Interview de M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur, à CNews le 14 mai 2025, sur la politique de l'immigration, la police municipale, la violence, la politique pénale et la vie politique.

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Média : CNews

Texte intégral

SONIA MABROUK
Bonjour Bruno RETAILLEAU.

BRUNO RETAILLEAU
Bonjour Sonia MABROUK.

SONIA MABROUK
Bienvenue à la grande interview sur CNEWS et EUROPE 1. Vous êtes ministre de l'Intérieur et des Cultes. Plus de trois heures d'émission hier soir, Bruno RETAILLEAU, trois heures au cours desquelles Emmanuel MACRON a défendu et s'est félicité de son bilan. L'opposition dénonce un bavardage qui masque l'impuissance et le déni du chef de l'État. Et j'allais dire, et l'ancien opposant, ou l'opposant que vous êtes, et le ministre que vous êtes devenu, comment vous l'avez trouvé ?

BRUNO RETAILLEAU
Écoutez, je vais vous parler librement et en vérité. Je pense que l'émission, longue, trois heures hier, pour moi, ça a conforté ma position. Ma position, je l'étais dans l'opposition, je suis au Gouvernement, je suis toujours gaulliste, et comme gaulliste, je me dis que nous, la droite, collégialement, collectivement, nous avons eu raison d'entrer au Gouvernement pour faire barrage à la gauche. Puisque, quand on entendait la secrétaire générale de la CGT, on voit bien ce qu'aurait donné un programme de gauche à la France : plus d'impôts, plus de dépenses, ça aurait précipité la France dans le chaos économique et la crise financière. Donc, de ce point de vue, je pense que ça justifie ce que nous avons décidé de faire en entrant au Gouvernement. En revanche, je suis gaulliste, mais je ne suis toujours pas macroniste, et j'ai de vraies différences avec le président de la République, par exemple sur l'immigration.

SONIA MABROUK
Parlons-en, parce qu'à plusieurs reprises, hier, dans un pays en proie, Bruno RETAILLEAU, à des défis existentiels, le Président a nié la dégradation de la situation. Sur les déficits et la dette, ce n'est pas de sa faute ; sur la sécurité, tout a été fait ; sur l'immigration, ça semblait ne pas être un sujet d'importance. Par exemple : pas de consultation des Français, pas de changement, rien sur le regroupement familial. Moi, je me suis dit : vous avez dû vous sentir bien seul hier soir.

BRUNO RETAILLEAU
Ah non, mais moi, j'ai assumé depuis le départ. Emmanuel MACRON ne m'avait pas contredit, mais en tout cas, il avait exprimé une autre opinion lorsque j'avais dit que, désormais, l'immigration, ça n'était plus une chance pour la France, puisqu'elle est hors de contrôle. Et je tente, jour après jour, de reprendre ce contrôle. Et pour reprendre le contrôle, de toute façon, il faudra, dans deux ans, modifier la Constitution pour faire un grand référendum sur l'immigration.

SONIA MABROUK
Il a fermé la porte hier, totalement.

BRUNO RETAILLEAU
Oui, bien sûr, mais je pense que tout se jouera désormais. Les Français le sentent. Dans deux ans, c'est ce qu'il faut préparer.

SONIA MABROUK
On a le luxe d'attendre, Monsieur RETAILLEAU, deux ans ?

BRUNO RETAILLEAU
Non, c'est ce que je fais tous les jours, très concrètement, en durcissant les conditions de la naturalisation, en assumant dans le débat public la question de l'assimilation pour une naturalisation qui ne doit pas être un droit, mais une chance. L'abrogation de la circulaire VALLS, le fait qu'on va réviser la fameuse directive « recours »au niveau…

SONIA MABROUK
Oui, mais pas de consultation des Français, pas de grand soir, pas de grande loi immigration, et un président qui, sur les entrées – c'est-à-dire un demi-million quand même de personnes par an – ne trouve rien à redire à cela, contrairement à vous.

BRUNO RETAILLEAU
Ah non, mais moi, je pense que les capacités d'accueil de la France sont saturées. C'est pour cela que je dis que l'immigration, ça n'est pas une chance pour la France, dans ces conditions-là.

