Interview de M. Philippe Tabarot, ministre, chargé des transports, à France 2 le 30 mai 2025, sur les ZFE, la reprise des travaux programmés pour la mi-juin concernant l'autoroute A69 Toulouse-Castres et les contrats de concession d'autoroutes par l'État à des sociétés privées .

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Média : France 2

Texte intégral

JEFF WITTENBERG
Bonjour à tous, bonjour Monsieur TABAROT.

PHILIPPE TABAROT
Bonjour.

JEFF WITTENBERG
Vous êtes avec nous ce matin et on l'évoquait à l'instant, vous disiez hier on ne va pas pleurer mais on va peut-être pleurer sur les milliards perdus, comme le disait notre consoeur. Comment allez-vous compenser ces milliards que l'Europe ne versera pas à la France, à la France plutôt compte tenu de cette décision ?

PHILIPPE TABAROT
Écoutez, l'objectif, on doit le conserver, c'est-à-dire de faire baisser les particules fines dans notre pays. Je rappelle que ce n'est pas uniquement les véhicules automobiles et les pots d'échappement qui sont producteurs de particules fines, il y a également la question du freinage, du chauffage à bois, la question de l'industrie. Mais concernant les ZFE en elles-mêmes, c'est un projet qui a malheureusement été mal conçu, probablement mal expliqué et mal appliqué. Donc je souhaite une remise à plat des ZFE, je ne sais pas si la procédure parlementaire ira jusqu'au bout, si elles seront supprimées, en tout cas il faut les améliorer.

JEFF WITTENBERG
Vous dites qu'elles ne seront pas forcément supprimées ?

PHILIPPE TABAROT
Écoutez, j'ai cru comprendre qu'il y allait avoir encore deux votes au Parlement, que certains souhaitaient faire appel au Conseil Constitutionnel par rapport au projet de loi sur la simplification qui a permis ce vecteur législatif. En tout cas, le débat se pose aujourd'hui de manière très claire, peut-être conserver l'objectif, mais une remise à plat me paraît indispensable et c'est l'appel qu'ont lancé les parlementaires.

JEFF WITTENBERG
Mais que répondez-vous à tous ceux qui disent depuis hier que c'est une mesure désastreuse, finalement, de reculer ? Par exemple la mairie de Paris qui rappelle que la pollution de l'air dit-elle provoque plus de 80 00 décès en Île-de-France chaque année et que ce sont les plus pauvres qui en sont les victimes. Même argument chez les élus de Strasbourg, de Montpellier, de Lyon. Qu'est-ce que vous leur dites et qu'est-ce que vous dites aussi à votre collègue ministre de la Transition écologique, Agnès PANNIER-RUNACHER, qui a défendu cette mesure ?

PHILIPPE TABAROT
Moi je dis et je répète qu'il n'y a pas que les pots d'échappement qui polluent, qu'il y a des mesures à prendre pour un meilleur accompagnement, pour une meilleure synchronisation. Là on a pris des décisions peut-être hâtives après la loi climat et résilience qui font que les Français n'étaient pas prêts, le parc automobile n'était pas suffisamment électrifié, pas suffisamment accompagné, les transports en commun ne sont pas assez développés dans notre pays et on a mis la charrue un petit peu avant les boeufs et c'est la raison pour laquelle on se retrouve dans cette situation, où des Français se sentent lésés, où des Français se voient interdire l'accès à certains territoires et je pense que ce n'est pas une bonne mesure. Est-ce qu'on peut expliquer aux gens des territoires ruraux qu'ils peuvent continuer à polluer avec leur véhicule et qu'ils n'ont pas le droit d'entrer dans les centres-villes ?

JEFF WITTENBERG
Mais est-ce qu'on peut lutter contre la pollution de l'air sans faire baisser la place de l'automobile qu'elle soit dans les zones rurales ou en ville ? Ce qui était l'objectif des ZFE.

