Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation aux entreprises, sur les défaillances d'entreprises.
Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l'auteur de la demande dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l'issue du débat, l'auteur de la demande dispose d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
(…)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC. – M. François Patriat applaudit également.)
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le président, monsieur le président de la délégation sénatoriale aux entreprises, mesdames, messieurs les sénateurs, avant d'entrer dans le vif du sujet, je tiens très sincèrement à remercier la délégation aux entreprises de nous permettre d'avoir ce temps d'échange sur ce sujet très important que sont les défaillances d'entreprises.
Vous le savez, un débat constructif commence forcément par des constats partagés, sur le fondement de quelques chiffres. Ils ont déjà été rappelés, mais je souhaite y revenir.
J'évoquerai tout d'abord le nombre de défaillances : en 2024, ce sont 66 000 entreprises qui ont connu un jugement d'ouverture de l'une des trois procédures collectives – la sauvegarde, le redressement ou la liquidation judiciaire.
Parmi ces 66 000 entreprises en défaillance, 32 000, soit environ 48%, employaient au moins un salarié. Ce chiffre est à rapporter au nombre d'entreprises créées chaque année. Depuis 2021, plus de 1 million d'entreprises ont été créées, dont une très forte majorité de microentreprises ; il faut le souligner.
Enfin, j'évoquerai le nombre d'emplois qui se cachent derrière ces défaillances. Nous l'estimons aujourd'hui à 234 000, contre 151 000 en 2019. Si ce chiffre alerte, il faut noter qu'environ 70% des emplois menacés seraient in fine conservés du fait d'un rétablissement ou d'une reprise.
L'état des lieux est donc clair : notre pays connaît un niveau de défaillances important, qui dépasse les niveaux observés avant la pandémie.
Mon rôle devant vous est donc triple. Le premier est de vous proposer une lecture et une analyse de ces chiffres. Le deuxième est de rappeler combien la compétitivité des entreprises est essentielle. Le troisième est évidemment de vous présenter les solutions sur lesquelles le Gouvernement travaille pour enrayer cette dynamique délétère pour notre économie.
La première question est évidemment la suivante : comment expliquons-nous ce niveau de défaillances ? Le nombre de défaillances que nous observons aujourd'hui doit être replacé dans le contexte du creux exceptionnel des défaillances lors de la crise de la covid-19. Entre 2015 et 2019, le nombre de défaillances observées était proche de 56 000 annuellement.
Cette baisse drastique du nombre de défaillances s'explique évidemment par l'action du Gouvernement et par les mesures d'urgence qui ont alors été mises en œuvre, comme les prêts garantis par l'État (PGE), le chômage partiel, les fonds de solidarité, l'exonération ou encore le report de cotisations. Au cours des années 2019 et 2020, le nombre de défaillances s'est élevé à moins de 30 000, soit une baisse de plus de 45 %.
L'augmentation des défaillances que nous observons aujourd'hui s'explique donc par un effet de rattrapage. Pour autant, notre économie n'est pas grippée et certaines données, non pas conjoncturelles, mais structurelles cette fois, doivent nous encourager. En effet, nous connaissons aujourd'hui une dynamique de création d'entreprises inédite. Quant à la création d'emplois dans le secteur privé, elle se poursuit.
La compétitivité dans l'économie est d'une importance cruciale. Si notre rôle est de trouver des solutions pour les entreprises lorsqu'elles rencontrent des difficultés, nous devons aussi, en amont, faire en sorte qu'elles soient compétitives. La compétitivité de nos entreprises est essentielle, car c'est elle qui leur permet d'innover, d'investir, de se développer, d'embaucher et de résister à la concurrence des autres pays.
Je peux vous assurer que le ministre de l'économie et des finances, Éric Lombard, est engagé dans la défense de la compétitivité des entreprises.
Nos entreprises font face à une vive concurrence, elles doivent performer, se transformer, engager des transitions technologiques, numériques et environnementales. Le Gouvernement est pleinement engagé aux côtés des entrepreneurs, qu'ils dirigent une ETI, une PME, une TPE, une entreprise individuelle ou une microentreprise. Nous sommes là pour les soutenir et les accompagner dans les différentes phases de leur vie.
Je veux ici saluer ces entrepreneurs, qui sont les acteurs de l'économie, qu'il s'agisse d'ailleurs de l'économie sociale et solidaire ou de l'économie conventionnelle. Ces entrepreneurs assurent la vitalité du territoire et créent de l'emploi.
Je sais aussi, parce que cette demande est faite régulièrement, que les entreprises ont besoin de lisibilité, de visibilité et de stabilité.
Nous devons également nous engager dans une diminution de nos dépenses publiques pour poursuivre la baisse des prélèvements obligatoires, car ces prélèvements pèsent aujourd'hui sur nos entreprises.
Enfin, il ne faut pas oublier – vous l'avez rappelé, monsieur le président de la délégation aux entreprises – le poids des normes, qui représente une perte de temps importante pour les entreprises et donc une dépense.
J'en viens à la question de la simplification.
Simplifier notre droit, c'est le purger des éléments qui enrayent notre croissance et notre compétitivité. C'est tout l'enjeu du projet de loi de simplification de la vie économique, que la Haute Assemblée a examiné il y a quasiment un an et que je défendrai ce soir encore à l'Assemblée nationale.
Gérer le stock de normes inutiles est une chose, mais il faut également s'attaquer au flux. C'est tout l'enjeu du " test PME " que nous souhaitons mettre en place. Ce combat, je le partage avec le président Olivier Rietmann. Ce test est essentiel pour éviter que ne soient adoptées des normes illisibles pour nos entreprises, dont le coût est disproportionné pour les plus petites d'entre elles.
M. Guillaume Chevrollier. Tout à fait !
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. Nous devons également soutenir notre savoir-faire. Je le dis très clairement, je recevrai prochainement un rapport d'Yves Jégo, ancien ministre, sur le made in France, l'objectif étant de soutenir tout ce qui participe à la vie de notre pays et à la vitalité de nos territoires.
Je vous le disais en préambule, notre rôle est également de proposer des solutions pour limiter au maximum ces défaillances. Il nous faut structurer notre action pour accompagner les entreprises qui ont des difficultés.
Il nous faut mieux prévenir les défaillances et donc agir davantage avant la cessation des paiements, simplifier la cartographie des outils publics d'accompagnement et repenser le rebond.
En premier lieu, il faut évidemment inciter les entrepreneurs à agir en amont des procédures collectives. En effet, si 70% des procédures collectives conduisent à une liquidation, à l'inverse, 70% des procédures préventives permettent à l'entreprise de poursuivre son activité.
L'enjeu est donc de mieux identifier les entreprises à risque. Il existe pour cela un dispositif, la start-up d'État Signaux faibles, qui permet, en se fondant sur un certain nombre d'éléments, d'encourager davantage les entreprises à recourir aux procédures amiables que sont le mandat ad hoc et la conciliation.
En deuxième lieu, il faut à mon sens simplifier la cartographie des outils publics d'accompagnement. En effet, alors qu'il existe de très nombreux dispositifs, les entrepreneurs ne savent pas toujours vers lesquels se tourner lorsqu'ils sont en difficulté.
En troisième lieu, il faut favoriser le rebond. En effet, l'échec entrepreneurial est perçu de façon particulièrement négative par la société et les entrepreneurs eux-mêmes. Il véhicule l'idée d'une forme d'incompétence et il est la source d'une stigmatisation des entrepreneurs. C'est donc un changement culturel qu'il nous faut opérer. Des travaux ont été conduits sur ce sujet, dans le cadre d'un groupe de travail guidé par Hélène Bourbouloux.
Nous avons la chance de ne pas partir d'une page blanche, d'avoir de nombreux dispositifs à notre disposition que nous pouvons retravailler. J'espère que nous esquisserons ensemble, dans le cadre de ce débat, un plan d'action pour répondre à la situation d'urgence que nous traversons. Ensemble, trouvons les moyens pour prévenir, protéger et rebondir ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. François Patriat applaudit également.)
- Débat interactif -
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d'une durée équivalente. Il aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L'auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Franck Menonville. Madame la ministre, alors que la situation financière de l'État attire l'attention médiatique, celle des entreprises a, elle aussi, de quoi nous alerter.
En effet, la recrudescence des défaillances d'entreprises, dont le nombre a dépassé celui d'avant la crise du covid-19, est de plus en plus préoccupante. À la fin février 2025, on dénombrait plus de 66 000 défaillances d'entreprises au cours des douze derniers mois, soit une progression en rythme annuel de 12,5%.
Les entreprises de moins de dix salariés sont particulièrement touchées. Les PME et les ETI ne le sont pas moins. Depuis le début de l'année 2024, plus de 3 200 postes a minima disparaissent par semaine, dont plus de 1 200 dans les entreprises de moins de dix salariés.
Aujourd'hui, les secteurs de l'immobilier, de la construction, du transport et de l'automobile sont particulièrement touchés. Les explications sont multiples : le mouvement de rattrapage post-covid, le remboursement des PGE et les difficultés de leur réaménagement, l'augmentation des coûts énergétiques, le poids du modèle social sur le coût du travail, la prolifération normative, la multiplication des contraintes administratives.
Ces entreprises sont pourtant le cœur battant de notre économie. Elles créent de l'emploi, maillent le territoire, génèrent de la croissance, garantissent les savoir-faire et l'innovation.