SONIA MABROUK
Dans ces conditions, vous ajoutez.

BRUNO RETAILLEAU
Oui, parce que je n'ai jamais cru à l'immigration zéro. Il faut être en Corée du Nord, donc ,c'est stupide. Aucun pays, d'ailleurs, ne le pratique, en dehors, sans doute, de la Corée du Nord. Ce que je veux simplement dire, c'est que prenons un peu de hauteur et de recul. En Allemagne, je recevais, je déjeunais, et on a eu une séquence de travail intéressante avec mon homologue, le ministre allemand de l'Intérieur. C'était lundi, et je voyais les déclarations du Premier ministre travailliste – donc de gauche, si j'ose dire – anglais. Les deux, les Allemands, croyez-moi, veulent mener une politique migratoire très ferme, et les travaillistes britanniques, idem. Ils veulent remettre d'ailleurs en cause un certain nombre – par exemple, les Allemands – leur regroupement familial. Et le Premier ministre britannique a dit que le risque pour le Royaume-Uni, c'est de devenir une île d'étrangers.

SONIA MABROUK
Mais vous n'êtes pas ministre de l'Intérieur de ces pays-là, vous êtes en France. Quand vous entendez donc le président de la République s'exprimer sur ce sujet, vous vous dites que vous avez bien fait d'entrer au Gouvernement, Monsieur RETAILLEAU ? C'est bien ça, votre constat ?

BRUNO RETAILLEAU
Oui, mon constat, c'est qu'il faut éviter le pire, et que si je n'étais pas entré au Gouvernement, il n'y aurait pas eu cette circulaire pour durcir les critères de la naturalisation. Il n'y aurait pas eu cette circulaire pour durcir, là encore, les critères de la régularisation. Est-ce qu'il y aurait eu la directive "Retour", qui est terrible en Europe ? En décompte, 2008, c'est une directive – je l'ai souvent dit – qui empêche les retours, parce qu'elle donne le choix aux clandestins d'un délai de départ volontaire. C'est incroyable. Donc oui, et j'assume : il y a désormais moins de régularisations, moins de visas long séjour. Et si nous, la droite, on est patriotes ?

SONIA MABROUK
Oui, d'accord, mais est-ce que c'est satisfaisant par rapport, j'allais dire, à vos ambitions, à de tels défis existentiels ? Hier, en réalité, le président est allé dans votre domaine, sur votre champ, sur deux sujets : l'extension — on peut être tous d'accord — du pouvoir de la police municipale, et puis aussi la location de places de prison à l'étranger. N'est-ce pas bien maigre ?

BRUNO RETAILLEAU
Un, sur la police municipale, nous avons fait le Beauvau des polices municipales avec les élus, et avec François-Noël BUFFET, nous allons être en mesure, dans quelques semaines, de proposer justement un texte de loi où on va aller très loin dans les prérogatives des policiers municipaux. C'est ce que demandent la plupart des maires, et on ne peut pas faire reculer l'insécurité s'il n'y a pas cette coopération — on dit le continuum de sécurité — entre les villes, les municipalités et l'État. Simplement, vous me questionnez sur le sens de notre engagement. Moi, je ne renie rien du tout. Nous nous sommes engagés au Gouvernement, et croyez-moi, j'ai eu le premier des doutes, parce que j'étais dans l'opposition, et c'est simplement parce qu'on est des patriotes.

SONIA MABROUK
Vous étiez, vous l'envoyez au passé.

BRUNO RETAILLEAU
Mais parce que vous êtes au Gouvernement.

SONIA MABROUK
Donc, solidarité Gouvernementale sur les migrations, sur la fin de vie ? Non ?

BRUNO RETAILLEAU
Non, parce que nous sommes un Gouvernement, précisément, qui n'obéit pas à une logique classique, puisque je ne faisais pas partie de la majorité présidentielle. Je n'en fais pas plus partie. Nous sommes un Gouvernement de mission, et nous avons décidé, nous, la droite, de rentrer pour éviter le pire. Tout simplement, le pire pour nous, c'est faire barrage à la gauche, la gauche mélenchonisée. Et je pense qu'on a bien fait. Regardez, Sonia MABROUK, dans les six derniers mois, il y a eu plusieurs élections — législatives, municipales, partielles. Qu'est-ce qui s'est passé ? C'est LR qui est le parti qui a le plus progressé. Ça veut bien dire que nos électeurs ont confirmé le choix que nous avons fait. Ils veulent nous voir nous retrousser les manches. Ils veulent nous voir. Eux aussi, ils aiment la France. Utile pour les Français, utile pour notre pays.

