Entretien de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec France Inter le 11 mai 2025, sur le conflit en Ukraine, la défense européenne, les relations avec la Chine, la situation au Proche-Orient et les tensions avec l'Algérie.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q - Bonjour Jean-Noël Barrot.

R - Bonjour.

Q - Merci beaucoup d'être avec nous et d'avoir choisi "Questions politiques" à votre retour d'Ukraine. Avec moi ce dimanche pour vous interroger, Nathalie Saint-Cricq de France Télévisions et Claire Gatinois du journal Le Monde. Bonjour à toutes les deux.

Q - Bonjour.

Q - Bonjour.

Q - Alors, toutes les semaines, on commence par l'image qui vous a marquée, mais exceptionnellement, vu l'actualité, je ne vous montrerai aujourd'hui qu'une seule photo. C'est cette image dont je vous parlais en introduction. Hier, à Kiev, Volodymyr Zelensky, Emmanuel Macron, Keir Starmer, Friedrich Merz et Donald Tusk autour d'un téléphone avec, au bout du fil, Donald Trump sur haut-parleur. Ils se mettent d'accord sur les conditions d'un cessez-le-feu. Il y a eu ensuite, au milieu de la nuit, cette prise de parole de Vladimir Poutine à deux heures, heure de Moscou, devant des journalistes étrangers. Je vous propose de l'écouter.

(...)

Q - Jean-Noël Barrot, on entend Vladimir Poutine en plein milieu de la nuit. On a le sentiment vraiment que les choses s'accélèrent. Qu'est-ce que vous pensez d'abord, peut-être, de cette réponse du président russe ?

R - D'abord, on a assisté hier à Kiev à un moment d'histoire, puisqu'un pas décisif a été franchi vers la paix en Ukraine. Et puis ensuite, parce que cet appel unanime des Européens, des Ukrainiens, avec le soutien des Américains, à un cessez-le-feu inconditionnel de 30 jours, à compter de lundi, a provoqué un mouvement dans la bonne direction de la part de Vladimir Poutine, qui, hier soir, s'est dit prêt à entrer dans des négociations conduisant à la paix. C'est une bonne chose, et nous y sommes prêts. Nous sommes prêts, dès jeudi prochain, à entrer dans des discussions menant à une paix durable en Ukraine. Mais pour ça, il faut un cessez-le-feu. Pourquoi ? Eh bien parce qu'on ne négocie ni sous les bombes, ni sous les drones. Et la dernière fois qu'on l'a fait, c'était justement à Istanbul, et c'était en 2022, et ça a conduit à l'échec. Et ça n'a pas empêché Vladimir Poutine de perpétrer les massacres de Boutcha qui ont horrifié la planète entière. Donc oui pour la négociation, pour la paix, mais le cessez-le-feu d'abord.

Q - Oui, mais est-ce que quand il dit "sans condition préalable ", Vladimir Poutine, est-ce que finalement, on ne tourne pas un peu en rond ? Certains ont considéré que tout ça, c'était un habillage. C'est-à-dire nous dire : "Ok, on est prêts à négocier." Vous avez dit "un pas décisif", mais s'il n'y a pas de cessez-le-feu, est-ce que ce n'est pas finalement la continuation de ce qui se passe depuis des semaines sous une autre forme ?

Q - Parce qu'il n'évoque à aucun moment le cessez-le-feu.

R - Non, mais il marque, Vladimir Poutine, sa disponibilité, sa disposition à entrer dans des négociations de paix, ce qui est une avancée qu'il faut considérer comme telle, et qui a été provoquée par cet appel très fort, très unitaire des Européens, hier à Kiev, coordonné avec les Américains.

Q - Ça veut dire que jeudi, à Istanbul, les Européens sont autour de la table, c'est ce que vous souhaitez ?

R - À condition, bien sûr, qu'il y ait un cessez-le-feu au préalable. Parce que, je le redis, on ne négocie pas sous les bombes.

Q - Et s'il n'y en a pas ?

R - Eh bien, s'il n'y a pas de cessez-le-feu, vous pouvez compter sur les Européens et sur les Américains pour accentuer la pression sur Vladimir Poutine. Nous avons la capacité de prendre des sanctions massives qui auraient un effet dévastateur sur l'économie russe.

Q - Quelles sont-elles, les sanctions massives qu'on n'a pas utilisées jusque-là ?

R - D'abord, on en a utilisées, vous avez raison de le dire en creux dans votre question, puisque les sanctions infligées par les Européens depuis trois ans sur l'économie russe ont coûté à Vladimir Poutine 400 milliards d'euros. C'est l'équivalent de trois années de budget de guerre. Et nous pouvons aller plus loin. Je me suis entretenu il y a dix jours avec le sénateur américain Lindsey Graham, proche de Donald Trump, qui a préparé un paquet de sanctions massif, avec des droits de douane de 500% sur le pétrole et sur les pays qui importeraient du pétrole russe. Nous avons décidé hier, avec les Européens qui se sont retrouvés à Kiev, de nous coordonner avec ces sénateurs américains qui veulent accentuer la pression pour que le cessez-le-feu puisse intervenir et que les négociations puissent commencer sereinement.

Q - Est-ce que ces sanctions beaucoup plus lourdes dont vous parlez, est-ce que ça ne vise pas à pallier aussi le fait que, probablement, les États-Unis ne fourniront plus d'armes à l'Ukraine ?

R - Vous savez, aujourd'hui, les Ukrainiens se battent avec des armes américaines. Ils continuent de bénéficier du soutien américain dans leur effort de résistance contre la guerre d'agression. Alors oui, peut-être qu'à un moment ou à un autre, le soutien américain s'interrompra. Mais je crois que la question aujourd'hui, c'est celle du cessez-le-feu. Et les messages deviennent très clairs en provenance de l'Europe, en provenance des États-Unis. Si Vladimir Poutine ne consent pas au cessez-le-feu, alors des sanctions massives s'abattront sur lui.