PHILIPPE TABAROT
Écoutez, en tout cas, les ZFE, je veux entendre que ça soi-disant fait baisser la pollution aujourd'hui, il faut savoir que concrètement elles ne sont pas rentrées véritablement en application au niveau des sanctions, des contrôles. Il y a très peu de contrôles sur les ZFE, les contrôles étaient prévus après les élections probablement municipales de 2026. Il faut être honnête, il faut remettre toutes les choses à plat, il faut qu'on garde des objectifs environnementaux élevés, mais il faut que ce soit avec des mesures qui ne divisent pas les Français et qui ne soient pas des injustices sociales. Vous savez, si cette mesure a été rejetée de l'extrême droite à l'extrême gauche de l'hémicycle, c'est quelque part les remontées qu'ont eues les députés des Français montrent qu'il y a une incompréhension de cette mesure. Il faut la remettre à plat et la retravailler avec les mêmes objectifs.

JEFF WITTENBERG
Mais ça ne coince pas, lorsqu'au sein du même Gouvernement, je le redis, il y a une ministre Madame PANNIER-RUNACHER qui défendait cette mesure et vous qui finalement êtes satisfait qu'elle soit continuée ?

PHILIPPE TABAROT
Moi je suis cohérent avec le parlementaire que j'ai été, j'ai écrit il y a deux ans au Sénat un rapport sur les ZFE qui s'appelait " Sortir de l'impasse ". Donc j'ai les mêmes objectifs que madame PANNIER-RUNACHER par contre je pense que nous pouvons y arriver et un petit peu autrement avec d'autres mesures qui soient mieux comprises par les Français.

JEFF WITTENBERG
Alors, autre sujet de la semaine où aux yeux de certains l'écologie a reculé, c'est la reprise des travaux programmés pour la mi-juin sur l'autoroute A69 Toulouse-Castres après la décision de la Cour administrative de Toulouse. Ces travaux vont devoir se faire sous très haute surveillance parce qu'on sait que les opposants à cette autoroute se sentaient confortés par une autre décision de justice prise en février. Ça veut dire quoi ? Qu'il va y avoir la police, voire l'armée, pour surveiller le chantier qui va reprendre à la mi-juin ?

PHILIPPE TABAROT
Oui il y aura probablement des forces de police pour intervenir le cas échéant. Je rappelle que même pendant les précédents travaux il y avait des forces de police parce que les personnes, les ouvriers, le millier d'ouvriers qui travaillent sur ce chantier qui s'est vu remercier du jour au lendemain et qui va je l'espère pouvoir reprendre ont été tout au long du chantier dérangés et le terme est faible. Vous savez aujourd'hui le chantier est arrêté et ça coûte environ aux contribuables 200 000 euros. Pourquoi ? Parce qu'il faut sécuriser le chantier, éviter des ZAD, comme on a pu en connaître à Notre-Dame-Des-Landes.

JEFF WITTENBERG
200 000 euros par jour ou ?

PHILIPPE TABAROT
Oui, tout à fait, par jour, pour sécuriser le chantier, pour éviter qu'il devienne une ZAD, comme ça à été le cas à Notre-Dame-Des-Landes. Donc, pour toutes ces raisons je crois que le chantier doit reprendre progressivement. J'espère que ça se fera dans le calme. Il y a eu, vous l'avez dit, une décision de justice en février dernier qui a arrêté le chantier. Par contre au préalable il y avait eu quatorze décisions de justice qui avaient confirmé le bien-fondé de ce chantier, et même si c'est une décision qui ne se prononce pas sur le fond, j'ai quand même lu que le juge avait dit qu'il y avait une raison d'intérêt public majeur. Elle est caractérisée et le chantier peut et doit reprendre.

JEFF WITTENBERG
Sur un plan plus global, presque historique, lorsqu'on regarde l'histoire des transports en France, est-ce que l'heure est encore à la construction d'autoroutes ? Est-ce qu'on n'a pas déjà un réseau qui est largement suffisant dans ce domaine ?