SONIA MABROUK
Nous en parlerons, parce que votre compétiteur pour la présidence de LR ne partage pas cet avis. Encore une question sur ce qui a été dit hier, Bruno RETAILLEAU. Ce sera à vous de décliner le souhait du président de la République de plusieurs référendums en même temps, dans les mois qui viennent. Alors, tout ça reste très flou : sur les retraites, c'est non ; sur le déficit, c'est difficile ; sur l'immigration, c'est non ; sur la fin de vie, ça dépend de ce qui se passera à l'Assemblée. Vous avez compris votre feuille de route ?

BRUNO RETAILLEAU
Écoutez, c'est le ministère de l'Intérieur qui organise le référendum. Simplement, je dis que nous sommes en capacité de l'organiser. Il faut entre 15 et 17 semaines. Voilà, ça ne peut pas être plus court. D'une part, il peut y avoir sur un bulletin de vote à cocher plusieurs cases, pas plus de deux ou trois. Pas plus de deux ou trois pour respecter les conditions de ce que l'on appelle juridiquement la sincérité du scrutin, pour que les gens s'y retrouvent. Le coût, c'est de cent millions d'euros si on dématérialise complètement, à 200 millions d'euros si on ne dématérialise pas et si on envoie beaucoup de papiers à chaque électeur. Voilà, moi, c'est les conditions matérielles. Pour le reste, c'est une prérogative présidentielle. J'ajoute quand même que sur l'article 11, sur ce référendum, il faut quand même qu'il y ait des projets de loi qui soient débattus sans vote, mais débattus dans chaque assemblée du Parlement. Donc il y a quand même une mécanique un peu lourde. Ça ne se fait pas en quelques jours.

SONIA MABROUK
Bruno RETAILLEAU, on va continuer à interroger votre positionnement et puis également, évidemment, ce qui se passe en France. Vous voulez parler à la France des honnêtes gens. Nous allons passer en revue quelques faits de société récents et vous nous direz ce que vous pouvez dire ce matin, très concrètement, à cette France des honnêtes gens, inquiète de voir un tel délitement et ensauvagement. Tout d'abord, les images de la tentative d'enlèvement en pleine rue à Paris sont glaçantes. La mère de famille et son fils, issus d'une famille des cryptomonnaies, ont échappé de peu à un rapt violent par des individus cagoulés. Les suspects sont toujours en fuite. Que savez-vous, Monsieur le Ministre, de cette tentative, de sa préparation, et puis des individus impliqués ?

BRUNO RETAILLEAU
D'abord, je pense, pour être clair vis-à-vis des auditeurs, des téléspectateurs : qu'est-ce que pour moi la France des honnêtes gens ? Puisque c'est une idée que je veux défendre. C'est un projet que je défendrai de plus en plus dans les années à venir. C'est la France, en réalité, de ceux qui travaillent. C'est une France de la décence, comme disait George ORWELL. C'est une France de ceux qui ne manifestent pas, de ceux qui ne fraudent pas. Et c'est souvent une France, d'abord, qui croit en la France. Et c'est une France, surtout, qui est silencieuse, qui ne fait pas de bruit, parce que, là encore, elle ne casse pas, cette France-là.

SONIA MABROUK
Elle fait face à une autre France ? Vous diriez qu'il y a deux France ?

BRUNO RETAILLEAU
Bien sûr, bien sûr, aujourd'hui. Bien sûr qu'il y a une France majoritaire. Moi, cette France silencieuse, cette France qui ne fait pas de bruit, cette France que les hommes et les femmes politiques ont cessé d'écouter, parce qu'ils s'adressent bien souvent non pas à la majorité nationale — ce que je veux faire — mais à des minorités. Ils découpent comme une rondelle de saucisson le peuple de France. Eh bien, cette France-là, bien sûr, elle est majoritaire. Et il y a une autre France, la France de l'ensauvagement. Il y a une France qui s'engage. Je l'ai vu, le sapeur-pompier qui est entre la vie et la mort au moment où, encore, je vous parle, dans le département de Haute-Savoie. Ça, c'est une France courageuse. Il y a une France qui se sent sauvage.

