Entretien de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec BFM TV le 14 mai 2025, sur les tensions avec l'Algérie et les conflits en Ukraine et à Gaza.

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Média : BFM TV

Texte intégral

Q - On est ensemble jusqu'à 10h sur BFM TV. Laurent, Guillaume, Bertrand, Anne-Charlène. On accueille tout de suite le ministre des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Bonjour, Monsieur le Ministre. Merci d'être avec nous ce matin. J'imagine que pour le coup, vous avez écouté jusqu'au bout. C'était surtout le début qui était sur les affaires étrangères. Vous en êtes le ministre aujourd'hui. Merci de répondre à nos questions.

Il y a des questions qui n'ont pas été posées hier. Et la première, c'est sur l'Algérie. Notre ambassadeur de France en Algérie est revenu en France, expulsé... Alors on ne dit pas les choses comme ça dans le langage diplomatique, mais honnêtement, quand on voit ce qui se passe aujourd'hui, est-ce que vous pouvez nous dire qu'un jour, il repartira ?

R - Non, l'ambassadeur n'a pas été expulsé. Ce qui s'est passé, c'est que l'Algérie a décidé de manière incompréhensible et brutale d'expulser 12 de nos agents présents à Alger. Ce à quoi nous avons répondu avec beaucoup de fermeté, dans la stricte réciprocité, en expulsant à notre tour 12 agents algériens présents en France. Et puis nous avons rappelé notre ambassadeur pour consultation, ce qui est un échelon assez élevé dans la gradation des sanctions.

Q - Ça fait longtemps, là, qu'il est en consultations. Ça va durer combien de temps, les "consultations" ?

R - Ces consultations se poursuivent et nous trancherons de la question de son retour lorsqu'elles seront achevées. Mais nous avons assisté malheureusement, je le déplore, à une nouvelle décision injustifiée et injustifiable des autorités algériennes hier, avec la demande de l'Algérie de renvoyer des agents en mission temporaire, en mission de renfort, en France. Et donc j'ai convoqué le chargé d'affaires, le représentant de l'Algérie en France, pour lui indiquer que notre réponse est immédiate, qu'elle est ferme et qu'elle est strictement proportionnée à ce stade avec la même demande, c'est-à-dire le renvoi en Algérie de tous les agents titulaires de passeports diplomatiques qui n'auraient pas actuellement de visa. Et nous lui avons fait savoir également que nous nous réservons la possibilité de prendre d'autres mesures en fonction de l'évolution de la situation.

Q - Ça veut dire, Monsieur le Ministre, qu'aujourd'hui, ou dans les tout prochains jours, le même nombre, puisqu'hier, à nouveau l'Algérie, vous le disiez, a expulsé des agents français, a mis fin à leur visa. Ça veut dire que dans les jours qui viennent, des agents algériens sur notre sol seront renvoyés vers l'Algérie ?

R - Oui, et ce n'est pas tellement une question de nombre, c'est une question de qualité. Ce sont des agents qui sont en France avec des passeports diplomatiques, mais sans disposer de visa. Les Algériens ont souhaité renvoyer nos agents, nous renvoyons les leurs.

Q - Est-ce qu'on peut parler d'escalade ?

R - En tout cas ce sont des décisions que je déplore absolument. Elles contreviennent aux accords qui régissent la relation entre nos deux pays. Elles ne sont évidemment pas dans l'intérêt de la France, mais évidemment pas dans l'intérêt des Algériens. Et j'appelle les autorités algériennes à leur responsabilité, qui est de veiller à l'intérêt de leur propre peuple. Je crois que les tensions qui sont provoquées par ces décisions injustifiables, elles créent pour les Algériens vivant en France, les Franco-Algériens, des difficultés qui n'auraient pas lieu d'être.

Q - Et elles rendent encore plus difficile l'hypothèse d'une libération de Boualem Sansal. On en est où, concrètement ?

