Texte intégral
SONIA MABROUK
Bonjour Bruno RETAILLEAU.
BRUNO RETAILLEAU
Bonjour Sonia MABROUK.
SONIA MABROUK
Bienvenue à la grande interview sur CNEWS/EUROPE 1. Vous êtes le ministre de l'Intérieur et désormais patron incontesté des Républicains avec une très, très large victoire saluée hier par votre formation et bien au-delà. Les messages de félicitations sont venus de partout. Nombreux sont aussi les militants qui ont fêté le retour de la droite. Tout d'abord, Bruno RETAILLEAU, est-ce que vous pouviez rêver d'un meilleur score et d'une meilleure configuration pour la suite ? Est-ce que vous avez été surpris vous-même ?
BRUNO RETAILLEAU
Bien sûr, j'ai été surpris. Bien sûr, j'avais des indices. Les indices, c'était quoi ? Les indices, c'étaient nos militants. Je voudrais vraiment les remercier tous, d'ailleurs, qu'ils aient voté pour moi, qu'ils aient voté pour Laurence, ce n'est pas grave, ils ont donné de la force à notre famille politique. Il y avait le remplissage justement des salles qui étaient combles, quelle que soit l'heure, parfois des heures improbables, midi, une heure, dans des campagnes ou des petites villes de 2 000 habitants ou de moins, avec une ferveur extraordinaire. Il y avait tous ces indices. Il y avait aussi les élections partielles, législatives, municipales, que nous gagnions ou alors dans lesquelles nous avions progressé très, très fortement. Non, franchement, 74%, même dans les rêves les plus fous, je ne l'avais pas imaginé.
SONIA MABROUK
Les militants hier, et d'autres plus largement, les sympathisants, qui vous disent : la droite est de retour, en tout cas c'est ce qu'ils espèrent. Vous leur dites : " Oui - ce matin - elle est de retour et je l'incarnerai " ?
BRUNO RETAILLEAU
Mais vous savez, si je me suis présenté dans cette compétition interne, d'abord ça n'a pas été une évidence pour moi. J'avais des résistances au départ parce que je sais que quand il y a une compétition interne, on s'expose, on reçoit des coups, j'en ai reçu d'ailleurs, mais j'avais quelques doutes. Très franchement, j'y suis allé parce que j'avais senti depuis que nous sommes rentrés au Gouvernement qu'il y avait un vent d'espérance, d'espoir qui s'était levé et je ne voulais pas que ce vent d'espérance retombe. Je m'en sentais un peu comptable, c'est la raison pour laquelle je me suis engagé. Et là, j'ai la certitude, je l'ai bien vu avec tous ces militants qui sont revenus, qui en réalité nous avaient fuis parce que la droite n'avait pas tenu ses engagements, parce que la droite avait baissé la tête, courbé les chines finalement vis-à-vis de la gauche, etc. Une droite finalement qui s'excusait d'être de droite. Mais la certitude que j'ai eue quand j'ai vu revenir ces militants, c'est que demain on peut faire la même chose avec des électeurs. Des électeurs qu'on a déçus, qu'on peut faire revenir chez nous, mais à la condition d'une ligne qui soit une ligne assumée de droite. Moi, je ne veux pas d'une droite à moitié de droite. Je ne veux pas d'une droite à mi-temps. Je veux une droite qui soit sereine, qui soit audacieuse, courageuse, mais qui soit elle-même.
SONIA MABROUK
C'est ce que vous allez porter au sein et à la tête, surtout, des Républicains, Bruno RETAILLEAU. Et maintenant, si vous deviez définir le patron que vous êtes, que vous allez être, citez-moi deux caractéristiques qui pourraient justement définir ce nouveau rôle et ce nouveau statut.
BRUNO RETAILLEAU
L'unité, qui m'est chère, parce que si on veut demain rassembler les Français, il faut quand même qu'on arrive à nous rassembler. Je pense que ce score va me permettre précisément le rassemblement. Et vraiment, il m'a aussi appelé - Laurent WAUQUIEZ - hier pour qu'on puisse travailler ensemble. Et puis, il y a plein de talents…
SONIA MABROUK
Travailler ensemble, c'est des signes déjà que vous envoyez de rapprochement, de réconciliation, parce qu'il n'y a pas eu de guerre des chefs, mais de rapprochement.