PHILIPPE TABAROT
Écoutez, vous pensez que l'heure c'est d'arrêter un chantier qui est réalisé aux deux tiers ? Ou même les personnes qui n'étaient peut-être pas favorables, aujourd'hui, demandent qu'il soit terminé, demandent les compensations environnementales qui ont été décidées…

JEFF WITTENBERG
Donc c'est une affaire d'argent avant tout ? Pas forcément de…

PHILIPPE TABAROT
Demandent à ce que la RN 126 ne soit pas utilisé autant qu'elle l'est aujourd'hui parce qu'il y a eu des dizaines d'accidents ces dernières années, dont des accidents mortels. Je pense que ce projet doit aller au bout, il va désenclaver le Tarn qui en a besoin. On connaît bien également ce département et j'espère que ce projet pourra aller au bout, ce qui n'empêche pas que la question se pose et je pense que c'est l'objectif des personnes qui ont attaqué ce projet, de savoir si demain on peut encore dans notre pays faire un certain nombre de projets autoroutiers, routiers ou même d'infrastructures ferroviaires, parce que les mêmes qui attaquent ces projets sont les mêmes qui attaquent des infrastructures ferroviaires aujourd'hui.

JEFF WITTENBERG
Alors précisément on en parlait dans le Télématin tout à l'heure, à 7 h 15, les contrats de concession d'autoroutes par l'État à des sociétés privées vont s'arrêter en 2031. Qu'est-ce qu'il faut faire après ? Il faut que l'État récupère la gestion des autoroutes, il faut que les péages servent à autre chose, par exemple aux ferroviaires. Je sais qu'il y a, aujourd'hui, une sorte de convention qui réfléchit à cet avenir mais vous, quelle est votre position ?

PHILIPPE TABAROT
Nous le faisons depuis dix semaines, enfin sur une durée de dix semaines, ça a été lancé par le Premier ministre et nous discutons de tous ces sujets à travers la grande conférence de financement.

JEFF WITTENBERG
Qu'est-ce que vous souhaitez ?

PHILIPPE TABAROT
Je ne veux pas préempter les débats et donner au préalable à mon avis, moi ce que je pense, et ça a été très bien dit dans la discussion que vous avez eue tout à l'heure, il y a un petit peu plus de 10 000 km d'autoroutes dans notre pays, c'est notre patrimoine commun, l'État doit être au centre de toutes les décisions, doit permettre de pouvoir continuer à investir, à décarboner la route et probablement aussi par le paiement d'un péage par les usagers qui soit juste et pas par le contribuable, de pouvoir financer peut-être d'autres modes de transport, je pense aux routes nationales qui en ont bien besoin, aux nombreux ponts qui ne sont pas entretenus dans notre pays et aux infrastructures ferroviaires qui ont besoin d'investissement.

JEFF WITTENBERG
Donc vous nous dites ce matin, parce que c'est une question quand même récurrente pour les usagers automobilistes : « Le péage ce n'est pas demain qu'on le supprimera, il faut qu'il y ait encore des péages même si ces autoroutes sont amorties depuis très très longtemps ».

PHILIPPE TABAROT
Le péage a été supprimé en Espagne, les autoroutes espagnoles sont pratiquement à l'abandon aujourd'hui, on ne peut pas se le permettre, est-ce que vous pensez que c'est au contribuable français de payer par exemple pour les automobilistes étrangers qui se verraient opérer une gratuité des péages ? Je pense qu'on a les meilleurs péages d'Europe, ça a été très justement dit, il faut encadrer les prix des péages à travers probablement les futures concessions et il faut que l'usager puisse payer le juste prix, ni plus ni moins.

JEFF WITTENBERG
Le juste prix vous l'avez dit ce matin, merci beaucoup Philippe TABAROT, ministre des Transports et c'est la suite de Télématin, merci pour vos réponses.

PHILIPPE TABAROT
Merci beaucoup.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 2 juin 2025