R - Eh bien écoutez, nous suivons attentivement sa situation. Nous continuons à appeler, étant donné sa situation de santé...

Q - Certains évoquaient un éventuel droit de grâce du président algérien.

R - Oui, nous appelons les autorités algériennes à un geste d'humanité, c'est à mon avis la moindre des choses.

Q - François Bayrou avait fixé le 26 février, six semaines au gouvernement algérien, pour dire : "On va réexaminer les accords. Si à l'issue de ces six semaines, on n'a pas eu de réponse et ils n'ont pas repris les Algériens qu'on souhaite voir reprendre, on entrera dans une forme de dénonciation des accords de 1968." On est largement au-delà des six semaines désormais. Quand est-ce que vous allez faire le bilan et dire oui ou non, si j'ose dire, "on rompt et on dénonce ces accords" ?

R - Mais on l'avait déjà fait ce bilan. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le Président de la République a appelé son homologue, le président Tebboune. C'est la raison pour laquelle je me suis rendu personnellement à Alger. Et nous avons pris la décision de lever le rideau, c'est-à-dire de réouvrir tous les canaux de coopération dans le domaine de la lutte contre l'immigration irrégulière, de la coopération en matière de lutte antiterroriste, de coopération judiciaire, de coopération économique. Et puis quelques jours plus tard, les autorités algériennes ont pris cette décision très brutale, et je veux le redire aux téléspectateurs de cette émission. C'est une décision qui a une portée diplomatique certes, mais qui aussi a forcé des agents à quitter précipitamment leurs familles, leurs domiciles pour rentrer en France.

Q - Pardon de le dire avec des termes assez peu diplomatiques, mais vous avez l'impression que vous vous êtes fait rouler dans la farine ?

R - Ecoutez, je vous le dis, le préjudice, il est porté sur le peuple algérien et c'est une décision déplorable des autorités algériennes qui l'explique.

Q - Mais vous aviez de bonne foi été en Algérie. Vous le disiez, le Président de la République avait choisi, fait vraiment le choix, justement, de rouvrir le dialogue. Quelques semaines avant, le ministre de l'intérieur, Bruno Retailleau, disait à l'inverse : "Ça ne marchera pas, on n'y arrivera pas." Vous l'avez tenté. Avez-vous été naïf ?

R - Je ne crois pas. Vous savez, l'objectif quand on est ministre des affaires étrangères, c'est de défendre l'intérêt de la France et l'intérêt des Français. Quel est l'intérêt de la France ? C'est d'expulser le plus grand nombre possible d'Algériens en situation irrégulière. C'est de pouvoir coopérer le plus étroitement possible pour éviter que notre territoire soit la cible d'attaques terroristes provenant de la bande du Sahel au sud de l'Algérie. C'est de faire en sorte que nous puissions développer l'activité des entreprises françaises en Algérie. C'est ça notre boussole et notre cap. Et penser que dans un conflit perpétuel avec l'Algérie, on parviendra à obtenir des résultats, c'est totalement illusoire.

Q - Justement, est-ce que le problème ne vient pas du fait que la centralité de la discussion, de la négociation, doit passer par le Président de la République ? Ce n'est pas moi qui le dis, c'est justement les autorités algériennes. Est-ce que ce n'est pas son domaine à lui plutôt que celui du ministre de l'Intérieur, de poser des petits jalons politiques comme ça ? Est-ce qu'il n'y a pas vraiment quelque chose à reprendre complètement de l'ordre de la relation avec le Président ?

R - Mais c'est ce que nous avons fait. Et c'est pourquoi je regrette... Quand je dis "c'est ce que nous avons fait", il y a eu un contact entre les deux présidents qui ont constaté que la situation ou la relation s'était considérablement tendue, mais qui ont décidé d'un commun accord de réouvrir les canaux de coopération parce que les deux estimaient que c'était dans l'intérêt de leur peuple respectif.

Q - Au moment où on se parle, ça n'est plus envisageable à court terme ?