Madame la ministre, quelles mesures de soutien comptez-vous mettre en œuvre ? Comment mieux anticiper les défaillances des entreprises ?
Différentes procédures peuvent être mises en œuvre en amont, telles que le mandat ad hoc, qui permet de sauvegarder la confidentialité – c'est important. Or ce mandat ne représente aujourd'hui que 13 % des procédures. Que comptez-vous faire pour favoriser ce type de procédure ?
Enfin, entendez-vous permettre le réaménagement des PGE hors procédures collectives ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur Franck Menonville, vous avez évoqué de nombreux sujets.
Vous avez raison, il nous faut agir en premier lieu sur la compétitivité et alléger un certain nombre de charges qui pèsent sur les entreprises.
Vous m'avez demandé comment prévenir les défaillances et favoriser les procédures amiables, dont vous avez souligné l'intérêt.
Pour prévenir les défaillances, un certain nombre de dispositifs existent aujourd'hui. Le plus connu relève du département, au travers des préfectures : il s'agit du comité départemental d'examen des problèmes de financement des entreprises, le Codefi, qui rassemble différents acteurs sous l'autorité du préfet et a pour objectif de détecter les entreprises présentant des risques de défaillance.
La direction départementale des finances publiques (DDFiP) utilise un produit développé par la start-up d'État Signaux faibles, qui permet de consulter des informations relatives aux effectifs, aux ratios financiers et à d'éventuels impayés. Elle peut ainsi accéder chaque trimestre à une liste d'entreprises présentant un risque de défaillance à dix-huit mois. Le Codefi échange ensuite avec divers acteurs.
Environ 40% des entreprises suivies par les commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises ont été identifiées grâce à Signaux faibles. Identifier les difficultés permet d'anticiper et, ainsi, d'aider.
Comment favoriser les procédures amiables ? Il nous faut donner plus de force au mandat ad hoc et à la conciliation. Je rappelle que les procédures préventives permettent d'éviter un basculement en procédure collective : 70% d'entre elles rendent possible une poursuite de l'activité. Vous avez raison, il nous faut favoriser ces deux procédures amiables.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Madame la ministre, il y a deux façons d'aborder ce débat organisé par le président de la délégation aux entreprises, ce dont je tiens à le remercier.
Certaines défaillances d'entreprises s'expliquent par le marché, la guerre commerciale, les tarifs douaniers, le prix de notre énergie, c'est vrai, et il nous faut traiter ces questions.
Mais il faut savoir qu'il existe aussi des entreprises et un patronat qui organisent eux-mêmes la défaillance de l'outil industriel (M. Damien Michallet proteste.) – vous ne voulez pas l'entendre ! – et la délocalisation des savoir-faire français. On dénombre ainsi 300 plans de licenciement et 300 000 emplois menacés ou supprimés.
Je ne vous parlerai pas d'ArcelorMittal, de Michelin ou d'Auchan ; d'autres le feront. Moi, j'étais hier dans le Gard où j'ai visité une PME, la Verrerie du Languedoc, qui compte 164 salariés et fait travailler 100 sous-traitants. Cette entreprise est un sous-traitant quasi exclusif de l'usine Perrier située à proximité. Elle est détenue depuis 2011 par le groupe Owens-Illinois et n'a aucun problème financier. Son bénéfice l'année dernière a augmenté de 7% par rapport à l'année précédente.
Ladite entreprise a décidé de mettre en œuvre une stratégie financière : supprimer 500 emplois et fermer la verrerie. En conséquence, Perrier ne pourra plus embouteiller, en tout cas pas dans un circuit court, et nous allons perdre un savoir-faire. Voilà la réalité aujourd'hui !
En fait, cette entreprise, qui a touché 15 millions d'euros d'argent public en cinq ans, ne veut pas investir dans un nouveau four, pour un coût de 20 millions à 60 millions d'euros au cours des dix-huit prochains mois.
Le fait est qu'on n'a jamais conditionné le fait d'accorder des aides publiques à la préservation de l'outil industriel ! Le Gouvernement va-t-il rester les bras ballants face aux stratégies purement financières qui cassent nos savoir-faire et notre industrie ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur, je tiens d'abord à souligner l'engagement d'un certain nombre d'entreprises pour continuer d'innover, d'investir, de se transformer et d'embaucher.
Cela étant, le Gouvernement regrette profondément la décision de l'entreprise que vous évoquez et qui touche l'usine de verrerie de Vergèze, située à proximité du site de Perrier. Son projet de réorganisation s'inscrit dans un contexte économique et financier difficile lié à une baisse structurelle de la consommation de boissons telles que les eaux minérales, le vin et la bière.
Cette réorganisation est présentée comme indispensable par le groupe Owens-Illinois afin de conserver sa très forte implantation en France. Le groupe compte neuf sites à ce jour, ce qui représente 2 000 emplois, auxquels il faut ajouter plusieurs centaines d'emplois chez les sous-traitants.
Le Gouvernement et les services de l'État sont pleinement engagés pour vérifier la qualité du dialogue social avec les organisations syndicales (M. Fabien Gay s'exclame.), ainsi que le respect de la procédure d'information et de consultation du comité social et économique. Ils vérifient également la qualité des mesures d'accompagnement du plan de sauvegarde de l'emploi, qui doit tenir compte des spécificités de chacun des sites. Ils s'assurent, enfin, de la qualité des actions menées pour trouver un repreneur, conformément à la loi du 29 mars 2014 visant à reconquérir l'économie réelle, dite loi Florange, durant une période de quatre mois.
Des solutions intégrant des repreneurs existent pour un certain nombre d'entreprises. Ainsi, dans le cas de la Fonderie de Bretagne, un repreneur a été trouvé il y a quelques jours.
M. Fabien Gay. Parce que les camarades se sont battus !
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. Plus de 250 emplois sont concernés.
Je le répète, des reprises sont possibles. Il faut donc se mobiliser pour trouver un repreneur pour la Verrerie du Languedoc. En tout cas, le Gouvernement est complètement engagé en ce sens.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Vencorex, ArcelorMittal, Michelin, la Fonderie de Bretagne, General Electric, Photowatt : dans toute la France, les sites industriels ferment, entraînant leur lot de licenciements, de pertes de savoir-faire et de territoires meurtris.
Pendant que vous parlez de réindustrialisation, des activités dans des secteurs aussi stratégiques que l'acier, la chimie, les pneus, les éoliennes et les panneaux solaires sont liquidées les unes après les autres. Lorsqu'une entreprise ferme, c'est toute une filière qui se retrouve en difficulté, par un effet domino.
Certes, la compétition asiatique, la guerre commerciale américaine et les prix élevés de l'énergie expliquent en partie les difficultés actuelles. Mais la plupart de ces entreprises sont rentables ! Les choix que font, par exemple, M. Mittal, déjà riche de 18 milliards de dollars, ou des fonds d'investissement comme BlackRock, qui est à la manœuvre chez Michelin et General Electric, ont pour seul objectif de rémunérer encore plus les actionnaires.
Face à cette rapacité qui détruit notre souveraineté industrielle, que fait l'État ?
Quand il faut subventionner de nouvelles usines, la recherche ou la décarbonation, il est au rendez-vous, souvent sans effectuer aucun contrôle sur l'usage qui est fait des aides. En revanche, quand il faut sauver ces entreprises, il devient tout à coup impuissant, comme si les délocalisations et les licenciements étaient des fatalités divines !
L'État peut pourtant agir, notamment en nationalisant les activités stratégiques. Nous l'avons fait avec succès pour les Chantiers de l'Atlantique et les câbles sous-marins d'Alcatel ; pourquoi ne pas le faire pour d'autres ? Lorsqu'il existe des projets de reprise en coopérative par des salariés qui maîtrisent et aiment leur travail, pourquoi ne sont-ils jamais retenus et accompagnés ?
Madame la ministre, la destruction créatrice que vous encouragez détruit toute notre industrie. Or l'intelligence artificielle (IA) ne remplacera jamais les savoir-faire humains perdus au passage. Qu'attendez-vous pour agir ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur, nous déplorons les défaillances d'entreprises et les suppressions d'emplois, et ce même lorsqu'il n'y a pas de fermeture.
Pour autant, permettez-moi de rappeler quelques chiffres faisant état d'une réindustrialisation.
L'année 2024 a été une année de continuité dans la réindustrialisation de notre pays. La hausse se poursuit et la dynamique enclenchée en 2022 se confirme, malgré des difficultés conjoncturelles, c'est vrai.
On a ainsi compté 89 ouvertures nettes de sites au total en 2024 et 450 ouvertures nettes depuis 2022. Il s'agit d'un chiffre positif, qu'il convient de souligner, alors que certains commentateurs ne croyaient pas à de telles prévisions il y a encore quelques mois.
Ce solde positif, il faut le mettre en avant, car il nous encourage à tenir bon, à continuer de soutenir les entreprises, à persévérer, à accélérer, sans nier les difficultés. Il s'agit non pas de refuser de les voir, mais de ne pas céder à la fatalité.
Les chiffres nous montrent également que la situation est très contrastée dans le secteur industriel. Alors que les secteurs énergo-intensifs souffrent, les industries vertes et le secteur de l'agroalimentaire réalisent des scores admirables.