Q - Alors c'est ce qu'a dit Volodymyr Zelensky ce matin, qu'il est prêt à des pourparlers. Il évoque des signes positifs, mais à la condition, comme vous le dites, d'un cessez-le-feu. Je voudrais juste, pour resituer un petit peu les choses, qu'on écoute Emmanuel Macron hier à Kiev s'exprimer justement sur les conditions de cette trêve. Alors moi je voudrais bien comprendre ce que serait le plan s'il y a ce cessez-le-feu. Donc qu'on comprenne : qui surveille ? C'est le renseignement américain, c'est ça ? Aidé par les Européens ? Mais comment ça se passe exactement ? Est-ce que vous pouvez nous éclairer ?

R - Un cessez-le-feu, vous avez raison de le dire, ça se surveille pour vérifier qu'il n'est pas violé par l'une ou l'autre des deux parties. Nous avons formulé des propositions, grâce au travail qui a été mené avec, vous savez, les pays associés à cette coalition des volontaires, pour contribuer, aux côtés des Américains, à la surveillance de ce cessez-le-feu, de manière à ce que cette dimension un peu technique du cessez-le-feu ne soit pas un obstacle à ce qu'il puisse intervenir rapidement. Donc pas d'inquiétude sur ce plan-là. L'important c'est que les armes se taisent.

Q - Alors pour l'instant, où en est Donald Trump ? Qu'on comprenne bien tous. C'est-à-dire qu'on a bien compris que manifestement, il avait une position qui avait quand même un petit peu bougé, plus proche des Européens. Comment vous sentez et comment vous l'avez senti, et quelle est sa démarche aujourd'hui ?

R - Je crois qu'il faut écouter tout simplement ce que dit le président Trump.

Q - Il a dit que c'était un grand jour.

R - Il a dit que c'était un grand jour.

Q - On peut toujours dire que c'est un grand jour et qu'il a réussi à obtenir quelque chose.

R - Bien sûr, mais il y a contribué, puisqu'il y a quelques jours, il a publié une déclaration dans laquelle il réaffirme son souhait d'un cessez-le-feu de 30 jours, celui-là même qu'il a demandé aux Ukrainiens en Arabie saoudite d'accepter. Et il a évoqué la menace de sanctions si Vladimir Poutine...

Q - Donc on est tous alignés, les Européens...

R - Bien sûr, et je suis certain que de la même manière que les Ukrainiens et les Européens ont pris acte de la volonté de Vladimir Poutine d'entrer dans des négociations, les Américains encourageront cette négociation. Mais c'est Donald Trump lui-même...

Q - Il s'est engagé Donald Trump sur des sanctions ? On parlait des sanctions et de ce qui pourrait aller plus loin que ce qui a été fait jusque-là. Quels engagements concrets vous avez de Donald Trump sur des sanctions ?

R - Je vous le répète, Donald Trump, il a sous la main une proposition de loi portée par 71 sénateurs américains...

Q - Il l'a sous la main, mais est-ce qu'il s'est engagé...

R - ... qui peuvent d'ailleurs l'adopter à tout moment, sans même, si je puis dire, obtenir son aval, puisqu'avec 71 sénateurs aux Etats-Unis, on peut passer un texte sans difficulté. Et ce texte prévoit sur le secteur financier et sur le secteur énergétique des sanctions qui asphyxieront ou asphyxieraient l'économie russe.

Q - Sur le pétrole ?

R - Ensuite, les Européens. Les Européens, quant à eux, planchaient déjà depuis un certain nombre de semaines sur un nouveau paquet de sanctions. Nous y avons contribué. Mon ministère a formulé d'ailleurs la moitié des désignations de ce paquet de sanctions européen qui est à deux doigts d'être adopté. Mais ce qui a été dit hier...

Q - On est déjà à 16 paquets de sanctions, juste pour rappeler.

R - Oui, ça serait le 17e. Et ça concerne, vous savez, ces navires de la flotte fantôme que la Russie utilise pour contourner les sanctions sur le pétrole. Ça concerne les entités qui fournissent à la Russie des biens à usage dual, c'est-à-dire des biens qui peuvent être utilisés pour des motifs civils ou militaires. Ça concerne aussi des acteurs de la déstabilisation. Mais ce qui a été dit hier par les dirigeants européens, c'est que si Vladimir Poutine ne consent pas au cessez-le-feu, il faudra faire plus que ce nouveau paquet de sanctions et aller chercher le secteur financier et le secteur pétrolier, comme les Américains s'apprêtent à le faire.

Q - Est-ce qu'aujourd'hui, même s'il n'y a pas de cessez-le-feu, vous avez l'impression que vous avez réussi à mettre fin à cette espèce de duo un peu inquiétant entre Trump et Poutine ?

R - Vous savez, moi, je regarde l'image d'hier, celle que vous avez projetée à l'écran. Qu'est-ce que je vois ? Je vois cinq dirigeants européens qui pèsent en population deux fois la population de la Russie, six fois la richesse nationale de la Russie et qui ont exactement le même but : mettre fin à cette guerre d'agression, repousser définitivement la menace russe aux frontières de l'Europe. Et cette détermination, cette unité des Européens, c'est un acquis majeur et ça a une puissance symbolique très forte. Il se trouve que les États-Unis, qui étaient effectivement dans un dialogue exclusif avec la Russie, ont ouvert le champ de la discussion. Ça s'est passé à Paris, puisqu'il y a deux semaines, un peu plus de deux semaines, les Ukrainiens, les Américains et les Européens se sont retrouvés pour la première fois autour d'une même table.

