Extraits d'une interview de M. Benjamin Haddad, ministre délégué, chargé de l'Europe, à Radio J le 21 mai 2025, sur le conflit à Gaza, les tensions entre l'Union européenne et Israël, les Frères musulmans en France, l'excès de normes au niveau européen, la politique de l'immigration et les relations avec le Royaume-Uni.

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Média : Radio J

Texte intégral

Q - Benjamin Haddad, bonjour.

R - Bonjour.

Q - Et bienvenue sur Radio J. C'est une manière aussi de fermer la porte : communiqué commun des présidents, du Président français, des Premiers ministres britanniques et canadiens hier. Des mesures concrètes, je cite, seraient prises contre Israël si l'aide humanitaire ne reprenait pas. Qu'est-ce que ça veut dire, des mesures concrètes ?

R - Déjà, rappelons la situation. Vous le savez, les chefs d'État européens ont demandé la reprise de l'aide humanitaire et veulent fondamentalement trouver une issue, une issue politique à cette guerre qui a été commencée par l'attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, et relancer un dialogue qui pourra mener à la création de deux États, l'État d'Israël, qui vivra aux côtés, en sécurité d'un État palestinien souverain.

Q - Et ça commence par de l'aide humanitaire.

R - Alors, ça commence par mettre une fin à cette guerre, savoir trouver les voies d'un cessez-le-feu, la libération de tous les otages et l'entrée de l'aide humanitaire pour la population civile de Gaza. Maintenant, là, ce dont il parle, vous le savez, il y aura le mois prochain à New York une conférence internationale sur la solution à deux États. L'objectif est de créer une dynamique de reconnaissance mutuelle. C'est-à-dire d'avoir, par des États européens ou d'autres, la reconnaissance de l'État palestinien, conditionnée à la libération des otages, au désarmement du Hamas, à la relance d'une dynamique politique et de réformes aussi de l'Autorité palestinienne en Cisjordanie, en échange de la normalisation des relations entre Israël et les pays arabes et notamment, on le sait, l'Arabie saoudite, puisqu'il y avait déjà...

Q - ... il y a eu les accords d'Abraham...

R - ... avec les Émirats arabes unis ou encore le Bahreïn, et une dynamique déjà de dialogue entre Israël et l'Arabie saoudite.

Q - L'aide humanitaire reprend là, au compte-gouttes. Le message a été entendu par Israël, ou c'est insuffisant ?

R - Il le faut. Il faut que l'aide humanitaire reprenne. Et fondamentalement, vous savez, il faut savoir mettre fin à une guerre à un moment. Quelle est l'issue politique que souhaite le gouvernement de Benyamin Netanyahou aujourd'hui ? Proposer un plan de conquête de Gaza avec le déplacement des populations ? C'est une fuite en avant...

Q - En revanche, exil de tous les combattants du Hamas, libération de tous les otages. Ça c'est accessible ?

R - Mais vous savez, ça, la France et les Européens ne cessent de le répéter dès le premier jour : la libération des otages et bien sûr le désarmement du Hamas qui ne peut pas faire partie de la gouvernance de la bande de Gaza. Mais à un moment, conquérir la bande de Gaza ou proposer le déplacement des populations, c'est évidemment une voie totalement sans issue, totalement sans issue.

Q - Aujourd'hui, l'accord d'association Union européenne - Israël, qui encadre la circulation des biens, cet accord est-il menacé ?

R - Alors hier, vous avez vu, la haute représentante de l'Union européenne, Kaja Kallas, a annoncé que la Commission européenne examinerait le respect par Israël de l'article 2 de cet accord d'association. C'est la demande d'un certain nombre d'États membres, 17 États membres, dont la France. L'article 2 qui vise notamment le respect des droits humains. Donc il va y avoir aujourd'hui cette instruction de la Commission européenne.

Q - La France s'associe, vous vous associez à un élan de lutte contre l'antisémitisme, notamment par le contrôle des fonds européens qui pourraient être mal dirigés. Concrètement, qu'est-ce que ça va prendre comme forme ? Par exemple, le projet de Coran européen, 9.8 millions d'euros de financement, est-ce que vous l'avez dans le viseur ?