SONIA MABROUK
J'entends, Monsieur le Ministre, mais cette France des honnêtes gens, elle se demande aujourd'hui si vous n'êtes pas le greffier impuissant d'une violence qui vous dépasse.

BRUNO RETAILLEAU
Écoutez, bien sûr que cette hyperviolence, elle est partout présente. On ne peut pas, Sonia MABROUK, on ne peut pas me demander en six mois…

SONIA MABROUK
En six mois…

BRUNO RETAILLEAU
Oui, je reviendrai, je reviendrai. Oh, il y a pire. Pour moi, il y a pire. Il y a pire parce qu'on a vu une adolescente tuée, assassinée avec un coup de couteau dans un lycée. On a vu un fidèle assassiné dans une mosquée. On a vu, à Bordeaux, une rixe entre des bandes dans un tribunal. Et on voit un sapeur-pompier, à quelques mètres de son centre de secours, se faire quasiment... enfin, bousculer. Et il est entre la vie et la mort. Donc oui, il faut réagir. C'est ce que j'essaie de faire. Moi, je ne peux pas... J'ai un langage de vérité. On ne peut pas me demander en six mois de régler des décennies de laxisme. Et on ne peut pas dire « Il n'y a qu'à faut qu'on ». Vous m'interrogez, je vais répondre précisément. C'est la troisième affaire. Cette jeune femme, avec son mari qui l'a protégée, avec d'autres qui sont venus à leur secours, un enfant en bas âge... Cette femme est la fille d'un entrepreneur en cryptomonnaie. C'est donc le troisième cas. Il y a eu deux cas. Deux cas où, d'ailleurs, à chaque fois, on a sectionné un doigt parce qu'il y avait une rançon. Il est probable que ces événements soient liés. À chaque fois, vous remarquez que, dans le second cas, la préfecture de police de Paris, en moins de 58 heures, on a libéré. Il s'apprêtait à lui percer le genou avec une perceuse. Vous voyez le niveau de torture, de violence. En 58 heures, on l'a libérée. L'autre avant, c'est pareil, c'était dans le Cher. Il ne nous a fallu que quelques jours. Donc, on a des résultats.

SONIA MABROUK
Avec probablement des affaires oubliées, on vous entend ce matin.

BRUNO RETAILLEAU
Il est probable qu'il y ait de telles similitudes. Et j'ai décidé, d'ailleurs, dans quelques jours — je vous l'annonce, c'est une sorte de scoop — je réunirai à Beauvau les entrepreneurs, il y en a quelques-uns en France, qui sont dans ces cryptomonnaies, pour qu'avec eux, on travaille à leur sécurité, pour qu'ils soient conscients aussi des risques et qu'on prenne ensemble des mesures pour qu'on puisse les protéger. Mais les commanditaires, Sonia MABROUK, où qu'ils soient, peut-être même à l'étranger, on les retrouvera. Nous les retrouverons.

SONIA MABROUK
Vous allez protéger les dirigeants dans les cryptomonnaies. On parlera tout à l'heure des pompiers, il faut protéger les pompiers. On parlera des agents pénitentiaires, il faut protéger les agents pénitentiaires. Vous pouvez même protéger peut-être les avocats, maintenant, à l'intérieur d'un tribunal. Vous avez vous-même évoqué, Bruno RETAILLEAU, ce qui s'est passé. Cette France des honnêtes gens, elle s'est réveillée hier en découvrant une scène hallucinante. Un pugilat d'une violence incroyable, au sein même — j'allais dire — du sain des sain. Vraiment, il n'y a plus d'endroit safe en France ?

BRUNO RETAILLEAU
Il n'y a plus d'endroit safe, mais ce n'est pas une fatalité. Et il y a une double réponse, il y a même une triple réponse, et une réponse de long terme. J'ai parlé de fabrique, de fabrique de barbares. La société telle qu'elle a été construite depuis plusieurs décennies, sur de fausses valeurs, sur des inversions de valeurs, où on désignait parfois les policiers comme violents, et on voulait faire en sorte de victimiser les coupables. C'est ça, cette société qui a déconstruit tous les cadres qui tenaient debout.