Q - Le problème, c'est que Vladimir Poutine, il n'a pas l'air de vouloir parler aux Européens. Dans le message qu'il a adressé cette nuit. Il dit des Européens qu'ils sont les États curateurs, ou en tout cas, l'Ukraine est sous tutelle de ces curateurs qui n'en veulent qu'à leurs ambitions personnelles. On sent quand même que ce n'est pas vraiment avec nous qu'il veut discuter.

R - Rappelons ce que c'est que cette guerre d'agression. Au fond, c'est une guerre coloniale d'un pays, ou d'un dirigeant plutôt, Vladimir Poutine, qui a décidé qu'il allait reprendre possession d'un pays qui a obtenu son indépendance en 1991. Eh bien, nous, les Européens, si nous soutenons les Ukrainiens, c'est parce que nous refusons de voir se déployer en Europe des guerres coloniales.

Q - Pour le moment, il n'y a pas de... Pardon. Quand on le voyait le 9 mai au défilé à côté du Chinois, on n'avait pas l'impression que c'était sa vision du monde. Excusez-nous, c'était plutôt effrayant, cette démonstration.

R - Absolument. Et je pense que de voir aux côtés de Vladimir Poutine tous les adversaires traditionnels des Etats-Unis, je pense que ça a dû refroidir peut-être un certain nombre d'Américains qui se disaient "Vladimir Poutine, après tout, pourquoi pas".

Q - Sauf que pour le moment, il n'y a pas de cessez-le-feu, Trump parle d'un grand jour... On a quand même l'impression que Poutine essaye, encore une fois, de gagner du temps.

R - Oui, certainement. Mais vous voyez bien qu'il a été contraint parce que les Européens se sont exprimés de manière unitaire, parce que le Président de la République a établi cette connexion entre les Européens et le président Trump, physiquement, au travers de son téléphone portable hier à Kiev. Eh bien, de plus en plus, Vladimir Poutine est acculé et il va devoir faire des mouvements vers la paix, car la pression ne va cesser de s'accentuer.

Q - J'aimerais qu'on revienne sur le cessez-le-feu, s'il existe, sur les garanties de ce cessez-le-feu. Alors, on a parlé de la surveillance. Est-ce qu'il y aura des troupes françaises qui iront là-bas ? J'ai l'impression qu'Emmanuel Macron parlait plutôt d'envoi sur des points stratégiques. Est-ce qu'on peut clarifier ça ? Qu'est-ce qu'on ira sécuriser ? Est-ce que ce sont des centrales ? Dites-nous un peu plus.

R - D'abord le cessez-le-feu, pour que cessent les bombes et que cessent les drones et que des discussions puissent sereinement s'engager, qui porteront nécessairement sur la question territoriale d'un côté, une question qui appartient aux Ukrainiens, et puis la question des garanties de sécurité, question à laquelle nous sommes très attachés puisque notre sécurité en dépend. Sur cette question-là, nous avons, avec le Royaume-Uni, engagé des discussions au niveau des chefs militaires. Des chefs militaires qui se sont réunis avec tous les pays amis et alliés de l'Ukraine. Des chefs militaires qui se sont rendus une première fois à Kiev pour rencontrer leurs homologues ukrainiens. Des chefs militaires qui se sont rencontrés hier en présence du Président de la République, du Premier ministre britannique et du président ukrainien. Et ce que je peux vous dire, c'est que la contribution des Européens à ce que l'on appelle les arrangements ou les garanties de sécurité qui permettront de dissuader définitivement toute forme de nouvelle agression par la Russie de l'Ukraine, eh bien, elles avancent dans le bon sens, puisque ce dialogue, d'abord entre l'Ukraine qui est la première concernée et les Européens, a franchi des étapes significatives et que, pas à pas, nous nous préparons à ce que, le moment venu, quand les discussions s'ouvriront, nous puissions proposer, si je puis dire, des solutions crédibles. Le premier niveau de cette sécurité apportée à l'Ukraine, c'est le soutien à son armée. Aujourd'hui, l'armée ukrainienne est quasiment la première armée du continent européen, et il nous faudra la renforcer...

Q - Ça veut dire qu'on continue à livrer des armes, c'est ça que ça veut dire ?

R - Oui, former, équiper, etc. Et puis ensuite, il y aura sans doute en deuxième rideau des capacités militaires qui viendront envoyer un signal stratégique à tout agresseur de l'Ukraine que l'Ukraine est défendue. Je ne veux pas préempter ces discussions. Ce sont des discussions difficiles, ce sont des discussions techniques, ce sont des discussions nouvelles pour des Européens qui ont traditionnellement conçu leur sécurité au sein de l'OTAN et qui, cette fois-ci, doivent la concevoir différemment. Mais ce sont des discussions qui avancent.

Q - Sur les territoires, est-ce que c'est acté, même si personne ne le dit officiellement, que la Crimée, c'est fichu et que les Ukrainiens ne la récupéreront jamais ? Parce que c'est ce qu'on entend absolument partout en disant "il ne faut même pas s'obséder avec la Crimée". Volodymyr Zelensky dit : "oui, si..." Est-ce que c'est en fait un non-dit que tout le monde partage ?

R - C'est une décision qui appartient aux Ukrainiens. En revanche...

Q - Et si on ne les soutient pas ?

R - Non, bien sûr. Et on les soutient. Il y a eu, dans les discussions, l'apparition d'une idée contre laquelle le Président de la République, contre laquelle la France s'est dressée. Celle d'une forme de reconnaissance en droit d'une annexion par la Russie de la Crimée. Cette idée-là, qui appartiendrait donc, ou cette reconnaissance-là qui appartiendrait donc non pas à l'Ukraine mais à d'autres, nous l'avons combattu farouchement. Pourquoi ? Eh bien parce que si nous acceptions qu'on puisse reconnaître en droit, en droit international, l'annexion d'un territoire comme la Crimée...

