétitivité que l'on veut saper les avancées majeures de l'Union européenne en matière de droits humains, d'environnement et de climat.

Dans cette course aveugle à la compétitivité, comparons un instant, mes chers collègues, les modèles sociaux en Europe et aux États-Unis.

L'espérance de vie en Europe est la plus élevée du monde et les inégalités y sont les plus faibles. Les émissions de carbone sont trois fois plus élevées aux États-Unis qu'en Europe. La production d'électricité en Europe est la moins carbonée : la part des énergies renouvelables y atteint 45%, alors que ce taux plafonne à 15% aux États-Unis. La surface agricole en bio est proche de 10% en Europe, alors qu'elle est de moins de 1% outre-Atlantique. Le continent américain a triplé sa consommation de pesticides quand l'Europe l'a réduite de 5%.

Les politiques que nous menons collectivement ont bel et bien des résultats concrets. Cependant, nos engagements pour une économie durable et responsable suscitent des oppositions fortes de la part de nos partenaires et concurrents internationaux.

Ainsi, l'administration américaine, comme à l'époque de Kissinger, n'hésite pas à s'immiscer dans nos politiques pour les contourner, torpiller le Pacte vert européen et défaire nos ambitions agroécologiques.

Aux États-Unis, les normes et les fonds ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) sont pris pour cible depuis 2022. Le mot d'ordre semble y être : toujours plus de profits pour les grands groupes, plus d'énergie fossile, de ségrégation sociale, d'inégalité, de fraude, d'intimidation, de précarité, et moins de droits humains, d'environnement, de solidarité et de justice.

Cette politique inique et absurde est désormais présentée par certains comme une recette payante, dans une course à la croissance où la norme est perçue comme un obstacle.

Subissant cette pression politique, la Commission européenne ouvre désormais la boîte de Pandore, en affichant sa volonté de revenir sur ses normes les plus ambitieuses, en les reportant sine die ou en restreignant leur champ d'application, au risque de les vider de leur substance et de ne produire que des coquilles vides.

Or ces retours en arrière, sous la pression internationale, ces va-et-vient incessants nous affaiblissent collectivement, créent de l'incompréhension et de l'instabilité et ce sont les entreprises européennes qui sont les premières à en souffrir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, vous l'avez très justement dit, il s'agit, pour l'Europe, de trouver le bon équilibre, en simplifiant pour limiter la bureaucratie, mais sans réduire notre ambition.

Vous avez évoqué le risque de vider de sa substance notre législation. Il est important de rappeler que la version de la directive CSRD qui figure dans le paquet omnibus demeure très ambitieuse, comme en témoignent les obligations qui restent à la charge des entreprises. Elle est notamment plus ambitieuse que les standards internationaux, tels que ceux de l'ISSB (International Sustainability Standards Board), dont la mise en œuvre est facultative. L'Europe reste donc leader en la matière.

Vous avez aussi soulevé la question de la prévisibilité et du risque d'instabilité juridique que ces modifications peuvent entraîner pour les entreprises. C'est une vraie question. C'est d'ailleurs pour cette raison que, via la loi Ddadue dont j'ai déjà parlé, nous avons voulu donner, le plus tôt possible, de la visibilité aux entreprises.

Il s'agit bien de les accompagner, afin d'éviter que cet effort de simplification ne soit pas source d'incertitude pour elles.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Brault. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDSE.)

M. Jean-Luc Brault. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, allons droit au but : qu'est-ce qui se cache derrière ce débat ? Une passion que la France partage avec l'Union européenne : la frénésie normative !

Disons-le clairement et simplement, la première des mesures de simplification et d'allégement de la charge administrative des entreprises est très simple : elle consiste à leur apporter de la stabilité et de la visibilité.

Bref, il faut que nous arrêtions de danser le tango à l'échelle européenne – un pas en avant, un pas en arrière. Si nous n'avions pas complexifié aveuglément, nous n'aurions pas à simplifier par paquets omnibus !

Nous avons besoin de l'Union européenne, c'est une évidence. Il n'y a pas de débat sur ce point.

Toutefois, demandez aux chefs d'entreprise sur le terrain ce qu'ils pensent de la Commission… Qu'ils dirigent une TPE, une PME ou un groupe international, tous les patrons français vous diront qu'ils n'ont pas le temps de se mettre en conformité avec une norme qu'une nouvelle leur tombe dessus.

M. Olivier Rietmann. Exactement !

M. Jean-Luc Brault. Tous n'ont pas les moyens d'employer un juriste pour assurer une veille dans leur secteur ou de gaspiller du temps et de l'énergie à le faire eux-mêmes !

Il faut le dire, beaucoup de nos concitoyens, en premier lieu nos chefs d'entreprise, ressentent, parfois de manière viscérale, une forme de précarité administrative et juridique. Certains ont la boule au ventre chaque jour : ils se demandent s'ils ont bien pensé à tout ou s'inquiètent de savoir ce qui leur tombera dessus le lendemain !

Il en va de même pour tous les patrons des pays de l'Union, me direz-vous, mais nous avons en plus un penchant bien français pour le bavardage législatif et la surtransposition des directives européennes… C'est la cerise sur le gâteau ou plutôt la goutte d'eau qui fait déborder le vase !

Pourtant, j'y insiste, l'Union européenne est essentielle. Il n'y a pas de débat sur le sujet !

Elle nous apporte une stabilité politique dans un monde toujours plus fou et frénétique. Cependant, la Commission doit conforter cette stabilité par son travail normatif, en conciliant harmonisation européenne et ambition collective, et non pas en ajoutant de la frénésie à la frénésie.

Madame la ministre, nous devons plaider à Bruxelles pour que l'Union change de logiciel, de culture. Pourquoi ne s'inspirerait-elle pas d'ailleurs de cette culture de la sagesse normative que nous pratiquons au Sénat ?

La priorité des priorités doit être simplement d'agir plus raisonnablement, d'une manière plus connectée au terrain, au lieu d'édicter, de manière précipitée, des normes, que l'on cherche régulièrement à détricoter par la suite, de manière maladroite.

