Interview de Mme Clara Chappaz, ministre déléguée, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique, à France Inter le 4 juin 2025, sur les sites pornographiques et la protection des mineurs.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

MATHILDE MUNOS
Il est 6 h 21, ce n'est plus qu'une question d'heure. Plusieurs sites pornographiques ne seront bientôt plus accessibles en France. Notamment YOUPORN et PORNHUB qui sont dans le top 5 des sites les plus visités en France, toutes catégories confondues. Leur maison mère a décidé, elle-même, de suspendre jusqu'à nouvel ordre l'accès aux contenus de ces plateformes. Une façon de protester contre l'obligation qui leur est faite de vérifier l'âge des utilisateurs. Bonjour Clara CHAPPAZ,

CLARA CHAPPAZ
Bonjour,

MATHILDE MUNOS
Vous êtes ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Vous dites quoi, ce matin, à cette décision, tant mieux ?

CLARA CHAPPAZ
Je leur dis " Bon vent ". Parce qu'en fait, personne n'est au-dessus des lois. Personne. Et si ces sites internet, ils préfèrent se retirer de France que de protéger nos enfants, ils n'ont rien à faire chez nous.

MATHILDE MUNOS
Et tant pis pour les adultes qui ont le droit d'aller normalement sur ce site.

CLARA CHAPPAZ
Mais ça c'est trop facile, en effet, de prendre les adultes en otage et de dire " Nous ne voulons pas nous conformer à nos obligations ". Des obligations toutes simples qui consistent à dire, on a tous été sur ce genre de site voir comment ça se passe. Il faut cliquer sur un bouton qui dit " J'ai plus de 18 ans ". Nos obligations grâce à la loi SREN qui a été votée en 2024, elle dit " ça, c'est fini ". On ne peut plus se satisfaire du fait que nos enfants peuvent cliquer sur ces boutons pour accéder à un contenu qui est un contenu pour adultes. Il ne s'agit pas de stigmatiser les adultes mais bien de protéger nos enfants. Et s'ils ne veulent pas le faire, qu'ils s'en aillent.

MATHILDE MUNOS
Mais c'est parce qu'ils ne sont pas prêts.

CLARA CHAPPAZ
Alors ça, c'est aussi extrêmement cynique parce que, bien sûr, qu'ils peuvent être prêts. Je ne peux pas accepter que ces sites qui brassent des centaines de millions d'euros nous disent, aujourd'hui, " Je ne suis pas prêt, il n'y a pas de solution ". J'ai réuni dans mon ministère en janvier, au moment où l'ARCOM a eu les pouvoirs de commencer à mettre en demeure ces sites internet, une quinzaine de solutions techniques, une quinzaine. Il y a des solutions de vérification d'âge avec la reconnaissance faciale, avec la pièce d'identité, avec aussi des mouvements de la main. Il y a plein de solutions possibles. Aujourd'hui, il y a, d'ailleurs, des sites qui se sont mis en conformité. Ils étaient à cette réunion. Ils étaient à cette réunion parce qu'ils étaient responsables de se dire " Les obligations arrivent, on va rencontrer les solutions et on va les mettre en place ". Un site comme PORNOVORE, ce n'est pas pour en faire la publicité. Mais aujourd'hui, ils proposent, en quelques clics, un accès à cinq solutions différentes pour vérifier l'âge en double anonymat. C'est très important de le dire. Parce que moi, aujourd'hui, je suis en colère. Parce que quand j'entends ces sites nous dire qu'il s'agit en plus de protection de la vie privée…

MATHILDE MUNOS
Oui, c'est ce que j'allais dire. Eux, ils ont une double réponse à ce que vous nous dites. C'est qu'ils disent que ça pose des problèmes de vie privée, qu'il y a un risque de fuite des données personnelles. Et leur deuxième argument, c'est de dire que ce n'est pas au site de faire ça et que ça doit se faire au niveau des appareils, donc, des ordinateurs et des systèmes d'exploitation. Donc qu'on se moque d'eux, ils renvoient la patate chaude à GOOGLE, APPLE et MICROSOFT.

CLARA CHAPPAZ
Oui, on va reprendre les deux arguments un par un. La vie privée, c'est faux. Quand les solutions de vérification d'âge qu'on a réunies, en janvier, correspondent au référentiel de l'ARCOM qu'on a élaboré avec la CNIL, qui est très sérieuse sur la vie privée. Ces solutions existent, elles sont opérationnelles, elles sont utilisées par des sites, elles sont là. Donc je refuse qu'on utilise cet argument, qui est un argument faux, et qu'on mente et on témoigne aux Français en leur disant, « Je veux protéger votre vie privée ». Non, je veux me faire du fric sur le dos de vos enfants. C'est ça qu'ils font.

