Texte intégral
JEFF WITTENBERG
Bonjour Jean-Noël BARROT.
JEAN-NOËL BARROT
Bonjour.
JEFF WITTENBERG
Et merci d'être avec nous car vous étiez hier en Turquie. En Turquie où vous avez représenté la France dans ce qui ressemble pour l'instant, on l'entendait dans le journal de 7h30, à une impasse sur le conflit en Ukraine. Alors certes, des réunions trilatérales doivent avoir lieu aujourd'hui, mais au moment où nous parlons, les Russes et les Ukrainiens ne se sont toujours pas rencontrés. Est-ce qu'il y a un espoir que les choses avancent dans les prochaines heures ?
JEAN-NOËL BARROT
Vous l'avez dit, j'étais en Turquie toute la journée hier, pour défendre le camp de la paix, c'est-à-dire le camp de l'Ukraine face au camp de la guerre, celui de Vladimir POUTINE qui a choisi de faire la politique de la chaise vide. Alors, je le souhaite, que ces discussions puissent avoir lieu, qu'elles puissent avancer aujourd'hui. Mais j'ai peu d'espoir.
JEFF WITTENBERG
Vous avez peu d'espoir.
JEAN-NOËL BARROT
D'une part parce que Vladimir POUTINE a refusé de se rendre lui-même en Turquie et d'autre part, parce qu'on ne peut pas négocier sereinement sous les bombes. Et qu'il convient, avant que des discussions sérieuses puissent avoir lieu, que Vladimir POUTINE consente à un cessez-le-feu.
JEFF WITTENBERG
Mais monsieur BARROT, qu'est-ce qui pourrait faire évoluer la position de Vladimir POUTINE et aboutir à ce cessez-le-feu que vous réclamez ? On sait que dans ces négociations, le Kremlin a des exigences extrêmement importantes : que Kiev abandonne quatre de ses provinces La Crimée renonce à être membre de l'OTAN. Qu'est-ce qui est acceptable dans tout ça ?
JEAN-NOËL BARROT
L'Ukraine n'a renoncé à rien, puisque les discussions n'ont pas commencé.
JEFF WITTENBERG
Oui. Mais ça, ce sont les revendications russes.
JEAN-NOËL BARROT
Mais ce qui fera bouger Vladimir POUTINE, qui le fera consentir à un cessez-le-feu et à se présenter lui-même lorsqu'on lui propose des discussions directes avec Volodymyr ZELENSKY, c'est la pression colossale qui va s'abattre sur lui. C'est ce pour quoi j'ai plaidé auprès de nos interlocuteurs américains hier en Turquie, et c'est ce à quoi j'appelle les Européens à bâtir des sanctions dissuasives de nature si Vladimir POUTINE continue à faire de l'anti jeu et à traîner les pieds, à asphyxier son économie.
JEFF WITTENBERG
Est-ce que Donald TRUMP a tort de dire que rien ne se passera tant que lui-même et Vladimir POUTINE ne seront pas ensemble à la table des négociations ?
JEAN-NOËL BARROT
Ce qui est clair et ce que nous espérions, c'est qu'avec Volodymyr ZELENSKY en Turquie, avec l'ouverture du Président TRUMP à s'y rendre, lui aussi, eh bien que POUTINE ait pu accepter d'entrer à son tour dans la discussion. Et s'il va refuser, il va falloir l'y contraindre.
JEFF WITTENBERG
Et rien ne s'est passé. Vous parliez de sanctions. Il y en a depuis trois ans, les sanctions. Vous parlez de fermeté aujourd'hui. Êtes-vous convaincus que c'est le moyen de faire bouger, je vous cite à nouveau, Vladimir POUTINE ?
JEAN-NOËL BARROT
Vous avez raison. Nous avons, nous les Européens, les Américains aussi, nous avons mis des sanctions très lourdes sur Vladimir POUTINE.
JEFF WITTENBERG
Qui n'ont pas été faites.