Une telle méthode n'empêcherait pas d'agir avec réactivité. Au contraire, nous gagnerions en souplesse, tout en nous inscrivant dans la perspective du temps long, et nous apporterions de la stabilité et de la visibilité à nos entreprises. La première préoccupation des patrons est en effet de savoir ce qui va se passer après-demain pour choisir comment investir demain.

Les résultats pour l'Europe en termes de PIB, d'innovation, de production industrielle, etc. sont connus. Les chiffres ont été rappelés. Et si nous, les Européens, ne faisons rien, nous condamnons l'Union à une « lente agonie », comme l'a dit Mario Draghi, le 9 septembre dernier, lorsqu'il a rendu public son rapport sur la compétitivité européenne.

À la suite de ce constat, la Commission a dévoilé, au début de l'année, une feuille de route pour réduire le retard économique de l'Union européenne. L'une des priorités affichées est de simplifier les normes et d'alléger les charges administratives qui pèsent sur les entreprises.

La Commission propose ainsi de revenir sur des normes européennes qui ont été adoptées ces dernières années. Il s'agit de simplifier les règles auxquelles sont soumises les entreprises : c'est un mea culpa qui ne dit pas son nom, mais faisons-le pour nos petites et moyennes entreprises le plus rapidement possible, avant qu'il ne soit trop tard.

Dans un contexte international marqué par d'importants bouleversements et le retour de la guerre commerciale, il est impératif de conjuguer réactivité et stabilité, dans l'intérêt de nos PME. Il y va de notre compétitivité, de notre indépendance et de notre souveraineté.

Je tiens à préciser que simplifier nos normes ne signifie pas sacrifier nos objectifs, notamment en matière d'écologie : les atteindre doit rester notre priorité.

Au contraire, si nous agissons de manière moins précipitée, au plus près de la réalité des acteurs économiques et des territoires, nous serons gagnants en termes d'efficacité économique et d'acceptation sociale. Nous pourrions atteindre plus aisément nos objectifs, qui doivent rester ambitieux.

Madame la ministre, j'ai deux questions.

Tout d'abord, comment la France s'adaptera-t-elle aux mesures de simplification qui seront, je l'espère, adoptées à l'échelle européenne ?

Ensuite, pouvez-vous nous affirmer ici que la France sera ensuite le garant d'une certaine forme de sagesse normative auprès de la Commission européenne, afin d'apporter de la visibilité et de la stabilité à nos entreprises ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, dans cet effort de simplification, nous sommes guidés par le souci d'apporter de la stabilité aux entreprises. Au ministère de l'économie et des finances, nous recevons régulièrement les entreprises concernées par de futures réglementations afin de les consulter sur les positions à tenir.

Pour répondre à votre question sur la transposition de ces directives de simplification, j'indique que nous veillerons évidemment à ne pas complexifier, à ne pas surtransposer et à nous assurer que l'effort de simplification est bien intégré dans le droit français et qu'il bénéficie à nos entreprises.

Je répondrai à votre seconde question sur la sagesse normative en prenant un exemple. Nous ne nous interdisons pas de remettre en cause des textes dont nous ne voyons pas l'utilité. Nous sommes ainsi les seuls à nous battre pour supprimer les nouvelles règles Fida sur les données financières des clients, parce que nous n'en voyons pas l'intérêt, au regard notamment du coût occasionné, de la lourdeur et de l'allongement de trois à huit heures des procédures pour les entreprises. Nous plaidons purement et simplement pour leur suppression. Nous savons le faire quand cela est nécessaire.

M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme Pascale Gruny. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la Commission européenne a récemment dévoilé son agenda de simplification et son programme de travail pour 2025. Je voudrais insister sur le volet agricole.

Dans une communication, la Commission a présenté sa vision pour l'agriculture et l'alimentation à l'horizon de 2040. Celle-ci comporte quatre grands axes de simplification, qui s'inscrivent dans le prolongement des quelques mesures qui ont été prises l'année dernière en réponse à la colère du monde agricole. Certains points méritent que l'on s'y attarde.

Tout d'abord, la Commission souhaite mettre en place des outils simplifiés d'aide aux revenus. En raison de l'empilement des dispositifs ouvrant droit à des prestations et des conditions d'octroi kafkaïennes qui leur sont associées, la déclaration annuelle des aides de la politique agricole commune (PAC) constitue un véritable cauchemar pour les agriculteurs.

La procédure crée une surcharge administrative indue, car les agriculteurs sont là pour produire et non pour administrer, et cela multiplie en outre les risques d'erreurs déclaratives et donc, in fine, les risques de sanctions.

À cet égard, la communication contient une phrase qui, selon moi, est essentielle : « Il n'appartient pas à l'Union de concevoir en détail les pratiques à respecter dans les exploitations. » Enfin !

La question des contrôles est absolument centrale pour les agriculteurs. Ils doivent être les moins nombreux possible et il conviendrait de tous les effectuer à l'occasion d'une seule visite.

Ces contrôles doivent porter non pas sur le respect de telle ou telle norme, apprécié de manière tatillonne, mais plutôt sur l'analyse des résultats obtenus. Ils doivent être tournés non pas vers la sanction systématique de l'erreur, mais plutôt vers l'accompagnement technique dans la mise en œuvre de solutions efficaces.

La Commission entend également promouvoir les nouvelles technologies comme vecteur de simplification. Leur usage permettrait non seulement d'améliorer la compétitivité de l'exploitation, grâce à une meilleure utilisation des ressources et à un meilleur pilotage, mais aussi de réaliser des contrôles plus simples et plus rapides dans la mesure où certaines données ont déjà été suivies et enregistrées. En outre, il est avéré que l'utilisation d'images satellitaires permet d'effectuer des contrôles surfaciques beaucoup moins invasifs.

Un point d'ordre général me semble important. La simplification ne doit pas seulement viser une administration plus simple des dispositifs. Elle doit avant tout viser une mise en œuvre plus aisée sur le terrain, afin de faciliter à la fois la vie des agriculteurs et l'atteinte des objectifs politiques de la PAC.

Attention toutefois à ne pas trahir les attentes ! L'effet de ces mesures devra être très concrètement perceptible par les exploitants, sinon ce sera un nouveau coup d'épée dans l'eau.