MATHILDE MUNOS
Et le deuxième argument, ce n'est pas à nous de le faire, mais au système d'exploitation, à GOOGLE, MICROSOFT, APPLE.

CLARA CHAPPAZ
Et alors ça, je n'en peux plus de ces sites internet. Là, on parle du porno, on pourrait parler des réseaux sociaux aussi, qui disent dans leurs termes d'utilisation, c'est interdit aux moins de 13 ans. Mais INSTAGRAM, en ce moment, qui fait une grande campagne nationale, à la radio, à la télévision, pour dire, " Oui, c'est vrai qu'il faut protéger les enfants, il faut vérifier l'âge, avant 13 ans d'ailleurs. C'est dans mes conditions d'utilisation. Mais ce n'est pas moi, c'est l'autre. C'est à l'App Store de faire. C'est à l'App Store, c'est au téléphone, etc ". Alors ça aussi, c'est fini. J'ai réuni tout le monde. Les réseaux sociaux, les solutions de vérification d'âge, l'App Store, les téléphones eux-mêmes, les constructeurs de téléphones. Parce que qu'est-ce qu'on fait, là ? On fait du ping-pong, comme ça, en permanence, jusqu'à la fin des temps, plutôt que de protéger nos enfants, ou on prend nos responsabilités. C'est trop facile. C'est un peu comme si je disais, " Alors moi, j'agresse les enfants. Alors je sais que ce n'est pas bien, mais quand même, si on pouvait déjà mettre une loi, parce que je ne peux pas m'empêcher de le faire, et puis aussi si on pouvait dire que la loi, elle force les enfants à être ailleurs ". Non, on est responsable. Il s'agit de la protection de nos enfants. Encore une fois, il ne s'agit pas de stigmatiser les adultes, il s'agit de protéger nos enfants. Et si ces sites pornographiques ne veulent pas le faire, qu'ils s'en aillent.

MATHILDE MUNOS
Et ce ping-pong, il a quand même une date butoir, c'est lundi prochain. Normalement, les sites ont jusqu'à lundi pour se conformer à la loi. Est-ce que parmi les autres sites, vous nous avez cité qu'ils la respectaient, est-ce qu'il y en a d'autres qui ne sont pas encore dans les clous et qui pourraient, à partir de lundi, recevoir des sanctions ?

CLARA CHAPPAZ
Oui, tout à fait. D'ailleurs, les sanctions ont déjà eu lieu. Il y en a qui sont déjà tombées. L'ARCOM a ce pouvoir pour les sites français depuis maintenant quelques temps. Et il y a déjà deux sites qui ont été déférencés parce qu'ils ne se sont pas mis en conformité. Et puis, il y a les sites qui, eux, se mettent en conformité et qui, de façon très simple, encore une fois, mettent en place des solutions pour protéger nos enfants.

MATHILDE MUNOS
Alors, pour reprendre les sites dont on parlait tout à l'heure, YOUPORN, PORNHUB, 7 millions de visiteurs par jour. Combien de mineurs ?

CLARA CHAPPAZ
Aujourd'hui, et je pense que c'est très important, vous avez raison de le souligner, finalement, ce phénomène-là de cliquer sur un bouton pour accéder à du contenu pornographique, qu'est-ce que ça fait ? Moi, je suis mère de deux jeunes enfants en bas âge. Et je refuse que, comme de grands nombres d'enfants en France, ils accèdent à ces images qui souvent façonnent leur sexualité parce qu'un enfant sur deux, 1 sur 2, dès 12 ans, consomme ce genre de contenu régulièrement. Et pire, c'est 1 sur 3 qui tombent sur ce contenu sans même le vouloir. C'est-à-dire que peut-être ils cherchent des informations, peut-être, je ne sais pas, ils naviguent sur Internet, et puis tout d'un coup, ils vont tomber sur ce genre de contenu et c'est leur première rencontre avec la sexualité. Et ça, c'est inadmissible. Encore une fois, les adultes font bien ce qu'ils veulent. Mais ces contenus sont interdits aux mineurs. Il y a une raison et il s'agit maintenant de les protéger et d'arrêter ce phénomène.

MATHILDE MUNOS
Merci Clara CHAPPAZ, ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. Merci d'être venue dans le studio du 5-7 ce matin.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 juin 2025