JEAN-NOËL BARROT
Mais qui lui ont empêché de se saisir de l'Ukraine comme il l'aurait souhaité. Rappelez-vous, il pensait y parvenir en trois semaines et grâce à la résistance ukrainienne, et grâce à ces sanctions très lourdes que nous avons appliquées, nous avons réussi à l'en empêcher. Maintenant, il nous faut aller encore beaucoup plus loin. C'est ce que prépare le sénateur américain Lindsey GRAHAM, qui était hier en Turquie, avec lequel je me suis entretenu, des sanctions avec des droits de douane de 500% sur les importations de pétrole russe et sur tous les pays qui continuent à en importer.
JEFF WITTENBERG
Et c'est la ligne que va suivre, vous pensez le Président des États-Unis, qui s'est montré pour l'instant parfois assez ouvert, au contraire, à son homologue russe ?
JEAN-NOËL BARROT
Vous savez, il y a une centaine de sénateurs aux États-Unis et 80 d'entre eux, à peu près, ont déjà soutenu ce paquet de sanctions…
JEFF WITTENBERG
Vous sentez une évolution aujourd'hui ?
JEAN-NOËL BARROT
Je sens évidemment une évolution et une résolution de la part des sénateurs américains d'en finir avec ce conflit et donc de contraindre Vladimir POUTINE à entrer de bonne foi dans des négociations.
JEFF WITTENBERG
Autre région, autre conflit brûlant, monsieur BARROT, la situation à Gaza. Emmanuel MACRON a eu des mots extrêmement fermes cette semaine contre Benyamin NETANYAHOU et sa politique. Ce qui se passe là-bas est inacceptable. C'est une honte, a dit le Président français. Et la réplique n'a pas tardé. Monsieur NETANYAHOU a accusé, je cite, le Président français de se ranger du côté d'une organisation terroriste. Voilà ce qu'il a dit. Comment vous accueillez, comment vous recevez ces propos du Premier ministre israélien ?
JEAN-NOËL BARROT
Tout ce qui est excessif est insignifiant. Le Premier ministre israélien sait parfaitement que la France, depuis le premier jour, a condamné le Hamas, qu'elle a sanctionné ses dirigeants et qu'elle appelle aujourd'hui au désarmement du Hamas, à son exclusion de la bande de Gaza, à son exclusion de toute forme de gouvernance à l'avenir pour la Palestine.
JEFF WITTENBERG
Mais dire que c'était une honte, ce n'était pas excessif par contre.
JEAN-NOËL BARROT
Écoutez monsieur, le Premier ministre israélien doit entendre l'appel quasi unanime de la communauté internationale, profondément choquée par la situation catastrophique à Gaza, un cessez-le-feu et à laisser entrer sans aucune forme d'entrave et sans délai l'aide humanitaire, l'eau, la nourriture à Gaza. Il y a 9 000 enfants qui ont été accueillis dans ce qu'il reste des hôpitaux à Gaza depuis le début de l'année pour malnutrition. C'est une situation qui doit cesser parce qu'elle est inacceptable.
JEFF WITTENBERG
Au-delà des mots, que pouvez-vous faire là encore ? Est-ce que ce ne sont pas les Etats-Unis qui ont le pouvoir d'influencer le gouvernement israélien ? Est-ce que, par exemple, la France, l'Union européenne peut prendre des sanctions contre l'Etat hébreu ?
JEAN-NOËL BARROT
La France s'est mobilisée depuis le départ pour apporter des réponses à la crise humanitaire. C'est à Paris que s'est tenue, un mois après le début des hostilités qui ont fait suite à l'attentat terroriste du 7 octobre, une conférence internationale qui a permis de lever 1 milliard d'euros pour Gaza.
JEFF WITTENBERG
Mais vous l'avez, vous-mêmes, souligné aujourd'hui, c'est le chaos là-bas.