BRUNO RETAILLEAU
De rapprochement. Écoutez, c'est une première étape. Très franchement, si demain on veut gagner l'élection présidentielle, on aura besoin de tout le monde. On a beaucoup, beaucoup de talents. J'en ai découvert, d'ailleurs. Je pense à beaucoup de maires qui ont la quarantaine, la cinquantaine, parfois plus ou parfois moins, mais c'est avec eux que je veux construire le parti. Donc, d'abord, l'unité. Et puis il y a le projet. Vous savez que j'ai toujours considéré que la politique, c'était d'abord les idées, c'était un combat d'idées, c'est un combat culturel, c'est vrai. Les victoires idéologiques précèdent toujours les victoires politiques, j'y tiens beaucoup. Et ce que je veux, moi, c'est porter un projet spécifique. Je veux porter un projet qui permette de défendre la France des honnêtes gens, des gens honnêtes. Parce que cette France-là, les hommes et les femmes politiques ne l'écoutent plus. Ils ont depuis longtemps découpé la France en rondelles de saucisson. Ils ne s'adressent donc pas à un seul peuple français, mais à des minorités, à des segments électoraux. Ça, c'est du marketing politique. Moi, je veux vraiment porter la préoccupation de ces gens qui sont finalement silencieux, qui travaillent, qui aiment l'effort, qui croient en la France.
SONIA MABROUK
Et avant de rassembler la France, vous l'avez dit, Bruno RETAILLEAU, il faut rassembler votre camp. Il faut aussi cautériser les plaies. Il y en a dans ce parti qui a connu des guerres des chefs homériques. On entend ce matin, sur l'unité, des signaux de désappel, aussi de rapprochement. Vous allez devoir former votre équipe bientôt. Il n'y aura pas, si je vous entends bien, que des " retaillistes ".
BRUNO RETAILLEAU
Non, je veux ouvrir les choses. Je veux néanmoins une ligne claire. Il faut porter une ligne claire.
SONIA MABROUK
La vôtre.
BRUNO RETAILLEAU
Je veux qu'il y ait la mienne, bien sûr.
SONIA MABROUK
Votre voix avec cette légitimité du score.
BRUNO RETAILLEAU
Absolument, mais on a besoin, justement, quand on gagne, on a aussi besoin de cette ligne et on a besoin de diriger. Donc, j'assumerai cette responsabilité, mais je veux l'assumer en rassemblant. Vous savez, le rassemblement, ça ne se fait jamais dans l'eau tiède. Le rassemblement, ça se fait par le haut, ça se fait par les idées, ça se fait par les convictions. PEGUY avait une très belle phrase en disant : " Tout ce qui élève unit ", c'est ma ligne politique que j'entends assumer complètement. D'ailleurs, elle n'était pas si éloignée de celle de Laurent WAUQUIEZ et de celle de tant d'autres, mais on a tellement de talents dans notre famille politique.
SONIA MABROUK
Laurent WAUQUIEZ, David LISNARD, François-Xavier BELLAMY. Autant d'autres. D'autres sensibilités aussi, d'une droite plus sociale.
BRUNO RETAILLEAU
Othman NASROU, qui était un formidable directeur de campagne, je veux lui rendre hommage.
SONIA MABROUK
Donc, si j'ai bien compris : une ligne claire, la vôtre, mais différentes sensibilités pour ouvrir la porte et les fenêtres de ce parti aujourd'hui ?
BRUNO RETAILLEAU
Oui, parce que c'est une première étape. Il nous faut construire l'avenir, et on ne pourra le construire que si on se rassemble et que si on définit ce projet. Je vous en ai parlé, c'est vraiment la défense, porter la voix de cette France des honnêtes gens.
SONIA MABROUK
Alors, ce fut, Bruno RETAILLEAU, le point principal qu'a utilisé votre compétiteur malheureux, Laurent WAUQUIEZ, pendant la campagne, à savoir votre participation au Gouvernement. Vous avez d'ores et déjà affirmé que votre plébiscite, hier, montre que votre ligne a été validée. Vous restez donc ministre, malgré tout avec un nouveau poids, une nouvelle légitimité qui va changer les choses à l'intérieur du Gouvernement ?