Le Sénat restera vigilant à ce que l'on ne déguise pas, sous les habits de la simplification, ce qui serait en fait une nouvelle étape de renationalisation de la PAC, phénomène que j'avais déjà dénoncé, dès juillet 2017, dans mon rapport sur l'avenir de la PAC.

Enfin, si cette démarche visant à simplifier va incontestablement dans le bon sens – nous espérons qu'elle ira vraiment au bout de sa logique –, se pose aussi la question d'une éventuelle déréglementation sur certains points.

En effet, si les règles sont plus simples à appliquer, c'est évidemment très bien. Mais la réflexion ne doit pas s'arrêter là. Il est nécessaire qu'elle porte également sur le stock de normes qui s'est accumulé au fil des ans et qui n'a jamais fait l'objet d'un véritable bilan coûts-avantages.

N'oublions pas que le gouvernement américain fait de la dérégulation l'un des axes centraux de sa politique économique. Il est dès lors à craindre que ce mouvement venu d'Amérique exerce une pression concurrentielle sur le reste du monde, qui in fine pèsera sur l'Europe et aggravera encore davantage le différentiel compétitif dont elle souffre.

En agriculture, comme dans d'autres secteurs, nous serons alors placés face à un choix que nous ne pourrons plus continuer d'esquiver. Il faudra soit déréguler, soit, si nous ne voulons pas nous y résoudre, nous protéger : ou bien à l'américaine, par le biais de barrières tarifaires, ou bien à l'européenne, en instaurant des barrières non tarifaires, ce qui donnerait enfin véritablement corps au principe de réciprocité des normes – ces fameuses clauses miroirs dont on parle beaucoup, mais dont on voit peu la couleur.

Au vu du contexte actuel, pourriez-vous, madame la ministre, nous faire état des réflexions nationales et européennes en cours sur le sujet ?

En conclusion, le monde agricole a montré, au fil des années, son incroyable résilience. Toutefois, sa viabilité est menacée en raison de la pression exercée par les tensions géopolitiques et les crises récentes, des effets dévastateurs des phénomènes météorologiques extrêmes et des tendances structurelles qui sont à l'œuvre.

Il convient, dès lors, de donner à nos agriculteurs les moyens d'exercer leur métier sans entraves. C'est à ce prix qu'ils pourront réellement assurer notre autonomie alimentaire et notre indépendance stratégique. Madame la ministre, il est urgent d'agir ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Madame la sénatrice, en ce qui concerne l'agriculture, notre philosophie sera la même que celle qui nous anime dans les autres secteurs. Toutefois, la ministre de l'agriculture serait plus compétente que moi pour vous présenter notre action en détail.

Là aussi, nous cherchons à trouver le juste équilibre et à simplifier le quotidien de nos agriculteurs. Annie Genevard y est très attachée. Elle a notamment défendu dans ce sens la loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture, dont l'examen a été, un temps, interrompu en raison de la fin de la législature précédente.

Notre philosophie est de simplifier, tout en préservant nos objectifs, notamment ceux qui figurent dans le Pacte vert, et en accompagnant les agriculteurs, qui nourrissent notre pays et font un métier très noble et très important pour notre nation.

M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour la réplique.

Mme Pascale Gruny. Madame la ministre, j'ai toujours peur quand on parle de simplification. Les agriculteurs ne veulent pas qu'on en rajoute. Simplifions surtout ce qui existe déjà, sans rien ajouter. C'est le message que je souhaite vous adresser.

M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il nous faut simplifier, mais selon deux impératifs : sans déréguler et sans complexifier davantage.

Alors que l'examen du projet de loi de simplification de la vie économique a repris à l'Assemblée nationale et qu'un millier d'amendements reste à examiner, il me semble utile d'exprimer ce message en introduction : appliquons déjà les règles existantes, de façon homogène, en prenant le temps de les expliquer, de les accompagner et de les évaluer.

Formons pour ce faire celles et ceux à qui elles se destinent, avant de faire le procès de leur non- ou mauvaise mise en œuvre.

Il fait soigner les relations entre les administrations, d'une part, et les usagers et notre appareil productif, d'autre part : nous avons besoin de moins de documents et de plus de proximité, de moins de défiance et de plus de confiance.

L'excès de normes, l'imprévisibilité et la complexité de ces dernières pèsent négativement sur l'activité de nos entreprises et sur notre économie.

Ce phénomène présente un autre volet qui n'est pas suffisamment abordé : il s'agit de la souffrance au travail, du sentiment d'inutilité, ainsi que du découragement des équipes qui en résulte. La France se classe au deuxième rang des pays où la bureaucratie est la plus complexe. Durant la réalisation de mes récents travaux sur cette problématique, de nombreux témoignages m'ont été adressés, tels des appels au secours : " il faut arrêter de légiférer sans cesse ", " tout change en permanence ", " c'est trop dur pour nous " ou encore " ma directrice des affaires financières devient folle ".

Les normes que nous édictons emportent des conséquences sociales. En France et en Europe, tous les secteurs attendent de nous des réponses, en l'occurrence une forme de sobriété.

Aussi, je le dis au préalable, je regrette le choix du rejet du test PME à l'Assemblée nationale. Tout ce qui permet d'éclairer nos décisions et leurs conséquences doit être renforcé dans les domaines économique et budgétaire, mais également environnemental. Tout cela relève de notre responsabilité première.

Hier, à la Maison du peuple de Brest, j'ai d'ailleurs défendu la systématisation des études d'impact, de même que la mise à l'ordre du jour de la procédure de " censure constructive " proposée par François de Rugy en 2015. Aussi, je défends le rétablissement du test PME, tout comme j'ai soutenu la mise en œuvre du test CSRD pour que le reporting soit praticable au sein des États membres.

Après l'inversion de la courbe du chômage, après l'inversion de la courbe des émissions de CO2, soyons déterminés à inverser la courbe de la complexité, dont l'évolution est perçue comme exponentielle.

C'est ce qu'ont proposé MM. Rietmann, Moga et Devinaz dans un travail sénatorial remarqué. Simplifier, ce n'est pas seulement numériser, c'est aussi humaniser.

Je reviens au sujet du débat organisé ce soir à la demande du groupe Les Républicains.

