Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des affaires économiques, sur l'avenir du groupe La Poste.
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l'orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.
Madame la ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l'hémicycle.
(…)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis d'autant plus heureuse de débattre avec vous de l'avenir du groupe La Poste qu'il y a quelques années, alors que j'étais députée, je siégeais – à vos côtés, monsieur Chaize – au sein de la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP).
Je m'efforcerai de répondre rapidement, mais clairement, aux deux questions que vous m'avez posées.
Philippe Wahl a mené un travail remarquable à la tête du groupe La Poste, qui a vu le volume de son activité principale, la distribution du courrier, être divisé par deux en dix ans. Si l'élaboration de la feuille de route de son successeur n'est pas tout à fait terminée, les axes en sont connus et attendus : l'amélioration de la qualité des missions de service public ; l'amélioration de la couverture territoriale ; la consolidation de la soutenabilité de la trajectoire financière ; l'amélioration de la rentabilité des nombreuses activités qui ont été développées ; la capitalisation sur le développement des activités qui génèrent de la valeur, notamment la livraison de colis et les activités bancaires.
Je souhaite insister sur la couverture territoriale. Jusqu'à nouvel ordre, la loi postale fixe à 17 000 le nombre de points de contact et d'accès aux services postaux. Le respect de ce cadre sera une exigence forte pour la prochaine équipe dirigeante.
Vous m'interrogez par ailleurs, monsieur le sénateur, sur la forme que prendra la délégation du service universel postal. Il est fâcheux que du fait de ce que j'appellerai pudiquement des péripéties politiques, nous n'ayons pas pu débattre de cette question au second semestre 2024, comme le prévoyait le calendrier initial. Avec le soutien du député Stéphane Travert, le Gouvernement a récemment proposé qu'une disposition soit introduite dans le projet de loi de simplification de la vie économique, mais pour des raisons légistiques, celle-ci n'a pas pu prospérer.
Afin d'assurer un service universel postal au 1er janvier 2026 pour les Français, il nous faut prendre des dispositions avant le 1er juillet 2025. De manière pragmatique et un peu contrainte, le Gouvernement prévoit donc de le faire par décret. Pour autant, nous n'entendons nullement contourner le Parlement – c'est du reste la raison de notre présence ici ce soir –, et nous sommes évidemment conscients que les parlementaires doivent être en mesure de contrôler et d'évaluer cette mission essentielle.
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize, pour la réplique.
M. Patrick Chaize. Je vous remercie de ces précisions, madame la ministre. S'il est exact que nous avons siégé ensemble au sein de la Commission supérieure du numérique et des postes, je tiens à préciser que le présent débat a été organisé à la demande non pas du Gouvernement, mais de la commission des affaires économiques du Sénat.
J'entends que des péripéties politiques ont contrarié le calendrier et qu'il faut aller vite, mais j'attends du Gouvernement qu'il nous assure que le débat viendra. S'il faut pour l'heure garantir l'effectivité du service public de la distribution postale au 1er janvier 2026, ce débat n'en est pas moins impératif pour la survie même de La Poste, oserai-je dire. Je ne suis en effet pas convaincu que le budget de l'État pourra continuer de compenser financièrement les déficits chroniques qu'emportent les délégations de service public. Un jour ou l'autre, l'équation deviendra impossible.
Je souhaite donc que vous vous engagiez devant nous, madame la ministre, à déposer un projet de loi dont le Parlement pourra débattre.
Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est à M. Bernard Buis.
M. Bernard Buis. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis la création des relais de poste, au XVe siècle, le groupe La Poste n'a cessé d'évoluer.
Aujourd'hui, La Poste est chargée de quatre missions de service public indispensables au bon fonctionnement de notre société : le service universel postal, le transport et la distribution de la presse, l'accessibilité bancaire et l'aménagement du territoire. Ainsi, alors qu'elle connaît une profonde mutation de son système économique, sa présence dans tous les territoires demeure l'un de ses aspects les plus stratégiques, qu'il faut préserver.
En effet, l'accès de tous les Français à des services publics de qualité et de proximité est un principe fondamental de notre République, et c'est justement ce à quoi La Poste contribue avec ses 17 000 points de contact situés à moins de vingt minutes en voiture pour 97% de la population française, comme en atteste le dernier rapport d'accessibilité présenté à l'Observatoire national de la présence postale (ONPP) en janvier 2023.
La Poste incarne donc ce lien quotidien entre le service public et les citoyens, dans nos villes comme dans nos territoires ruraux, à Valence comme à Die, à Luc-en-Diois comme à Buis-les-Baronnies ; cette présence permet de garantir un service postal à l'ensemble de la population et de faciliter la distribution du courrier six jours sur sept, une exception en Europe.
Néanmoins, ce modèle est désormais sous tension. La fréquentation du réseau diminue, tandis que le coût des missions de service public augmente. Dans le même temps, les métiers historiques de La Poste, notamment ceux qui sont liés à la distribution du courrier, ont vu leur poids s'effondrer : alors qu'ils représentaient plus de 50% du chiffre d'affaires en 2010, cette proportion était tombée à 15% en 2023.
Par conséquent, si nous souhaitons préserver ce service public indispensable dans nos villes comme dans nos territoires ruraux, il est impératif de repenser le financement du service public postal. Avec un chiffre d'affaires de 34 milliards d'euros en 2023, selon une lettre de la Cour des comptes publiée le 5 décembre 2024, force est de constater que, grâce à de nouvelles acquisitions, le groupe La Poste connaît encore une relative croissance. Toutefois, sa rentabilité, elle, diminue.
Dans ce contexte financier, le groupe ne peut s'exonérer de réaliser des économies. Néanmoins, la coupe budgétaire de 50 millions d'euros sur le budget de La Poste pour les territoires, annoncée en 2024, menace les agences communales, à l'image de la commune de Souleuvre en Bocage, dans le Calvados, qui risque de perdre son dernier bureau de poste.
Or, je le répète, les économies budgétaires ne doivent pas remettre en cause le maillage territorial de La Poste et sa présence dans les zones rurales. Rappelons que les compensations publiques ne couvrent plus entièrement le coût des sujétions de service public. Par ailleurs, l'expiration du mandat du service universel postal, le 31 décembre 2025, nous impose une réflexion urgente et lucide sur l'avenir du groupe.
Madame la ministre, le Gouvernement envisage-t-il de renouveler le mandat du service universel postal au-delà de 2025 ? Quelles solutions pouvons-nous envisager pour financer durablement les missions de service public de La Poste, afin de préserver le rôle de celle-ci dans l'aménagement du territoire et sa présence dans les zones rurales ? Compte tenu des difficultés financières du groupe, ne faut-il pas renforcer la part de l'État à son capital ?
Enfin, comment évoquer l'avenir du groupe La Poste et la diversification de ses missions sans penser à la révolution numérique et technologique du XXIe siècle ? À l'heure où l'intelligence artificielle se développe dans nos entreprises et dans nos modes de vie, cette révolution doit être pleinement intégrée aussi dans les services publics.
La Poste a pris part à cette dynamique, en lançant des initiatives ambitieuses. Je pense à la messagerie sécurisée Dalvia Santé, un outil innovant développé par Docaposte, la filiale numérique du groupe, qui permet aux professionnels de santé d'échanger des données sensibles dans le respect de la confidentialité et des exigences réglementaires strictes. Je pense également à l'automatisation du tri postal et du suivi des colis, rendue possible grâce à l'intelligence artificielle (IA) et à l'exploitation des données en temps réel.
Ces innovations permettent à la fois d'améliorer la traçabilité et la rapidité des livraisons, source d'importants gains de productivité, mais aussi d'apporter une réponse aux attentes des citoyens en matière de qualité de service et de suivi individualisé. L'intelligence artificielle peut optimiser la productivité, améliorer l'expérience de l'usager et renforcer l'efficacité opérationnelle. Elle peut aussi être stratégique dans le développement de nouvelles activités, notamment dans le numérique et les services de confiance, tout en renforçant la cybersécurité et la fiabilité des services bancaires.
Toutefois, cette transformation ne doit pas nous faire perdre de vue l'essentiel : avant d'être une entreprise, La Poste est un service public. L'intelligence artificielle doit non pas remplacer l'humain, mais être à son service, afin de permettre au groupe de se recentrer sur ses missions fondamentales.
En ce sens, madame la ministre, comment garantir le développement et l'usage de l'intelligence artificielle dans les activités de La Poste sans que cela nuise à l'emploi et à l'humain ? Plus globalement, l'usage de l'IA dans ces services publics permet-il d'engendrer des économies durables, sans pour autant dégrader leur qualité ?
Madame la ministre, mes chers collègues, il nous revient collectivement de garantir la pérennité de La Poste dans ses missions historiques, tout en l'accompagnant vers l'avenir. Pour y parvenir, trouvons ensemble le juste équilibre entre innovation technologique et ancrage territorial. (Mme Guylène Pantel applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Beaucoup de questions dans votre intervention, monsieur le sénateur !
La première chose positive que l'on peut dire, c'est que La Poste s'est diversifiée et qu'elle a réussi à rentabiliser son réseau unique – ses 17 000 points de contact – en développant de nouvelles activités, notamment de proximité, au service par exemple des personnes âgées ou dépendantes.
En ce qui concerne le numérique, Docaposte, filiale – remarquable – du groupe, a développé des offres dans le numérique de confiance, via des services que beaucoup de nos concitoyens connaissent, comme l'identité numérique sécurisée, ou au travers des services liés à la santé, que vous avez évoqués. Le meilleur moyen de défendre collectivement l'aménagement du territoire, la présence locale, consiste à soutenir la diversification et la rentabilité des activités du groupe.
Par ailleurs – je le sais d'autant mieux que je suis également ministre chargée des comptes publics –, l'État s'engage à stabiliser son financement ; il n'y a pas de projet visant à réduire notre soutien à ces missions essentielles.
Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel.
Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 21 mai dernier, La Poste organisait dans quelques-uns de ses bureaux la Fête de l'écrit, une initiative aussi poétique que symbolique destinée à remettre en lumière le lien entre les mots, les citoyens et l'acte d'écrire, dans un monde désormais saturé de numérique. Cette manifestation nous rappelle une vérité fondamentale : la mission de La Poste dépasse le simple transport d'objets ou de messages ; La Poste est un vecteur de lien social, de proximité et de continuité républicaine.
Dans un contexte de transformation profonde de ses activités, La Poste est confrontée à une tension structurante : concilier adaptation économique et maintien de son activité, capitale, de service public. Cette tension prend un relief particulier dans nos territoires ruraux, que je souhaite aujourd'hui placer au centre de notre réflexion.
J'ai travaillé pendant plus de trente ans à La Poste. Tout au long de mes années dans cette maison, j'ai assisté sur le terrain aux premières grandes transformations de l'entreprise : réorganisations, restructurations, numérisation, diversification ; j'ai aussi vu des agents s'adapter et des territoires se battre pour garder leur bureau.
La Poste est plus qu'un opérateur, elle incarne une certaine idée de la République au quotidien. C'est pourquoi je remercie la commission des affaires économiques de cette demande de débat. C'est un signal fort adressé aux élus locaux, aux agents et à l'ensemble de nos concitoyens attachés à ce service public de proximité.
En 2024, le groupe La Poste a réalisé un chiffre d'affaires de 34,6 milliards d'euros, ce qui traduit une progression de 1,5% par rapport à l'exercice précédent. Le résultat net atteint 1,4 milliard d'euros, principalement grâce aux bons résultats de CNP Assurances et à la cession de La Poste Mobile à Bouygues Telecom.
Parallèlement, selon la Caisse des dépôts et consignations, le volume du courrier a poursuivi sa baisse structurelle, avec une diminution de 8,2% en 2024. Le volume des colis a quant à lui augmenté de 2,7%, grâce à la croissance de Geopost et de Colissimo. Je ne m'étendrai pas davantage sur les données chiffrées, mais celles-ci nous permettent de prendre la mesure de l'activité du groupe et de la bonne exécution des missions de service public, comme la distribution du courrier et de la presse ou l'accessibilité bancaire.
Toutefois, l'activité du groupe ne s'arrête pas là, puisque La Poste assume aujourd'hui d'autres missions, que nous souhaitons saluer ici. Elle est, par exemple, un pilier du maintien à domicile en zone rurale. En Lozère, près de 6 000 repas sont livrés chaque mois, ce qui contribue au maintien à domicile de nos seniors. Les facteurs, formés à la relation avec ces publics, jouent en outre un rôle de veille sociale. Nous soutenons donc les ambitions du groupe visant à développer ces services.
Cependant, derrière l'enthousiasme relatif à la diversification des activités se cachent des fragilités, ponctuellement évoquées par les directions générales successives et les agents. Nous nous souvenons tous de l'annonce de M. Wahl, à la rentrée 2024, concernant la possible réduction de 50 millions d'euros du budget alloué au contrat de présence postale territoriale, qui finance notamment les agences postales communales et les relais commerçants. Cette annonce avait suscité l'inquiétude des élus locaux, mais ceux-ci ont ensuite été rassurés quand l'État a décidé de maintenir sa contribution financière pendant quelques années.
Ces épisodes se sont également accompagnés de quelques suppressions d'effectifs et de fermetures partielles de bureaux de poste, affectant la qualité du service public, l'atmosphère de travail et le maillage actuel de services. À ce sujet, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen réaffirme son attachement aux agences postales communales ou intercommunales, ainsi qu'aux points de contact labellisés France Services. Ces dispositifs répondent aussi au besoin de présence humaine.
Le groupe du RDSE souhaite appeler l'attention du Gouvernement sur la question de la suppression des boîtes aux lettres de rue. Dans le département des Hautes-Pyrénées, par exemple, sur 913 boîtes aux lettres de rue, 137 sont susceptibles d'être retirées en raison du faible nombre de courriers déposés. Si nous comprenons les motifs de cette décision, nous demandons que le maillage de ces boîtes reste dense.
Le groupe La Poste est une entité précieuse à préserver et à renforcer. L'État doit donc compenser à l'euro près ses dépenses de service public.
Dans ce contexte, le Gouvernement entend-il garantir un financement pérenne du service universel postal, à la hauteur des besoins, y compris dans les territoires peu denses ?
Quel est l'avenir du fonds de présence postale territoriale au-delà de 2025 ? Madame la ministre, allez-vous maintenir, voire renforcer, son enveloppe ?
Enfin, comment entendez-vous associer les représentants des postiers et les élus territoriaux à la définition des missions futures du groupe ? (Applaudissements sur les travées des groupes du RDSE et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Madame la sénatrice, je le dis et je le répète avec force, nous ne projetons aucun coup de rabot ni aucune économie de bouts de chandelle sur le soutien à La Poste. Ce groupe assure quatre missions de service public essentielles et notre objectif est que chacun des 17 000 points d'accès aux services postaux définis par la loi, qu'il s'agisse d'une agence postale à proprement parler ou d'une agence communale – une réflexion est également en cours pour mieux valoriser les maisons France Services –, soit un lieu connu, visité, utile et servant au mieux les Français.
La Poste a beaucoup d'idées sur le sujet, et les élus aussi. Beaucoup d'actions ayant suscité quelques doutes lors de leur lancement se sont révélées être, dans nombre de territoires, des modèles efficaces et répondant, je crois, aux besoins. C'est ce mouvement que nous voulons accompagner.
Vous dites également, et cela me semble très pertinent, que nous devons prêter une attention particulière aux activités de transport de colis, qui ont permis à La Poste de gagner en rentabilité, ce qui est très utile pour l'équilibre de son modèle économique.
Or je suis aussi chargée de la tutelle des douanes, qui suivent tous les enjeux liés aux petits colis. Vous avez tous entendu parler dans cet hémicycle de la submersion des petits colis en provenance d'Asie, qui font concurrence à nos commerces, mais également à notre logistique. Ainsi, dans un secteur où La Poste a construit, comme de très nombreux opérateurs ailleurs en Europe, un modèle viable et rentable, nous devons nous prémunir contre une forme de dumping ou de concurrence déloyale de la part d'entités localisées à l'étranger et reposant sur des circuits de financement très complexes.
Je coiffe maintenant ma casquette de ministre chargée des comptes publics : nous suivons tout cela de très près avec Tracfin et le renseignement douanier, parce qu'il serait regrettable que cette tendance déstabilise nos commerces, nos industries et notre chaîne logistique. En effet, de premiers signaux nous indiquent une très forte pression sur le " dernier kilomètre ", qui constitue un enjeu fort pour la stabilité financière de La Poste.
Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel, pour la réplique.
Mme Guylène Pantel. Je vous remercie de vos propos rassurants, madame la ministre, mais n'oublions pas les agents de La Poste, qui constituent l'entreprise et dont les habitants sont très proches. Ils assurent une forme de lien social.
Mme la présidente. La parole est à Mme Denise Saint-Pé.
Mme Denise Saint-Pé. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens avant toute chose à remercier la commission des affaires économiques d'avoir demandé la tenue de ce débat de circonstance, puisque nous sommes dans la dernière année couverte par le sixième contrat de présence postale territoriale. Ce contrat, conclu entre La Poste, l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) et l'État pour la période 2023-2025, fixe le cadre permettant à La Poste de contribuer à la mission de service public d'aménagement du territoire.
À ce titre, il prévoit les règles prévues pour l'adaptation de son réseau, censé compter 17 000 points de contact. Il détermine également les règles de gestion du fonds de péréquation territoriale, conçu pour bénéficier de manière prioritaire aux zones qui en ont le plus besoin – zones rurales, zones de montagne, quartiers prioritaires de la politique de la ville et territoires d'outre-mer. Enfin, il prévoit un financement à hauteur de 177 millions d'euros par an.
Or, tandis que ce contrat approche de sa fin, il me paraît nécessaire d'en souligner les limites. En effet, La Poste peine à atteindre son objectif de 17 000 points de contact. Ainsi en février 2025, elle n'en comptait que 16 829. Cette différence de 171 points de contact peut sembler anecdotique, mais je pense que ce n'est pas ainsi que la perçoivent les communes qui ont perdu le leur ou qui en attendent un…
De même, alors que le seuil de 17 000 points de contact n'est pas atteint, on ne peut que s'étonner d'entendre, dans nos départements respectifs, des maires nous faire part de menaces de fermeture du bureau de poste de leur commune. De telles décisions risquent d'éloigner encore un peu plus La Poste des objectifs qui lui ont été assignés et qu'elle s'est engagée à respecter.
Par ailleurs, La Poste argue souvent de la chute de la fréquentation des bureaux pour justifier leur fermeture, le plus souvent en milieu rural. Il me paraît aujourd'hui nécessaire de pondérer ce critère en fonction de la densité de population, afin que La Poste prenne mieux en compte la réalité des communes de moins de 2 000 habitants.
Je m'interroge aussi sur la lente érosion en 2024 du nombre de points relais de La Poste, alors que ce dispositif est souvent montré comme une solution permettant le maintien d'un service postal. J'espère qu'il ne s'agit là que d'un phénomène conjoncturel.
De même, si les maisons France Services peuvent constituer une solution de remplacement positive, en proposant des services postaux dans certains endroits, il paraît difficile d'en créer une partout où le besoin existe.
Il serait donc utile d'éclairer la représentation nationale sur le futur contrat de présence postale territoriale : qu'attend l'État de La Poste en matière d'aménagement du territoire pour les trois prochaines années ? Êtes-vous, madame la ministre, en mesure de nous rassurer sur le maintien de ces 17 000 points de contact ? Ou leur diminution est-elle déjà actée, sous prétexte – justification facile – des difficultés budgétaires du pays ?
En réalité, l'État a aussi sa responsabilité dans cette situation, puisqu'il a sous-compensé historiquement le coût des missions de service public qu'il a confiées à La Poste ; du reste, l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), la CSNP et l'ONPP l'ont établi à plusieurs reprises.