Il n'a cependant échappé à personne que la conjoncture est difficile. Encore une fois, il n'y a pas de fatalité. Il nous faut soutenir nos entreprises, les accompagner, actionner tous les leviers utiles pour leur redonner de la compétitivité et assurer leur prospérité économique.
Le projet de loi de simplification de la vie économique comporte un certain nombre de réponses en matière de zéro artificialisation nette (ZAN), de raccordement ou de coût de l'énergie.
Le plan d'urgence européen aura également un impact en la matière.
Enfin, nous devons ouvrir le débat sur le coût du travail et reprendre dès que possible une réflexion sur la baisse des impôts de production, afin de soutenir la compétitivité de nos entreprises.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.
M. Guillaume Gontard. Merci, madame la ministre, mais quelle est au fond la stratégie du Gouvernement pour faire face à la désindustrialisation, qui est en marche ? De quelle manière allez-vous agir concrètement ?
Vous refusez d'utiliser les outils qui sont à votre disposition, qu'il s'agisse des nationalisations temporaires, du soutien au modèle des coopératives ou de l'accompagnement des collectivités territoriales.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. Vous avez évoqué à deux reprises la situation des Scop.
En ma qualité de ministre chargée de l'économie sociale et solidaire, je me suis intéressée à ce sujet. Il existe bien une difficulté, actuellement, pour que des structures comme les Scop ou les sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC) disposent d'outils de financement équivalents à ceux qui existent pour l'économie traditionnelle.
Par exemple, le prêt transmission que propose Bpifrance est adapté à des reprises, mais il est réservé aux structures ayant au moins trois années d'ancienneté. Par définition, une Scop ou une SCIC constituée pour reprendre une entreprise ne peut pas afficher une telle ancienneté. Nous travaillons avec Bpifrance pour trouver une solution.
J'ai participé aujourd'hui à la conférence des financeurs de l'économie sociale et solidaire : nous y avons étudié un certain nombre d'outils pour organiser le financement de ces structures.
M. le président. La parole est à Mme Marion Canalès.
Mme Marion Canalès. Madame la ministre, Auchan, Valeo, Vencorex : bien sûr, ces fermetures et plans sociaux catastrophiques qui sont le fait de grands noms attirent l'attention, dans le Puy-de-Dôme, département dont je suis élue, comme ailleurs. Mais ces annonces relèvent souvent davantage d'une décision stratégique que d'une défaillance à proprement parler, comme l'a expliqué Fabien Gay.
J'en profite pour parler de la décision, scandaleuse, prise par le groupe Auchan de fermer le magasin des quartiers nord de ma ville, Clermont-Ferrand. Il s'agit d'un choix stratégique de la famille Mulliez, propriétaire d'Auchan, qui condamne des dizaines de salariés. Pourtant, chacun sait que 10% des dépenses alimentaires et d'équipement des Français profitent à la famille Mulliez.
Ce soir, je veux parler des vraies défaillances, car c'est le sujet retenu par notre délégation aux entreprises.
Le secteur des petites entreprises est celui qui en subit le plus, comme Olivier Rietmann l'a rappelé. Entre octobre 2023 et octobre 2024, il y a ainsi eu une augmentation de 31% dans le Puy-de-Dôme. C'est un sujet qui nous tient tous à cœur, mais ces défaillances se font souvent à bas bruit.
La loi a confié aux tribunaux de commerce une fonction de prévention et un rôle actif dans la détection des difficultés des entreprises, le plus en amont possible, afin d'aider celles-ci à les surmonter. Pousser la porte du tribunal de commerce, c'est faire confiance à des femmes et des hommes qui, comme les chefs d'entreprise en difficulté, sont issus du monde de l'entreprise.
Comme le nombre de salariés dont l'emploi est menacé par une défaillance de leur entreprise a triplé dans le Puy-de-Dôme, Clermont Auvergne Métropole a pris la décision de ne pas rester sans rien faire et de venir conforter ce rôle de prévention assumé par le tribunal de commerce, en créant un dispositif permettant d'intervenir au stade de la procédure amiable. La métropole a ainsi signé une convention et créé un fonds et elle verse une subvention à l'association des juges et anciens juges consulaires du Puy-de-Dôme. Chaque année, plus d'une douzaine d'entreprises sont ainsi accompagnées afin de traiter les problèmes en amont. La région Île-de-France, aussi, a créé un dispositif, le chèque prévention.
Madame la ministre, vous nous l'avez dit, il y a des initiatives en matière de prévention. Mais il ne suffit pas d'identifier les chefs d'entreprise concernés, il faut aussi les aider, et cela avec de l'argent. L'État va-t-il se saisir de ce type d'initiatives prises par des collectivités locales pour les généraliser et passer de la culture de la défaillance à une culture de la prévention et du rebond ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Madame la sénatrice Marion Canalès, vous évoquez un certain nombre de dispositifs existants, tout en déplorant un manque de lisibilité ou de clarté, avec pour résultat que trop peu de chefs d'entreprise en difficulté franchissent la porte du tribunal de commerce.
Il nous faut en effet renforcer la lisibilité du système afin de faciliter son accès pour les chefs d'entreprise, qui doivent savoir facilement à quelle porte frapper.
J'étais la semaine dernière dans la Loire, où j'ai évoqué cette question avec le préfet. Ses services y ont mis en place un dispositif pour la prévention des difficultés, en associant l'ensemble des acteurs, publics et privés, sur le modèle du comité qui avait été créé durant la crise de la covid-19. Ce dispositif, appelé rencontres économiques, permet de porter une attention particulière aux défaillances d'entreprises.
Nous pouvons aussi nous appuyer sur les conseillers départementaux aux entreprises en difficulté (CDED), sur les commissaires à la restructuration et à la prévention des difficultés des entreprises (CRP) et sur le comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri). Ce n'est en effet pas toujours facile pour les entreprises de s'y retrouver. Il faut une porte d'entrée unique pour mieux les accompagner et mieux les engager dans les deux dispositifs de procédure amiable.
Au-delà de la question du soutien financier, il faut travailler en amont pour renforcer la compétitivité internationale des entreprises, en diminuant les prélèvements obligatoires et le coût du travail, afin qu'elles puissent embaucher plus facilement. C'est essentiel.
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Brault.
M. Jean-Luc Brault. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, habituellement, quand le bâtiment tousse, c'est l'économie tout entière qui s'enrhume. Aujourd'hui, le bâtiment est grippé, complètement grippé.
J'ai deux minutes pour vous parler des défaillances d'entreprises, madame la ministre ; il me faudrait deux semaines ! Empilement de normes, surtransposition du droit européen, concurrence déloyale au sein même de l'Union européenne, délais et charges administratives – où en est la simplification ? –, accès au crédit bancaire, agissements et temps de réaction des mandataires liquidateurs…
Dernier exemple en date : ce matin, dans le département dont je suis élu, le Loir-et-Cher, j'ai eu un échange avec un équipementier de la SNCF employant six cents salariés. Il m'a dit que, dans le nord de la France, il lui a fallu deux ans et demi pour obtenir un permis de construire et les autorisations correspondantes. À Barcelone, en Espagne, il lui a fallu cinq mois. Et encore, mes chers collègues, deux ans, c'est dans le cas où vous ne tombez pas sur un triton doré ou un papillon azuré ! Je n'ai rien contre la biodiversité, au contraire, mais vous avez compris l'idée…
Madame la ministre, à l'heure où on arrête chantier sur chantier, je connais, dans le centre de la France, un chantier de 60 millions d'euros qui vient d'être arrêté ce matin, définitivement. Oui, 60 millions d'euros !
L'immobilier peine à redémarrer, nombre de restaurants déposent le bilan… Même des boulangeries mettent la clé sous la porte !
Nous devons nous mobiliser. Nous avons examiné il y a plusieurs mois un projet de loi de simplification de la vie économique, qui a été voté ici à l'unanimité. Il comporte notamment des mesures sur les syndics et les mandataires liquidateurs, qui font beaucoup de mal lors des dépôts de bilan et qui font traîner les affaires afin de se servir et de liquider la trésorerie de l'entreprise en difficulté.
La question sur le travail le 1er mai n'est pas le sujet de ce débat, mais n'est-elle pas révélatrice ? Ne faut-il pas enfin, madame la ministre, acter une révolution culturelle de l'entrepreneuriat ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur Jean-Luc Brault, les entreprises du BTP ont été particulièrement touchées par les dernières crises.
Plusieurs facteurs sont en cause : la hausse des taux d'intérêt, le durcissement des conditions d'octroi des crédits bancaires, mais aussi la baisse du nombre de constructions neuves. Même si le secteur de la rénovation énergétique est en croissance, cela ne compense pas totalement la contraction de l'activité dans le neuf. Il nous faut donc tout faire pour relancer la construction et soutenir efficacement le secteur du logement, car c'est un levier essentiel.
Par ailleurs, nous devons continuer le travail de simplification. Le projet de loi de simplification de la vie économique, actuellement en discussion à l'Assemblée nationale, comporte des mesures concrètes, notamment le relèvement de 40 000 euros à 100 000 euros du seuil de la commande publique. Cela facilitera l'accès des TPE et PME à ces marchés.