Q - Il n'y a pas de raison que ça s'arrête.

R - Il n'y a pas de raison que ça s'arrête. Et on verrait exploser de toutes parts les conflits dans le monde entier, puisque vous savez que l'ordre international, fondé sur le droit, repose sur cette idée simple, fragile : "Tu ne touches pas à mes frontières, je ne touche pas aux tiennes." Si on commence à reconnaître les frontières contestées, alors ce sont des conflits évidemment qui prolifèrent, qui se multiplient. Et puis évidemment, c'est une autre tentation, qui elle est très dangereuse. La tentation de beaucoup de pays de se dire : "Après tout, quelle est la garantie de sécurité ultime pour moi pour ne pas être attaqué ? Soit je deviens un vassal d'une puissance comme la Russie ou les États-Unis, soit je me dote de l'arme nucléaire." Et si on voit se développer une crise de la prolifération nucléaire aujourd'hui dans le monde parce qu'on prendrait les mauvaises décisions s'agissant du sort des territoires ukrainiens, eh bien nous entrons dans un monde beaucoup plus instable, beaucoup plus dangereux que nous voulons écarter à tout prix.

Q - Un mot sur le rôle de la Turquie, puisque ces négociations devraient avoir lieu à Istanbul. Est-ce que le Président Macron a parlé ce matin au président Erdogan ?

R - Il pourrait le faire.

Q - Il l'a fait je crois, il l'a fait.

R - Ah il l'a déjà fait ? Entre l'arrivée du train et mon arrivée sur ce plateau...

Q - Le président Erdogan dit que c'est un tournant historique en tout cas.

R - Oui, la Turquie a participé aux discussions qui se sont tenues par visioconférence hier depuis Kiev avec le Président de la République, les premiers ministres britanniques et polonais, et puis le chancelier allemand. La Turquie entend bien contribuer justement à cette sécurité de l'Ukraine, notamment pour la composante maritime en mer Noire, où la Turquie est évidemment légitime.

Q - Donc la Turquie est un acteur majeur.

R - Et la Turquie a accueilli en 2022 des discussions entre la Russie et l'Ukraine. Mais elles ont échoué. Pourquoi ? Parce qu'il n'y avait pas de cessez-le-feu. Donc cessez-le-feu, puis négociation.

Q - On parle aujourd'hui de discussions directes entre Zelensky et Poutine. Visiblement, Volodymyr Zelensky est prêt à le faire. Qu'est-ce qui rend aujourd'hui possible ce type de négociation directe entre les deux hommes ?

R - Je répondrais par le cessez-le-feu. C'est-à-dire que nous plaidons, avec les Américains d'ailleurs, depuis des mois, pour dire que dès lors que les armes se seront tues, les négociations pourront s'engager et il est bien naturel que les deux dirigeants puissent à ce moment-là entrer dans une discussion directe.

Q - Mais est-ce que Zelensky a fait un pas ? Tout à l'heure, Nathalie parlait de la Crimée. Est-ce que vous sentez chez lui qu'il y a peut-être des axes de négociation qui commencent à s'ouvrir ?

R - Mais Volodymyr Zelensky a fait un pas gigantesque lorsqu'il a accepté le principe d'un cessez-le-feu inconditionnel en Arabie saoudite, à la demande des Américains. Il s'agit d'un pays et d'un peuple qui a été victime d'une agression, qui voit une puissance coloniale tenter de l'asservir, qui se bat courageusement depuis trois ans et qui a réussi à tenir en échec l'une des armées les plus puissantes du monde.

Q - Enfin ce n'est pas aussi clair que ça. Beaucoup disent qu'ils sont exsangues, que les gens ne veulent plus aller se battre, qu'il y a des armes qui sont très mal. C'est juste pour avoir un état des lieux et savoir de notre côté est-ce que la Russie...

R - On ne peut quand même pas considérer que l'opération spéciale de Vladimir Poutine dont on nous annonçait qu'elle allait faire chuter l'Ukraine en trois semaines est un succès. Et ça, c'est la force et la résistance des Ukrainiens qui sont en train de devenir une armée du XXIe siècle dont nous finirons par nous inspirer, notamment pour les technologies de drones, etc. Et donc, les Ukrainiens, décider comme ça d'entrer ou de cesser le feu, ça n'est pas rien. C'est un compromis majeur. Et ils l'ont fait en premier, ce qui montre leur disposition à cheminer vers la paix.

Q - Est-ce que nous, on parle directement à Vladimir Poutine ou alors c'est par l'intermédiaire justement du président turc ?

R - Ça pourra... On l'a toujours dit. Ça pourra être le cas dès lors que le cessez-le-feu permettra à ces discussions, à ces négociations de s'engager.

Q - Alors, on va reprendre tranquillement cette photo du début de l'émission, les Européens autour du président ukrainien. Il y a Emmanuel Macron, je l'ai dit, le nouveau chancelier allemand Merz, un couple franco-allemand, on va le voir, qui reprend des couleurs. Il y a aussi le polonais Donald Tusk. Est-ce que c'est un trio, j'allais dire, qui se dessine, Jean-Noël Barrot ?

R - Oui, il a même un nom. On appelle ça le Triangle de Weimar. Et il a été à l'honneur cette semaine puisque juste après son élection, le chancelier Merz est venu à Paris, c'est à la France qu'il a consacré son premier déplacement. J'ai moi-même accueilli mon homologue. Et puis juste après, il est parti en Pologne rencontrer Donald Tusk, le Premier ministre polonais. Quant au Président de la République, après avoir accueilli à Paris le chancelier allemand, il est allé à Nancy cette fin de semaine signer avec le Premier ministre polonais un traité d'exception avec la Pologne. Et ce Triangle de Weimar que nous avons réactivé l'année dernière, il forme, si l'on peut dire, un attelage très puissant et susceptible d'entraîner les Européens, notamment sur les questions de sécurité.