BRUNO RETAILLEAU
Ça me donne de la force, bien sûr, parce que ça me légitime. Si vraiment, nos militants, c'est-à-dire le coeur de notre électorat, ceux qui sont les plus convaincus, s'ils avaient voulu que je quitte le Gouvernement, pensez-vous vraiment qu'ils auraient voté à 74 % ? Je veux repréciser les conditions dans lesquelles nous sommes rentrés au Gouvernement. Rentrer dans ce Gouvernement, ça n'est pas se macroniser, ça n'est pas se dissoudre, ça n'est pas la confusion. Rentrer au Gouvernement, c'était simplement parce que nous voulions éviter à la France le pire, c'est-à-dire faire blocage à la gauche faire blocage à la gauche mélenchonisée. Quand on est de droite, on fait barrage à la gauche, et c'est éviter le chaos. Il n'y a pas de majorité au Parlement. Moi, j'aime la France, et ce que je veux, c'est être utile. Nos électeurs, nos militants veulent aussi que la droite se retrousse les manches, mette la main dans le cambouis.
SONIA MABROUK
Donc, c'était tranché hier, cela, pour vous ?
BRUNO RETAILLEAU
Je pense que c'était tranché. C'était tranché, comment dirais-je… non pas pour l'éternité, mais encore une fois, si nous sommes au Gouvernement, ça n'est pas pour abdiquer, pour renoncer à notre personnalité, ça n'est pas pour se confondre. Pas du tout.
SONIA MABROUK
J'entends. Mais est-ce que depuis hier, ça a changé ? Et pour préciser ma question, Bruno RETAILLEAU, est-ce que ça veut dire que vous serez davantage renforcé vous-même pour exiger certaines décisions, comme par exemple le référendum que vous avez toujours demandé sur l'immigration, comme par exemple le fait de ne pas augmenter les impôts dans le budget ? Est-ce que, sur cela, vous serez d'une fermeté, avec une légitimité hier, renforcée ?
BRUNO RETAILLEAU
Bien sûr. Je vous l'avais dit d'ailleurs à ce micro. Je pense que le fait de se présenter, désormais, d'être élu avec ces résultats, avec ce score, ça va renforcer le poids du ministre de l'Intérieur, et inversement d'ailleurs, ça renforce aussi, d'une certaine façon, la légitimité du président de LR. Parce que les gens veulent nous voir dans l'action. Je pense que nos sympathisants, nos militants, et les Français qui partagent nos convictions, veulent une droite qui soit utile. Ils veulent une droite dans l'action, mais une droite qui ne renonce pas à son identité.
SONIA MABROUK
C'est important, c'est-à-dire qu'au sein du Gouvernement, depuis hier, vous allez dire qu'il faut que ça aille plus vite. Sinon ?
BRUNO RETAILLEAU
Bien sûr, bien sûr. Avec les limites, puisque nous n'avons toujours pas de majorité au Parlement. J'aurais rêvé, Sonia MABROUK, mais vraiment rêvé d'appartenir à un Gouvernement avec une majorité solide, pour faire encore plus. Mais je fais, aujourd'hui, avec ce que j'ai, en posant des actes. J'ai fait deux circulaires qui sont vraiment absolument fondamentales pour durcir les conditions de la régularisation des étrangers en situation de clandestinité, ou par exemple la naturalisation. Je l'assume, je l'assume vraiment. La loi Narcotrafic, que j'ai très largement modelée quand j'étais au Sénat, qui est désormais votée, parce que c'est un combat absolument majeur de toute la nation. On a combattu le terrorisme, il faut continuer à le combattre. Aujourd'hui, la grande cause nationale, c'est le narcotrafic.
SONIA MABROUK
On va en reparler. Mais vous assumez donc une place singulière aujourd'hui, Bruno RETAILLEAU, vous êtes l'homme fort du gouvernement et le patron d'une formation qui veut l'alternance avec le macronisme. Est-ce que c'est bien résumé ?
BRUNO RETAILLEAU
Bien sûr, je pense et je l'ai écrit, je l'ai dit.