D'autres pistes sont à l'étude, comme la réforme des groupements momentanés d'entreprises (GME). Aujourd'hui, la responsabilité solidaire et indéfinie entre les membres de tels groupements constitue un frein. Une proposition vise à la supprimer pour les marchés de moins de 100 000 euros, ce qui rendrait ce dispositif bien plus attractif.
Le ministère du logement travaille aussi à simplifier l'accès au label Reconnu garant de l'environnement (RGE).
Enfin, puisque vous évoquez la restauration, je vous informe du lancement, le 13 mai prochain, des assises de la restauration et des métiers de bouche. Nous travaillerons avec l'ensemble des acteurs du secteur pour répondre aux défis conjoncturels et structurels auxquels ils font face.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. Je reviendrai tout à l'heure sur les autres mesures de simplification que nous envisageons de prendre.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Hybert. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon applaudit également.)
Mme Brigitte Hybert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les chiffres des défaillances au premier trimestre montrent que les Pays de la Loire figurent parmi les régions les plus touchées, avec une augmentation de 28%, soit 924 procédures supplémentaires.
Dans ma région, 28% des salariés travaillent dans une ETI, contre 25% au niveau national. Les ETI attendent une réelle simplification de toutes les procédures. Le programme ETIncelles est donc plutôt bien accueilli par le milieu économique, car il permet de lever certains freins administratifs au bon développement de nos entreprises. Cela va dans le bon sens, et tout ce qui contribue à simplifier la vie de nos entreprises, de nos entrepreneurs, doit être encouragé.
Cependant, certains freins demeurent, notamment dans l'éligibilité à ce programme. Au sens de l'Insee, une PME française doit compter entre dix et deux cent cinquante salariés. En deçà, c'est une TPE ; au-delà, une ETI. Or le critère d'éligibilité au programme ETIncelles intègre les PME comptant entre soixante et deux cent vingt salariés.
Ma question est donc simple : pourquoi imposer un seuil de soixante salariés et un plafond de deux cent vingt salariés ? Pensez-vous généraliser ce programme, qui ne profite aujourd'hui qu'à trop peu d'entreprises ? Élargir le champ des bénéficiaires permettrait de lever des freins pour beaucoup plus d'entreprises et de redonner un élan à l'industrialisation de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Billon applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Madame la sénatrice Brigitte Hybert, puisque vous avez évoqué la question de la simplification, permettez-moi de vous apporter quelques éléments concrets sur ce point.
J'ai engagé une démarche de simplification à deux niveaux : sur le plan législatif, d'une part, au travers du projet de loi de simplification de la vie économique ; sur le plan opérationnel, d'autre part, par la révision des démarches administratives existantes.
J'ai fait un bilan hier matin : 115 formulaires Cerfa ont d'ores et déjà été supprimés sur les 1 800 recensés au total, 535 relevant directement du ministère de l'économie et des finances. Cela représente 450 000 téléchargements annuels en moins pour les entreprises. C'est un allégement concret et mesurable des contraintes administratives, ce qui va dans le bon sens. (M. le président de la délégation aux entreprises s'en réjouit.)
S'agissant du programme ETIncelles, lancé en 2023, il a déjà accompagné près de deux cents PME, avec un objectif affiché de cinq cents d'ici 2027. Ce programme propose un accompagnement individualisé et sur mesure pour lever les freins à la croissance des PME et les aider à devenir des ETI. Il est organisé dans un cadre souple pour permettre à une grande diversité d'entreprises d'y accéder. La direction générale des entreprises (DGE) assure une sélection à partir d'un panel représentatif, permettant de valoriser les pépites de nos territoires.
Dans votre propre département, plusieurs entreprises bénéficient déjà de cet accompagnement, telles que le groupe ABCM, Arcade Cycles, Rabaud ou Clean Sells.
Je le répète, les critères de sélection sont souples.
La dernière campagne d'appel à manifestation d'intérêt s'est close le 28 mars dernier. Le lancement de la cinquième promotion interviendra le 16 mai prochain. Je vous invite, si vous connaissez des entreprises susceptibles d'en bénéficier, à les orienter vers la DGE.
M. le président. La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Madame la ministre, les questions posées cet après-midi seront parfois redondantes. Personne ne nie ici les difficultés rencontrées par les entreprises ni ne conteste le nombre de faillites et de dépôts de bilan. Mais nul ne peut nier l'effort fait ces dernières années par les gouvernements successifs pour faire de la réindustrialisation une véritable priorité, car cet effort a porté ses fruits.
On peut dramatiser à l'extrême. La vie économique a toujours été faite d'entreprises qui se créent, et d'autres qui disparaissent. C'est la vie des entreprises. Pour autant, il est vrai qu'il y a des efforts à faire dans ce pays.
Pendant la crise sanitaire, le Gouvernement a mis en place de nombreux dispositifs exceptionnels, tels que les fonds de solidarité, les prêts garantis par l'État, les exonérations de charges. Personne ne le nie, et tout le monde les réclamait. Ces aides ont permis de préserver l'activité de centaines de milliers d'entreprises et de sauver notre économie. Elles ne sont plus à l'ordre du jour. Certaines structures déjà fragilisées rencontrent des difficultés de trésorerie et, vous l'avez dit, l'effet de rattrapage intervient aujourd'hui.
Ce sont surtout les petites entreprises les plus exposées aux potentielles hausses de droits de douane qui font face aujourd'hui à des pressions considérables.
Je pense en particulier à une entreprise sidérurgique de mon département, Valti, qui était un fleuron de la métallurgie et fabriquait des tubes en acier, notamment pour les centrales nucléaires. Une de ses usines historiques, située à Montbard, a été victime d'une liquidation judiciaire ordonnée le 4 février dernier par le tribunal de commerce de Dijon. Ce sont ainsi cent trente personnes qui risquent de se retrouver sans emploi.
C'est vrai qu'il est difficile, aujourd'hui, de trouver un repreneur. Cela marque la fin d'une époque, mais cet exemple s'inscrit, malheureusement, comme cela a été dit, parmi tant d'autres.
Par ailleurs, la guerre commerciale hasardeuse lancée par l'administration de Donald Trump engendre beaucoup d'incertitudes pour notre tissu d'entrepreneurs. Or, que ce soit dans le secteur des produits chimiques ou cosmétiques, des parfums ou de l'aéronautique comme dans le secteur viticole, nous exportons de nombreux produits issus du savoir-faire français. Si nous n'agissons pas dans ces secteurs, nous serons fortement affectés. Demain, ce seront d'autres acteurs qui prendront la place de nos entreprises et ils seront issus de groupes étrangers massivement subventionnés, parfois moins soucieux de nos standards, surtout environnementaux.
Vous avez déjà évoqué, madame la ministre, le travail qui est fait, les pistes que vous envisagez et les mesures qui ont été prises et qui portent leurs fruits.
M. le président. Il faut conclure.
M. François Patriat. Allez-vous prendre encore des mesures de simplification pour aider les entreprises à poursuivre leur activité ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur François Patriat, vous avez, à juste titre, évoqué la réindustrialisation qui débute, et j'avais moi-même eu l'occasion d'y revenir.
Je rappelle quelques chiffres : en 2024, ce sont quatre-vingt-neuf ouvertures nettes de sites industriels qui ont été enregistrées, portant à quatre cent cinquante le nombre total depuis 2022. Au-delà des défaillances d'entreprises, réelles, nous devons aussi prendre en compte cette dynamique positive.
S'agissant des droits de douane, leur évolution récente engendre de l'incertitude. Même si une suspension a été décidée par Donald Trump sur l'augmentation de 20% initialement prévue, il ne faut pas oublier que d'autres hausses ont bien été mises en œuvre : 10% sur de nombreux produits, 25% sur l'acier, l'aluminium, l'automobile et leurs dérivés. Cette période de quatre-vingt-dix jours de suspension reste donc marquée par l'incertitude pour nos entreprises.
Nous devons profiter de ce moment pour construire un rapport de force, pour contraindre à la discussion, et cela doit se faire collectivement, de manière unie, à l'échelle européenne. D'ailleurs, le monde économique s'est très rapidement félicité de cette prise de position commune de l'Europe, sans initiatives isolées des États membres.
Vous avez aussi évoqué les mesures de simplification. Elles sont engagées dans le cadre du projet de loi de simplification de la vie économique. Plusieurs dispositifs sont prévus pour améliorer l'accès à la commande publique, notamment en faveur des artisans ; pour faciliter aussi la vie des start-up innovantes, avec des seuils adaptés ; ou pour soutenir les commerçants. Je pense ici à la mensualisation des loyers commerciaux, en lieu et place du paiement trimestriel, ou encore à la limitation du dépôt de garantie à un mois. Ces mesures, à elles seules, représentent un gain de trésorerie de 2 milliards d'euros pour les commerçants. Enfin, des mesures spécifiques sont également prévues, toujours dans ce projet de loi, pour les TPE.
M. le président. La parole est à M. Philippe Grosvalet.
M. Philippe Grosvalet. Madame la ministre, en 2024, 67 830 procédures de défaillance d'entreprises ont été enregistrées. Tous les secteurs sont touchés, toutes nos régions. Un record, hélas !
L'année 2025 ne semble pas en voie de voir cette implacable réalité corrigée : 250 000 emplois sont menacés.