Dans un document publié il y a deux semaines, le Conseil de l'Union européenne a dévoilé ses positions sur la proposition de directive visant à amender la directive CS3D, le règlement Taxonomie et la directive CSRD, présentée par la Commission européenne dans le cadre du paquet omnibus en début d'année.

Les deux positions paraissent très proches. L'objectif est de permettre aux vingt-sept États membres de trouver un compromis avant l'été. Les eurodéputés ont eu, quant à eux, une première discussion à ce propos en commission des affaires juridiques, dite Juri, le 23 avril dernier. De grandes divergences se sont cette fois fait jour entre les groupes, portant notamment sur le reporting de durabilité et le devoir de vigilance, alors que le calendrier est très serré, comme je l'ai déjà souligné.

Plusieurs points de vigilance ont notamment pu être exprimés par le groupe Renew Europe. Attention à ce que la simplification ne soit pas synonyme d'un abandon de nos ambitions, notamment climatiques.

Il est ainsi demandé que soit maintenue la double matérialité dans la CSRD. Celle-ci favorise en effet des rapports de durabilité plus précis et pertinents, alors que, dans le même temps, dans le contexte mondial bouleversé que nous connaissons, la Chine a annoncé qu'elle allait l'appliquer en fixant un seuil plus bas que mille salariés.

Pascal Canfin a défendu la nécessaire simplification de l'audit dans le cadre de l'application de la directive CSRD, alors que de nombreuses plaintes ont été formulées sur ses déclinaisons pratiques.

Il s'est par ailleurs opposé à la suppression de l'harmonisation du régime de la responsabilité civile dans le cadre du devoir de vigilance.

Enfin, il a défendu la préservation d'un équilibre entre les deux côtés de la chaîne de valeur. Alors que 90 % des fournisseurs des grandes entreprises sont des structures de moins de mille salariés, ces entreprises ne pourront pas obtenir les données dont elles ont besoin si le périmètre d'application est trop limité.

Il sera de toute façon nécessaire de porter une attention toute particulière à l'écriture des guides de cadrage. Comme pour la commande publique, le temps d'adaptation et la sécurisation juridique sont primordiaux. C'est un gage de réussite !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Madame la sénatrice, je vous remercie d'avoir évoqué le test PME, dispositif auquel le Gouvernement est favorable.

Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'indiquer, nous avons beaucoup consulté à cette fin. Nous continuons d'ailleurs de le faire régulièrement pour nous assurer que tous les efforts sont engagés en faveur des entreprises. Je sais que la délégation sénatoriale aux entreprises organise également des consultations.

Dans ce contexte, le test PME constitue un outil utile. Quelques étapes restent toutefois à franchir, notamment l'adoption du projet de loi de simplification de la vie économique. Nous verrons si, à l'occasion de la commission mixte paritaire, nous parvenons à réintroduire cette mesure, qui est une bonne disposition, ainsi que vous l'avez souligné, madame la sénatrice.

M. le président. La parole est à M. Michel Masset.

M. Michel Masset. Madame la ministre, c'est une réalité : nos normes sont trop nombreuses, peu lisibles et coûteuses pour nos entreprises, qui en souffrent énormément. Notre jardin normatif à la française s'est transformé en une jungle hostile. Cette dynamique présente un enjeu de taille pour notre économie.

Aujourd'hui plus que jamais, l'Union européenne est au tournant d'un réagencement de l'ordre économique mondial et une révolution copernicienne doit y être menée pour alléger et simplifier la charge administrative qui pèse sur nos entreprises.

Dans ce contexte, dès le mois de juillet 2024, la présidente de la Commission européenne, Mme von der Leyen, a placé la simplification au centre de son deuxième mandat, avec l'objectif de réduire de 35 % la charge administrative pesant sur les PME d'ici à 2029.

À cet effet, l'année 2025 est structurée autour d'un programme de travail centré sur la compétitivité. Des mesures en la matière ont été lancées en début d'année.

La diminution de la charge administrative doit servir à renforcer la productivité qui fait tant défaut à l'Union européenne et à supprimer les normes qui paralysent nos entreprises.

Trois éléments expliquent à mon sens cette paralysie.

D'abord, l'accumulation et les modifications fréquentes de la législation européenne provoquent des chevauchements et des incohérences.

Ensuite, la transposition du droit européen crée des différences qui alimentent une concurrence déloyale au sein du marché unique. Ainsi, dans le Lot-et-Garonne, mais c'est également le cas ailleurs, la surtransposition des normes dans les secteurs de l'agriculture, du bâtiment, du transport, pour ne citer que ceux-là, pénalise les entreprises locales. Nous aurons probablement l'occasion de reparler de ces sujets prochainement.

Enfin, la réglementation européenne est plus lourde pour les PME et ETI que pour les grandes entreprises.

En faisant le choix d'être proactive sur la simplification administrative, la Commission européenne adopte enfin le parti pris de mettre le droit européen au service d'une politique de croissance.

L'adoption des textes à venir représentera une économie potentielle de 6,3 milliards d'euros sur les coûts administratifs et une capacité d'investissement supplémentaire de 50 milliards d'euros.

J'en viens à la méthodologie. Ces initiatives doivent intégrer de meilleurs outils d'évaluation, de pilotage et de contrôle en se plaçant davantage du point de vue des entreprises.

Par exemple, en 2019, l'Union européenne a publié plus de treize mille actes normatifs contre trois mille aux États-Unis. Cet écart gigantesque montre bel et bien que l'Union européenne est atteinte d'une " bureaucratite aiguë ". (Sourires.)

Comment cet échec s'explique-t-il ?

À mon sens, l'Union européenne ne dispose pas d'un cadre d'analyse des coûts et des bénéfices des nouvelles normes qui permettrait de s'interroger réellement sur leur portée et leurs effets.

Face à ce diagnostic, plusieurs initiatives ont été prises ces derniers mois pour mieux évaluer l'incidence des règles européennes existantes et la compétitivité européenne.

Cela fait écho à des dispositifs adoptés par notre assemblée dès le mois de mars 2024 dans le cadre de la proposition de loi, déposée par Olivier Rietmann, visant à rendre obligatoires les " tests PME ". De tels mécanismes répondent à une logique claire : simplifier la vie économique au service de la croissance.