Dans ces conditions, je comprends que La Poste cherche à tout prix à diversifier ses activités, en proposant de plus en plus des services tournés vers l'inclusion numérique et sociale. Mais à trop se diversifier, un autre risque apparaît, celui de l'éparpillement. Si je suis curieuse d'entendre sur ces sujets le candidat – ou la candidate – qui sera proposé par le Président de la République pour succéder au président-directeur général Wahl, le Gouvernement détient néanmoins une partie des réponses et j'espère que vous serez en mesure de nous les donner, madame la ministre.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Madame la sénatrice, je veux vous rassurer sur trois points.
D'abord, il n'y a pas de fermeture massive de bureaux postaux. S'il y en avait, il n'y aurait pas 16 850 bureaux de poste et nous ne pourrions pas atteindre l'objectif légal des 17 000 points de présence. Il faut être lucide à cet égard : il peut y avoir des fermetures, mais elles sont toutes compensées par des ouvertures. Sans cela, l'objectif fixé par la loi ne pourrait être atteint. Cela ne signifie pas qu'il n'y ait pas de réorganisation, je ne vais pas prétendre que rien ne change, que rien ne bouge.
Ensuite, il y a aujourd'hui 3 000 maisons France Services dans le pays. J'ai eu la grande fierté de soutenir, avec Jacqueline Gourault, la politique qui a conduit à la création de ces établissements, quand nous étions toutes les deux ministres du même gouvernement, après notamment l'épisode des " gilets jaunes ". Ce réseau fonctionne très bien. Il est vrai que, dans 2 000 communes de France, il y a à la fois un espace – maison ou bus – France Services et des services postaux séparés. Je ne suis pas en train d'annoncer que, dans ce cas, il n'y aura plus que l'un ou l'autre, mais cela peut être un élément de réflexion intéressant, en faveur de la mutualisation, là où les élus veulent le faire évoluer.
Enfin, sur le contrat de présence postale territoriale 2023-2027 contenant une clause de revoyure en 2025, il se trouve que le changement de gouvernance à la tête de La Poste ainsi qu'un un certain nombre d'éléments dont je n'ai pas le détail ont amené l'AMF – l'un des signataires de ce contrat tripartite – à demander le report d'un an de l'application de cette clause de revoyure, qui est donc décalée à 2026. Le contrat sera donc révisé un peu plus tard, une fois la nouvelle direction installée.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Lahellec.
M. Gérard Lahellec. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à me montrer digne, à l'occasion de ce débat, de l'héritage culturel et politique que nous a légué Alexandre Glais-Bizoin, élu député des Côtes-du-Nord en 1831.
Ce député, issu d'une famille de négociants en toiles, siégeait sur les bancs situés à gauche de l'hémicycle. Très actif sous la monarchie de Juillet puis sous le Second Empire, il s'est notamment illustré dans la constitution du système postal. Il est ainsi connu pour avoir proposé l'adoption d'un tarif unique d'envoi d'une lettre, indépendamment de la distance. Il s'engagea entre 1839 et 1847 pour l'adoption du tarif postal unique, finalement adopté en 1848. C'est ce que l'on appelle aujourd'hui le principe de l'égalité d'accès au service public, devenu un principe constitutionnel.
Ce bref rappel historique, que chacun connaît ici, peut paraître décalé. Pourtant, cette grande ambition publique, destinée à favoriser la communication et les échanges entre les hommes, a permis à la fois l'acheminement de la lettre à J+1 et, plus tard, la réalisation des systèmes de communication par satellite.
J'ai pour ma part en mémoire la première liaison intercontinentale établie entre les États-Unis et Pleumeur-Bodou, inaugurée par le général de Gaulle le 19 octobre 1962. Il s'ensuivit l'implantation, à Lannion, du Centre national d'études des télécommunications (Cnet), qui, entre autres activités, mit au point un autocommutateur grand public et le premier central numérique grand public de type E10 – prototype Platon –, inauguré à Guingamp en 1972. Cette grande ambition publique partagée, à l'ère du gaullisme, nous a permis non seulement de rattraper notre retard, mais encore de nous hisser au premier rang mondial des technologies et modes de communication.
Depuis lors, de l'eau a coulé sous les ponts. Il est loin le temps – c'était en 1963 – où notre maman écrivait régulièrement à sa cousine habitant à Rouen et savait que, si elle la postait à l'agence de Plufur avant seize heures, sa lettre serait assurément distribuée dès le lendemain à Rouen. (Sourires.) Désormais, les choses vont beaucoup plus vite, mais l'acheminement du courrier, lui, prend de plus en plus de temps… (Nouveaux sourires.)
Cela dit, le contexte de ce débat, c'est aussi l'annonce de la fermeture, chez nous comme ailleurs, d'un certain nombre de bureaux de poste et de restructurations, sur le fondement de décisions prises sans tenir compte de l'avis des collectivités.
Tout cela me conduit à vous interroger sur trois points, madame la ministre. D'abord, quel sera l'avenir des 17 000 bureaux de poste ? Ensuite, quel statut envisagez-vous de donner aux salariés de La Poste et où en sommes-nous à ce sujet ? Enfin, quelle ambition de développement nourrissez-vous pour les métiers de la communication ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous avez parlé d'histoire et de ce qui nous lie, vous avez expliqué comment l'écrit créait des liens.
Moi aussi, je vais vous raconter une histoire, celle de ma fille de 14 ans qui écrit régulièrement à son arrière-grand-mère, qui en a presque 110. Ses lettres mettent certes trois jours à arriver, mais ce lien-là a une grande valeur sentimentale.
Sans doute, à côté de ces courriers ayant une valeur sentimentale, il y a aussi les nombreuses lettres que nous continuons d'envoyer – vingt par personne et par an en moyenne –, qui ont une valeur administrative, formelle ; donc, il ne s'agit pas de minimiser la valeur de ce qui est écrit et inséré dans nos boîtes aux lettres. Simplement, je trouvais utile de souligner moi aussi l'aspect humain du sujet : derrière l'entreprise, la logistique et la rentabilité se trouvent aussi des valeurs humaines.
L'État, La Poste, croient-ils aux métiers de la communication numérique ? La réponse est oui, mille fois oui !
J'ai reçu, voilà à peine quelques jours, l'équipe dirigeante de Docaposte. Cette filiale conduit des missions essentielles pour l'État : fournir des services de cloud sécurisé, faciliter la lutte contre la fraude, faciliter la sécurisation des documents, fournir une identité numérique de qualité, etc. Je ne vais pas vous faire la liste des projets dont nous avons traité, mais je souhaite souligner l'importance du champ du numérique en santé – je ne doute pas que les questions d'actualité au Gouvernement de demain seront l'occasion d'y revenir –, dont nombre d'acteurs français, publics et privés, perçoivent le potentiel d'efficacité, de performance, pour améliorer le système de santé sans dégrader l'accès aux soins et la qualité des soins pour les Français.
Je vous remercie donc de votre rappel historique, monsieur le sénateur. Je vous ai fait part d'un peu d'humanité familiale ce soir et vous pouvez compter sur moi, en tant que ministre, pour accompagner le progrès sans jamais oublier l'humain.
Mme la présidente. La parole est à Mme Antoinette Guhl. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Antoinette Guhl. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le service universel assuré par La Poste constitue un pilier essentiel de notre service public, mais – cela a été dit – l'aménagement du territoire, l'accessibilité bancaire ou encore le transport et la distribution de la presse sont des missions tout aussi importantes, et même fondamentales, dans le maintien du lien social et la garantie de l'égalité territoriale.
Cela dit, nous le savons, ces missions sont aujourd'hui fragilisées. Depuis la privatisation de 2010, la qualité du service s'est dégradée, les horaires se sont restreints, des bureaux ont fermé, des emplois ont disparu, le métier de facteur s'est précarisé, avec une sous-traitance de plus en plus courante, qui affaiblit les droits et la protection des travailleurs. Je vous interrogerai sur ce point dans quelques minutes, madame la ministre.
Les mesures d'austérité budgétaire, telles que la fin de l'offre " Livres et Brochures ", menacent aussi, par ricochet, la librairie indépendante, l'édition et le rayonnement de la culture française. Nos concitoyens à l'étranger s'en plaignent également.
Vous parliez de fermeture de bureaux. En tant qu'élue du 20e arrondissement de Paris, je me suis engagée contre les fermetures de bureaux de poste sur le territoire. Vous évoquiez le chiffre de 17 700, madame la ministre ;…
Mme Amélie de Montchalin, ministre. 17 000 tout court !
Mme Antoinette Guhl. … il s'agit de points de contact. En ce qui concerne les bureaux de poste de plein exercice, voici les chiffres : 9 300 en 2015, contre moins de 7 000 aujourd'hui.
Je sais à quel point ces espaces sont vitaux pour les habitants, et notamment pour les plus âgés et les plus isolés. Je tiens à affirmer ici notre attachement au maintien de l'accueil physique et du contact humain, qui ne sauraient disparaître sous prétexte de rentabilité.
Madame la ministre, j'ai donc plusieurs questions à vous poser.
Face à l'ubérisation constatée du métier de facteur, pouvez-vous nous confirmer qu'il n'existe plus à La Poste de contrats GEL (groupement d'employeurs logistique) pour les emplois de facteur, ainsi que nous l'avions demandé il y a quelque temps ici même ?
Par ailleurs, Shein et Temu – vous y avez fait allusion tout à l'heure – représentent 22% de l'activité colis de La Poste. La fin des exonérations douanières sur les petits colis risque de fortement réduire cette activité. Cette évolution a-t-elle été anticipée ? Quelles mesures sont-elles prévues pour en limiter les conséquences ?
Nous assistons sur tous les territoires, disais-je, à des fermetures de bureaux de poste qui traumatisent les habitantes et les habitants. Serait-il possible – c'est l'élue locale qui vous parle – que La Poste, qui détient un capital immobilier sans égal, informe les élus locaux en cas de vente ou de fermeture de locaux, et qu'une concertation ait lieu avec eux sur l'avenir du lieu ?