R - Alors ça fait typiquement partie des exemples. Donc c'est une initiative que j'ai lancée pour dire de façon très claire que pas un euro d'argent public européen ne doit être utilisé pour financer les ennemis des valeurs européennes. L'Europe, qu'est-ce que c'est ? C'est une union d'États de droit, de démocratie, de liberté, d'égalité. Et donc on ne peut pas accepter que des programmes pour financer des associations, des programmes éducatifs aillent vers des associations qui sont liées aux Frères musulmans ou à l'antisémitisme. On l'a vu par exemple dans le cadre d'Erasmus avec l'Université turque de Gaziantep. On a vu des dizaines de millions d'euros qui ont pu aller vers des ONG proches des Frères musulmans. Et donc je vais présenter dans les prochains jours, avec des collègues européens, une initiative qui visera un meilleur contrôle et un meilleur filtrage des fonds européens. Encore une fois, pas un euro pour les adversaires de l'Europe.

Q - Combien de temps pour que cette initiative permette de trier le bon grain de l'ivraie ?

R - Écoutez, moi, je crois que ça doit être très rapide. Il y a aujourd'hui une opacité, en fait, dans les fonds européens notamment, qui vont vers les associations et les ONG.Ça a été d'ailleurs souligné par un rapport de la Cour des comptes européenne et après par des travaux aussi de nombreux parlementaires, nationaux comme européens. Donc là, il faut qu'il y ait, en amont, un meilleur contrôle, avec vraiment une charte de valeurs extrêmement claire et qu'il y ait une meilleure transparence aussi après sur la façon dont tous ces fonds ont pu être utilisés pour qu'on puisse avoir un retour d'expérience et dire : "Là, clairement, ces fonds qui sont allés vers cette université, cette association, c'est inacceptable", et qu'on puisse rompre tout de suite les financements.

Q - Vous citiez les Frères musulmans, un rapport est sorti hier sur le cas français. Est-ce que vous êtes inquiet, angoissé, surpris par l'ampleur du constat de ce rapport ?

R - Déjà, je trouve que c'est très important qu'on puisse avoir la publication de ce rapport. C'est une initiative du ministre de l'intérieur, Bruno Retailleau, qui a demandé ce rapport à un préfet et à un diplomate et qui montre...

Q - Gérald Darmanin l'avait demandé avant et...

R - Gérald Darmanin avait travaillé effectivement dessus avant, et qui montre que nous avons aujourd'hui, dans certains quartiers, dans des associations, dans des clubs sportifs ou des établissements scolaires, un entrisme des Frères musulmans pour imposer une idéologie qui est contraire aux valeurs républicaines sur notre territoire. Et là-dessus, il faut être d'une vigilance et d'une fermeté absolue. Vous le savez, ces dernières années, on a renforcé déjà les outils avec la loi séparatisme, précisément pour lutter contre ça. Parce que vous avez la question du terrorisme, le passage à l'acte violent, mais vous avez aussi une dimension idéologique avec des territoires qui sont perdus face à une offensive idéologique, que ce soit la dissolution des associations, des lieux de culte qui sont liés à l'islam radical, que soit la possibilité d'expulser des imams, de faire la transparence sur les flux financiers, il faudra aller plus loin. C'est un combat permanent.

Q - Vous avez lancé un autre combat dans le Journal du dimanche. Vous dites que sur l'excès de normes au niveau européen, vous allez agir. Mais comment allez-vous faire concrètement ?