Toutefois, ces initiatives devront nécessairement concilier la libération de notre potentiel économique avec la préservation d'un modèle social et environnemental européen. C'est le dernier point sur lequel je souhaite m'attarder.

Je considère qu'il ne faut pas confondre simplification et dérégulation. Pour répondre aux défis auxquels elle fait face, l'Union européenne doit aussi s'appuyer sur les atouts de son modèle social et sur sa réponse originale et forte au défi de la transition écologique.

Dans ce souci, le groupe du RDSE défend une mondialisation régulée.

Au regard de ces remarques, la France doit veiller à défendre à l'échelon européen une politique de simplification compatible avec des standards sociaux et environnementaux les plus élevés possible. Elle doit aussi éviter la surtransposition du droit communautaire.

Pour dépasser le cadre de notre débat, je conclus en précisant que ces discussions doivent également questionner nos modes de consommation. En effet, le premier prescripteur de l'économie reste le consommateur. C'est lui qui, par son action, a un rôle de promotion d'entreprises plus vertueuses et peut encourager les circuits courts. Madame la ministre, qu'en pensez-vous ?

M. Olivier Rietmann. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, je vous rassure : l'objectif du paquet omnibus, en particulier pour les directives dont nous discutions – CSRD, devoir de vigilance, MACF… –, est bien d'alléger la charge des plus petites entreprises. Non, l'ambition n'est pas de leur faire porter plus de charges que sur les autres, bien au contraire.

Nous devons maintenir nos objectifs, tout en veillant à ne pas freiner la compétitivité de l'économie, en particulier celle des petites entreprises, pour lesquelles – c'est une évidence – les obligations sont plus lourdes à porter.

Cette précision me permet de revenir sur la question de la compétitivité. Dans le contexte géopolitique actuel, il est beaucoup question de dérégulation ; vous l'avez vous-même mentionné, monsieur le sénateur. Il me semble au contraire que maintenir les objectifs à l'échelon européen peut aussi être une opportunité de compétitivité pour nos acteurs économiques.

Je m'explique. L'environnement international qui est le nôtre aujourd'hui pousse de plus en plus de fonds de pension qui investissent à long terme et qui continuent à prendre en compte les risques environnementaux à confier la gestion de leur portefeuille à des gestionnaires d'actifs européens plutôt qu'américains.

Par conséquent, dans l'effort d'équilibre que nous poursuivons, il ne faut pas oublier que nos objectifs en matière de responsabilité sociale et environnementale sont très positifs et favorables aussi à la compétitivité.

M. le président. La parole est à M. Claude Kern.

M. Claude Kern. Madame la ministre, le débat que nous avons ce soir est très intéressant. À ce titre, je remercie mes collègues du groupe Les Républicains de nous permettre d'échanger nos points de vue sur les initiatives européennes en matière de simplification et d'allégement de la charge administrative pesant sur les entreprises – même si la notion de simplification peut parfois poser question…

Je tiens tout d'abord à saluer la proposition de législation dite omnibus.

Ce paquet vise notamment à alléger les contraintes pesant sur les entreprises européennes engagées sur la voie de la transition écologique. Son ambition est de simplifier la publication d'informations en matière de durabilité, de devoir de vigilance et de taxonomie.

Il doit aussi faciliter les activités commerciales des petites entreprises à moyenne capitalisation. Ainsi, il sera possible de réduire les charges administratives et réglementaires, tout en maintenant les objectifs de transition écologique. Cette initiative va dans le bon sens et c'est heureux.

Notons que cela fait suite à deux rapports que j'ai déjà évoqués lors d'un débat préalable au Conseil européen et qui ont souligné la perte de vitesse de l'industrie européenne par rapport à celles de la Chine ou des États-Unis. Il s'agit du rapport d'Enrico Letta d'avril 2024 et de celui de Mario Draghi de septembre 2024. La législation omnibus permet la traduction concrète de certaines des recommandations contenues dans ces rapports.

Par ailleurs, le discours simpliste et anti-européen que nous entendons à chaque campagne électorale européenne s'appuie souvent sur le fait que les maux de nos entreprises proviendraient de l'Union européenne.

Madame la ministre, permettez-moi de rappeler que la France n'est pas la dernière à faire de la surtransposition. Les exemples sont nombreux, notamment en droit du travail. Elle a souvent ajouté des protections supplémentaires pour les travailleurs, allant au-delà des exigences minimales des directives européennes, ce qui peut rendre le marché du travail moins flexible et augmenter les coûts pour les employeurs français.

Dans le domaine environnemental, là encore, la France est trop souvent dans la surtransposition. Il n'est qu'à voir les contraintes lourdes qui pèsent sur nos entreprises agricoles par rapport à celles des autres États membres. Cela a été rappelé au cours de ce débat.

Enfin, la réduction des délais administratifs est aussi un levier crucial pour améliorer la compétitivité des entreprises. En France, plusieurs types de délais administratifs pourraient être optimisés pour créer un environnement plus favorable aux entreprises.

Le processus de création d'une entreprise peut prendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois, notamment en raison des délais liés à l'enregistrement auprès des différentes administrations comme le greffe du tribunal de commerce ou l'Urssaf. Il en va de même pour l'obtention de certains permis de construire ou de licences d'exploitations. De plus, les entreprises doivent souvent attendre plusieurs mois pour obtenir des remboursements au titre de la TVA ou du crédit d'impôt recherche ou bénéficier de certaines aides.

Madame la ministre, vous l'aurez compris, la réduction des délais administratifs est essentielle pour améliorer la compétitivité des entreprises en France. En simplifiant et en numérisant les procédures, en harmonisant les délais à l'échelle nationale et en favorisant une meilleure coordination entre les administrations, il est possible de créer un environnement plus favorable à l'entrepreneuriat et à l'innovation.

Pour le groupe Union Centriste, les initiatives prises récemment vont dans le bon sens. Il faut poursuivre dans cette voie, car les perspectives économiques sont malgré tout obscures dans le contexte géopolitique que nous traversons. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, je vous remercie d'avoir posé la question de la surtransposition. J'y répondrai en prenant quelques exemples récents.