Le service universel postal étant attribué à La Poste jusqu'à la fin de 2025, je souhaiterais savoir également ce qui adviendra après cette date, mais vous avez déjà largement répondu à cette question. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Premier point, l'offre « Livres et Brochures », destinée aux particuliers, était formidable : elle permettait d'envoyer des livres à l'autre bout du monde et de bénéficier pour ce faire d'une tarification spéciale en deçà d'une franchise qui fut d'abord fixée à 5 kilogrammes, avant d'être réduite à 2 kilogrammes.
Ce qui était beaucoup moins formidable, c'est que 90% des pays dans le monde ont progressivement arrêté de prendre en charge, comme ils le faisaient auparavant, les livres et brochures qui arrivaient chez eux par ce biais. Nous pouvions donc nous faire plaisir en envoyant des livres à l'étranger, mais, une fois arrivés sur place, soit ces colis n'étaient pas très bien traités, soit ils l'étaient dans des délais très longs, soit l'opérateur postal qui réceptionnait ces enveloppes lourdes considérait qu'il n'était pas payé au bon tarif pour les distribuer.
Autrement dit, ça ne marchait pas bien. La Poste a donc souhaité privilégier les envois groupés, qui coûtent moins cher et sont de surcroît beaucoup plus fiables.
Je redis qu'il n'y a là aucun enjeu pour les librairies : nous parlons là d'envois non marchands par des particuliers.
Deuxième point : les contrats dits GEL relèvent d'une décision managériale interne à La Poste ; je ne dispose donc pas d'éléments à ce sujet. Vous pourrez lui poser la question quand vous recevrez le prochain président ou la prochaine présidente du groupe.
En revanche, sur Shein et sur Temu, nous avons une divergence de vues assez forte. J'essaie bien sûr de tout anticiper. Mais mon objectif n'est pas que l'on maximise le nombre de livraisons pour que La Poste ait des colis à transporter. Mon objectif est que l'on arrête de faire entrer chaque année dans notre pays 800 millions d'articles expédiés par ces plateformes, dont 80% sont non conformes :…
Mme Antoinette Guhl. Nous sommes d'accord !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. … non conformes du point de vue de la sécurité des Français, parce qu'il s'agit par exemple de jouets dangereux pour les enfants ou de produits cosmétiques allergènes ; non conformes aussi parce qu'il s'agit bien souvent d'articles de contrefaçon ; non conformes, enfin, car la sous-déclaration est massive.
Constatant que Shein et Temu représentent 22% de l'activité de La Poste, je suis très loin d'y voir une nouvelle formidable. Bien au contraire, si nous ne faisons rien, nous allons fragiliser nos commerçants et nos industries. C'est pourquoi la France a pris le leadership, comme on dit en bon français, d'une coalition européenne dont l'objectif est de financer, dès l'année prochaine, les contrôles que manifestement ces plateformes n'opèrent pas elles-mêmes, ce qui suppose de mobiliser des douaniers et des agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour effectuer le travail de contrôle et faire en sorte que la tendance actuelle s'interrompe. Je le rappelle, le nombre d'articles expédiés dans notre pays par ces plateformes a doublé en 2024 – 800 millions – par rapport à 2023 – 400 millions.
Que l'on me comprenne bien : je suis ravie que ces livraisons de colis occupent La Poste et Geopost, mais je serais plus ravie encore si les Chinois et un certain nombre d'acteurs asiatiques ne pratiquaient plus de dumping sur la filière.
J'y insiste, mon objectif est non pas de maximiser le nombre de colis livrés par La Poste, mais de protéger nos industries, de protéger les Français et de nous donner les moyens de contrôler. (M. Bernard Buis applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Antoinette Guhl, pour la réplique.
Mme Antoinette Guhl. Sur ce dernier point, madame la ministre, tel n'était pas du tout le sens de mon propos : nous nous passerions bien, en effet, de tant de colis émanant de ces deux grandes marques chinoises. Toujours est-il que la décision que j'évoquais va fragiliser un peu plus La Poste. Comme il s'agit du sujet du soir, telle était bien la question que je voulais vous poser.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Michau. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Jacques Michau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier la Haute Assemblée pour l'organisation de ce débat ô combien nécessaire sur l'avenir du groupe La Poste, à quelques mois d'échéances structurelles pour ce service public fondamental.
Nous sommes à quelques jours du départ annoncé de Philippe Wahl, président-directeur général de La Poste, dont je veux saluer le très bon travail, sans que la question de sa succession soit encore clarifiée. Si aucun nom n'est proposé rapidement, nous le savons, il faudra recourir à un intérim ; ce flou à la tête du groupe ne rassure pas, d'autant qu'il coïncide avec une période charnière pour l'avenir des missions de service public confiées à La Poste. Pouvez-vous nous dire, madame la ministre, quand le remplaçant – ou la remplaçante – du président sera nommé ?
Le contrat de présence postale territoriale, pilier de l'aménagement du territoire, arrive à échéance le 31 décembre 2025. Une prolongation d'un an serait évoquée pour laisser au futur dirigeant le temps de renégocier ; mais pouvons-nous nous contenter d'un simple sursis ?
Je suis élu d'un département rural, l'Ariège, où le bureau de poste ou l'agence communale n'est pas seulement un lieu de service : c'est souvent le dernier repère républicain, le dernier visage humain du service public dans nos villages. C'est parfois ce lieu qui permet aux habitants âgés ou isolés d'être accompagnés dans leurs démarches, de recevoir leurs médicaments ou simplement d'échanger un mot avec le facteur.
Les salariés de La Poste font d'énormes efforts pour s'adapter au nouveau contexte dans lequel le groupe évolue. Leurs tournées changent ainsi constamment, comme leurs missions, avec à la clé un alourdissement significatif de leur charge de travail. Toutes ces évolutions dans les conditions de travail ont parfois pour conséquences une augmentation de la souffrance au travail et une augmentation des arrêts de travail.
Madame la ministre, le statut des salariés va-t-il évoluer ? Si la Cour des comptes, dans sa note publiée en février dernier sur la trajectoire financière de La Poste, identifie avec justesse les tensions économiques auxquelles le groupe est exposé, elle adopte une lecture comptable et suggère de revoir la fréquence de distribution, de recentrer les activités dites non rentables, donc d'interroger l'avenir même du service universel postal, dont La Poste est opérateur jusqu'à la fin de 2025.
Le Gouvernement, dans sa réponse à la Cour, parle de " réforme structurante ", de " rationalisation ", d'" adéquation entre coût et usage ". Ces mots, nous les entendons souvent dans la bouche de ceux qui veulent justifier un retrait progressif de l'État dans nos territoires ; j'espère que telle n'est pas votre intention en l'espèce.
Je le dis avec gravité et conviction, il ne saurait y avoir de République à deux vitesses, une République des métropoles bien pourvues et une République des campagnes reléguées.
À l'heure où l'inflation ralentit et où les résultats financiers de La Poste repartent à la hausse, comment accepter que ce redressement serve à préparer le retrait du service postal en zone rurale ? Tel n'est peut-être pas l'objectif, mais la réponse du Gouvernement au référé de la Cour peut être lue ainsi.
Les agences postales communales, qui représentent une solution équilibrée de proximité, risquent de ne survivre que dans les communes les plus riches. Il y aurait là une rupture d'égalité que nous ne saurions accepter.
Madame la ministre, quel sera le processus de redéfinition du service universel postal pour 2026 ? Le Parlement y sera-t-il pleinement associé ? Pouvez-vous nous garantir que les agences rurales seront pérennisées et accompagnées ?
Le Sénat, représentant des territoires, doit être pleinement acteur de cette réflexion stratégique. La Poste – cela a été dit par tous mes prédécesseurs – n'est pas une entreprise comme les autres : elle est un acteur de la cohésion nationale. Si, demain, elle perd son ancrage territorial, non seulement les lettres ne seront plus distribuées, mais des morceaux entiers de la République ne parviendront plus jusqu'à nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Antoinette Guhl applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le sénateur, je veux vous rassurer. Beaucoup de choses que vous dites donnent l'impression qu'il y aurait un plan de réduction de la présence postale. Je vais répondre par la même occasion au sénateur Chaize, qui nous dit en substance que le Sénat aimerait redonner un cap au groupe La Poste par un débat parlementaire et par une loi. Je ne dis pas qu'un tel débat ne va pas avoir lieu. Mais ce que je sais, c'est qu'aujourd'hui la loi c'est la loi ; or la loi dit : 17 000 points de contact.
Vos craintes pourraient être fondées si cette loi n'existait pas. Mais la loi, précisément, personne n'est en train de la changer !
Le contrat de présence postale vise à organiser cette présence sur le territoire des 17 000 points et à définir leur nature, leurs missions, les nouveaux services qui y sont déployés. Je veux donc vraiment vous rassurer : La Poste n'est en effet pas une entreprise comme les autres. Très peu d'entreprises voient la magnitude et la typologie de leur réseau inscrites dans la loi française ; c'est même la seule entreprise qui y est ainsi définie. (M. Guillaume Gontard s'exclame.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne définissons pas avec vous le nombre de points de présence sur le territoire des services des impôts ou des caisses d'allocations familiales : seule La Poste répond à un tel objectif.
Encore une fois, je veux vraiment vous rassurer : il n'y a pas de plan caché. Et ce n'est pas parce qu'un nouveau président-directeur général sera nommé avant le 25 juin qu'un tel plan existe ! En tout état de cause, vous aurez la chance d'auditionner le candidat proposé pour occuper ces fonctions avant le 25 juin, puisqu'il faut qu'à cette date le nouveau président-directeur général soit en place.
Il n'y a pas, disais-je, d'agenda caché : cela fait longtemps que les nouveaux embauchés sont des salariés de droit privé et il n'y a pas de transition à effectuer ni de réforme à faire. Je veux donc vraiment, par ces quelques mots, rassurer – je le répète. Monsieur le sénateur, vous faites état d'inquiétudes qui pourraient être légitimes, mais qui ne correspondent à rien de ce qui est aujourd'hui sur la table, puisqu'il n'y a tout simplement pas de table pour négocier quoi que ce soit de cette nature.