SONIA MABROUK
Mais qui a construit ? Par exemple, qui a fabriqué ?

BRUNO RETAILLEAU
C'est parti…

SONIA MABROUK
Vous diriez... Est-ce que vous diriez, pardonnez-moi — et je fais bien attention de ne pas essentialiser — certains magistrats ? Certains professeurs ? Certains politiques ?

BRUNO RETAILLEAU
Non, c'est une idéologie soixante-huitarde qui a pollué aussi, bien sûr, la gauche. Et même ces idées de gauche, je pense, ont impressionné les hommes politiques et les femmes politiques de droite. C'est pour ça, d'ailleurs, qu'ils nous ont quittés. Et moi, si demain je suis élu dimanche prochain, je veux faire revenir dans notre maison ceux qu'étaient nos électeurs, et qui nous ont quittés pour voter Marine LE PEN, pour voter Éric ZEMMOUR, pour voter Emmanuel MACRON.

SONIA MABROUK
Vous voulez dire que la droite ne sera pas une gauche customisée ?

BRUNO RETAILLEAU
Je ne veux pas... Je vais vous faire une confidence : je n'ai aucune envie, demain, d'être un chef de parti d'une droite qui serait juste un peu moins à gauche que la gauche. Je veux être une droite qui soit fière de ses valeurs, qui soit combattante, qui soit conquérante, qui désigne son adversaire — LFI, les insoumis. Mais ce que je veux vous dire, pour reprendre le fil de notre conversation : les réponses de long terme, ce sera de rebâtir une société sur de vraies valeurs. L'autorité, le respect, la hiérarchie, c'est la famille, c'est l'école, etc. Il faudra relancer une grande politique familiale. Et puis, il y a un problème de justice, il y a un problème de politique pénale. On n'assume pas, en France, la sanction, notamment pour les jeunes mineurs.

SONIA MABROUK
J'allais oublier une question, en fait, qui…

BRUNO RETAILLEAU
Posez-la-moi.

SONIA MABROUK
Elle est à la fois directe et simple…

BRUNO RETAILLEAU
Elle vous brûle les lèvres, posez-la-moi.

SONIA MABROUK
Non mais, quelle est la politique pénale, tout simplement ? Est-ce que vous pourriez définir aujourd'hui notre politique pénale adossée à la politique sécuritaire ?

BRUNO RETAILLEAU
C'est là qu'est le problème. Heureusement, Gérald DARMANIN a parfaitement compris.

SONIA MABROUK
Il a sacrément important, oui.

BRUNO RETAILLEAU
Gérald DARMANIN, je m'en félicite, a parfaitement compris qu'il faut changer des choses. Le problème est qu'on n'a pas de majorité au Parlement. Il y a une loi qu'il faut abroger, c'est la loi de Madame BELLOUBET, de 2019, puisque Madame BELLOUBET a proscrit par cette loi les courtes peines. Moi, je pense que c'est l'inverse. Je lisais des statistiques qui sont terribles. Les jeunes... Tentatives de cambriolage de domicile de moins de 13 ans, 10 ans, 11 ans, 12 ans, 13 ans : 18 tentatives l'an dernier. Entre 2016 et l'an dernier, 2024, c'est trois fois plus. Certes, numériquement, c'est très peu, mais vous vous rendez compte ? Ils ont moins de 13 ans. Les 16-17 ans, eux : +135%. Il faut des courtes peines. Aujourd'hui, je l'ai souvent expliqué à votre micro, ce qui se passe, c'est qu'on ne sanctionne pas. Donc, ils commencent par voler... Ils font 20-30. Regardez ce qui s'est passé avec le sapeur-pompier. Le sapeur-pompier, regardez, c'était un jeune majeur. Il a 19 ans, 15 antécédents, à peine six jours de prison. Ce qui se passe aujourd'hui en France est inacceptable. Il faut demain, mais on n'a pas de majorité.

SONIA MABROUK
Mais c'est le bilan de qui, Monsieur le Ministre ?