La direction d'ArcelorMittal vient d'annoncer six cents licenciements, ce qui vient encore assombrir le tableau. En Loire-Atlantique, comme sur l'ensemble des territoires concernés, c'est la stupeur. Prendre la décision de licencier six cents salariés après avoir bénéficié de 298 millions d'euros de subventions en 2023, puis s'être vu promettre des aides de 850 millions d'euros pour décarboner son activité est incompréhensible pour l'ensemble de nos concitoyens.
ArcelorMittal vient s'ajouter à l'inquiétante litanie : Michelin, Vencorex, Systovi, General Electric – encore dans mon département… Et cette liste n'est pas exhaustive.
Certes, les déclarations de l'administration Trump viennent compliquer une situation économique internationale particulièrement incertaine. Mais ces aléas ne peuvent à eux seuls expliquer la fragilisation de notre tissu économique et industriel : l'absence de vision, le manque de planification y sont pour beaucoup.
L'objectif de souveraineté industrielle ne peut pas se réduire à la distribution de subventions, sans stratégie de sauvegarde et de structuration. Il est plus que temps que l'État s'empare de ce sujet à bras-le-corps pour engager une réelle politique de développement économique et industrielle en partenariat avec nos territoires et nos représentants européens.
Ayons une pensée particulière pour tous les salariés de notre pays qui voient leur avenir et celui de leur famille plonger dans l'incertitude, sans oublier les territoires, qui ne sortent jamais indemnes de ces fermetures.
À quand, madame la ministre, une planification pour garantir à nos concitoyens, à notre République, la souveraineté économique et industrielle que nous sommes en droit d'attendre ? S'agissant d'ArcelorMittal, qu'envisagez-vous de faire ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur Philippe Grosvalet, nous avons pris connaissance des annonces faites par ArcelorMittal concernant le site de Dunkerque. Certes, nous sommes dans un contexte de crise sans précédent pour la sidérurgie européenne, notamment du fait de surcapacités mondiales. Nous ne pouvons que regretter cette décision.
Dans la filière sidérurgique, les difficultés remontent à plusieurs années. La production européenne a baissé de 20% entre 2018 et 2023 et la demande sur le marché européen s'est affaiblie en 2024, ce qui entraîne des surcapacités.
Le plan d'ArcelorMittal concerne tous les sites européens et ne vise pas uniquement et spécifiquement les sites français. ArcelorMittal soutient que ces annonces sont liées à un objectif prioritaire de restauration de la compétitivité du groupe. Aucun des sites français n'est menacé de fermeture à court terme – il est important de le rappeler et nous serons particulièrement vigilants sur ce point, comme le ministre chargé de l'industrie, Marc Ferracci, l'a clairement dit.
La France est très mobilisée au niveau européen pour obtenir des mesures fortes de protection du marché de l'acier afin de restaurer une concurrence loyale en Europe. Avec huit autres États membres, elle a d'ailleurs fait des propositions ambitieuses à la Commission, qui se sont traduites par un plan d'action présenté le 19 mars dernier et un premier renforcement des mesures de défense commerciale au 1er avril 2025. Un nouvel instrument de protection commerciale doit être proposé au plus vite par la Commission ; la France plaide pour qu'il soit le plus ambitieux possible afin de préserver l'industrie sidérurgique européenne.
L'État sera très vigilant quant à la mise en œuvre des annonces d'ArcelorMittal, notamment en matière de reclassement des salariés concernés, pour lesquels j'ai une pensée, et poursuit les discussions avec le groupe pour la confirmation rapide des projets de décarbonation sur les sites de Dunkerque et Fos-sur-Mer, auxquels l'entreprise s'est engagée.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Pierre-Antoine Levi. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur l'impact dévastateur pour les entreprises des retards de paiement, qui progressent de manière inquiétante.
Le rapport remis le 23 avril dernier par les médiateurs Frédéric Visnovsky et Pierre Pelouzet dresse un constat alarmant : les retards de paiement interentreprises ont atteint près de quatorze jours fin 2024, privant nos TPE et PME de 15 milliards d'euros de trésorerie. Cette situation est d'autant plus préoccupante que nous traversons une période de croissance ralentie : 0,9% en 2025 selon la Banque de France.
Les chiffres sont parlants : 20% des TPE et 9% des PME présentent des capitaux propres négatifs, ce qui révèle une fragilité structurelle inquiétante de notre tissu économique. Dans ce contexte, les retards de paiement constituent souvent la goutte d'eau qui fait déborder le vase, menant à la défaillance.
Le rapport cite également le frein culturel, issu de la honte de l'échec, qui conduit à une situation de déni, aggravée par l'absence d'informations prévisionnelles sur la trésorerie.
De plus, les outils d'aide aux entreprises sont souvent mis en œuvre par des structures qui effraient les chefs d'entreprise, comme les tribunaux de commerce, perçus uniquement comme des instances de sanction et de liquidation – à tort.
Madame la ministre, face à cette situation, je souhaiterais connaître votre position sur trois recommandations majeures du rapport.
Premièrement, envisagez-vous de modifier le régime des sanctions pour retards de paiement, en calculant les amendes en pourcentage du chiffre d'affaires et en supprimant le plafond actuel de 2 millions d'euros, manifestement insuffisant pour dissuader les grandes entreprises ?
Deuxièmement, comment comptez-vous mettre en œuvre la création d'équipes territoriales animées au niveau régional pour fédérer les acteurs publics et privés autour de la prévention des difficultés ?
Enfin, la recommandation concernant l'information systématique des entreprises sur les dispositifs d'aides disponibles, notamment par les experts-comptables, me semble cruciale. Comment entendez-vous soutenir cette démarche, notamment pour les TPE et PME, qui n'ont pas les ressources suffisantes pour payer des prestations de conseil ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur Pierre-Antoine Levi, vous évoquez un sujet important, qui est une préoccupation quotidienne des entreprises, en particulier dans les PME et les TPE, qui sont souvent en bout de chaîne.
Aujourd'hui, les retards de paiement représentent environ 15 milliards d'euros de trésorerie, qui manquent cruellement à nos PME et TPE. C'est un sujet de justice économique entre entreprises, quelle que soit leur taille.
Structurellement, deux éléments devraient nous permettre, à terme, de réduire ces délais : la mise en place progressive de la facturation électronique, qui permettra une meilleure maîtrise des délais ; l'intégration, depuis 2022, des comportements de paiement dans la cotation des entreprises réalisée par la Banque de France.
Néanmoins, vous avez raison, la situation actuelle n'est pas satisfaisante. Il existe bien un dispositif de sanction, avec des amendes plafonnées à 2 millions d'euros, voire 4 millions en cas de récidive, mais force est de constater qu'il ne fonctionne pas suffisamment bien : trop d'infractions sont encore constatées.
Je veux ici saluer le travail de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) sur ce sujet. En 2024, onze amendes supérieures à 1 million d'euros ont été prononcées. Éric Lombard et moi-même avons d'ailleurs échangé ce matin sur ce sujet avec sa directrice, Sarah Lacoche, lors d'une visite sur un site de sa direction.
Nous avons aussi abordé ce point avec le président de la délégation sénatoriale aux entreprises, en vue de préparer un texte législatif et de le porter ensemble.
Vous soulevez aussi la question de la prévention. Oui, il faut améliorer la lisibilité du dispositif et mettre en place un guichet unique, une porte d'entrée claire pour toutes les entreprises confrontées à des difficultés, voire avant qu'elles n'en rencontrent.
Enfin, vous parlez de l'accompagnement. Là encore, je vous rejoins : il faut que nous puissions établir une charte avec les différents acteurs – chambres consulaires, organisations professionnelles, fédérations, mais aussi acteurs privés comme les experts-comptables – afin d'améliorer l'accueil.
M. le président. La parole est à M. Denis Bouad.
M. Denis Bouad. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne peux pas participer à ce débat sans vous parler du coup dur qui a frappé le département du Gard ces derniers jours.
L'annonce de la fermeture de la verrerie de Vergèze constitue une véritable onde de choc pour tout un territoire : cent soixante-quatre familles sont aujourd'hui dans la détresse. Nous devons garder à l'esprit l'impact de ces évènements sur ces familles, qui voient du jour au lendemain leurs projets d'avenir remis en cause.
Sans repreneur dans les prochains mois, la verrerie de Vergèze devra fermer. Pourtant, 70 % de ses commandes émanent de son voisin immédiat – il suffit de traverser la route –, l'usine Perrier. Cette fermeture représenterait un non-sens écologique et une perte irréversible pour l'économie de l'ensemble du territoire.
La commune de Vergèze et l'ensemble des collectivités sont pleinement mobilisées aux côtés des salariés. Mais, aujourd'hui, un engagement fort de l'État semble indispensable pour permettre le maintien de cet outil de production.
Madame la ministre, c'est tout un territoire qui a besoin de se sentir soutenu. Nous ne pourrons pas laisser sacrifier la verrerie de Vergèze et ses salariés sur l'autel du profit et des stratégies financières. Avec 7 % de résultat, comment accepter la fermeture de ce site ?
La protection de notre souveraineté industrielle commence par la préservation des emplois industriels existants ! On ne peut pas parler de manière crédible de " réindustrialisation française " face à des salariés qui voient fermer l'usine où ils ont travaillé toute leur vie, parfois de père en fils.