R - Au moment où on se parle, la relation est totalement bloquée. Ça me paraît évident.

Q - Jean-Noël Barrot, sur l'Ukraine, le 17e paquet de sanctions a été annoncé ce matin. On va y revenir dans un instant, mais je voudrais d'abord qu'on parte justement en Russie, retrouver Jérémy Normand qui est notre envoyé spécial, parce que ça permettra justement, Monsieur le Ministre, que l'on comprenne mieux aussi l'impact - ou pas - des sanctions qui sont déjà présentes. Jérémy, est-ce que les sanctions économiques contre la Russie ont véritablement un impact ? Vous avez enquêté sur le terrain pour BFM TV.

Q - Oui, il y a un chiffre brandi par le Kremlin pour afficher l'apparente résilience de son économie : c'est 4,1% de croissance réalisée l'année dernière. Alors pour en savoir plus, on s'est rendu dans le quartier d'affaires de Moscou, Moskva-City. Et là-bas, on s'est rendu compte qu'effectivement, les banques et firmes occidentales ont pour la plupart quitté le pays. Mais dans leurs bureaux laissés vacants, on trouve désormais des entreprises ruses, chinoises ou indiennes. En fait, la Russie vit sous perfusion grâce aux exportations d'hydrocarbures et aussi grâce à son effort de guerre, à son industrie militaire qui tourne à plein régime. Mais au pied des tours, lorsqu'on se rend dans les supermarchés, les habitants nous disent, eux, voir le prix des produits augmenter. Officiellement, l'inflation est à 10%, mais beaucoup de prix ont augmenté énormément. Et pour la classe moyenne, il est devenu quasiment impossible de devenir propriétaire de son appartement ou d'acheter une voiture. Alors lorsqu'on leur demande s'ils s'inquiètent des nouvelles sanctions mises en place par l'Union européenne, certains nous disent être prêts à faire face à ces nouvelles sanctions, mais d'autres, avec un regard de biais, nous disent attendre et espérer que la vie redevienne comme avant, avant la guerre.

R - Et on les comprend. Parce qu'effectivement, cette guerre voulue par Vladimir Poutine contre l'Ukraine a un coût extrêmement élevé pour la population russe.

Q - Oui, mais j'ai envie de vous dire, pour la population russe, oui. Pour la Russie elle-même, c'est-à-dire pour les institutions, quand on le voit, les banquiers, certes, les banques internationales sont parties, mais elles ont été remplacées par des Chinois, par des Indiens. L'économie continue à tourner.

R - Il n'empêche que le pouvoir d'achat des familles russes est très largement entamé par l'inflation galopante, que les taux d'intérêt sont particulièrement élevés et que la Russie ne pourra pas maintenir son train de vie éternellement. Pourquoi ? Parce qu'effectivement, depuis trois ans, et c'était inimaginable il y a encore quelques années, les Européens ont su faire preuve d'unité et prendre à 17 reprises des paquets de sanctions. Des paquets de sanctions qui ont imposé un coût économique à la Russie de l'ordre de 400 milliards d'euros, c'est-à-dire trois années d'efforts de guerre russe.

Q - Monsieur le Ministre, hier le Président de la République a exclu l'appréhension des avoirs russes en expliquant qu'il n'y avait pas de véhicule juridique pour appréhender non seulement les intérêts mais le capital. Il y en a quand même pour plus de 200 milliards. Du coup, qu'est-ce qui reste comme levier de sanctions possible ?

R - Merci pour cette question. Effectivement, parmi les premières décisions de sanctions qui ont été prises, on a gelé, on a immobilisé tous les actifs russes présents en Europe. Et ça fait plus de 200 milliards d'euros, c'est une somme colossale. Ces actifs sont immobilisés et nous avons prélevé les intérêts, les revenus générés par ces actifs, puisqu'ils sont placés dans des comptes en banque, pour pouvoir financer le soutien à l'Ukraine. Et cette année, 2025, chaque mois qui passe, nous versons un milliard d'euros, qui n'est pas payé par le contribuable français ou le contribuable européen, mais par ces revenus, par ces actifs gelés russes. Ce à quoi nous travaillons, c'est de maintenir le gel de ces actifs russes, qui seront un levier de négociation et qui pourront, le moment venu, être utilisés pour la reconstruction.