Q - Alors justement, ce traité, dedans, est-ce qu'il y a la promesse d'un parapluie nucléaire, puisque c'est ce qu'attendent les Polonais, c'est ce qui leur permettrait finalement d'acter leur indépendance stratégique vis-à-vis de Washington ?

R - Le Président de la République a rappelé ce que tous ses prédécesseurs ont dit jusqu'au général de Gaulle, à savoir qu'il y a une dimension européenne des intérêts vitaux, ce qui signifie qu'il y a une composante européenne dans la dissuasion française. Il a proposé, il y a quelques mois déjà, que s'ouvre un dialogue stratégique avec nos partenaires, et c'est vrai de la Pologne, c'est vrai de l'Allemagne, au moment où ils se réarment pour parer aux menaces, d'avoir ce dialogue pour bien comprendre ce que c'est que la dissuasion nucléaire française, comment elle fonctionne, de manière à pouvoir aussi prendre leurs propres décisions pour ce qui les concerne, en ayant la pleine conscience de ce que représente la dissuasion française. Il a aussi dit qu'à l'issue de ce dialogue stratégique, peut-être que des coopérations se dessineraient. Nous n'en sommes pas là, mais cette ouverture à un dialogue stratégique par le Président de la République a été effectivement très bien accueillie par les partenaires européens.

Q - Je voulais juste revenir sur un point, pardonnez-moi. Tout à l'heure, Nathalie parlait du 9 mai et la présence de Xi Jinping sur la place Rouge. Il y a des mercenaires chinois qui collaborent avec l'armée russe. Quel est le rôle de la Chine dans ce conflit, dans le conflit ukrainien ? Est-ce qu'elle a un rôle ? Est-ce qu'elle peut jouer un rôle ? Est-ce que ça vous inquiète ? Comment on peut décrire son attitude aujourd'hui ?

R - Nous en avons parlé à plusieurs reprises, très franchement, avec la Chine. Je l'ai fait lorsque je m'y suis rendu il y a quelques semaines avec mon homologue. Nous souhaitons, pour pouvoir avoir un agenda de coopération avec la Chine, qu'elle cesse de faciliter le contournement des sanctions par la Russie, qu'elle cesse de fournir à la Russie ces fameux biens à double usage qui permettent à la Russie en quelque sorte de les détourner, de les dévoyer pour en faire des armes. Et nous souhaitons qu'elle cesse de soutenir implicitement la guerre d'agression russe en Ukraine.

Q - Ce qu'on souhaite, on a compris. Ce qu'ils acceptent, on le voit moins.

R - C'est vrai. Nous voulons qu'ils fassent mouvement désormais, surtout avec tout ce qu'on a vu...

Q - Pourquoi ils le feraient, en fait ?

R - Parce que nous représentons pour eux, au moment où surviennent les guerres commerciales, un partenaire, un marché qu'ils ne veulent pas négliger. Mais nous leur disons :"Pourquoi pas un agenda positif ?" Nous y sommes ouverts sur les questions commerciales comme d'ailleurs sur les questions climatiques, où nous avons souvent travaillé avec la Chine. À condition, bien sûr, qu'on règle un certain nombre de différends qui entachent notre relation avec la Chine. Je pense au cognac et à l'armagnac, bien sûr. Et à condition que la Chine tienne compte de notre sécurité. Et aujourd'hui, notre sécurité, elle est menacée par la Russie.

Q - Vous les sentez comment ? Parce que l'image du 9 mai, elle est tellement effrayante, enfin je m'en suis remise, mais on ne sent pas que ce sont des gens extrêmement ouverts à, en gros, défendre la démocratie, les droits de l'Homme.

R - Je vais vous dire, la Chine...

Q - Avec des Européens aussi sur la place rouge, notamment le Slovaque, Robert Fico.

R - Je vais vous dire : la Chine a un partenariat ancien, solide, multidimensionnel avec la Russie. C'est la raison pour laquelle il est totalement vain d'imaginer pouvoir briser cette relation, ce que certains idéologues aux États-Unis ont cru penser possible. En revanche, je ne crois pas que la Chine accueille très favorablement l'attitude de Vladimir Poutine en Ukraine. Pourquoi ? Eh bien parce que ça pose un sujet majeur de sécurité aux Européens, avec lesquels la Chine aimerait pouvoir travailler, mais aussi parce que selon la manière dont cette guerre se termine et avec l'implication de la Corée du Nord, la Chine ne voudrait pas, elle qui se voit, qui se vit comme un gardien de l'ordre international, que les conséquences d'une capitulation de l'Ukraine entraînent la multiplication des conflits.

Q - Ça pourrait être son intérêt, éventuellement.

R - Ça peut être son intérêt d'une résolution respectueuse de la souveraineté. C'est d'ailleurs ce qu'elle dit.

Q - Le président chinois a quand même passé trois jours à Moscou.

R - Certes, c'est pour ça qu'il ne faut pas croire qu'on puisse diviser la Russie et la Chine. Ce qui n'empêche pas les Européens, la France au premier chef, de passer des messages très clairs à la Chine, d'amener la Russie à, je dirais, cheminer vers la paix.

Q - Et le Slovaque, comme le disait Élodie, qui aussi est allé en cure ... ?