Dans le cadre du projet de loi Ddadue, non seulement nous avons transposé le mécanisme dit Stop the clock. Nous avons ainsi gagné du temps sur la mise en place des obligations contenues dans les différentes directives, tout en restant fidèles à ce qui a été décidé à l'échelon européen, et nous sommes allés plus loin en décidant de lever l'obligation pénale des dirigeants que nous avions auparavant introduite dans le droit français. Je rappelle que le droit européen n'imposait pas cette mesure, mais la laissait au choix de chaque État membre. Nous avons pris conscience de cette situation et en avons tiré des conséquences fortes.

Pour ce qui concerne les textes à venir, dans le cadre du projet de loi relatif à la résilience des infrastructures critiques et au renforcement de la cybersécurité, dit Résilience, qui a été récemment examiné dans cet hémicycle et que je connais bien, j'ai fixé comme priorité à mon action le souci de ne pas surtransposer afin d'aboutir à une harmonisation maximale à l'échelon européen et d'éviter d'avoir des règles différentes entre chaque État membre.

Il y va de la compétitivité de nos entreprises et j'y veille avec fermeté.

M. le président. La parole est à Mme Marion Canalès. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDSE.)

Mme Marion Canalès. Madame la ministre, simplifier, oui. Reste que simplifier, ce n'est pas renoncer.

Il paraît pour le moins contradictoire de multiplier les discours de souveraineté européenne, tout en s'alignant sur des normes américaines ou chinoises et non sur celles qui ont été édictées par l'Union européenne.

Toute puissance productive est aussi une puissance normative. Je partage les récents propos d'Olivia Grégoire : " Ceux qui ne font pas la règle la subissent à terme. "

Les normes sociales et environnementales apparaissent bien souvent comme le coupable idéal du ralentissement économique ! Comment peut-on incriminer des directives qui ne sont pas encore entrées pleinement en vigueur pour justifier un ralentissement économique européen, alors que le rapport Draghi recommande surtout et avant tout un choc d'investissement à hauteur de 800 milliards d'euros pour combler le déficit de compétitivité que vous avez évoqué, madame la ministre.

Mon intervention portera principalement sur le devoir de vigilance.

Au cœur de la récente proposition de directive de simplification dite omnibus se trouvent des sujets sur lesquels la France peut se targuer d'avoir été pionnière. Je pense notamment à la redevabilité, qui est un miroir de la société. Pour autant, tout miroir, s'il donne une image du réel, est aussi un outil puissant de transformation de cela même qu'il reflète.

Il existe une véritable valeur ajoutée de la norme. Loin de se limiter à sa seule portée technique, celle-ci constitue un puissant outil pour les entreprises au service de leurs activités.

J'aimerais tuer dans l'œuf la vision assez binaire qui pourrait émerger de ce débat : il n'y a pas, d'un côté, les dangereux bureaucrates accros à la norme et totalement déconnectés des enjeux et défis des entreprises et, de l'autre, les hussards bleu blanc rouge des entreprises qui apporteraient une réponse simple à un sujet aussi complexe que l'environnement normatif européen.

Simplifier, c'est l'action de rendre plus simple, plus facile. Je ne vous apprends rien avec cette définition très sommaire. Cela étant, cela m'amène à poser la question suivante : qu'est-ce qui complique aujourd'hui la vie des entreprises ?

Dans l'océan actuel d'incertitudes économiques et géopolitiques, les entreprises ont besoin que le cap soit maintenu pour élargir sur le long terme leur horizon de navigation.

Ce qui leur complique la vie, ce sont les allers et retours dans les décisions qui les touchent. C'est précisément ce stop and go qui caractérise la position du gouvernement français sur la directive CS3D. La volte-face de la France est difficilement compréhensible.

Cette directive impose aux entreprises de prévenir et corriger les impacts négatifs de leurs activités et de celles de leurs filiales et partenaires commerciaux sur les droits humains et l'environnement. Rien que cela, et ce alors que 160 millions d'enfants travaillent sur les chaînes de production mondialisées et que, partout, la planète déborde ou brûle, comme le dit très justement mon collègue député Dominique Potier.

Renoncer, c'est nier les millions de victimes de tous les Rana Plaza du monde, alors que nous venons de commémorer les treize ans de l'effondrement de ce bâtiment ayant entraîné la mort de plus de mille deux cents personnes employées par des sous-traitants de grandes entreprises du textile.

Alors que la directive CS3D devait être transposée avant le mois de juillet 2026, la récente directive Stop the clock est venue acter le report d'un an de la mise en œuvre du devoir de vigilance. Pour sa part, le gouvernement français en a préconisé le report sine die. Il s'agit là d'une position pour le moins paradoxale, puisque la France a intégré ce devoir de vigilance dans son droit national dès 2017 et que, le 30 novembre 2022, le Gouvernement qualifiait encore notre pays de pionnier en la matière !

Dans ces conditions, qu'est-ce qui fragilise les entreprises ? La directive en elle-même ou les volte-face successives, quand les entreprises souhaitent un cap et des règles stables ?

Dans son étude d'impact préalable, la Commission européenne affirmait clairement que le devoir de vigilance contribue à renforcer la compétitivité des entreprises européennes.

Il est possible de simplifier la vie des entreprises sans porter atteinte à l'objectif fixé et sans délai supplémentaire. Et c'est le sens de l'histoire ! Pour cela, il aurait fallu agir sur l'acceptabilité des nouvelles réglementations par les entreprises elles-mêmes et non les laisser seules face à ces nouvelles préconisations. Il aurait également fallu motiver toute la chaîne d'accompagnement des entreprises pour leur expliquer qu'elles passeraient très vite du décryptage à l'avantage compétitif.

La mise en œuvre de certaines normes a un coût, mais le coût social et écologique de leur absence serait plus lourd encore. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Madame la sénatrice, vous le savez, la France a été pionnière pour ce qui concerne le devoir de vigilance.

La position de la France est claire en la matière et c'est celle qui nous guide dans l'effort de simplification que nous menons. Il s'agit de ne pas revenir en arrière, mais d'avoir un cadre en phase avec le droit français, notamment sur la question du seuil de salariés : cinq mille en droit français, alors que la directive européenne vise à l'abaisser à mille.