SONIA MABROUK
Et vous n'y voyez pas de contradiction ?
BRUNO RETAILLEAU
Mais ,je n'y vois pas de contradiction, dans la mesure où, encore une fois, si nous sommes au Gouvernement, si je suis toujours au Gouvernement, c'est pour éviter à la France le pire, c'est-à-dire la gauche mélenchonisée ou le chaos. Ça ne veut absolument rien dire, je reste gaulliste, je ne suis pas macroniste. Je sais que j'ai ému des députés de l'aile gauche du Bloc Central, mais c'est la vérité, je n'ai pas changé.
SONIA MABROUK
Donc vous leur dites ce matin : " Quoi qu'il arrive, je ne suis pas macroniste, ce sera comme ça, et en plus, je suis l'homme fort du Gouvernement " ?
BRUNO RETAILLEAU
Mais je suis gaulliste et je ne renonce à aucune de mes valeurs ni à aucune de mes convictions. Précisément, la difficulté de ce Gouvernement, c'est de ne pas avoir de majorité à l'Assemblée nationale. Mais sa richesse, c'est qu'il rassemble des hommes et des femmes qui ont pris leurs responsabilités précisément parce qu'ils aiment la France. On ne pense pas tous la même chose, soit, mais moi, sur mon couloir, j'entends faire en sorte que l'ordre revienne. C'est difficile, encore une fois, et je veux être utile. Et tant que je serai utile, je ferai mon devoir.
SONIA MABROUK
Donc, ces députés du Bloc Central de gauche, comme vous dites, vous font une pression. Vous êtes aujourd'hui l'homme fort du Gouvernement. Est-ce qu'à un moment, vous avez dit tout à l'heure que ce n'est pas pour l'éternité d'être au Gouvernement, il faudra descendre du train avant qu'il ne rentre dans le mur ?
BRUNO RETAILLEAU
Je ne suis pas dans une optique politicienne. J'essaie de servir mon pays.
SONIA MABROUK
Cette question est uniquement politicienne pour vous, Monsieur RETAILLEAU, vraiment ?
BRUNO RETAILLEAU
Non, parce que ça voudrait dire qu'il y a une tactique politicienne pour essayer de prévoir, de scénographier, de mettre en scène le moment du départ. Moi, je dis que tant que mes convictions ne seront pas blessées, tant que les intérêts fondamentaux de la nation, mon devoir, c'est de faire tout ce que je peux faire pour faire avancer les choses, parce que la France ne va pas bien. Vous avez bien vu qu'on a un ensauvagement qui est incroyable. On ne peut pas attendre deux ans. On ne peut pas attendre 2027, ne rien faire et mettre la France dans le chaos. Parce que si demain, il n'y a pas de Gouvernement ou qu'il y a un Gouvernement qui soit totalement étriqué, alors, je pense qu'on régresserait. Ça, je ne le veux pas. Pour autant, encore une fois, que mes convictions soient respectées et que l'idée que je me fais des intérêts de la France le soit aussi.
SONIA MABROUK
On l'entend. Pour autant, que vos convictions soient respectées. Est-ce que ces convictions, vous les partagez, Bruno RETAILLEAU, avec d'autres personnalités, hors les murs de la droite, si je puis dire ? On a entendu votre compétiteur, Laurent WAUQUIEZ dans cette campagne, évoquer certaines personnalités sans faire, pour autant, l'alliance des partis de droite, mais une alliance des droites avec certaines personnalités. Est-ce que vous êtes dans cette optique, aujourd'hui ?
BRUNO RETAILLEAU
Je vais le répéter. Encore une fois, la politique, c'est une ligne claire. C'est ce que j'essaie de faire, d'ailleurs, au Gouvernement. J'essaie, par des prises de position très, très claires, très tranchées, de gagner le combat d'idées. Et j'observe qu'aujourd'hui, sur l'immigration, sur le narcotrafic, sur tant d'autres choses, les lignes bougent. On prépare le terrain pour demain. Bien. Maintenant, là encore, je ne m'adresse pas aux appareils. Je n'y crois plus. Je n'y crois pas.
SONIA MABROUK
Vous parlez de personnalités, pas d'appareils.