Oui, les agences communales sont maintenues. Oui, évidemment, nous allons continuer de les faire bien fonctionner là où les maires en accompagnent l'activité. Reste qu'il y a certainement des évolutions intelligentes à mettre en œuvre. Un exemple : dans les 2 000 communes où coexistent un bureau de poste et une maison France Services, ces structures ont des choses à faire ensemble. Mais l'objectif des 17 000 points de contact ne changera pas : si l'on modifie la présence postale quelque part, cela signifie qu'il devient possible d'ouvrir ailleurs un autre point de contact.
Dernier point : votre collègue vient de dire qu'il n'était pas facile de compter sur un bureau de poste ouvert dans le 20e arrondissement de Paris. Il n'y a donc pas de France à deux vitesses : il n'y a pas la France des villes et celle des campagnes. Il y a la France tout court et la loi pour tout le monde !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Michau, pour la réplique.
M. Jean-Jacques Michau. Madame la ministre, je vous remercie de ces mots, qui sont susceptibles de me rassurer pour partie.
Je précise néanmoins, à titre d'exemple, que les conventions passées entre La Poste et les communes pour la création des agences postales communales étaient auparavant d'une durée de neuf ans, contre trois ans désormais. Les élus se demandent donc comment les renouvellements vont se dérouler une fois les conventions échues.
Voilà un exemple des craintes des territoires.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 9 novembre 1989 est une date doublement historique. Ce fut le jour, bien sûr, de la chute du mur de Berlin, mais ce fut aussi et surtout, pour votre serviteur, une journée qui débuta à cinq heures du matin par le tri du courrier et qui finit à dix-huit heures par la fin de ma tournée.
Le 9 novembre 1989, j'avais 20 ans et c'était mon premier jour en tant que facteur dans l'administration des PTT, pour ce qui n'avait donc rien à voir avec un petit travail tranquille.
J'avais terminé la distribution tellement tard que, par-dessus le marché, un usager parisien m'avait demandé avec mépris et condescendance s'il ne s'agissait pas du courrier du lendemain ! Comment, dès lors, ne pas supporter l'Inter Milan samedi prochain ?…
Épuisé, piqué dans mon orgueil de Marseillais, fallait-il que je m'accroche au guidon de mon vélo pour ne pas craquer ; mais j'ai tenu bon, porté par l'exemple des anciens dont je constatais l'investissement personnel, qui se concrétisait au quotidien, au-delà de leur activité purement professionnelle, par des services rendus au public, aux gens – on ne les appelait pas encore des " clients ".
À l'époque, les facteurs prenaient des nouvelles des personnes âgées ou isolées, remplissaient leur paperasse, acceptaient de prendre quelque argent pour l'achat de timbres, ne déposaient pas d'avis de passage en cas d'absence, mais présentaient de nouveau les recommandés au domicile le lendemain pour leur éviter de se déplacer au bureau de poste.
L'oiseau bleu évoquait non pas un réseau social numérique américain, mais un service postal enraciné dans nos villes et villages et dont la promesse, reposant sur le lien et sur le service, était la transmission, la rapidité et l'efficacité.
C'est ce qui avait convaincu Michel Audiard d'affirmer, par la bouche de Jean Gabin dans le film Le Cave se rebiffe, en 1961, que l'administration des PTT nous était enviée dans le monde entier, car ses agents étaient les seuls qui ne perdaient jamais rien, quand le service public rimait encore avec rigueur et proximité.
Depuis, cette administration a été démantelée sous la houlette du ministre socialiste – socialiste ! – Paul Quilès. En défaisant son statut, la gauche a déboulonné une statue. Si le timbre est passé du rouge au vert, la confiance et la fiabilité, elles, ont fait le chemin inverse.
La disparition progressive des services postaux, la fermeture des bureaux ou la réduction des horaires, la distribution aléatoire participent du grand recul des services publics dans nos communes.
Aussi suis-je régulièrement aux côtés des maires et des Provençaux qui ne se résignent pas à ce déclassement et à cette inégalité d'accès.
La Poste s'est transformée en multinationale, elle délocalise, elle fait désormais son chiffre d'affaires grâce à l'assurance et à la banque, La Banque postale se réservant même le droit de virer sans raison et sans appel ses clients parlementaires ! À la recherche de parts de marché, cette société au capital 100 % public se désengage de pans entiers de nos territoires.
C'est pourquoi, madame la ministre, je vous pose la question suivante : alors que la multinationale américaine Amazon a investi en France 1,2 milliard d'euros l'année dernière et vient d'annoncer 300 millions d'euros d'investissement cette année, avec 1 500 emplois à la clé, pour mailler le territoire et développer son réseau, comment la France prévoit-elle de faire face souverainement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. J'ai du mal, monsieur le sénateur, à vous suivre complètement. Je ne sais pas bien ce que La Poste délocalise : elle ne délocalise pas les 17 000 points de contact, ni les 60 000 facteurs, ni non plus le chiffre d'affaires de son activité de transport de colis. Je ne sais donc pas très bien de quoi vous parlez.
En revanche, je tiens à remercier les agents actuels du service postal, car on a l'impression, à vous entendre, que les facteurs d'antan étaient tous formidables et que ceux d'aujourd'hui le seraient beaucoup moins.
Pour ma part, je ne connais pas beaucoup de facteurs qui seraient vus par nos concitoyens comme ne faisant pas leur travail sérieusement ou qui distribueraient " aléatoirement " – je vous cite – le courrier. Qu'il y ait des difficultés, je ne le nie pas – j'ai été députée d'une circonscription où est implantée, à Wissous, la plus grande plateforme de tri de La Poste. Il y a évidemment des difficultés, celles que rencontrent tous les services qui gèrent de telles masses.
Reste qu'il serait aujourd'hui malvenu de critiquer le travail des agents. Que La Poste ait vécu des moments où il lui a fallu innover, investir, changer ses modèles, c'est certain. Mais nous ne pouvons pas dire ce soir, devant le Sénat de la République, que La Poste est une entreprise qui serait en train de délocaliser et de perdre ses racines et son âme. De tels propos ne correspondent ni à ce que l'on vit et voit sur le terrain ni à l'expression collective qui ressort de notre débat.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Brault.
M. Jean-Luc Brault. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, pour certains, probablement les plus anciens d'entre nous – moi le premier –, ce sont les premières lettres d'amour ; pour d'autres, c'est un livret A ou une ligne de téléphone ; pour les plus jeunes, ce sera peut-être, demain, le code de la route. Je pourrais continuer longtemps : pour certaines communes, c'est le dernier distributeur de billets, le seul prestataire qui veut bien venir distribuer le journal, ou la seule personne qui passe s'assurer que l'un de nos proches va bien.
Bref, La Poste fait partie de la vie de chacun des Français, au gré des évolutions de notre époque et des évolutions du service. Je crois pouvoir dire ici que nous y sommes tous attachés, tant La Poste fait partie du patrimoine de notre pays. Grâce à nos postiers, un peu d'humanité circule dans nos campagnes et dans nos villes. C'est bien pourquoi il est bon de débattre aujourd'hui de ce que La Poste devrait être demain.
La transition est ainsi toute trouvée avec le débat précédent, qui fut l'occasion de nous interroger sur la manière dont nos politiques publiques peuvent contribuer à relever les défis auxquels sont confrontées les zones rurales de notre pays. Pour nos campagnes, en effet, ce débat sur l'avenir de La Poste peut apporter sa part de réponses, mais pas seulement, bien entendu.
Depuis qu'elle est née, il y a cinq siècles, La Poste s'est adaptée à chaque époque pour acheminer des courriers toujours plus nombreux. Aucun autre service public – aucun autre service public ! – ne s'est autant adapté pour les besoins de la population.
Récemment, La Poste a dû évoluer dans sa chair, avec la réforme des PTT, en 1990, puis la libéralisation des services postaux, le changement de statut étant acté en 2010. Et, depuis une quinzaine d'années, le défi s'est inversé. Nous envoyons de moins en moins de plis postaux : 18 milliards en 2008, 6 milliards en 2023, 5 milliards en 2024. Nul besoin d'avoir un prix Nobel d'économie pour comprendre que, financièrement, si rien ne bouge, ça va coincer… Dans le privé, la situation qui résulte d'une telle tendance pourrait s'appeler un dépôt de bilan.
La Poste s'est donc livrée, dans cette période, à une recherche effrénée de croissance externe, afin de justifier son existence dans son format actuel. Je veux le dire clairement – c'est un préalable impératif, me semble-t-il, à tout débat sur l'avenir de La Poste : l'État doit lui garantir une compensation intégrale pour qu'elle puisse continuer d'exercer son cœur de métier, à savoir un service universel postal, dans tous nos territoires, qu'ils soient ruraux ou urbains. On ne peut pas lui reprocher de s'éparpiller et, dans le même temps, constater qu'on ne lui donne pas les moyens de remplir sa mission originelle et principale.
Aujourd'hui, La Poste, c'est la distribution du courrier et de la presse, le portage de repas à domicile dans nos campagnes, mais aussi trois banques, des assurances, de la prévoyance, de la finance, de la téléphonie mobile, la possibilité de passer des examens, et probablement encore d'autres choses.
Mes chers collègues, modernité ne rime pas toujours avec diversité, n'en déplaise à certains. Il est parfois bon de se recentrer sur l'essentiel. Pour ma part, je suis fermement convaincu que l'avenir de La Poste n'est pas dans la multiplicité des activités en tout genre. Partie intégrante du patrimoine qu'est le service public, elle doit au contraire revenir à sa mission première, qui est de faire le lien entre les gens.
Nos postiers, dans nos campagnes, dans nos villes, sont des femmes et des hommes extrêmement appréciés et choyés. Dans nos campagnes comme dans nos villes, ce que La Poste fait de mieux, c'est cogner aux portes des gens où qu'ils habitent, car elle a la confiance de tous pour apporter le service public à ceux qui ne peuvent pas y accéder : elle est en définitive une autre forme de mobilité. C'est ce qui fait son ADN, être un acteur du contact humain en rendant des services de proximité.