Q - Oui, et leur appréhension, c'est-à-dire la phase ultérieure, c'est la confiscation. Est-ce que c'est envisageable ?

R - Aujourd'hui, la priorité, c'est de maintenir l'immobilisation de ces actifs et de continuer à prélever les revenus pour financer le soutien à l'Ukraine. un milliard d'euros par mois, c'est 18 milliards au total qui vont aller à l'Ukraine. 18 milliards ! 18 milliards, c'est quand même une somme considérable, et qui permet d'ailleurs à l'Ukraine d'aborder cette année 2025 de manière sereine sur le plan financier. Ensuite, on adopte aujourd'hui un 17e paquet de sanctions. Je suis très satisfait, puisque sur les 200 navires russes, sur les institutions financières russes et internationales, sur les acteurs de la déstabilisation qui mènent des campagnes de désinformation ou des cyberattaques, il y en a presque la moitié qui ont été proposées par mes équipes, par les services du Quai d'Orsay. Mais il va falloir aller plus loin, parce que ces sanctions massives n'ont pas encore dissuadé Vladimir Poutine de continuer sa guerre d'agression contre l'Ukraine. Et comme l'a dit le Président de la République, il faut nous préparer à brandir des sanctions dévastatrices qui pourraient asphyxier une bonne fois pour toute l'économie russe. C'est ce à quoi je travaille avec nos partenaires américains, et en particulier le sénateur Lindsey Graham, très proche de Donald Trump, que je verrai jeudi matin en Turquie, qui a conçu un paquet de sanctions extrêmement puissantes, extrêmement dissuasives, avec des droits de douane de 500% sur les importations de pétrole russe et de 500% sur les pays qui, aujourd'hui, continuent d'importer du pétrole russe. C'est-à-dire...

Q - C'est éventuellement celle-là qui aurait le plus d'impact.

R - Oui, parce que ça fermerait...

Q - Parce qu'on est censé déjà ne plus importer. Donc j'ai envie de vous dire, des taxes sur ce qu'on n'importe pas...

R - Absolument.

Q - Mais en revanche, des taxes...

R - Mais comme votre reportage l'a très bien dit, la Russie a trouvé des voies de contournement face au blocus imposé par l'Europe et les États-Unis. Et donc, aller fermer le robinet de cette manière-là, c'est une manière de prendre la Russie à la gorge. Alors l'idée, c'est évidemment...

Q - Ça veut dire que tout ce qui viendrait... Je veux vraiment qu'on aille au bout de ça. Ça veut dire que tout ce qui viendrait, ou uniquement l'hydrocarbure, tout ce qui viendrait de pays qui sont eux-mêmes importateurs d'hydrocarbures russes, potentiellement la Chine, potentiellement l'Inde, se verraient augmenter leurs droits de douane de 500% ?

R - C'est le paquet américain, c'est ainsi qu'il est conçu.

Q - Vous pourriez signer cela ?

R - Il vise aussi... Il y a les hydrocarbures et le pétrole en particulier... Il vise aussi les institutions financières et la Banque centrale russe. Moi, ce que je souhaite, en coordination étroite avec ce sénateur qui a quand même réussi à rassembler 80 signatures sur les 100 sénateurs américains, et qui peut donc, en principe, faire adopter ce paquet à tout moment, je souhaite que l'Europe puisse à son tour brandir des sanctions sur les hydrocarbures, sur les institutions financières.

Q - S'il arrive à trouver 80 signatures, est-ce que vous, vous pourrez trouver 28 signatures ?