Madame la ministre, comment votre gouvernement compte-t-il s'engager pour défendre le maintien de ces sites de production et de ces emplois industriels, aujourd'hui menacés, à Vergèze comme ailleurs sur le territoire national ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur Denis Bouad, le cas de la verrerie de Vergèze a déjà été abordé dans le cadre d'une précédente question.
Il convient de relever la baisse structurelle de la consommation de vin, ce qui réduit d'autant les besoins en verre, et de bière, pour laquelle ce matériau est de surcroît en concurrence avec l'aluminium.
Nous regrettons évidemment qu'une telle réorganisation ait été décidée, qui plus est dans un contexte économique et financier déjà difficile, pour les raisons que je viens de rappeler.
Le Gouvernement et les services de l'État sont entièrement mobilisés ; ils le resteront autant que nécessaire. Un suivi territorial a été lancé par le préfet du Gard ; l'ensemble des acteurs économiques, sociaux et politiques du territoire y sont associés, comme c'est le cas dans ce type de situation. Je salue l'engagement de la préfecture, de la sous-préfecture, du commissaire aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises (CRP), de la direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS) du Gard et d'un certain nombre d'acteurs économiques locaux, comme les agences de développement économique, notamment celle du conseil régional, ou les chambres consulaires.
Nous devons tout mettre en œuvre pour trouver un repreneur, afin que les salariés puissent retrouver un emploi. Le Gouvernement est pleinement engagé en ce sens.
M. le président. La parole est à M. Denis Bouad, pour la réplique.
M. Denis Bouad. Madame la ministre, j'entends vos arguments, mais vous ne répondez pas à ma question.
Perrier, qui est aujourd'hui le principal client de la verrerie du Languedoc, l'avait vendue voilà une dizaine d'années pour 1 euro symbolique.
Sachant que l'usine vend aujourd'hui 70% de sa production à Perrier et les 30% restants au secteur brassicole, je ne vois pas bien en quoi sa fermeture serait justifiée par les problèmes de la viticulture…
Peut-être faudrait-il réexaminer avec soin les aides qui sont versées.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Nédélec. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)
Mme Anne-Marie Nédélec. Madame la ministre, l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS) joue un rôle essentiel d'amortisseur social en avançant le versement des créances salariales dues aux employés lorsque leur entreprise est en procédure collective. Ce mécanisme, financé par les employeurs, représente un filet de sécurité indispensable pour que les défaillances d'entreprises ne se traduisent pas par une précarisation brutale des salariés concernés.
La situation économique dans laquelle nous nous trouvons actuellement pèse fortement sur le régime, avec des montants records d'avances versées ces deux dernières années, ce qui a conduit la gouvernance à augmenter par deux fois le taux de cotisation en 2024.
À ces difficultés conjoncturelles s'ajoutent les conséquences de jurisprudences récentes de la Cour de cassation, qui ont eu pour effet d'étendre progressivement le périmètre de la garantie sur des sommes de nature indemnitaire, s'éloignant ainsi de la mission première de l'AGS : couvrir les créances relatives à la protection de la rémunération. Cela remet en cause la capacité du régime à recouvrer efficacement les fonds avancés aux salariés. Or cette capacité à recouvrer, qui est liée pour l'essentiel au statut de créancier prioritaire, est indispensable pour assurer l'équilibre financier du régime.
Madame la ministre, dans ce contexte instable, quelles garanties le Gouvernement peut-il apporter quant à la sécurisation du régime de garantie des salaires ? Ce sujet primordial pour les salariés et les entreprises de notre pays a-t-il bien été identifié par vos services et ceux des autres ministères compétents ? (M. Bruno Sido applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Madame la sénatrice Anne-Marie Nédélec, vous avez raison, le dispositif AGS est très utile : il participe à garantir le paiement des sommes dues aux salariés, notamment lorsque l'employeur est en procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et qu'il n'a pas les fonds disponibles pour régler les salaires.
Ce régime permet aux salariés d'obtenir le paiement, dans des délais encadrés, de sommes qui leur sont dues. Il n'a jamais fait faillite et a toujours réussi à assurer sa mission, malgré les crises.
Les situations ont été très variables, avec des creux et des vagues. En 2024, le montant des avances a atteint 2,13 milliards d'euros, son plus haut niveau depuis 2014.
Face à la dégradation de la conjoncture et à la hausse des défaillances, l'AGS a – vous l'avez souligné – relevé ses taux.
En outre, le 25 juin 2024, elle a conclu un accord avec les administrateurs et mandataires judiciaires. Les effets sur les ressources du régime sont notables. Au premier trimestre 2025, ce sont ainsi 157,6 millions d'euros qui ont été récupérés, soit une hausse de 53,2% par rapport au premier trimestre 2024. De même, en 2024, 607 millions ont été récupérés par les administrateurs et mandataires judiciaires, soit une hausse de 72% par rapport à 2023.
En plus des rentrées liées au taux de cotisation et des sommes récupérées par les administrateurs et mandataires judiciaires, l'AGS peut recourir à des lignes de prêt auprès des banques. Ce n'est jamais arrivé, mais c'est une piste, même si ce n'est pas celle que nous privilégions.
Le Gouvernement est très attaché à ce régime. Nous sommes vigilants et nous continuerons à suivre de près les évolutions dans les prochains mois, en lien notamment avec le ministère du travail.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Nédélec, pour la réplique.
Mme Anne-Marie Nédélec. Certes, madame la ministre, mais, compte tenu de la situation actuelle, il me paraît tout de même essentiel que l'AGS puisse se concentrer sur sa mission première. On ne peut pas tout demander aux entreprises, qui ne sont d'ailleurs pas toutes inscrites au CAC 40 !
Avant de distribuer la richesse, donnons aux entreprises les moyens de la créer !
Mme Frédérique Puissat. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. Je souscris à vos remarques. Le Gouvernement est d'ailleurs très attentif au fait que l'AGS puisse assurer sa mission première : garantir le salaire en cas de défaillance de l'entreprise.
M. le président. La parole est à M. Simon Uzenat.
M. Simon Uzenat. Je remercie M. le président de la délégation sénatoriale aux entreprises de l'organisation de ce débat.
Madame la ministre, comme l'ont souligné de nombreux collègues, les défaillances sont en hausse notable. En témoigne l'évolution du nombre de redressements ou de liquidations judiciaires prononcés par les tribunaux de commerce entre 2023 et 2024 – j'ai pu l'observer dans mon département, à Lorient comme à Vannes.
Au-delà des défaillances, c'est bien l'emploi qui est menacé. Les entreprises concernées sont principalement des PME et des ETI, de 9 et 4 999 salariés, avec une hausse de plus de 60% en 2024 par rapport à la période de 2017-2019. Pour les TPE, l'augmentation n'est que de 16%.
Dans l'industrie, la trésorerie et les carnets de commandes sont en baisse, quand les stocks sont en hausse. Dans le bâtiment, la crise est structurelle. Le climat est anxiogène. L'attentisme se généralise. Tout cela est, pour partie, lié au cycle électoral. Mais c'est surtout l'une des conséquences directes des coupes budgétaires que votre gouvernement, madame la ministre, a imposées aux collectivités locales.
Le Sénat a lancé une commission d'enquête sur la commande publique, sur l'initiative du groupe Les Indépendants – République et Territoires. Au bas mot, ce sont 170 milliards d'euros qui sont concernés à ce titre chaque année. En réalité, c'est sans doute beaucoup plus. Un rapport de la Cour des comptes européenne estime à près de 14 % la part de la commande publique dans le PIB sur notre continent, soit quelque 300 milliards d'euros, voire 400 milliards d'euros. C'est massif.
Pour soutenir la Fonderie de Bretagne ou pour aider les entreprises qui veulent évoluer en ETI, les collectivités, qu'il s'agisse de Lorient Agglomération ou de la région Bretagne, sont au rendez-vous. Mais, pour cela, elles ont besoin de visibilité et de moyens.
Quelles réponses leur apportez-vous, madame la ministre ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur Simon Uzenat, parmi les différents points que vous avez abordés, vous avez rappelé le montant important de la commande publique, soit 170 milliards d'euros, voire plus selon les estimations de la Cour des comptes européenne.
Pour soutenir nos entreprises, en particulier nos TPE et nos PME, il est important de simplifier l'accès à la commande publique. Je me réjouis donc qu'un certain nombre de mesures en ce sens figurent dans le projet de loi de simplification de la vie économique.
Vous m'avez également interrogée sur le besoin de visibilité des collectivités pour pouvoir s'engager dans des opérations d'infrastructures.
Je note qu'aujourd'hui les collectivités locales lancent beaucoup de chantiers. J'en veux pour preuve le nombre important de demandes de subventions, que ce soit dans le cadre de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) ou de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ; tous les préfets nous le confirment. Cela dénote un engagement très fort de la part des collectivités.
En l'occurrence, si une collectivité mérite une attention particulière, c'est bien, me semble-t-il, le département, qui est confronté à de véritables difficultés, liées à la hausse des besoins en matière sociale et à la baisse de ses ressources – je pense notamment aux droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Un certain nombre de rapports convergent en ce sens.
Le Gouvernement est pleinement engagé. La ministre Catherine Vautrin a d'ailleurs reçu des représentants de départements voilà quelques jours.
M. le président. La parole est à M. Simon Uzenat, pour la réplique.
M. Simon Uzenat. Sur la simplification, nous pouvons être d'accord. Mais les collectivités ont besoin de moyens financiers pour pouvoir investir et soutenir l'économie locale.