Madame la ministre, proximité et ruralité ne doivent-elles pas être au cœur de la stratégie de La Poste de demain ? Comment recentrer les missions de La Poste pour développer son rôle de facteur de lien dans nos villes et dans nos campagnes ? Quels moyens humains et financiers pour valoriser cette belle entreprise ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le sénateur, il me semble que nous disons vraiment la même chose et qu'en même temps nous ne disons pas tout à fait la même chose.
Nous disons vraiment la même chose : les missions de service public qu'assure La Poste sont essentielles.
Mais nous ne disons pas la même chose : c'est bien au contraire, me semble-t-il, parce que La Poste s'est diversifiée, parce qu'elle a trouvé de nouvelles sources de croissance, de chiffre d'affaires, de rentabilité, qu'elle pourra dans le temps continuer d'assurer ses missions.
À recentrer La Poste sur les seules quatre missions de service public, on en ferait, au fond – je vous le donne en mille –, un bout de ministère, une extension des services préfectoraux, parce qu'il n'y a pas de modèle économique viable pour l'exercice exclusif de ces quatre missions. Si l'on veut conserver pour les exercer une entreprise à capitaux publics, qui est un des actifs de notre pays, la stratégie doit bien être pour La Poste de poursuivre sa diversification, et de rendre cette diversification vraiment rentable, l'État continuant par ailleurs d'accompagner les missions qui ne sont pas rentables, mais qui sont essentielles, et de le faire dans un cadre démocratique.
Mais si l'on recentre La Poste uniquement sur ces quatre activités fondamentales – le service universel postal, l'accès au compte bancaire, la distribution de la presse et l'aménagement du territoire –, La Poste deviendra une extension du service préfectoral : ce ne sera plus une entreprise. Or je ne crois pas que c'est ce que nous cherchions.
La situation est compliquée : la distribution de courrier était une source énorme de revenus pour La Poste, via les timbres, et c'est moins le cas désormais. Faute de diversifier, il n'y aura donc pas d'avenir. Cela suppose évidemment de diversifier de la bonne façon, de manière raisonnée, vers des secteurs qui ont eux-mêmes un avenir, sur des marchés porteurs.
Je résume : à la fois nous sommes d'accord et nous ne sommes pas complètement d'accord. C'est bien pourquoi, du reste, nous avons des débats, car, à ce sujet, l'œuvre collective de la démocratie reste en partie à accomplir.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Jeanne Bellamy. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)
Mme Marie-Jeanne Bellamy. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, intervenant dans un domaine extrêmement concurrentiel, le groupe La Poste doit aujourd'hui faire face à des défis majeurs. La Poste est confrontée à une baisse continue des volumes de courrier, accélérée par la pandémie et par le changement lié aux usages numériques. En 2023, l'activité courrier ne représentait plus que 15% de son chiffre d'affaires, contre 50% en 2010. En dix ans, ses revenus ont chuté de 6,5 milliards d'euros.
Le groupe s'est adapté en engageant une diversification de ses activités : logistique, portage de repas, téléphonie, bancassurance, services de proximité. En dépit de ces efforts, le rapport publié par la Cour des comptes en février dernier confirme la dégradation de sa situation financière, liée à la baisse des métiers historiques et à la rentabilité insuffisante des activités de diversification.
La Poste est chargée de quatre missions de service public : le service universel postal, qui garantit à tous les usagers, de manière permanente et sur l'ensemble du territoire national, des services postaux de qualité à des prix abordables ; la contribution à l'aménagement et au développement du territoire, avec le maintien de 17 000 points de contact ; le transport et la distribution de la presse ; l'accessibilité bancaire. Ces missions sont plus nombreuses et plus exigeantes que celles qui sont dévolues aux autres opérateurs postaux européens. Ce choix du législateur, l'État doit l'assumer.
Les engagements réciproques de l'État et du groupe ont été contractualisés pour la période 2023-2027. Un contrat de présence postale territoriale pour la période 2023-2025 a également été signé par l'État, La Poste et l'AMF.
Pourtant, le coût des missions de service public assumées par le groupe n'est pas intégralement compensé par l'État. Leur solde est déficitaire et connaît une forte détérioration depuis 2017. Selon la Cour des comptes, en 2023, il manquait environ 479 millions d'euros pour compenser le coût de la mission de service universel postal. Quant au coût du contrat de présence postale, évalué par l'Arcep à 322 millions d'euros, l'État n'en compense qu'un peu plus de la moitié, 174 millions d'euros par an.
Depuis 2020 et la réforme de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), une partie du fonds postal de péréquation territoriale est alimentée par des abattements appliqués à la fiscalité locale et par une dotation de l'État. À la fin du mois de septembre dernier, La Poste était informée de l'intention du Gouvernement d'annuler près de la moitié des crédits votés en loi de finances pour 2024 : 50 millions d'euros sur 105 millions – des crédits, rappelons-le, déjà distribués et utilisés… Non seulement, donc, les crédits votés ne compensent pas tout, mais ils peuvent être annulés. Il ne s'agit pourtant pas là d'une subvention à une entreprise, mais d'un fonds de péréquation dont l'intégralité est réinvestie dans les territoires via les commissions départementales de présence postale territoriale (CDPPT).
À l'insuffisance des crédits alloués s'ajoute donc un problème de méthode qui plonge le groupe dans une insécurité juridique et financière intenable. Comment bâtir un budget, sans même parler de révolutionner un modèle économique, dans une telle incertitude financière ? La Poste n'est pas une entreprise comme les autres, c'est un acteur essentiel du lien social et de l'aménagement du territoire.
Nous sommes dans une année charnière, avec la désignation, à la fin du mois de juin, d'un nouveau président ou d'une nouvelle présidente, puis la désignation de l'entreprise qui sera chargée du service universel postal à compter du 1er janvier 2026.
Madame la ministre, il est temps de faire des choix et d'imposer un cap. Quel sera-t-il ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Madame la sénatrice, j'entends ce que vous dites sur les annulations de crédits. Pour être parfaitement précise, l'annulation de crédits, c'est l'opération à laquelle on procède quand une dépense dérape en cours d'année. Or jamais en cours d'exécution on n'a annulé un quelconque engagement vis-à-vis de La Poste.
Ce à quoi vous faites référence, c'est au fait que le Gouvernement a déposé, depuis quelques années, des projets de loi de finances initiale dans lesquels le coût pour La Poste de sa mission de contribution à l'aménagement du territoire était sous-compensé, les crédits inscrits chaque année à ce titre s'élevant à 170 millions d'euros environ. Cela, c'est vrai.
Néanmoins, vos remarques sont importantes : il importe d'apporter de la prévisibilité à l'entreprise afin qu'elle poursuive ses plans de transformation et de déploiement, tout en assurant pleinement l'exécution de son contrat de présence postale.
L'arrivée d'une nouvelle direction constitue, à cet égard, une opportunité pour engager ce travail. Je rappelle cependant que de nombreuses décisions se prennent dans un cadre tripartite : ce dialogue ne se fait pas uniquement entre l'État et La Poste ; les maires et les collectivités territoriales y sont également pleinement associés.
Vous-même, mesdames, messieurs les sénateurs, en tant que représentants de ces collectivités, avez un rôle déterminant à jouer. Vous pouvez contribuer à l'élaboration d'un récit pluriannuel « réaliste », comme nous l'évoquions tout à l'heure.
Imaginer recentrer La Poste exclusivement sur ses missions de service public ne permettrait pas d'assurer la viabilité de l'entreprise. À l'inverse, il convient de l'accompagner dans ses efforts de diversification, sans rejeter trop rapidement ces démarches au prétexte qu'elles paraîtraient baroques, exotiques ou bizarres. C'est ce chemin qu'il nous faut tracer.
Je suis ministre chargée des comptes publics depuis cinq mois et, jamais, dans les arbitrages de gestion annuelle, il n'a été question de réaliser des économies en passant " un coup de rabot " sur La Poste. L'enjeu est trop important.
Le débat budgétaire doit naturellement continuer de se tenir dans la transparence du dialogue parlementaire. Il nous appartient, dans ce cadre, de bâtir ensemble une programmation davantage pluriannuelle, et je vous rejoins pleinement sur ce point.
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, La Poste est un acteur essentiel du service public français, et ce depuis des siècles. Elle assure un maillage territorial unique qui permet de maintenir un lien social et économique vital sur tous nos territoires.
C'est la seule entreprise française qui dispose d'un tel réseau, avec 62 000 facteurs qui sont en contact direct chaque jour avec plus d'un million de personnes. Ils sont parfois le seul contact pour des personnes âgées isolées dans nos territoires ruraux. Ils distribuent quotidiennement près de 20 millions de courriers et de colis dans plus de 44 millions de foyers.
Malgré les défis posés par l'essor du numérique et l'évolution des modes de consommation, La Poste a su – par obligation – se réinventer et moderniser son offre, tout en préservant ce service public sur l'ensemble du territoire national.
Jamais une entreprise n'a connu un tel effondrement de son activité principale. Aujourd'hui, la distribution du courrier ne représente plus que 15% du chiffre d'affaires du groupe, contre 52% en 2010.
Parmi ses initiatives de diversification, on peut relever la création de messageries électroniques sécurisées ou encore de signatures numériques, le renforcement de ses capacités de livraison de colis, avec l'essor du commerce en ligne, le développement de services bancaires et financiers – La Banque postale, notamment –, le déploiement de services aux entreprises via des solutions de marketing direct ou encore de gestion de documents, le maintien de bureaux de poste dans les zones rurales, le développement de services d'accompagnement aux personnes âgées – par exemple, dans mon département, les livraisons de repas –, l'usage de drones pour la livraison ou encore l'automatisation des centres de tri.
Le résultat de La Poste est en progression. Son chiffre d'affaires est passé de 22 milliards à 34 milliards d'euros entre 2013 et 2022, ce qui prouve que l'entreprise a su relever ce défi de la transformation.