Pour que ce soit plus prévisible pour nos entreprises et que nous ayons de la stabilité, nous plaidons pour que la directive soit le plus fidèle possible à ce que la France a mis en place.

M. le président. La parole est à Mme Marion Canalès, pour la réplique.

Mme Marion Canalès. Je m'étonne de l'injonction paradoxale du Gouvernement.

Pourquoi, dans une note datant de janvier ou février dernier, la France a-t-elle reculé et demandé le report sine die du devoir de vigilance, alors même qu'elle avait pris une position courageuse et anticipative sur une mesure essentielle qui vise à conforter les droits humains, à lutter contre l'exploitation des personnes ?

Je ne m'explique toujours pas ce revirement. Espérons que ce recul permettra de prendre un nouvel élan et ne provoquera pas un nouveau retard.

M. le président. La parole est à M. Clément Pernot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Clément Pernot. Madame la ministre, au mois de septembre dernier, Mario Draghi lançait, dans son rapport, un cri d'alerte : depuis vingt ans, l'économie européenne décroche. Face aux États-Unis et à la Chine, notre productivité et notre capacité d'innovation s'effondrent.

La tendance ne faiblit pas, au contraire. Selon Mario Draghi lui-même, si rien n'est fait, l'Union européenne est condamnée à " une lente agonie ".

Il est utile de le répéter, fût-ce à l'envi. Si rien n'est fait, l'Union européenne produira toujours moins de richesses, disposera de moins en moins de ressources et sera impuissante à relever les défis démographiques, sociaux, militaires, environnementaux, migratoires et technologiques de notre temps.

Face aux offensives commerciales américaines, aux surcapacités et au dumping chinois, face aux investissements massifs qu'exigent notre sécurité et les transitions, il n'y a plus de temps à perdre : restaurer la compétitivité européenne est devenu un enjeu existentiel.

Si beaucoup reste à faire, il est une cause profonde de l'asphyxie de nos entreprises qu'il nous appartient de traiter rapidement : le fardeau réglementaire, fruit de nos propres excès législatifs et bureaucratiques.

Chaque année, selon Eurostat, ce fardeau coûte 150 milliards d'euros aux entreprises européennes. Ces dernières années, il n'a cessé de croître. De 2019 à 2024, l'Union européenne a produit plus de treize mille textes, soit plus de deux fois plus que les États-Unis. L'administration Trump s'apprête à creuser davantage cet écart, en annonçant une vague de dérégulation sans précédent.

Dans l'énergie, la finance, l'intelligence artificielle, les télécoms, la défense, le spatial ou les biotechnologies, les défis sont immenses. Soyons lucides : jamais nos entreprises ne pourront les relever si nous ne simplifions pas radicalement nos cadres réglementaires.

Après des années de surréglementation méthodique, l'Union européenne semble enfin prendre la mesure de l'urgence.

Depuis 2022, le principe du one in, one out s'applique. Pour chaque nouveau surcoût imposé par une norme, d'autres normes doivent être supprimées à coût équivalent.

Depuis 2023, chaque analyse d'impact doit intégrer un contrôle de compétitivité.

Depuis 2024, l'objectif est fixé : réduire de 25% la charge administrative des entreprises, 35% pour les PME.

La Commission européenne admet désormais que certaines législations, notamment celles qui sont issues du Green Deal ou encore les objectifs environnementaux, sociaux et de gouvernance, les fameux critères ESG, sont allées trop loin. Si leurs objectifs étaient louables, ces réglementations ont aussi engendré des monstres administratifs, déconnectés des réalités économiques. Leur révision, parfois avant même leur entrée en vigueur, en est la preuve.

La boussole pour la compétitivité, le paquet omnibus et la révision des textes sur le reporting de durabilité, la taxonomie des investissements ou le mécanisme d'ajustement carbone sont des actes positifs.

Nous saluons également l'attention portée dès cette année au statut des entreprises intermédiaires, aux cadres d'investissement, ainsi qu'aux simplifications promises dans l'agriculture, la défense, la chimie, le numérique et l'industrie décarbonée.

De façon plus générale, la volonté de passer en revue l'intégralité de l'acquis communautaire est une initiative salutaire, tout comme la mise en place d'un cycle annuel d'évaluation de la législation au sein de chaque portefeuille de commissaire, associant systématiquement les entreprises.

Cependant, cette dynamique doit s'inscrire dans la durée. La simplification doit non plus être l'exception, mais devenir un réflexe permanent de notre culture législative et réglementaire.

Il nous faut même aller plus loin et porter ouvertement la question de la déréglementation. Il nous faut non seulement simplifier, mais aussi questionner l'utilité même de certaines normes. Certaines doivent être corrigées ; d'autres, tout simplement, supprimées.

Madame la ministre, votre responsabilité, comme celle de vos collègues chargés des entreprises, est déterminante. Les attentes de nos entreprises sont immenses. Elles aspirent à retrouver leur liberté d'innover, de produire, de créer de la valeur et de l'emploi dans un monde où la croissance n'est plus notre monopole et où la pertinence réglementaire façonne désormais la puissance économique. Les ministères chargés des entreprises sont au cœur de la tourmente, mais ils doivent être tournés vers ce redressement.

Par vos actions, la France peut adresser un message clair à ses entreprises : celui de la confiance retrouvée et d'une ambition renouvelée pour notre compétitivité.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Clément Pernot. Si, demain, vous témoignez de cette ambition, vous pourrez compter sur le soutien sans faille des sénateurs de la commission des affaires économiques, des sénateurs de la délégation aux entreprises et, plus généralement, des sénateurs d'utilité économique.

Madame la ministre, ne les décevez pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Henno applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le président, je répondrai d'abord à Mme Canalès.

L'expression sine die a été employée dans la note à laquelle vous avez fait référence pour laisser aux discussions le temps d'aboutir et affiner notre position sur le devoir de vigilance. Il ne s'agissait pas d'un report ad vitam aeternam.

J'en viens à la question de M. Pernot, qui remet la question de l'investissement, abordée précédemment, au centre du débat. Simplifier, c'est bien, mais – nous sommes d'accord – cela ne suffira pas pour gagner en compétitivité.