BRUNO RETAILLEAU
Absolument. Eh bien, nous allons bâtir un projet. Ce projet, ce ne sera pas de la rustine. Ce projet, ce sera une rupture. Libre à ceux qui s'y reconnaissent de le rejoindre. Moi, je n'ai jamais ostratisé personne. Simplement, ce que je veux, c'est porter cette ligne-là, et c'est cette ligne qui déterminera la frontière.
SONIA MABROUK
Pourquoi répétez-vous si souvent, monsieur RETAILLEAU, que ce ne sera pas une droite d'eau tiède ? C'est pour répondre à tous ceux qui vous disent dans les paroles, et puis une fois que la droite est au pouvoir, elle ne fait plus rien, elle n'agit plus ?
BRUNO RETAILLEAU
J'ai cité une phrase qui est incroyable de Maurice DRUON. Vous savez, Maurice DRUON, académicien, ministre de la culture et neveu de Georges CASTEL. Il avait fait, Maurice DRUON, les paroles du chant des partisans. Et il avait eu cette phrase incroyable. Il avait dit : " En France, il existe deux parties de gauche dont l'un, par convention, s'appelle la droite ". Qu'est-ce qu'il avait voulu dire ? Il moquait la droite, une droite qui, souvent, a baissé le regard devant une sorte de domination idéologique, intellectuelle de la gauche. Ce temps-là, il est terminé. Oui, parce que, je vais vous dire, nous avons, nous, une doctrine propre. Et je pense que, et j'en suis sûr, aujourd'hui, la France ne penche pas à gauche. La France penche à droite. Nous sommes la droite. Et j'entends que nous soyons toute la droite et une droite fière de ce qu'elle est.
SONIA MABROUK
Est-ce qu'elle peut pencher au centre ? Pourquoi vous fait-on souvent, alors le reproche, ce n'est peut-être pas un reproche, en tous les cas, non pas d'un ticket, mais d'un duo avec Edouard PHILIPPE. Est-ce que vous dites, ce matin, très clairement, moi, c'est moi, lui, c'est lui. Il n'y aura pas de duo, il n'y aura pas d'accord, même en vue des municipales.
BRUNO RETAILLEAU
Vous vous rendez compte que j'ai brigué cette présidence pour le parti parce que j'y crois, parce qu'encore une fois, ça correspond à ce que ressentent les Français.
SONIA MABROUK
Personne ne vous fait le reproche d'un défaut d'insincérité.
BRUNO RETAILLEAU
Les Français veulent une école méritocratique. Ils veulent l'ordre républicain. Ils veulent que le travail paye plus que l'assistanat. Ils veulent qu'il y ait, aussi, dans l'existence humaine, dans nos paysages intérieurs, des repères, des valeurs. Parce que, vous savez, l'argent ne peut pas tout acheter. Et les gens, notamment ceux qui n'ont pas de patrimoine, ils tiennent d'autant plus à ces valeurs immatérielles. Je n'ai pas fait tout ça pour ça, pour qu'ensuite, j'abdique et qu'on se range sous telle ou telle couleur.
SONIA MABROUK
Ce serait une abdication que de ne pas porter vos couleurs.
BRUNO RETAILLEAU
Ce n'est pas ce que je veux dire, Edouard PHILIPPE. Encore une fois, j'ai du respect, de l'estime. Simplement, il conçoit son espace politique de la gauche à la droite. Moi, je crois que, en même temps, ça conduit à l'immobilisme. Je le vois bien, parce que la gauche veut plus d'impôts. Nous, on en veut moins. La gauche veut plus de dépenses publiques. Elle en veut moins. Elle veut moins d'ordre public. On en veut plus. Ça ne marche pas. On ne peut pas mélanger, à un moment donné, l'huile et l'eau. Ça ne se mélange pas. En revanche, on peut rassembler. On peut rassembler les Français, les gens de bonne volonté. Cette France des jeunes gens, je le crois vraiment, mais par le haut.