R - Je préfère penser, puisque nous célébrions le 9 mai, le 75e anniversaire de la création de l'Europe, et l'Europe a été créée au Quai d'Orsay, dans la déclaration de Robert Schuman, 1 minute 30, qui annonçait la Communauté européenne du charbon et de l'acier. Eh bien, les ministres des affaires étrangères de tous les pays européens étaient là, à Lviv, en Ukraine, pour soutenir l'Ukraine, mais aussi pour créer un tribunal spécial contre le crime d'agression russe en Ukraine, mais aussi pour annoncer de nouvelles coopérations. C'est cette image-là que je retiendrai.

Q - Ça met à mal quand même l'unité européenne, non, d'avoir le président slovaque là-bas ?

R - Eh bien, je vais vous dire, il y a quelques mois encore...

Q - Donald Tusk dit : "C'est une honte."

R - Il y a quelques mois encore... Je ne veux pas approuver la participation des Européens à cette parade du 9 mai, mais ce que je voudrais dire, c'est qu'il y a quelques mois encore, on nous a annoncé la dislocation rapide de l'Union européenne avec des pays qui, de manière bilatérale, auraient été chercher les faveurs de l'administration Trump en se faisant la concurrence les uns aux autres. Moi, j'ai vu, vendredi à Lviv et samedi à Kiev, une unité extrêmement forte des Européens. Alors, elle est fragile, enfin, en tout cas, il faut toujours la cultiver, mais en tout cas, j'étais très fier de participer à ces deux moments d'unité européenne.

Q - Et les opinions, vous pensez qu'elles suivent ? Parce que vous parlez des...

R - Très bonne question. Je pense que les opinions publiques ont compris que nous étions entrés dans une ère nouvelle, où la menace est plus élevée, et pas uniquement celle de la Russie, mais aussi celle de l'Iran, celle du terrorisme et d'autres. Et dans un moment où il est clair, depuis l'altercation dans le bureau Ovale, que ce que nous disent les États-Unis depuis des années va se concrétiser. Les États-Unis vont réduire le niveau d'engagement qu'ils ont eu pendant des décennies dans l'OTAN. Et donc, au moment où la menace s'élève, le niveau de sécurité diminue, eh bien, chacun a compris qu'il va nous falloir prendre les choses en main, prendre notre propre sécurité en main. Mais ça, et c'est peut-être là où il y a encore du travail à faire, ça suppose un certain nombre d'efforts. Parce que se défendre, ça coûte cher. Ça suppose des investissements. Et tout cela, il faut nous y préparer si nous ne voulons pas prendre le risque en continuant nos bonnes vieilles habitudes, soit de nous laisser entraîner un jour ou l'autre dans une guerre qu'on n'aurait pas choisie, soit d'être condamnés à être les vassaux de grandes puissances auprès desquels nous irions chercher la protection.

Q - On a encore beaucoup de sujets à aborder. Juste pour conclure peut-être cette séquence, est-ce que vous diriez, vous aussi comme le président turc, que nous sommes à un moment historique ? Est-ce que ce week-end, c'est un tournant historique ?

R - C'est un moment d'histoire.

Q - Alors, on avance. Donald Trump sera lui en Arabie saoudite cette semaine, puis aux Emirats et au Qatar. C'est son premier grand voyage international depuis son retour à la Maison-Blanche. Il promet une très, très grande annonce. On s'attend à quoi ?

R - Je pense que l'objectif premier du président Trump, lors de sa visite à venir en Arabie saoudite, aux Émirats et au Qatar, concerne les relations économiques avec la région du Golfe. Mais nous espérons et nous poussons à la fois les Etats-Unis et nos partenaires dans le Golfe à faire de ce moment l'occasion de porter des messages politiques. Je rappelle que le président Trump, lors de son premier mandat, a engagé ce qu'on a appelé la logique des accords d'Abraham, c'est-à-dire le rapprochement entre certains pays de la région et Israël en contrepartie de la perspective politique pour la Palestine et la solution à deux États. Je ne vous dis pas que le conflit israélo-palestinien pourrait être réglé dans les prochains jours grâce à la visite du président Trump. Mais je pense que ce que nous voulons et ce vers quoi nous poussons, ce sont des déclarations politiques qui nous permettent de cheminer dans le même sens et, je dirais, d'abonder dans la direction sur laquelle nous travaillons, avec le Président de la République, qui est la préparation de cette conférence que nous allons co-présider en juin sur la solution à deux États.

Q - Alors justement, sur Gaza, vous avez eu cette semaine à l'Assemblée nationale des mots forts. Vous dites : "On ne peut pas détourner le regard sur ce qui se passe", mais... Alors vous dites : "On prépare effectivement ce qui va se passer en juin." Mais, comment on va plus loin que ces paroles, comment on sort de l'immobilisme européen ? Là il y a vraiment urgence, quand on voit les conséquences du blocus humanitaire qui a lieu à Gaza.

R - D'abord, il faut mettre des mots sur la réalité. La réalité, c'est que les Palestiniens à Gaza sont affamés, qu'ils sont assoiffés, qu'ils manquent de tout et que la bande de Gaza est aujourd'hui au bord du chaos et de l'effondrement, de la famine. Je crois que tout le monde s'en aperçoit. On entend, y compris dans la communauté juive, des voix s'émouvoir de cette attitude incompréhensible du gouvernement israélien. Et c'est en donnant de la voix qu'on peut sans doute espérer infléchir la position du gouvernement israélien.

Q - Et s'ils s'en fichent, qu'est-ce qu'on fait ? Parce que l'attitude pour l'instant du gouvernement israélien, en tout cas, même s'il y a des opposants dans le pays, même s'il y a l'opinion en Israël, Netanyahu fait ce qu'il veut.