Vous avez évoqué la DETR et la DSIL. En la matière, les demandes des collectivités – c'est le cas dans mon département – seront loin d'être toutes satisfaites. Et beaucoup d'élus disent qu'en l'absence de soutien ils renonceront à certains projets.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. Je rappelle que, globalement, les montants de la DTER et de la DSIL n'ont pas varié ; ceux de 2025 sont équivalents à ceux de 2024. À vous entendre, on pourrait avoir le sentiment qu'ils ont baissé, ce qui n'est pas le cas.
M. le président. La parole est à M. Simon Uzenat.
M. Simon Uzenat. Madame la ministre, même si l'inflation a diminué, elle n'a pas disparu !
Certes, si l'on ne prend pas en compte l'inflation, les montants paraissent stables, mais ce n'est pas le cas partout. Dans mon département, ils sont en baisse de 2 millions d'euros, avec de lourdes conséquences pour les collectivités, en particulier dans les territoires ruraux.
Pour la seule année 2025, l'effort que vous réclamez s'élève à 7 milliards d'euros. Et cela risque même d'être davantage dans les mois à venir, à en juger par les discussions qui s'amorcent et par les coupes supplémentaires que votre gouvernement semble vouloir opérer.
Les élus locaux nous le disent très clairement : ils annulent des projets, tous niveaux de collectivités confondus, toutes sensibilités politiques confondues.
Cela va avoir des effets en chaîne, potentiellement récessifs pour l'économie, avec des répercussions sur tous les territoires, toutes les entreprises.
Madame la ministre, nous espérons que votre gouvernement retrouvera le chemin de la sagesse sur ce sujet particulièrement important pour les collectivités et les entreprises.
M. le président. La parole est à Mme Lauriane Josende. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu'au banc des commissions.)
Mme Lauriane Josende. Madame la ministre, comme cela a été souligné, les défaillances d'entreprises sont malheureusement devenues trop fréquentes dans notre pays ; nous remercions donc le président de la délégation sénatoriale aux entreprises de l'organisation de ce débat d'une importance cruciale.
Le cas du département frontalier dont je suis élue, les Pyrénées-Orientales, illustre parfaitement un tel phénomène. En effet, on y relève une hausse de 13% des cessations d'activité par rapport à l'année dernière, soit près de 4 points au-dessus du taux national. Les entreprises du BTP sont particulièrement affectées par le contexte économique. Ainsi, en 2024, près de 25% des injonctions de payer ont été ordonnées chez nous dans le secteur de la construction.
Parallèlement, on observe une hausse de 9,6% des créations d'entreprises. Ce taux est supérieur de près d'un point au taux national. Les entreprises du secteur du bâtiment, comme d'autres, illustrent donc le caractère volontariste et particulièrement résilient du territoire que je représente. En soi, cela pourrait nous rassurer.
Mais, au-delà des chiffres, dont on peut faire des moyennes à l'infini, n'oublions jamais que les défaillances d'entreprises sont autant de drames humains et de pertes de savoir-faire difficile à remplacer.
Dans mon département sinistré, je vois trop de chefs d'entreprise – je pense à l'entreprise créée par mon père en 1973 – se battre chaque jour pour survivre. D'autres finissent par baisser les bras. En effet, ils font énormément de sacrifices, mais ils constatent aussi avec amertume que les normes, les charges et la considération envers ces créateurs de richesses et d'emplois ne sont pas les mêmes des deux côtés de la frontière.
Madame la ministre, quels leviers le Gouvernement compte-t-il utiliser pour aider les secteurs les plus fragilisés comme le BTP ? Dans l'esprit du test PME, entend-il prendre en compte la situation chez nos voisins, notamment pour les entreprises des zones frontalières, lorsqu'il envisage de nouvelles mesures ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Madame la sénatrice Lauriane Josende, comme j'ai eu l'occasion de l'indiquer, j'ai bien conscience que plusieurs secteurs de l'artisanat, notamment le BTP, sont confrontés à une forte augmentation des défaillances, en raison à la fois des hausses des prix des matières premières, de la baisse du nombre de projets en matière de logement, de l'inflation et, parfois, de difficultés de recrutement ou d'approvisionnement.
Je me réjouis qu'il y ait aussi des créations d'entreprises dans certaines zones.
Vous avez également évoqué la situation particulière des zones frontalières, dont les entreprises se trouvent confrontées à des difficultés, car leurs concurrentes ne sont pas soumises aux mêmes normes et à la même fiscalité ou bénéficient de meilleurs dispositifs en termes de compétitivité. Les distorsions ainsi créées ne sont pas toujours faciles à vivre.
Nous devons donc faire en sorte d'améliorer la compétitivité de nos entreprises. Pour ce faire, nous devons réduire encore davantage les prélèvements obligatoires. Nous nous sommes déjà engagés sur cette voie ; je vous renvoie aux décisions qui ont été prises en ce qui concerne la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Mais il faut continuer et aller plus loin.
Une réflexion sur le financement de la protection sociale s'impose sans doute également. Celui-ci doit-il continuer à reposer exclusivement sur les revenus du travail ? Personnellement, je ne le pense pas. Si le financement des branches chômage, assurance vieillesse et accidents du travail et maladies professionnelles doit effectivement être assis sur le travail, des réponses différentes peuvent s'envisager dans le cas des branches maladie et famille.
Sur le test PME, il faudra en effet prendre en compte les entreprises des zones frontalières.
M. le président. La parole est à Mme Lauriane Josende, pour la réplique.
Mme Lauriane Josende. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse très complète. La piste que vous évoquez sur le financement de la protection sociale me paraît très intéressante. Il faut que nous la creusions ensemble. Nous nous y emploierons au sein de la délégation sénatoriale aux entreprises. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. Pour le test PME – nous avons évoqué le sujet à plusieurs reprises avec le président de la délégation sénatoriale aux entreprises –, notre intention est d'avoir un panel d'entreprises volontaires de toutes les tailles, de tous les secteurs d'activité et de tous les territoires, zones frontalières incluses.
M. le président. La parole est à Mme Lauriane Josende.
Mme Lauriane Josende. Encore une fois, dans les Pyrénées-Orientales, nous avons un tempérament volontariste. Je suis certaine que des entreprises du département seront volontaires pour participer à ces réflexions et à la recherche de mesures correctrices, au bénéfice de tous.
M. le président. La parole est à M. Damien Michallet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Damien Michallet. Je remercie le président de la délégation sénatoriale aux entreprises de l'organisation de ce débat. C'est l'occasion de rappeler que les entreprises ont leur place au sein de la Haute Assemblée.
La question des défaillances, qui nous réunit ce soir, est très importante. En tant qu'élu de l'Isère – j'associe ma collègue Frédérique Puissat à cette prise de parole –, je ne peux pas ne pas évoquer Vencorex, Photowatt, Valeo, des entreprises qui ont disparu de ce département.
Nous le voyons ce soir, nous sommes d'accord sur l'objectif : lutter contre la disparition des entreprises.
Madame la ministre, les représentants de l'État ont tendance à minimiser les alertes lancées sur le sujet en rétorquant que la création d'entreprises est toujours dynamique, ce dont nous sommes ravis, et que le solde serait positif.
Mais il est dangereux de se rassurer ainsi : la disparition d'entreprises entraîne la disparition de savoir-faire précieux, de compétences uniques. Elle remet aussi en cause certaines chaînes de valeur et peut augmenter notre dépendance aux fournisseurs étrangers. Dans le contexte de guerre commerciale que nous connaissons, cette perspective nous oblige à nous mobiliser pour conserver nos entreprises.
Or, à côté des défaillances, nous observons un phénomène de disparition des entreprises qui, faute de préparation insuffisante en amont, n'ont pas pu être transmises. Dans son dernier rapport sur la transmission d'entreprise, la délégation sénatoriale a montré le caractère essentiel du pacte Dutreil, pourtant ignoré de 82% des chefs d'entreprise consultés, alors qu'il permet des transmissions aux familles ou aux salariés.
Madame la ministre, je sais que vous y êtes sensible. La transmission, c'est de l'emploi ; c'est de la valeur ajoutée pour nos territoires ; ce sont des savoir-faire conservés ; c'est de la fierté collective.
Le Gouvernement va-t-il enfin lancer une campagne d'information auprès des dirigeants de TPE et de PME, afin de mieux les sensibiliser sur le sujet et de leur présenter le pacte Dutreil, qui est une vraie assurance vie à la transmission ?
Les entreprises les plus modestes en taille sont aussi concernées que les autres, mais elles manquent d'accompagnement et de sensibilisation.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur Damien Michallet, il faut en effet rester très prudent lorsque l'on évoque un « solde positif ».
Il est vrai que nous avons beaucoup de créations, mais elles sont souvent le fait de très petites entreprises. Je le rappelle, en 2024, 1,1 million d'entreprises se sont créées, dont 700 000 microentreprises.
En outre, des entreprises cessent parfois leur activité sans qu'il y ait eu, pour autant, défaillance. En 2024, il y a eu 66 000 défaillances et 165 000 entreprises ont cessé leur activité indépendamment des défaillances.
Je partage donc votre sentiment : nous devons nous préoccuper de la transmission et de la reprise des entreprises.