R - Alors, déjà, il faut se dire les choses. Au moment où on est sous pression des États-Unis, de la Chine, où les autres accélèrent, on ne peut pas accepter qu'on continue à mettre des normes, des contraintes de la bureaucratie sur nos entreprises. Au contraire, libérons-les, donnons-leur les moyens de pouvoir conquérir les marchés et de faire face à la concurrence internationale. Donc nous, ce qu'on a demandé et on commence à obtenir gain de cause de la part de la Commission européenne, c'est de rouvrir un certain nombre de textes, comme des textes qui pèsent, de réglementations environnementales sur les entreprises, les PME, la CSRD, la CS3D - ce sont parfois des milliers, des dizaines de milliers de données à aller collecter et rapporter pour ces entreprises -, et de simplifier drastiquement, et de mettre juste du bon sens et du pragmatisme dans nos textes. Un autre combat que la France a gagné récemment, vous savez, sur la question des amendes pour les constructeurs de véhicules électriques. On a demandé à nos constructeurs de passer à l'électrification. Ils le font, ils investissent et tant mieux. C'est bon pour l'environnement, c'est bon pour la compétitivité aussi, pour la souveraineté de notre continent. Le problème, c'est que, en 2024, vous le savez, la demande pour les véhicules électriques a chuté sur les marchés. Et donc ces entreprises se retrouvent à devoir payer des amendes alors qu'elles ont fait les investissements parce que la demande a baissé, ou sinon, pour ne pas payer des amendes, à devoir acheter des bons carbones aux concurrents américains et chinois qui ne font que de l'électrique. C'est-à-dire BYD ou Tesla. Là, on marche sur la tête. Donc nous avons obtenu la suspension de ces amendes. Donc sur tous ces textes, simplifions en profondeur la vie de nos entreprises, de nos industriels, de nos entrepreneurs pour faire en sorte, encore une fois, que l'Europe puisse défendre sa compétitivité.

Q - À propos de défense de l'Europe, deux euros par colis pour Shein et Temu, ça va les faire rigoler quand même. Ce n'est pas grand-chose.

R - Ça fait déjà partie d'une première étape. C'est une première étape qui peut aussi d'ailleurs générer des revenus pour l'Union européenne, parce que vous savez qu'un des enjeux majeurs, je serai moi-même à Bruxelles juste après cette émission pour avoir des débats sur le prochain budget européen, c'est la façon dont on va générer des ressources propres pour l'Union européenne lors du prochain budget. Ça, ça en fait partie.

(...)

Q - Vous avez vu Bruno Retailleau depuis son élection triomphale à la tête de LR. Dans quel état l'avez-vous trouvé ?

R - Je l'ai félicité. J'ai beaucoup d'estime et d'amitié pour Bruno Retailleau qui fait vraiment un excellent travail en tant que ministre de l'Intérieur. On travaille beaucoup sur les questions d'immigration, notamment, et le contrôle des frontières, puisque vous savez qu'il y a un volet européen qui est absolument fondamental. Et là-dessus, on porte des initiatives comme la mise en oeuvre du Pacte sur la migration et l'asile, comme le fait de renforcer nos leviers externes, la conditionnalité des visas, de l'aide au développement, des accords commerciaux au niveau européen pour faire pression sur les pays de départ qui ne respectent pas leurs engagements, qui ne reprennent pas leurs ressortissants expulsés. Là, c'est une action que nous menons communément avec Bruno.

(...)

Q - On passe à autre chose. Un dernier mot : Britanniques et Union européenne se reparlent. On va faire le Brexit à l'envers ?

R - C'est une bonne nouvelle. Vous faites référence à ce sommet qu'il y a eu lundi entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, qui a permis d'avancer sur un certain nombre de sujets, en fait, qui étaient toujours des irritants liés au Brexit, notamment de pouvoir protéger et défendre nos pêcheurs et donc d'étendre le statu quo sur la pêche qui avait été acté à la fin du Brexit jusqu'en 2038. Ça, c'est une bonne nouvelle. De pouvoir aussi rapprocher sur les questions de défense et de sécurité l'Union européenne et le Royaume-Uni. Je crois que dans ce moment de turbulences géopolitiques, on a besoin, bien sûr, de construire notamment l'Europe de la défense avec les Britanniques et d'avancer ensemble.

Q - Benjamin Haddad, vous reviendrez ?

R - Avec plaisir.

Q - Merci, bonne journée et bon voyage à Bruxelles.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 mai 2025