R - Nous avons, pour ce qui concerne la colonisation, l'occupation des territoires, pris des mesures, pris des sanctions, à titre national, contre les colons extrémistes et violents. Nous en avons désigné 28 par le passé. Je n'exclus pas d'ailleurs de reprendre des sanctions à l'encontre de ceux qui prolongeraient cette politique de colonisation extrémiste et violente. Et puis, au niveau européen, nous avons été à l'initiative pour proposer deux paquets de sanctions contre ces mêmes colons. Et nous travaillons à faire adopter un troisième paquet, puisque la colonisation, qui est un autre sujet que celui des restrictions à l'accès de l'aide humanitaire, menace très concrètement la perspective d'une solution politique et menace donc à long terme la sécurité d'Israël.

Q - Est-ce qu'au-delà de ces sanctions qui, pour le moment, ont peu d'effets, l'Union européenne ne peut pas agir en dénonçant, en remettant en question l'accord d'association entre l'Europe et Israël ?

R - Les Pays-Bas ont demandé à la Commission européenne d'analyser le respect par le gouvernement israélien de l'article 2 de cet accord d'association avec Israël. C'est une demande qui est légitime et que j'invite la Commission européenne à instruire.

Q - Une possibilité donc. Vous dites, vous y seriez plutôt favorable, vous, à remettre en question cet accord.

R - Voyons l'analyse que fera la Commission européenne du respect ou non par Israël de l'article 2 de cet accord.

Q - Une autre photo, Jean-Noël Barrot, a été très commentée cette semaine. C'est la poignée de main dans la cour d'honneur de l'Élysée entre Emmanuel Macron et le président syrien al-Charaa. Parler au nouveau dirigeant syrien est une nécessité, dites-vous, mais est-ce qu'il fallait vraiment l'inviter à l'Élysée ? Est-ce que recevoir un ex-djihadiste avec les honneurs, c'est OK ? Est-ce que cette photo, vous n'allez pas peut-être un jour la regretter ?

R - Vous savez, si nous ne défendons pas les intérêts et la sécurité des Français, personne ne le fera à notre place. C'est depuis la Syrie, sous le régime sanguinaire de Bachar al-Assad, que les attentats du Bataclan ont été fomentés. C'est depuis la Syrie, à peu près au même moment, en 2015, qu'est partie la plus grande vague d'immigration de notre histoire récente, avec ces millions de Syriennes et de Syriens qui fuyaient les persécutions et cherchaient refuge en Europe. Alors oui, nous pouvons mettre notre tête dans le sable, faire comme si tout ça n'existait pas, et voir une Syrie à nouveau fragmentée, Daech que nous combattons depuis dix ans en Syrie reprendre du poil de la bête et venir une nouvelle fois ensanglanter notre pays.

Q - Mais est-ce que ça n'est pas ...

R - Ça n'est pas notre approche. Et je me suis rendu moi-même, quelques semaines à peine après la chute de Bachar al-Assad, en Syrie. Pour demander quoi ? Pour demander une négociation avec les Kurdes, qui sont nos alliés dans la lutte contre Daech depuis dix ans. Cette négociation est entamée. Pour demander les inspections et la destruction du stock d'armes chimiques. Ces inspections, ces destructions ont commencé. Pour demander à ce que le gouvernement puisse être représentatif de l'ensemble des composants de la société syrienne. Un nouveau gouvernement a été formé...

Q - Enfin ça ne les empêche pas de massacrer les alaouites et les Druzes au passage.

R - Un nouveau gouvernement a été formé, qui est un peu plus représentatif que le précédent.

Q - Quatre, il y a quatre représentants d'autres communautés.

R - Maintenant, quelles sont nos demandes ? Quelles sont nos demandes aujourd'hui ? Eh bien, c'est que tous les responsables de ces massacres contre les alaouites ou les Druzes soient jugés et punis. Je vais même vous dire qu'avant même que les décisions soient rendues en Syrie, j'ai demandé à ce que nous prenions des sanctions européennes, ce sera le cas dans les prochains jours, contre les responsables que nous avons identifiés de ces massacres. Et puis surtout, nous demandons à ces autorités de transition à Damas, qui luttent sans aucune forme d'ambiguïté contre Daech. Je rappelle...

Q - Pourquoi vous... Vous avez l'air peut-être...

R - Je suis très préoccupé par la situation de Daech aujourd'hui en Syrie.

Q - Oui, mais peut-être pas un peu naïf, tous aussi à penser que... Peut-être qu'il est effectivement très bien, peut-être qu'il veut vraiment changer, mais peut-être aussi qu'il nous trompe.

R - Je vois la menace de Daech ressurgir.

Q - Enfin lui, ça n'était pas Daech c'était avant ...

R - Je vois Daech se reconstituer dans la Badiya syrienne, au milieu du pays. Je vois les dizaines de milliers de combattants terroristes et leurs familles qui sont détenus aujourd'hui dans des camps...

Q - Vous lui faites confiance, a priori.

R - Mais je ne fais pas de chèques en blanc. Je formule des attentes et je vérifie qu'elles sont prises en compte et qu'elles sont respectées. Jusqu'à présent, j'ai obtenu gain de cause sur un certain nombre de points. Ma priorité numéro un, c'est de protéger les Français contre la menace de Daech. Et aujourd'hui, où se reconstitue Daech ? Eh bien, c'est en Syrie.

Q - Autre dossier chaud sur votre bureau. Les relations France-Algérie, la situation est bloquée. Est-ce que l'ambassadeur de France est toujours à Paris ?

R - Oui, nous l'avons rappelé pour consultation. Ces consultations sont en cours. Et donc la question de son retour sera tranchée à l'issue de ces consultations.

Q - Qu'avez-vous pensé du déplacement en Algérie cette semaine de 12 parlementaires, gauche et centre, qui sont allés commémorer l'autre 8 mai 1945, celui des massacres de Sétif ?