R - 27.

Q - Oui, 27, alors je ne sais plus, je ne sais jamais où on en est. Est-ce que vous pourrez réussir à convaincre ? C'est-à-dire qu'il a réussi à convaincre ses homologues là-bas. Est-ce que vous, vous arriverez à convaincre les autres pays européens ?

R - En tout cas, c'est ce à quoi je m'emploie. Je crois qu'il faut maintenant qu'on ait quelque chose qui soit véritablement dissuasif pour forcer Vladimir Poutine, qui de toute évidence n'en a aucunement l'intention, à cesser le feu et à s'asseoir de bonne foi à la table des négociations.

Q - Mais je suis quand même frappée, quand vous faites le parallèle de votre discussion qui va se poursuivre, je le comprends bien, et vous nous révélez donc ce matin que vous serez bien en Turquie jeudi matin, on va y revenir, c'est-à-dire demain. Lorsque vous nous dites... Il a réussi à obtenir ses 80 signatures, il a un plan massif, véritablement massif. Et malgré tout, nous ici, on va devoir se retrouver à aller faire la tournée des 27 et tenter peut-être éventuellement de trouver une approbation. Est-ce que ce n'est pas parfois aujourd'hui, l'Europe... Certes, vous vous affichez ensemble avec une partie d'entre eux face à la Russie, mais au fond, c'est aussi l'Europe qui, dans son fonctionnement actuel, vous freine ?

R - Écoutez, on nous annonçait il y a quelques mois que l'Europe allait se disloquer, qu'elle allait se vendre par appartements aux États-Unis et qu'elle allait se coucher devant Vladimir Poutine. J'étais à Kiev samedi dernier avec le Président de la République, qui avait rassemblé certains de ses homologues britannique, polonais, allemand sur place. Et ils ont tenu une réunion en visioconférence avec l'ensemble des pays européens et au-delà, avec le Canadien, Néo-Zélandais, de la coalition des volontaires. Et tous ont affiché une détermination et une unité sans faille. Et la présidente de la Commission européenne elle-même a évoqué ce paquet de sanctions du sénateur, de M. Lindsey Graham, et la volonté de travailler à quelque chose de beaucoup plus massif si Vladimir Poutine ne saisit pas l'offre qui a été réaffirmée par les Européens avec le soutien des Américains, un cessez-le-feu inconditionnel de 30 jours qui permettra la tenue de discussions sereines.

Q - Le Premier ministre slovaque, membre de l'Union européenne, s'est affiché vendredi dernier aux côtés de Vladimir Poutine sur la place Rouge.

R - Je le déplore et apparemment je ne suis pas le seul, parce qu'il a fait l'objet de très nombreuses critiques. Ce qui s'est passé le 9 mai à Moscou, c'est un rassemblement de tous les adversaires des États-Unis et aussi de l'Europe. Quant à nous, où étions-nous le 9 mai ?

Q - Mais qu'un membre de l'Union européenne s'affiche là-bas, fasse le choix d'être aux côtés de Vladimir Poutine, devant cette démonstration de force militaire, a-t-il encore sa place au sein de l'Union européenne ?

R - C'est déplorable. Je ne peux pas vous dire autre chose. La politique étrangère appartient aux Etats membres. Ça n'est pas un motif d'exclusion de l'Union européenne. Mais c'est d'une naïveté confondante.

Q - Le problème, c'est que la politique étrangère, certes, repose encore sur les nations. Mais les décisions de sanctions, elles, ce n'est pas de la politique étrangère ?

R - Si.

Q - Et ça repose sur la décision de l'Union européenne. Vous avez donc une partie de la politique étrangère qui est aujourd'hui entre les mains d'une Union européenne, au sein de laquelle se trouvent des amis de Vladimir Poutine.