BRUNO RETAILLEAU
Ah, ça, ce n'est pas le mien.

SONIA MABROUK
Très bien, mais vous faites partie d'un Gouvernement, on peut interroger le bilan du Gouvernement auquel vous appartenez.

BRUNO RETAILLEAU
Ah, le bilan dont je suis comptable, c'est le bilan depuis six mois. Vous ne pouvez pas me faire remonter à 2019.

SONIA MABROUK
Est-ce qu'il y a un échec sécuritaire d'Emmanuel MACRON ?

BRUNO RETAILLEAU
En tout cas, il y a un échec de la politique pénale. On a refusé de réhabiliter la sanction. Il y a un énorme écart entre les peines encourues, les peines prononcées et les peines exécutées. Et donc, on enferme des jeunes violents dans des parcours de violence, de délinquance. On ne les sanctionne pas, ils volent un oeuf, ils volent un boeuf. Et quand on les sanctionne, c'est au bout de vingt, trente antécédents judiciaires, et c'est trop tard.

SONIA MABROUK
Monsieur RETAILLEAU, et c'est encore adressé à la France des honnêtes gens, ça peut paraître anecdotique, ça ne l'est pas du tout. C'est un événement qui a scandalisé une partie des Français, c'est la rave party illégale dans le Lot, par exemple. Vous n'avez pas réussi à l'interdire. Il y a eu des champs saccagés, des routes qui ont été détruites, des comportements à risque. Est-ce qu'on est impuissant face à un tel désordre ?

BRUNO RETAILLEAU
Non, parce que ce que je veux dire quand même à votre micro, c'est qu'à partir des beaux jours, ce sont des dizaines de rave-parties qu'on arrive à déjouer. Est-ce que vous en parlez ? Non. Et là, évidemment, il y avait un trou dans la raquette. Pas suffisamment de renseignements, et surtout dans un lieu qui était beaucoup plus difficile à contrôler. Mais croyez-moi, ils vont s'en souvenir. J'ai demandé, j'ai ordonné au préfet — à la préfète plus exactement, que je veux saluer pour son engagement — j'ai aussi eu le maire de cette petite commune de moins de 400 habitants qui était très choqué, je l'assure là encore vraiment de mon soutien. J'ai ordonné, j'ai donné des instructions pour que, précisément, on ne fasse pas partir ces gens-là sans contrôler toutes les camionnettes, tous les camions. Au moment où je vous parle, on a confisqué cinq véhicules, camions, fourgons. On a distribué des infractions par centaines. On a confisqué, justement, les baffles, les platines, etc. On a retrouvé de la drogue. Ils paieront. Il y en a 18 qui sont gardés à vue. C'est un signal que j'adresse à celles et à ceux qui voudront recommencer — il y en aura sans doute, soit nous arriverons à les déjouer, mais c'est souvent des courses-poursuites, et si nous n'y arrivons pas, ils ne s'en tireront pas comme ça. On confisquera le matériel. Alors évidemment, tout ça, c'est sous l'autorité judiciaire, et j'espère que la justice saura mettre des peines lourdes. C'est comme ça qu'on arrêtera. Parce qu'on peut, moi, qui suis responsable des policiers, des gendarmes, etc., demander d'arrêter. Mais si, quand on arrête les gens, les policiers, les gendarmes les retrouvent plusieurs jours après dans la rue, avec un sourire au coin, l'air goguenard, ça décourage tout le monde. C'est pour ça que je parle de politique pénale. Ce n'est pas aujourd'hui qu'on le fera, parce qu'on n'a pas de majorité pour faire une vraie rupture. Mais la politique que, moi, demain, je souhaite que nous menions, nous, la droite, pour 2027, c'est une politique de rupture, notamment sur la politique pénale.

SONIA MABROUK
Venons-en, parlons de cette rupture. Politiquement, si on devait résumer la situation, votre situation, Monsieur le Ministre, sur le dossier algérien, on ne comprend plus la position de la France. Malgré les provocations du régime algérien et ce que vous-même avez dit sur un autre dossier, la fin de vie, vous y êtes opposé alors que le Président a parlé d'un « acte d'humanité et de fraternité » Sur la sécurité, malgré votre volontarisme, vous êtes sur un fil. Que répondez-vous à ceux — dont votre compétiteur, Laurent WAUQUIEZ, à la présidence des LR — qui sont en train de vous dire que vous êtes en train de vous diluer dans le macronisme ?