JEAN-NOËL BARROT
Ensuite nous avons pris des sanctions à l'encontre des colons israéliens qui fragilisent la perspective d'une solution politique dans la région. Je l'ai dit, nous ne nous interdisons rien pour l'avenir. Les Pays-Bas ont demandé à la Commission européenne d'examiner l'article 2 de l'accord d'association entre l'Europe et Israël qui prévoit que les deux parties respectent les droits de l'Homme. C'est une demande légitime et j'appelle la Commission européenne à faire ce travail…
JEFF WITTENBERG
Pour qu'on vous comprenne bien monsieur le ministre des Affaires étrangères, vous pourriez dénoncer cet accord qui existe aujourd'hui entre l'Union européenne et Israël si la politique de Benyamin NETANYAHOU est maintenue dans ces prochaines semaines ?
JEAN-NOËL BARROT
C'est à l'Europe qu'il appartient de prendre ses décisions. Mais pour que cet accord puisse tenir, il faut que les parties en respectent les clauses. Et l'article 2 prévoit le respect par les deux parties des droits de l'Homme.
JEFF WITTENBERG
Vous ne vous interdisez rien. C'est ce que vous disiez il y a un instant. On revient à Istanbul d'un mot, puisqu'il y a aussi là-bas des négociations entre les pays européens France, Allemagne et Grande-Bretagne et l'Iran sur le dossier du nucléaire iranien. Pourquoi je parle de cela ? Parce que, aujourd'hui, l'accord sur le nucléaire iranien qui prévoyait la levée des sanctions contre l'abandon du nucléaire militaire est aujourd'hui caduc, cet accord. Mais la France, elle, elle réclame aussi la libération de deux prisonniers. Cécile KOHLER et Jacques PARIS, qui sont, dites-vous, détenus arbitrairement en Iran depuis trois ans. Qu'est-ce que vous pouvez faire là encore ?
JEAN-NOËL BARROT
Qui sont retenus otages depuis trois ans en Iran.
JEFF WITTENBERG
Vous dites otage.
JEAN-NOËL BARROT
Détenus dans des conditions indignes qui sont assimilables à de la torture et qui sont privés de ce qu'on appelle les visites consulaires, c'est-à-dire les visites par les membres de notre ambassade pour prendre de leurs nouvelles. Et c'est la raison pour laquelle aujourd'hui, je dépose plainte devant la Cour internationale de justice contre l'Iran pour violation de cette protection de son obligation de donner droit à la protection consulaire.
JEFF WITTENBERG
Une plainte de la France contre l'Iran va être déposée aujourd'hui ?
JEAN-NOËL BARROT
Absolument.
JEFF WITTENBERG
Dernière question, monsieur BARROT, vous êtes ministre des Affaires étrangères, vous êtes aussi un proche de François BAYROU. Vous êtes membre du MoDem. Comment vous avez vécu cette semaine très éprouvante pour lui lorsqu'il a été mis sur le gril par les députés sur l'affaire Bétharram ? Est-ce que vous l'avez trouvé convaincant ? Ce n'est pas le cas de tout le monde.
JEAN-NOËL BARROT
J'ai, comme beaucoup de Français, été choqué par l'inquisition politicienne menée par la France Insoumise, non pas pour s'intéresser aux victimes, mais pour semer le chaos et fragiliser les institutions. Et j'ai trouvé un François BAYROU sincère, combatif, qui a fait la démonstration que ce qui l'intéresse dans cette affaire, c'est le sort des victimes et pas les procès politiques.
JEFF WITTENBERG
Il n'est pas fragilisé. Certains même dans votre camp sont troublés par les nuances qu'il a apportés sur les différentes versions du fait qu'il ne savait rien, dit-il, de ce qui se passait et des sévices qui se déroulaient dans cette école catholique.
JEAN-NOËL BARROT
Non. Je crois que c'est monsieur VANNIER et La France insoumise qui sont définitivement disqualifiés.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 mai 2025