SONIA MABROUK
En attendant, dans l'actualité, Bruno RETAILLEAU, vous êtes patron incontesté des LR, mais évidemment, l'actualité suit son cours. Vous avez dit du bien de la proposition choc du garde des Sceaux, Gérald DARMANIN, qui a annoncé hier la construction d'une prison de très haute sécurité en Guyane, dans laquelle seraient enfermés les narcotrafiquants les plus dangereux, les individus radicalisés, islamistes. Cette proposition, monsieur le ministre, a suscité beaucoup de réactions indignées, certaines, en tous les cas, qui pointent le retour du bagne. Que répondez-vous à cela ?
BRUNO RETAILLEAU
Je dis que les Français ont de la chance d'avoir un couple, même dans les conditions difficiles, les limites que l'on a, pas de majorité au Parlement, un couple régalien, donc, ministre de la Justice, ministre de l'Intérieur, qui sont sur la même ligne. Ça, c'est fondamental. Il y a longtemps que ça n'était pas arrivé. Je veux simplement dire à ces gens qui croient qu'il ne faut pas enfermer, loin de la France, dans des quartiers de haute sécurité, des gens qui recrutent des gamins de 14 à 15 ans, qui les font se tuer, s'entretuer. Les tueurs à gage, aujourd'hui, c'est cela. Pour quelques dizaines de milliers d'euros. Je me souviens d'un jeune, un adolescent de 15 ans à Marseille. Il a fait l'objet d'un règlement de comptes, 50 coups de couteau, il était toujours vivant. Ils l'ont achevé, achevé en le brûlant vif. Et ces gens-là, je les ai vus, moi, les Insoumis, d'ailleurs, entre nous, à l'Assemblée nationale, qui ont lutté pour que la loi narcotrafique soit neutralisée. Vous vous imaginez, vous vous rendez compte ? Non, Gérald a raison. Je lui redis mon entier soutien. Eh bien, les narcotrafiquants doivent être traités comme tels, sans aucune commissération.
SONIA MABROUK
On se demande où s'arrêterait cette fabrique des barbares, Bruno RETAILLEAU, sur le plan de l'insécurité. Il y a eu, en quelques jours, des tirs à l'arme de guerre à Meyzieu. Il y a eu une vidéo hallucinante, une sorte de ghetto tour tourné par un youtubeur allemand dans un quartier nîmois. Ce samedi, il y a eu une rixe ultra-violente entre deux bandes rivales. C'est toujours le même reproche, en tous les cas. On vous demande des actes. Est-ce que vous dites, là encore, il me faut du temps pour montrer mes résultats, prouver les choses ?
BRUNO RETAILLEAU
Ce que je veux dire, je fais bouger les lignes. Vous avez utilisé un terme que j'ai forgé, la fabrique des barbares. J'ai indiqué qu'il y avait une société laxiste qui a déconstruit méthodiquement, méticuleusement, tous les repères, les cadres communs que sont l'autorité, le respect de l'autre, les hiérarchies. Cette société, précisément 68 ares, qui a puisé ses valeurs dans les années 68 ares, a engendré, a accouché de cette fabrique des barbares. Il faudra donc, du temps pour que la famille, la restauration de l'autorité en famille, l'école, il faudra du temps. Et moi, on ne peut pas, en quelques mois, me demander d'effacer des décennies de laxisme. En revanche, moi, je pense que ça, c'est le long terme, mais ça, ça sera le projet de 2027 que nous porterons d'une société nouvelle, d'une société où on remet à l'endroit, en tout cas, on remet à l'endroit des valeurs qui sont vraiment fondamentales. Si on veut demain vivre dans une société apaisée. Mais déjà, il y a l'ordre public, c'est ce que je fais chaque jour.
SONIA MABROUK
L'ordre public, l'immigration par des circulaires. Même si, monsieur le ministre, lors de son émission il y a quelques jours, Emmanuel MACRON, le président, ne voyait pas de problème au nombre d'arrivées sur le sol français.
BRUNO RETAILLEAU
Je le redis, un demi-million d'immigrés tous les ans en France, alors que nos capacités d'accueil sont totalement saturées, ça n'est pas raisonnable. L'immigration dans ces conditions, je le redis, n'est pas une chance.