BRUNO RETAILLEAU
Pas du tout. Pas du tout. D'abord, je réponds que cette décision, c'était une décision collégiale que nous avons prise. Deuxièmement, je réponds que, que ce soit dans les sondages, que ce soit dans les élections, nos électeurs nous encouragent. Parce qu'ils veulent une droite qui se retrousse les manches. Ils ne veulent pas une droite qui se planque. Ils ne veulent pas une droite qui, devant l'adversité de la situation politique difficile actuelle, n'agisse pas. Ils veulent qu'on soit utile. Et moi, tant que je pourrai être utile, je ferai mon devoir. Moi, je suis un patriote. Voilà. Et j'ai toujours placé mes convictions avant mes intérêts. Voilà. Peu importe que je sois abîmé ou non, moi, je veux…

SONIA MABROUK
Vous le ferez quelle que soit les élections, y compris municipales, si, par exemple, localement, territorialement, il pouvait y avoir des accords entre LR et la Macronie, vous dites non ?

BRUNO RETAILLEAU
Il n'y aura pas d'accord d'appareil aux municipales.

SONIA MABROUK
Ce n'est pas ma question.

BRUNO RETAILLEAU
Mais en revanche, je le dis : par exemple, sur des communes qui sont dirigées par des maires qui sont de gauche, écologistes, qui comprennent aussi des gens de LFI, il faudra faire barrage à ces gens-là. Il faudra faire tomber ces municipalités qui sont de gauche pour qu'on puisse s'en saisir. Ça, je le dis clairement. J'ai désigné l'adversaire, et cet adversaire, évidemment, nous devrons faire tous les efforts pour les faire tomber. Mais je pense, pour revenir à votre discussion, c'est qu'on a un choix, qui est un choix de se retirer sur l'Aventin, de voir la France couler. Ça, c'est la politique du pire. C'est la politique du pire. La politique que les Français ne veulent pas, ou c'est de s'engager. C'est ce que je fais chaque jour. Je le fais chaque jour, et je préfère, je pense, revoir la politique d'immigration telle que je le fais. Évidemment que j'aimerais tellement disposer d'une majorité et revoir la loi, faire en sorte qu'on puisse réviser la Constitution, proposer aux Français un grand référendum qui nous permette de reprendre vraiment les rênes. Mais au moins, on évite le pire et on essaie d'avancer, et on prend des positions claires. Et je pense que, précisément, ça me permet de structurer le débat d'idées, le débat politique. Moi, je suis gramscien. Je pense que le combat politique, c'est le combat culturel.

SONIA MABROUK
Jean-Luc MÉLENCHON pense la même chose, d'ailleurs.

BRUNO RETAILLEAU
Absolument, il est cultivé, je le sais. Mais je pense qu'avant de gagner dans les urnes, il faut gagner dans les esprits. Et ce que j'essaie de faire, moi, c'est par des proses, une parole claire, sincère, des prises de position très claires.

SONIA MABROUK
Donc, pas d'alliance. Par exemple, avec Édouard PHILIPPE, vous entendez cette idée, vous l'avez déjà niée, ici, même…

BRUNO RETAILLEAU
Je vais t'expliquer. Je pense qu'on a... C'est vraiment deux perspectives très, très différentes. Édouard PHILIPPE dit : " Moi, c'est de la gauche et la droite conservatrice ". On sait que ça ne marche pas, eux, en même temps. Ça ne marche... Moi, je veux faire revenir celles et ceux qui partagent…

SONIA MABROUK
La droite ou les droites ? Ici même, Laurent WAUQUIEZ n'a pas…

BRUNO RETAILLEAU
Ça ne marche pas. Quelle droite ? Que mettez-vous derrière le vocable « les droites » ?

SONIA MABROUK
Éric CIOTTI semble avoir une idée assez claire de l'union des droites.

BRUNO RETAILLEAU
Non, mais les droites, c'est qui ?