R - Les massacres de Sétif méritent d'être commémorés. D'ailleurs, l'ambassade de France à Alger a déposé une gerbe à cette occasion. Ça s'inscrit dans la logique de mémoire, de vérité, dans laquelle la France s'est engagée depuis 2017. Il est toujours positif que les parlementaires puissent se déplacer à ces occasions, mais la relation reste bloquée, totalement gelée.

Q - Parce qu'eux disaient qu'ils espéraient peut-être, en marge de tout cela, mais de lui dans les engrenages. On n'a pas l'impression qu'on en soit là avec les autorités algériennes.

R - Vous savez, si la relation est bloquée, gelée... Je me suis rendu moi-même à Alger, si la relation est bloquée et si elle est gelée, c'est par la faute des autorités algériennes, qui ont décidé brutalement d'expulser 12 de nos agents. 12 de nos agents. Et pour que tout le monde l'entende, ce n'est pas uniquement une décision brutale sur le plan administratif. Ce sont des hommes et des femmes qui ont dû quitter précipitamment leur famille, leurs enfants, leurs domiciles, pour rentrer en France. C'est quand même très brutal comme décision.

Q - Donc c'est quoi la prochaine étape si ça ne bouge pas ? Si Boualem Sansal passe l'été...

R - Mais c'est aux autorités algériennes qu'il faut demander.

Q - Non, mais nous, on fait quoi ? Parce que François Bayrou avait pris trois semaines en disant : on donne cette liste, si ça ne se passe pas, non pas les armes vont parler, mais on va faire quelque chose. On a des paquets de sanctions encore pour l'Algérie aussi ?

R - Des sanctions, j'en ai déjà prises pour restreindre l'accès à la circulation des dignitaires...

Q - Mais qu'est-ce qu'on peut faire de plus maintenant ?

R - ... et qui ont été vivement ressentis par les personnes concernées. Je ne m'interdis pas d'en prendre. D'ailleurs, je ne dirai pas forcément quand je ne les prendrai pas. Ainsi fonctionne la diplomatie.

Q - Mais on en a de possible ? On a encore quelque chose sous la main pour... ?

R - Oui, bien sûr. Et on le fera dans l'intérêt des Français.

Q - Allez, on en vient à nos préoccupations hexagonales. Mardi soir, le Président devrait annoncer la tenue de référendums. Le Premier ministre, lui, a déjà soumis l'idée d'interroger les Français sur les finances publiques. Alors selon vous, c'est quoi la bonne idée ? Sur quoi vous aimeriez faire voter les Français ?

R - La bonne idée, c'est d'interroger les Français, de les associer le plus largement possible aux décisions qui les concernent et par tous les moyens. Et je suis favorable à ce qu'on ait des référendums. Je suis favorable à ce qu'on ait des conventions citoyennes. Je suis favorable à ce qu'on modifie le mode de scrutin pour le rendre, je dirais, à la fois plus représentatif et plus utile avec la proportionnelle. Je suis même favorable à ce qu'on facilite les modalités de vote, le vote électronique, que le ministère des affaires étrangères rend possible pour nos compatriotes à l'étranger, qui fonctionne parfaitement. Il doit être généralisé.

Q - Est-ce que tous les sujets se prêtent à un référendum ? Prenons le débat sur la fin de vie. Comment une question ...

R - Non, sur la fin de vie, pour le coup, je vais vous dire, je salue le travail de très grande qualité qui a été mené, d'abord au travers d'une Convention citoyenne, dont les travaux - je vous dirais après mon avis - ont été équilibrés. Travaux qui ont ensuite été repris par le Parlement, qui a commencé son travail il y a quelques mois déjà et qui l'a repris. Et cette articulation entre démocratie dite participative et représentative est, à mon sens, exemplaire. Maintenant, sur la fin de vie, je suis très favorable au texte sur les soins palliatifs.

Q - D'accord, tout le monde.

Q - C'est assez consensuel.

R - Sur le texte sur le droit à l'aide à mourir, malgré le travail de grande qualité qui a été fait par Olivier Falorni, par tous les parlementaires impliqués, je considère pour ma part que le texte sorti de commission va trop loin. Et qu'à mon sens, le préalable nécessaire à l'ouverture de ces nouveaux droits, c'est de garantir l'accès de tous les Français aux soins palliatifs.

Q - Vous êtes plutôt sur la ligne Bayrou.

Q - En quoi il va trop loin ?

R - Ça vous étonne ?

Q - Les démocrates-chrétiens ne m'étonnent jamais.

Q - En quoi, juste pour... Même en quelques mots... En quoi ça va trop loin ?

R - Nous voulons, je souhaite, que tous les Français, quel que soit le département dans lequel ils vivent, puissent avoir accès aux soins palliatifs. Je souhaite aussi que la loi Claeys-Leonetti puisse être pleinement appliquée. Et si besoin, effectivement, qu'elle puisse être corrigée à la marge pour être rendue plus efficace. Mais le texte tel qu'il est présenté, et chacun sera libre de son vote, chacun se décide sur ses sujets en âme et conscience, mon âme et ma conscience me disent que le texte tel qu'il a été présenté, tel qu'il est sorti de la commission, va trop loin.

Q - Même si les Français y sont majoritairement favorables.

R - Mais chacun a son opinion.

Q - Pas de consigne pour les députés Modem ? Chacun fait en son âme et conscience ?

R - Vous savez, sur ces questions, c'est vraiment liberté de vote.

Q - Mais vous, vous ne le voteriez pas ?

R - Je ne suis pas appelé à le voter, mais je...

Q - Si vous étiez député ?

R - ... mais tel qu'il est sorti de la commission, je ne le voterai pas.

Q - Merci beaucoup Jean-Noël Barrot.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 mai 2025