SONIA MABROUK
Dans ces conditions, vous avez…
BRUNO RETAILLEAU
Il y a une double réponse. Ah non, oui, je dis dans ces conditions parce que je n'ai jamais cru à l'immigration zéro. Il n'y a que la Corée du Nord, peut-être, et encore. Il faut être raisonnable. En revanche, il faut faire non seulement la guerre à l'immigration illégale, mais il faut aussi faire baisser l'immigration légale. Simplement, un, l'ordre public, l'ordre républicain, mais aussi une nouvelle politique pénale. C'est fondamental, notamment vis-à-vis des jeunes.
SONIA MABROUK
A vous entendre, ce n'est pas une politique, c'est une révolution qu'il faudrait.
BRUNO RETAILLEAU
C'est une révolution pénale puisqu'aujourd'hui, on enferme des jeunes dans des parcours de délinquance. En clair, en France, on refuse la sanction, on refuse la prison. Et donc, ils volent un oeuf, etc., ils continuent. Et quand la sanction avec la prison tombe, c'est trop tard. C'est trop tard pour ces gamins-là et c'est trop tard pour leurs victimes.
SONIA MABROUK
On peut mener une révolution avec une partie, je dis bien des magistrats, c'est un tiers le syndicat de la magistrature qui est en totale opposition avec ce que vous dites ?
BRUNO RETAILLEAU
Non, mais c'est clair. Malheureusement, ils font de la politique qu'ils ne devraient pas faire. De ce côté-là, je me suis exprimé, il y a un statut, des magistrats, il y a une loi organique de 1958, l'article 10, qui interdit la délibération politique. Ça, c'est inacceptable. Mais heureusement, la grande majorité des magistrats sont impartiaux. Ce que je veux simplement dire sur la révolution pénale, c'est qu'il faut réhabiliter la sanction et il faut faire ce que les Pays-Bas ont fait, des courtes peines aux premiers gros écarts. Et c'est comme ça qu'on aura une justice des mineurs, notamment, qui sera efficace. Il faut donc abroger, écoutez-moi bien, la loi de madame BELLOUBET de 2019.
SONIA MABROUK
Abrogation totale, oui.
BRUNO RETAILLEAU
Abrogation, notamment, parce qu'elle refuse, elle interdit les courtes peines. Voilà. Il faut donc qu'on ait des peines qui soient prononcées et qui soient exécutées.
SONIA MABROUK
La première butée, comme vous dites. Une question sur le fameux rapport choc, dont vous avez beaucoup parlé, monsieur le ministre de l'Intérieur, sur l'entrisme des frères musulmans. Il sera présenté en Conseil des ministres…
BRUNO RETAILLEAU
Non, en Conseil de défense.
SONIA MABROUK
Conseil de défense. Donc, là, dans quelques jours ?
BRUNO RETAILLEAU
Absolument.
SONIA MABROUK
Disponible au grand public bientôt ?
BRUNO RETAILLEAU
Bien sûr.
SONIA MABROUK
Comme vous l'avez dit.
BRUNO RETAILLEAU
Je souhaite qu'il soit déclassifié. Oui, parce que les frères musulmans, cet entrisme-là se dissimule. La première arme contre la dissimulation, c'est la transparence, bien évidemment.
SONIA MABROUK
Mais une transparence qui ne permet pas, malgré tout, une interdiction en France des frères musulmans. Vous avez abandonné cette idée du fait qu'on ne peut pas, aujourd'hui, identifier ces organisations ?
BRUNO RETAILLEAU
Ce n'est pas ça du tout. C'est qu'ils se dissimulent. Donc, il y a une petite structure centrale. Mais ce n'est pas là que leurs actions qui peuvent être réprimées se passent. C'est, par exemple, dans leurs écoles. Le lycée Averroès. L'école Al-Kindi. J'étais dans le Gard, il y a quelques jours. Le préfet et les services ont fermé pas moins de 15 écoles coraniques. Vous vous rendez compte ? L'entrisme dans le sport. Il faut donc les combattre, précisément, par les oeuvres. Les oeuvres d'entrisme qu'ils font. Et là, on a des outils.
SONIA MABROUK
Je comprends la nuance. Mais donc, pas d'interdiction en tant que telle des frères musulmans en France.