Cependant, il faut le dire, ces diversifications ne doivent pas nous faire oublier les missions essentielles de service public qu'elle doit remplir au quotidien auprès des Français. Or force est de constater que le compte service public du groupe est largement déficitaire, malgré les compensations annuelles de l'État. Ces dernières demeurent bien insuffisantes au regard des besoins.
Lors de son audition devant la commission des affaires économiques du Sénat, le président Philippe Wahl précisait : " La sous-compensation de nos missions de services publics prend une acuité considérable. "
La Poste a dépensé 4 milliards d'euros de plus que ce que l'État lui a versé pour remplir les missions de contribution à l'aménagement du territoire qui lui sont attribuées. Elle a le devoir de maintenir 17 000 points de contact sur l'ensemble du territoire national, que ce soit au travers de ses bureaux de poste, des agences postales communales, mais aussi des points relais.
Madame la ministre, le caractère essentiel des services proposés par La Poste n'est plus à démontrer. Comment mieux compenser et accompagner ses missions de services publics ? Qu'en sera-t-il, notamment, après 2027 ?
Par ailleurs, pensez-vous que La Poste pourrait être davantage mobilisée contre la fracture numérique ? C'est un enjeu essentiel dans la lutte contre la fracture territoriale. Si nous n'investissons pas suffisamment dans La Poste, c'est la ruralité profonde qui en sera la première victime.
Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Fagnen.
M. Sébastien Fagnen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la tenue d'un débat sur l'avenir de La Poste témoigne de l'intérêt de la représentation nationale pour celle-ci et de l'attachement indéfectible de nos concitoyens au service universel postal.
La Poste fait partie du quotidien des Français. En dépit de la baisse de la fréquentation, 800 000 d'entre eux franchissent encore quotidiennement la porte d'un bureau de poste. Dans une société en proie au doute, voire à la fragmentation et à la division, notamment territoriale, un repère institutionnel, géographique et historique comme La Poste revêt un caractère précieux.
À ce titre, je souligne l'importance toute particulière de l'une des quatre missions de service public que l'État a confiées à La Poste par la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom, à savoir la contribution à l'aménagement et au développement du territoire, maintes fois évoquée par les précédents orateurs.
L'émoi légitime suscité à l'automne dernier par la menace d'une coupe budgétaire de 50 millions d'euros, soit un tiers des crédits alloués au maintien des 17 000 points de contact, illustre autant la fragilité du réseau postal que les menaces qui pèsent sur son financement.
Certes, face à la grogne massive, les crédits ont été rétablis. Mais au regard de la situation budgétaire critique de notre pays, et malgré les engagements pris, nous nourrissons de vives inquiétudes quant au prochain contrat de présence postale – le septième du nom.
Au-delà de son inscription dans le marbre législatif, cette mission d'aménagement du territoire est à la fois l'incarnation physique du maillage territorial de La Poste et son inscription dans le paysage de nos villes et de nos villages. Elle est aussi – et surtout – la garantie de l'ambition républicaine de l'universalité de l'accès aux services publics, singulièrement à son réseau postal, garant de la cohésion sociale.
Force est de constater que la sous-compensation massive de l'État risque, à terme, de mettre en péril cette mission. En seulement dix années, le taux de compensation a chuté de 85% à 49%, passant récemment sous la barre fatidique des 50%.
La sous-compensation structurelle ne met pas seulement en cause le réseau postal et sa nature – il convient, d'ailleurs, de rappeler qu'une agence postale communale ou intercommunale, aussi intéressante et vertueuse soit-elle, ne remplit pas l'entièreté, tant s'en faut, des missions d'un bureau de poste. Elle porte également préjudice à la gouvernance locale de la mission d'aménagement du territoire.
L'épée de Damoclès budgétaire pèse lourdement sur le modèle des commissions départementales de présence postale territoriale, chargées de l'utilisation des crédits du fonds postal de péréquation territoriale. Les plonger dans l'incertitude non seulement grèvera le bon fonctionnement des services à la population – je pense tout particulièrement aux communes rurales et aux quartiers prioritaires de la politique de la ville –, mais ébranlera aussi l'étroite et utile association des maires dans la gestion du réseau postal.
Or, entre 2017 et 2025, les enveloppes dédiées aux CDPTT ont été divisées par deux. Cette baisse ne vient pas exclusivement contrarier la voix des élus dans la transformation du réseau postal, mais elle nuit également à l'acceptation de cette transformation par nos concitoyens, faute d'engagement clair sur la pérennité des moyens.
J'en veux pour preuve le mécontentement exprimé samedi dernier à Bény-Bocage, commune déléguée de Souleuvre en Bocage, chez moi, dans le Calvados, face à la fermeture d'un bureau de poste.
Madame la ministre, face à la sous-compensation et à la baisse constante des crédits, comment garantir aux habitants et aux élus une qualité de service sur le long terme ? Je pense, notamment, à la pérennité des moyens dévolus aux agences postales communales. Comment les assurer du maintien d'un service en adéquation avec les besoins de la population, tout particulièrement des plus vulnérables de nos concitoyens, si l'érosion budgétaire se poursuit, voire s'amplifie ?
L'urgence est de tracer un avenir à La Poste en dehors de toute marchandisation débridée. Nous ne cessons jamais de rappeler que le service public est le patrimoine de ceux qui n'en ont pas. Et nous réaffirmons ce soir que La Poste appartient au patrimoine commun de la Nation.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le sénateur, il n'existe pas de mesure magique. En revanche, une piste nous permettrait de mieux concilier nos objectifs.
Le premier de ces objectifs consiste à garantir aux Français des services de proximité réellement adaptés à leurs besoins. Le second est d'assurer la viabilité budgétaire et financière de ces services ; sans cela, ils finissent tôt ou tard par disparaître.
Il nous semble que la bonne démarche consiste à valoriser au maximum le réseau existant. Il convient donc de mettre dans la « besace » du facteur des services permettant de rentabiliser la présence de chaque bureau de poste, de chaque agence, ainsi que la tournée du facteur, d'autant que la distribution de courrier diminue.
Dès lors que le facteur assure, dans le cadre de sa tournée, des missions telles que l'aide à la formation numérique, le portage de repas ou encore le soutien aux personnes âgées, son activité gagne en rentabilité et contribue à la viabilité du réseau de proximité. C'est bien cette orientation qui nous semble devoir être suivie.
C'est ainsi que l'on parviendra à préserver un maillage dense du territoire en matière d'accès aux services postaux.
Je le rappelle : la loi impose à La Poste de garantir l'existence de 17 000 points d'accès aux services postaux, de nature diverse. Lorsqu'un point ferme, c'est soit qu'un autre s'ouvre ailleurs, soit qu'un nouveau modèle de présence, mieux adapté au territoire, a été défini par les élus, la commission départementale et La Poste.
S'agissant de la baisse de la compensation, les coûts sous-jacents ont augmenté, mais la fréquentation a connu également une forte diminution. Or ces points d'accès postaux avaient auparavant une rentabilité intrinsèque, liée à la vente de produits – timbres et autres – et de prestations, ce qui aujourd'hui n'est plus le cas.
La bonne ligne consiste donc à renforcer la rentabilité de la tournée du facteur et le maintien du réseau, en y intégrant des activités nouvelles.
Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Fagnen, pour la réplique.
M. Sébastien Fagnen. Madame la ministre, je ne remets pas fondamentalement en cause l'intérêt de la diversification. Quant aux 17 000 points de contact, nous ne pourrons pas éluder dans les débats à venir la question de leur nature.
Comme je l'ai indiqué, un bureau de poste ne remplit pas les mêmes fonctions qu'une agence postale communale ou intercommunale. Il est impossible de balayer d'un revers de main le fait que l'attrition de l'amplitude horaire des bureaux conduit souvent les agences postales communales à prendre le relais.
Il faut donc mettre l'ensemble des réalités du réseau postal sur la table afin d'y apporter une réponse aussi satisfaisante que possible, tant pour les élus que pour nos concitoyens.
Mme la présidente. La parole est à M. Damien Michallet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Damien Michallet. Permettez-moi, tout d'abord, de remercier très sincèrement la commission des affaires économiques pour l'organisation de ce débat très attendu, voire inespéré. Madame la présidente de la commission des affaires économiques, chère Dominique Estrosi Sassone, je sais que vous êtes extrêmement mobilisée sur le sujet, et je vous en sais gré.
Cependant, mes chers collègues, quelle frustration de tenir ce débat si tard ! Nous aurions dû débattre sur la base d'une véritable loi, d'un récit pluriannuel réaliste, comme vous le soulignez, madame la ministre.
La Poste doit s'adapter, évoluer, poursuivre sa mission de service public sur le fondement d'un contrat conclu et débattu au sein du Parlement, à savoir sur une loi postale que nous demandons depuis des mois, madame la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je le sais !
M. Damien Michallet. Nous sommes en 2025 et d'ici à la fin de cette année la délégation de la mission du service universel postal sera remise en jeu. À sept mois de l'échéance, les parlementaires n'ont toujours pas pu mettre le sujet sur la table. Ce n'est pourtant pas faute de l'avoir demandé !
En tant que président de la Commission supérieure du numérique et des postes, à laquelle je vous sais attachée pour en avoir été membre, madame la ministre, j'ai alerté personnellement le président du Sénat, qui a ouvert ce débat ce soir, accompagné de Patrick Chaize. J'ai écrit à la présidente de l'Assemblée nationale, qui a soutenu la démarche. Seul le Premier ministre a oublié de me répondre…
Ce soir, nous débattons avec l'espoir que le président de La Poste et le Gouvernement actent l'urgence absolue et critique d'avancer sur une loi postale.
En réponse, qu'avons-nous ? Un projet de passage par voie réglementaire ! Si tel est le cas, je vous le dis, nous pouvons d'ores et déjà craindre la mort de la présence postale. En effet, à défaut d'un véritable texte législatif, il nous faudra valider plusieurs centaines de millions d'euros lors du prochain projet de loi de finances, sans aucune garantie au sujet de l'optimisation des services associés et de la création de valeur pour l'aménagement de nos territoires.