SONIA MABROUK
Il est assez proche de vous, je pense que vous en avez parlé.

BRUNO RETAILLEAU
Marine LE PEN s'est toujours définie comme non à droite. Lorsque j'ai proposé au Sénat — là aussi, je l'avais dit à ce micro — que, quand on touche le RSA, il y ait quinze heures en contrepartie d'activité, parce qu'une allocation sociale, ce n'est pas un dû, elle s'y est opposée. Sur la retraite, elle s'y est opposée. Elle est plus proche de Madame BINET, de la CGT, que de nous. Donc, ce n'est pas la droite. En plus, elle a toujours refusé toute alliance. Non, moi, l'alliance que je veux, c'est l'alliance des Français. C'est l'alliance des électeurs. Et je pense qu'on refera revenir à nous des gens qui nous avaient quittés. C'est ce que je suis en train de faire. On a multiplié par trois le nombre d'adhérents. On est aujourd'hui le premier parti.

SONIA MABROUK
À qui cela profitera ?

BRUNO RETAILLEAU
Peut-être, mais en tout cas, c'est déjà acquis. 42 000 à 121 000 adhérents. Premier parti de France pour les adhérents. Il faut maintenant, évidemment, qu'on devienne le premier parti pour les électeurs. Mais ce qui s'est passé pour les adhérents, je veux le faire pour les électeurs. Ceux qui sont partis parce qu'ils trouvaient que la droite était trop molle, qu'elle n'était pas fière d'elle, on va les faire revenir. Avec ce concept, justement, de la France des honnêtes gens, et je pense que de ce point de vue-là, beaucoup, beaucoup de Français peuvent se reconnaître dans cette politique de rupture que nous allons porter et assumer.

SONIA MABROUK
Pour conclure, Bruno RETAILLEAU, il y aura bien un patron des LR dans quelques jours — c'est le 18 mai — mais y aura-t-il pour autant un patron naturel de la droite au même moment ?

BRUNO RETAILLEAU
Non, je pense qu'il y a un gros travail à faire. Attention à l'obsession présidentielle. On a souvent pensé à droite qu'il suffisait d'un chef pour qu'on écrase le match. Non, ce sont les idées.

SONIA MABROUK
C'est l'essence même d'un parti bonapartiste.

BRUNO RETAILLEAU
Oui, mais justement, Bonaparte avait quelques idées, il a fait le Code civil, etc. Mais nous, depuis quand la droite n'a-t-elle pas inventé de nouvelles idées ? On n'est pas dans la France d'hier, on est dans la France d'aujourd'hui, et moi, je veux préparer la France de demain.

SONIA MABROUK
Le 18 mai, ce n'est pas forcément le patron naturel de la droite qui va sortir du scrutin ?

BRUNO RETAILLEAU
Je veux que... Non, la priorité…

SONIA MABROUK
Non.

BRUNO RETAILLEAU
Non, ce sera un autre moment, colline après colline. Là, nous concourrons pour une élection interne. Ensuite, il y aura l'élection présidentielle. Mais on ne peut pas gagner l'élection présidentielle si on ne propose pas aux Français une nouvelle perspective, une espérance.

SONIA MABROUK
Et qu'est-ce qu'il y a derrière les collines ?

BRUNO RETAILLEAU
Vous dites colline après colline ? L'élection présidentielle.

SONIA MABROUK
Vous voyez quand même un peu loin.

BRUNO RETAILLEAU
Non, mais il y a l'élection municipale, l'élection sénatoriale. Ça, c'est une question d'agenda, ce n'est pas moi qui le fixe. Mais vous voyez, j'ai bien senti que nous avions fait naître, depuis plusieurs mois, à droite, un élan, un nouvel espoir.

SONIA MABROUK
Laurent WAUQUIEZ dit qu'il est sûr de ne pas perdre. Il l'a dit ce matin. Vous avez la même certitude de ne pas perdre à votre tour ?

BRUNO RETAILLEAU
Peu importe, moi, je fais très attention et tant que l'élection n'a pas eu lieu, je suis très précautionneux. Je suis un rural, je suis un provincial. Ce que je veux dire, c'est que désormais, il reste quelques jours. Donc, un peu de patience.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 mai 2025