BRUNO RETAILLEAU
Si je pouvais le faire, je la prononcerais. Mais vous pensez bien que les actions illégales ne se déroulent pas dans cette structure mais dans les satellites, dans les associations alentours. C'est comme ça qu'on peut lutter. Parce que si demain, je voulais, moi, dissoudre les frères musulmans, eh bien, croyez-moi, la justice me reprendrait. Et ils gagneraient. Ils auraient une victoire. Je ne veux pas la leur donner. Ce que je veux, en revanche, c'est être implacable dès lors qu'on constate, sur le terrain, que ce soit dans des associations sportives, à l'école ou ailleurs, un certain nombre de menées subversives. Alors, il faut être, là encore, intransigeant.
SONIA MABROUK
Monsieur le ministre, tout au long de cet entretien, nous avons passé, on arrive presque à la fin, différents sujets. Vous avez parlé de la France, des honnêtes gens, de la société nouvelle, de l'insécurité, de la délinquance, de l'immigration et également de nombreux défis. Comment imaginez que vous ne pensez pas à 2027 ?
BRUNO RETAILLEAU
Oui, c'est difficile à imaginer. Je vous l'avoue. C'est difficile.
SONIA MABROUK
C'est difficile à imaginer, c'est une réponse.
BRUNO RETAILLEAU
Le projet, ce sera de faire gagner la France dans l'Eurovision. C'est ça ?
SONIA MABROUK
C'est une marque assez haute, apparemment.
BRUNO RETAILLEAU
Ce que je veux simplement dire, c'est que je disais colline après colline, je serai le premier artisan de notre victoire, j'espère bien, en 2027, mais il y a un gros travail. Je ne peux pas vous dire que la politique, c'est d'abord le combat des idées sans me consacrer totalement à ce combat d'idées et à reformuler un projet pour la France.
SONIA MABROUK
C'est-à-dire que les ennuis commencent, si je comprends bien ?
BRUNO RETAILLEAU
Oui, c'est le plus dur qui commence. Et puis, il y a les municipales. Donc, quand je dis colline après colline, les municipales, c'est fondamental. Je veux que demain, on puisse faire se lever partout en France, dans tous les territoires français parce que la France est belle avec ce kaléidoscope de paysages, de visages aussi et je pense qu'il faut y travailler dès maintenant.
SONIA MABROUK
La France est belle. Est-elle encore grande ?
BRUNO RETAILLEAU
Elle est grande, la France.
SONIA MABROUK
Ça, c'est un peu ou c'est un diagnostic ?
BRUNO RETAILLEAU
Vous savez, dans mes meetings, souvent, enfin, à la fin, pas toujours, mais je disais, je répondais à la fameuse question qu'est-ce qu'être français ? Et je disais, être français, c'est une affection. Aimer profondément la France, c'est mon cas. C'est aussi une ambition. On ne veut pas la France en petit, on veut la France en grand. On est les pays des grands scientifiques, des philosophes, des écrivains. On a le pays qui a reçu le plus de prix Nobel de la littérature de tous les pays d'Europe et c'est aussi une compassion. Vous voyez, c'est aussi une compassion. Nous sommes le pays à la fois de Saint-Vincent de Paul et des Restos du coeur. On a des racines judéo-chrétiennes et des racines de la République sociale. Ces racines se sont entremêlées pour composer, pour tisser une trame de la générosité française et être français, pour moi, c'est aussi comprendre qu'aucune souffrance française ne doit nous être étrangère. Pas question d'être, comment dirais-je, complaisant avec ceux qui abusent, qui vivent au crochet de la société, mais ceux qui sont dans le besoin, les travailleurs pauvres, etc. Le projet que nous allons construire leur tendra une main secourable pour peu qu'ils veulent aussi s'efforcer d'en sortir. C'est ça aussi le projet qui guidera.
SONIA MABROUK
Un projet pour la dernière colline avant 2027.
BRUNO RETAILLEAU
Oui, bien sûr, le projet d'aujourd'hui sera celui que nous porterons bien sûr pour 2027.
SONIA MABROUK
Merci Bruno RETAILLEAU, merci de nous avoir accordé cet entretien, évidemment patron des LR et ministre de l'Intérieur. Bonne journée à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 mai 2025