C'est bien simple, si on ne légifère pas, la poste française deviendra la poste danoise, laquelle a purement et simplement annoncé la fin du facteur danois au 31 décembre 2025 ! Si tel est l'objectif, dès ce soir, nous pouvons alors tous rentrer dans nos départements et dire à nos maires de se préparer à retirer les boîtes jaunes. Et là, croyez-moi, cela ne passera pas comme une lettre à la poste…
La loi postale devient plus qu'urgente. Il est urgent de légiférer, car les défis sont nombreux. Bien entendu, il y a d'abord le déficit qui doit nous alerter et guider nos travaux parlementaires, mais ce n'est pas le seul défi que La Poste doit affronter.
Sur le défi de l'aménagement du territoire, La Poste doit territorialiser et déconcentrer ses décisions ainsi que ses organisations pour être plus agile et moins " parisienne ". Les maisons France Services peuvent être au cœur du débat et, pourquoi pas, au cœur de la loi.
Sur le défi de la transition numérique, sur la dématérialisation des démarches administratives, sur la lutte contre l'illectronisme, La Poste peut, comme en Italie, devenir un acteur de premier ordre et, du coup, pérenne. Mais le Parlement doit en débattre.
Sur le vieillissement de la population, nous disposons de 60 000 facteurs prêts à répondre à cette nouvelle nécessité.
La Poste a un rôle à jouer ! Elle est forte d'un maillage territorial exceptionnel et d'agents dévoués aux services publics ! Mais elle doit pouvoir se restructurer dans son ensemble et pas seulement au niveau du réseau des facteurs – ce qui a d'ailleurs été fait –, ainsi que dans ses fonctions de support.
Nous savons que des résultats sont possibles. Identité numérique, cloud souverain, intelligence artificielle générative : La Poste sait faire !
La Poste a d'ores et déjà mené de nombreux travaux en ce sens avec son président, Philippe Wahl, qui a œuvré pendant douze années pour accompagner La Poste dans son évolution. Cependant, dès aujourd'hui, nous devons regarder devant nous et visualiser les douze prochaines années !
Donnons-nous les moyens de nos ambitions ! Nous sommes prêts à nous remonter les manches.
Les membres de la CSNP, avec Denise Saint-Pé, que je salue, conduisent d'ailleurs depuis plusieurs semaines des auditions sur ce sujet crucial. Nous partagerons les pistes que nous ouvrirons lors d'une table ronde au Sénat en présence du successeur de M. Wahl, en septembre. Ces travaux contribuent à éclairer les parlementaires, notamment ceux qui sont désignés par le président de la CSNP et qui siègent à l'ONPP.
La seule question qui reste en suspens, madame la ministre, et à laquelle nous ne pouvons pas répondre seuls est de savoir si l'État est capable de nous faire confiance, à nous, parlementaires, et de nous laisser débattre de ce sujet au travers d'une loi.
Il s'agit ici d'argent public, d'aménagement, d'accessibilité bancaire, des collaborateurs de La Poste, de l'avenir de nos territoires, de la France et de l'une de nos plus grandes entreprises publiques. Madame la ministre, vous l'avez compris, à quand une loi postale ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le président de la Commission supérieure du numérique et des postes, nous nous faisons confiance, et nous faisons confiance à La Poste pour continuer d'honorer ses missions essentielles !
Cependant, j'ai été gênée par l'idée, évoquée dans votre intervention, selon laquelle, parce que nous aurions trouvé une solution pragmatique de ce type pour faire face à une situation que je qualifierai, comme vous, de dégradée, les boîtes jaunes cesseront de fonctionner au 1er janvier 2026, faute d'une loi postale !
Vous savez que ce n'est pas le sujet. Qu'une loi soit nécessaire, à terme, pour aborder les défis structurels de La Poste et préparer son avenir, cela ne fait aucun doute. Mais non, il n'existe pas un texte caché dans un carton à Bercy que le Gouvernement ne révélerait qu'au dernier moment. Nous ne craignons pas non plus de vous présenter une telle loi !
Ce gouvernement exerce ses responsabilités depuis le 23 décembre 2024. Nous avons consacré les deux premiers mois à bâtir un budget. Ce budget a été promulgué le 28 février dernier, autrement dit il y a tout juste trois mois.
Nous avions le projet de déposer un amendement à l'Assemblée nationale, via notamment le soutien de M. Stéphane Travert. Pour des raisons légistiques complexes que je n'aurai pas la prétention de vous exposer ici, à minuit dix-neuf, car elles dépasseraient l'entendement collectif, cela n'a pas abouti.
Aujourd'hui, notre responsabilité consiste à passer outre et à considérer que nous ferons une loi postale solide et complète le moment venu. Entretemps, assurons-nous qu'au 1er juillet La Poste sache précisément ce qu'elle devra faire à compter du 1er janvier afin que les boîtes jaunes ne disparaissent pas.
Telle est la voie, que nous n'avons pas choisie, mais que nous avons été tenus d'emprunter. Si nous devions nous heurter à une impossibilité constitutionnelle, juridique ou administrative, en raison du refus du Conseil d'État, du Conseil constitutionnel ou de toute autre instance, je vous garantis que nous trouverons le « trou de souris » législatif nécessaire. Mais je ne veux laisser penser à quiconque que les boîtes jaunes disparaîtront !
Mme la présidente. La parole est à M. Damien Michallet, pour la réplique.
M. Damien Michallet. Madame la ministre, nous nous accordons sur l'analyse, mais comprenez néanmoins la frustration du Parlement : cela fait plus de trois mois que nous demandons d'être des acteurs !
Cela étant, vous semblez avoir pris un engagement : celui de revenir devant nous, d'une manière ou d'une autre, pour rouvrir ce débat. C'est précisément ce que nous attendons, car il est absolument nécessaire de remettre ce sujet sur la table.
C'est tout le sens de mes propos. L'image des boîtes jaunes a fonctionné, car elle parle à chacun. Elle a suscité votre réaction – en cela, elle a été utile. Mais ce que nous souhaitons, collectivement, c'est bien une loi postale, un débat, un vote.
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Burgoa. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie la commission des affaires économiques pour l'organisation de ce débat que j'estime nécessaire. La question du service public postal mérite en effet toute notre attention.
En tant que fils de postier, je suis très profondément attaché à La Poste, comme nombre de sénateurs sur l'ensemble de ces travées, non seulement pour ce qu'elle a été, mais aussi pour ce qu'elle pourrait devenir.
Ce service public fait face à un défi immense : le recours au courrier papier continue de diminuer rapidement, ce qui fragilise le modèle économique du service postal. Dans le même temps, l'aide de l'État se réduit ou, du moins, ne répond pas à l'ampleur des besoins.
Nous nous retrouvons face à une équation très difficile : volumes et recettes sont en décrue, tandis que les missions, elles, restent à un niveau égal, voire progressent.
Alors, que faire ? Il faut regarder la réalité en face et accepter qu'une simple augmentation des compensations publiques ne peut pas constituer, à elle seule, une réponse durable. La Cour des comptes l'a clairement souligné dans son rapport de mai 2023, dans lequel elle appelait, à raison, à une redéfinition en profondeur du cadre et du contenu des missions confiées à La Poste.
Il est donc impératif, madame la ministre, de conduire une réflexion aussi ambitieuse que lucide – et cela, dans un cadre démocratique clair, en y associant clairement le Parlement. Le temps presse.
La mission actuelle de La Poste en tant que prestataire du service universel postal arrive à son terme au 31 décembre 2025. Nous savons que le groupe peut encore s'appuyer sur ses compétences, sur ses infrastructures et, surtout, sur son ancrage territorial pour assurer des missions profondément humaines. Mais il faut lui redonner un cap et lui garantir des moyens adaptés.
La diversification des activités de La Poste est aujourd'hui une nécessité vitale. Des initiatives pertinentes ont déjà été lancées : portage de repas à domicile, visites aux aînés isolés ou encore accueil dans les maisons France Services.
Toutes ces missions répondent à un besoin réel des populations, notamment dans les zones rurales ou périurbaines. La Poste est souvent, hélas ! le dernier service public de proximité encore présent dans ces territoires. Et c'est bien cela qu'il faut préserver.
Mes chers collègues, il ne s'agit pas là d'un débat technique, mais d'une discussion de fond sur le rôle que nous voulons confier à La Poste dans les années à venir, sur les moyens que nous voulons lui accorder et sur la manière dont nous concevons le service public postal du XXIe siècle.
Madame la ministre, en tant que dernier orateur de ce débat, je vous le demande comme les précédents intervenants : quelle est la position du Gouvernement sur le projet de loi postale, tant attendu, qui sera prochainement présenté au Parlement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Vous êtes valeureux d'avoir assisté à ce débat jusqu'à son terme : je salue votre persévérance, et je vous remercie pour nos échanges.
Vous le voyez : le Gouvernement ne prévoit ni coup de rabot ni coup de Trafalgar. Au contraire, notre ambition est de donner au groupe La Poste, que les Français connaissent, valorisent et apprécient, les moyens de son ambition et de son développement, et ce dans un cadre transparent et démocratique.
Le moment viendra de réviser notre loi postale. Entretemps, trois échéances me semblent essentielles : la désignation du successeur du président du groupe, Philippe Wahl, que je remercie solennellement pour le travail qu'il a mené depuis douze ans ; le renouvellement du contrat de présence postale associant l'État, La Poste et l'AMF, qui a souhaité que sa révision n'intervienne que dans un délai supplémentaire d'un an ; enfin, le projet de loi postale.
Ces questions soulèvent des enjeux budgétaires, qui seront étudiés lors de l'examen du projet de loi de finances. Je me réjouis donc, à cette occasion, de revenir échanger avec vous sur le partage de l'effort budgétaire et sur les moyens à consacrer à cette mission d'importance dans notre vie quotidienne.
Source https://www.senat.fr, le 3 juin 2025