R - Et jusqu'à présent, nous avons réussi, malgré ces amitiés ou ces fidélités, dont je redis qu'elles sont d'une naïveté confondante, étant donné ce que sont les intentions de Vladimir Poutine vis-à-vis du continent européen, elles ne nous ont pas empêché d'adopter à 17 reprises des paquets de sanctions.

Q - Peut-on espérer demain le début d'un moment historique et peut-être d'un processus de paix ?

R - Nous avons assisté ce week-end, sous l'impulsion du Président de la République, je crois qu'il faut le rappeler, ne serait-ce parce que c'est lui qui a fait le lien téléphonique entre les Européens et le président américain, à un moment d'histoire, une très forte unité, à l'issue d'une semaine européenne marquée par les commémorations du 8 mai, par le jour de l'Europe le 9 mai - j'étais moi-même en Ukraine ce jour-là, où nous avons acté la création du tribunal spécial pour juger du crime d'agression russe en Ukraine -, et puis cette démonstration de force. S'agissant de jeudi, il est essentiel que Vladimir Poutine réponde à l'invitation qui lui a été faite par le président Trump, par le président Zelensky, et se rende à Istanbul. S'il ne le fait pas...

Q - Vous avez des informations là-dessus ?

R - Non. Mais s'il ne le fait pas, s'il ne se présente pas à Istanbul, eh bien ce sera une nouvelle confirmation que Vladimir Poutine veut la guerre, qu'il la poursuivra, qu'il ira aussi loin que nous le laisserons aller en Ukraine et qu'une fois qu'il en aura terminé avec l'Ukraine, qu'il poursuivra cette guerre coloniale et impérialiste au-delà et toujours plus proche des frontières de l'Union européenne.

Q - Est-ce que la France... L'Europe doit, doivent être présentes autour de la table des négociations, si ces pourparlers devaient s'engager jeudi à Istanbul ?

R - D'une manière ou d'une autre, l'Europe y participera, puisque vous avez constaté qu'il y a trois semaines, c'est à Paris que pour la première fois, Américains, Ukrainiens et Européens se sont trouvés autour de la même table.

Q - Non mais là, il y aura des Russes, des Ukrainiens et des Américains. Est-ce qu'il y aura un représentant de la France ou au moins de l'Europe ?

R - L'objectif de cette rencontre, c'est d'avoir un premier contact direct, après trois ans de guerre, entre les Européens et les Ukrainiens. Quant aux Européens, je le disais, je serai jeudi matin en Turquie. Nous nous retrouverons avec notre collègue ukrainien, avec notre collègue américain, juste avant que ne s'engage cette discussion, si elle a lieu. Parce qu'à dire vrai, je ne vois pas très bien pourquoi elle devrait avoir lieu si Vladimir Poutine tente une nouvelle fois de l'esquiver. Mais si elle a lieu, nous aurons eu l'occasion au préalable de nous coordonner et de partager notre diagnostic de la situation.

Q - Ça veut dire que vous préparez malgré tout l'hypothèse selon laquelle Vladimir Poutine viendrait discuter avec Volodymyr Zelensky ?

R - D'une manière ou d'une autre. Écoutez, refaisons très rapidement l'enchaînement des événements. Les États-Unis ont demandé à l'Ukraine un cessez-le-feu, oin était le 9 mars à Djeddah en Arabie saoudite, que les Ukrainiens ont accepté. Ils ont demandé aussi, les États-Unis, que les Ukrainiens acceptent un accord sur les minerais et leur exploitation en Ukraine, ce que les Ukrainiens ont accepté. Les Européens, avec le soutien du président Trump, ont réaffirmé cet appel au cessez-le-feu de 30 jours inconditionnel samedi. Dimanche, Vladimir Poutine a dit : "Alors moi, je voudrais qu'il y ait des discussions directes", pensant piéger le président Zelensky, qui, loin de se laisser intimider, a saisi la balle au bond et a dit : "Rendez-vous jeudi en Turquie" au président Poutine. Le rendez-vous a été proposé. Il doit être honoré par Vladimir Poutine. Sans quoi, c'est la démonstration que tout ce qu'il veut, c'est la guerre.