Je tiens à le souligner, le pacte Dutreil est un excellent dispositif, qu'il faut évidemment maintenir. Il facilite la transmission, le plus souvent au sein de la famille, sans avoir à acquitter un certain nombre de droits, permettant ainsi à l'entreprise de continuer à se développer, à investir et à innover. Une proposition de loi visant à le réformer en abaissant l'exonération de droits de mutation à titre gratuit en contrepartie d'un accroissement de la durée de l'engagement a d'ailleurs été déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale le 4 février dernier.
Je suis particulièrement mobilisée sur la question des transmissions et de reprises d'entreprises. En effet, selon les estimations, quelque 700 000 entreprises devraient cesser leur activité au cours des dix prochaines années. Or, aujourd'hui, une entreprise sur deux n'est pas reprise !
Ainsi que j'ai eu l'occasion de m'en ouvrir auprès du président de la délégation sénatoriale aux entreprises, je vais lancer des assises de la transmission-reprise, afin de réunir l'ensemble des parties prenantes – chambres consulaires, organisations professionnelles, acteurs économiques, parlementaires, etc. – autour de la table et de faire émerger des propositions.
M. le président. La parole est à Mme Else Joseph. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Else Joseph. Madame la ministre, je souhaiterais aborder le suivi de l'impact des défaillances d'entreprises, qui peut être complexe, car il varie selon trois critères.
Le premier est le critère sectoriel. Selon les chiffres de l'AGS, six secteurs concentrent plus de 80 % des salariés bénéficiaires de la garantie des salaires. L'industrie, la construction et les services aux entreprises sont les plus touchés. Mais il y a aussi des progressions inquiétantes, comme dans l'agriculture, où le nombre de défaillances, certes moins important en volume que dans d'autres secteurs, a connu la plus forte hausse de l'année 2024 : plus de 37 % !
Le deuxième est le critère géographique. En l'occurrence, l'Île-de-France concentre, sans surprise, 28 % du total des montants versés par l'AGS.
Le troisième est évidemment le critère stratégique. Certaines entreprises peuvent être clés pour l'indépendance de la production française ou pour la conservation d'un savoir-faire.
Madame la ministre, compte tenu de la multiplicité des critères et des données, comment votre ministère et, plus généralement, le Gouvernement pilotent-ils le suivi des défaillances d'entreprises ? Quels sont les indicateurs clés pour lancer une alerte ? Comment les services de l'État s'organisent-ils pour repérer les défaillances les plus inquiétantes pour notre économie ? Inquiétantes, elles le sont toutes du point de vue de l'emploi, mais pas forcément de celui, par exemple, de la souveraineté économique.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Madame la sénatrice Else Joseph, vous avez raison : il y a un certain nombre d'indicateurs clés qui permettent de disposer d'informations sur les défaillances d'entreprises à la fois en général et de manière plus ciblée, par exemple par secteur d'activité, par région ou en fonction de l'effectif.
D'ailleurs, les parlementaires sont souvent assez friands de telles informations, car elles permettent l'élaboration et la mise en œuvre de politiques publiques visant à éviter un certain nombre de défaillances, ce qui demeure notre objectif premier.
En l'occurrence, la prévention est très importante, d'où l'intérêt d'un projet informatique comme Signaux Faibles, qui est géré par une start-up d'État sous la tutelle de la direction interministérielle du numérique (Dinum). À l'origine conçu pour répondre à l'urgence de la crise du covid-19, il a finalement été pérennisé. Les comités départementaux peuvent ainsi détecter, grâce à des alertes, les éventuelles futures défaillances, ce qui permet de faire de la prévention et de l'accompagnement, notamment vers les procédures amiables. Dans 70 % des cas, cet accompagnement vers une procédure amiable permet d'éviter l'ouverture d'une procédure collective.
Tous ces éléments permettent de consolider les politiques publiques qui sont menées en soutien de nos entreprises.
M. le président. La parole est à Mme Else Joseph, pour la réplique.
Mme Else Joseph. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.
Dans le département des Ardennes, on a constaté une hausse du nombre de bénéficiaires de l'AGS. En effet, nous avons des entreprises en difficulté, notamment dans la fonderie et la métallurgie.
Ce qui remonte du terrain, c'est la multiplicité et la trop grande dispersion des acteurs, de comités, etc. Comme vous l'avez souligné tout à l'heure, il y a une nécessité de mieux intervenir en amont.
Certes, le tribunal de commerce peut conseiller, mais, bien souvent – c'est le cas dans mon département –, le mot « tribunal » fait peur.
Je pense qu'il faudrait un guichet unique pour plus de simplicité et une meilleure information de l'ensemble des parties prenantes.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. Vous avez tout à fait raison, madame la sénatrice.
Il y a en effet une difficulté de lisibilité, ce qui ne permet pas aux chefs d'entreprise de frapper à la bonne porte. Le problème a d'ailleurs été souligné dans des rapports de la Cour des comptes et de la médiation du crédit aux entreprises.
Je l'ai moi-même évoqué la semaine dernière dans la Loire. Je pense qu'une réflexion sur la mise en œuvre d'un point d'accès unique s'impose. Le conseiller départemental aux entreprises en difficulté (CDED) pourrait très bien être cette porte d'entrée : il pourrait orienter les entreprises de 50 à 400 salariés vers les CRP et les entreprises de plus de 400 salariés vers le Ciri.
En tout cas, je continuerai à travailler sur ce sujet.
M. le président. La parole est à Mme Else Joseph.
Mme Else Joseph. Je vous remercie pour ces éléments, qui sont de nature à rassurer les acteurs de mon territoire.
En amont de ce débat, j'ai beaucoup consulté. Ce ressenti me semble largement partagé : on voit bien l'évolution des carnets de commandes, mais on ne sait pas à qui s'adresser. Votre annonce est une bonne nouvelle. Il faudra communiquer sur ce sujet.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Valente Le Hir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sylvie Valente Le Hir. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Panhard, Citroën, Peugeot, Renault sont devenus des noms synonymes de l'histoire industrielle et automobile française au cours du XXe siècle.
L'automobile a transformé notre quotidien et façonné nos territoires, comme l'illustrent les exemples de Peugeot à Sochaux ou de Michelin à Clermont-Ferrand.
Or ce que nous imaginions impensable est en train de survenir : notre filière automobile et ses sous-traitants sont purement et simplement menacés de disparition.
Les causes sont plurielles : concurrence étrangère, choix industriels erronés, décisions politiques inconsidérées. Quant aux chiffres, ils sont impressionnants : selon les chiffres officiels du ministère, 149 000 entreprises, 990 000 emplois directs et indirects, 155 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 6 milliards d'euros investis chaque année dans la recherche et développement.
Prenons l'exemple de la ville de Méru, dans l'Oise, où le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) affectant un centre technique de Forvia a conduit, en novembre dernier, à la suppression de cent deux postes dans le service de recherche et développement.
Ce fut, pour cette ville de près de 15 000 habitants, un cataclysme, un traumatisme d'autant plus fort qu'en juillet 2020, le ministre de l'économie, M. Bruno Le Maire, était venu sur place parler de verdissement et de relance de l'économie.
Les dernières annonces du président des États-Unis, Donald Trump, sur une augmentation sans précédent des droits de douane viennent encore noircir davantage un tableau déjà sombre.
Comment être conscient de cette situation et laisser faire ? Nous savons et nous laissons faire ! Alors que le libre-échange devient de plus en plus théorique en raison de la montée en puissance de nouveaux acteurs tels que la Chine, qui subventionne allègrement ses constructeurs, nous, Européens, refusons d'accompagner les nôtres.
Pire, nous leur imposons unilatéralement et contre toute réalité un calendrier de fin de vente des véhicules thermiques en Europe à l'échéance 2035.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Sylvie Valente Le Hir. Dans ce contexte et sans modification des règles en vigueur, nous sommes condamnés à vivre et à revivre le même scénario qu'à Méru.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire. Madame la sénatrice Sylvie Valente Le Hir, vous évoquez la situation de la filière automobile et, en particulier, celle d'une entreprise de votre territoire.
Les ventes de véhicules en France sont structurellement en baisse depuis les années 2000, mais elles ont aussi chuté fortement dans les dernières années, puisque l'on compte près de 25% d'immatriculations en moins par rapport à 2019.
D'autres éléments sont à prendre en compte, comme le choix de sortir du véhicule thermique en 2035. À cet égard, nous sommes au milieu du gué : les constructeurs automobiles ont investi pour transformer leur industrie, des bornes de recharge commencent à être déployées, les utilisateurs de véhicules électriques sont de plus en plus nombreux et cette technologie continuera sans aucun doute à s'implanter dans les années qui viennent.
Je suis consciente des fortes répercussions de ce contexte de marché sur les entreprises de l'industrie automobile, comme Forvia, par exemple, qui vient d'annoncer la suppression de dix mille emplois en Europe.
Il faudra accompagner ces suppressions d'emplois et prêter une attention particulière aux dispositifs de reclassement qui seront mis en place.
Nous devons également soutenir la filière automobile française dans sa transformation. Au travers de dispositifs comme France Relance ou France 2030 – 54 milliards d'euros ont été engagés au titre de France 2030 dans la rénovation industrielle et la préparation du futur –, nous l'accompagnons déjà et nous continuerons de le faire.
Source https://www.senat.fr, le 9 mai 2025