Aussi, parmi les actions visant à convaincre nos entreprises de notre ambition et de notre détermination à les accompagner, afin qu'elles deviennent les fers de lance de notre politique d'innovation, je prendrai un exemple, celui d'un secteur qui me tient à cœur : l'intelligence artificielle.

Avec le Sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle, nous avons fait précisément ce que vous proposez, monsieur le sénateur : nous avons redonné confiance.

Nous l'avons d'abord fait par le discours, en plaçant la France au cœur de la dynamique de l'intelligence artificielle ; Paris, la France tout entière, ont ainsi été le théâtre de l'IA pendant plusieurs jours, ont rayonné à l'échelle internationale et ont suscité une véritable dynamique.

Ensuite, au-delà du discours et des images de ce sommet, il y a eu des actes forts, notamment en matière d'investissement. En France, d'abord, le Président de la République a annoncé un investissement de 109 milliards d'euros destiné à créer l'infrastructure dont nous avons besoin pour faire tourner nos modèles d'intelligence artificielle. À l'échelon européen, ensuite, le plan InvestAI, d'un montant de 200 milliards d'euros d'origine publique et privée, doit renforcer notre capacité à développer nos propres technologies.

Cela est fondamental, car la souveraineté, dont on parle beaucoup, passera par le soutien aux entreprises européennes qui sont à la pointe des technologies comme l'intelligence artificielle ; elles peuvent nous éviter de dépendre de technologies extra-européennes, comme c'est le cas dans nombre d'autres domaines du secteur numérique.

M. le président. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. Olivier Henno. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est des sujets dont on parle avec constance, souvent avec de bonnes intentions, mais qui peinent – hélas ! – à se traduire par des changements concrets. La simplification administrative en Europe en est une illustration parfaite.

En effet, implanter, développer ou simplement maintenir une activité économique en Europe constitue un défi de plus en plus difficile à relever, et cela ne date pas d'hier. Depuis plusieurs années, les chefs d'entreprise, les industriels, les investisseurs dénoncent une surcharge administrative étouffante, qui alourdit les coûts, bride l'agilité et finit par miner notre compétitivité. En comparaison, nos concurrents, qu'ils soient américains ou asiatiques – souvent chinois –, évoluent dans des cadres bien plus souples, souvent plus lisibles et par conséquent plus favorables à l'investissement.

Prenons un chiffre simple, mais qui résume l'ampleur du problème : entre 2019 et 2024, pendant le mandat de la précédente Commission européenne, l'Union a produit près de treize mille nouvelles normes, soit plus du double de ce qu'ont produit sur la même période les États-Unis. Comprenez-moi bien, ce n'est pas seulement une question de quantité ; c'est aussi une question de lisibilité, de cohérence et d'équation avec la réalité du terrain.

Soyons clairs, les directives dites omnibus ont le mérite d'exister, elles représentent un progrès indéniable, mais elles ne sont pas encore à la hauteur de l'impératif de productivité et de création de richesses ; cela reste encore timide…

Je suis élu du Nord et, dans ce département, une menace plane sur une entreprise importante, ArcelorMittal. Cela m'inspire trois observations.

Tout d'abord se pose la question de l'emploi, puisque quelque quatre cents familles dans le Dunkerquois et deux cents à Florange sont concernées ; c'est grave, c'est lourd, c'est un problème autant économique que social.

Ensuite, il y a le refus de l'entreprise ArcelorMittal d'investir dans la décarbonation, alors même qu'elle est subventionnée à cette fin à hauteur de 800 millions d'euros sur un projet de 1,7 milliard d'euros et que, dans le même temps, elle annonce un investissement de 1 milliard d'euros aux États-Unis.

Enfin se pose la question de la souveraineté. Nous avons la volonté de réarmer la France et l'Europe, mais, sans une production souveraine et autonome d'acier et d'aluminium – les mêmes questions se posent en effet pour l'aluminium avec Tata –, j'ai bien peur que ces appels au réarmement de la France et de l'Europe restent des mots creux. Voilà la réalité brutale du monde !

Alain Chatillon et moi-même avons rédigé un rapport d'information sur la concurrence européenne voilà près de cinq ans, à l'époque du projet de fusion entre Siemens et Alstom, car c'est la compétence par excellence de l'Union européenne. Les principes qui avaient été défendus lors de nos travaux étaient ceux de la concurrence libre et non faussée, du multilatéralisme, du meilleur prix pour le consommateur et de la norme. Mais c'est le monde d'hier ! Aujourd'hui, nous faisons face à des États, des empires, des continents qui abordent l'industrie sous le seul angle de la souveraineté et de la volonté de puissance !

Ils n'ont rien inventé, d'ailleurs : au XVIIe siècle déjà, La Bruyère affirmait que la puissance d'un pays se mesurait à son industrie. Ces pays subventionnent donc la leur et la défendent avec leurs droits de douane, quoi qu'il en coûte sur le plan financier, voire, pour ce qui concerne les États-Unis, avec la bourse. Or la réplique de l'Union européenne me semble bien timide.

Comprenez-moi bien, mes chers collègues, il ne s'agit nullement de renoncer à nos ambitions environnementales ou sociales ; il s'agit simplement de rendre celles-ci compatibles avec la réalité économique.

C'est pourquoi il est grand temps d'engager un véritable aggiornamento administratif et fiscal, de penser efficacité, lisibilité, cohérence, car la compétitivité de notre continent, la vitalité de nos entreprises et l'avenir de nos emplois en dépendent. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, mon collègue Marc Ferracci est très attaché à la défense de la productivité et de la compétitivité de nos industries et il s'est déjà exprimé sur plusieurs des sujets que vous avez évoqués.

Il s'agit, comme pour l'agriculture tout à l'heure, d'un secteur spécifique ; je laisserai donc à mon collègue le soin de vous présenter plus précisément nos plans d'action en la matière.

Sachez tout de même que nous restons très attentifs à la situation des entreprises, notamment de celles que vous avez mentionnées. La question de la compétitivité de ces secteurs est bien présente à notre esprit.


Source https://www.senat.fr, le 9 mai 2025