Q - Anne-Charlène.

Q - Pardon mais Monsieur le Ministre, est-ce qu'il n'y a pas finalement une forme de gigantesque impuissance de tout ce qu'on organise en tant qu'Européen jusqu'à présent ? C'est-à-dire que finalement, il y a une forme de volonté impérialiste du côté de Vladimir Poutine, vous l'avez dit. Est-ce que ça, il y a vraiment un moyen de la contraindre et de la contredire ? Est-ce que l'Union européenne ne parle pas trop ? Puisque finalement, les États-Unis agissent ou n'agissent pas, mais il y a une question de réponse.

R - Non, on peut se faire plaisir en tapant sur l'Europe, mais la vérité c'est quoi ? C'est que Vladimir Poutine, qui dispose de l'une des plus grandes armées du monde, qui est dotée de l'arme nucléaire, qui l'utilise de manière totalement irresponsable pour intimider l'Ukraine et ses alliés, a échoué totalement dans son opération spéciale dont on nous disait qu'en quelques semaines, elle allait faire tomber l'Ukraine. Ça fait trois ans que l'Ukraine résiste, grâce au courage des Ukrainiens, mais grâce aussi au soutien résolu des Européens. Ce que j'ai dit tout à l'heure, c'est que maintenant que nous avons cheminé vers la paix, parce que les États-Unis de Donald Trump ont mis la pression sur tout le monde pour qu'on chemine de manière plus résolue...

Q - Ça c'est pas mal finalement, merci Donald Trump.

R - On n'allait pas le décourager ! Mais maintenant, pour qu'on accélère et qu'on cesse le feu, parce qu'on ne peut pas négocier sous les bombes, eh bien, sans doute faut-il qu'on passe au cran suivant.

Q - Jean-Noël Barrot, à la question du génocide ou non à Gaza, Emmanuel Macron a dit : "Ce n'est pas à un Président de la République de dire ?ça, c'est un génocide' ou ?ça, ça n'est pas un génocide'. Mon boulot, c'est de tout faire pour que ça s'arrête." Ça, est-ce que vous, ministre des affaires étrangères, vous le qualifiez de génocide ou pas de génocide ?

R - C'est une qualification juridique. Et il appartient à la Cour pénale internationale, à la Cour internationale de justice, de trancher cette question. C'est pourquoi on ne fait pas de la politique avec des décisions, des questions judiciaires, que ce soit sur le plan national ou sur le plan international.

Q - Donc vous n'utilisez pas cette qualification ?

R - Bien sûr que non. C'est aux juridictions internationales qui ont été saisies sur cette question et qui se sont prononcées, ou en tout cas qui se sont prononcées partiellement, en disant qu'il y avait un risque, en appelant Israël ou le gouvernement israélien à limiter ce risque, à le prendre en compte, mais sans jamais, à ce stade, le qualifier. Maintenant, il faut évidemment que ça cesse. On me dit hier qu'il y a depuis le début de l'année 9.000 enfants dans la bande de Gaza, selon l'UNICEF, qui sont soignés, qui ont été soignés pour malnutrition. Ce qui se passe aujourd'hui à Gaza, c'est une catastrophe humanitaire sans précédent, avec des familles, des femmes, des enfants qui sont assoiffés, qui sont affamés parce que le gouvernement israélien maintient depuis bientôt deux mois et demi un blocus absolument étanche sur l'entrée de l'aide humanitaire, des médicaments, de l'alimentation dans cette enclave. Et même si nous appelons au désarmement du Hamas, même si nous voulons que le Hamas libère l'intégralité des otages qu'il détient depuis le 7 octobre, nous ne pouvons pas nous satisfaire, ou en tout cas rester insensibles à cette situation dramatique.

(...)

Q - Merci d'avoir répondu à nos questions ce matin, Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 mai 2025