Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, sur le thème : "Quelle politique de protection et d'accompagnement des élèves dans les établissements scolaires, avec quelles modalités de contrôle ?".
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l'orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.
Madame la ministre d'État, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l'hémicycle.
(…)
M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Madame la sénatrice, je tiens à vous rassurer : non seulement les contrôles vont changer de dimension, ou plutôt de périmètre, mais leur nombre va aussi augmenter – j'aurai probablement l'occasion d'y revenir lors de notre débat. C'était déjà le cas dans les établissements privés hors contrat et tel est désormais également le cas dans les établissements privés sous contrat.
Peut-être aurai-je l'occasion d'y revenir aussi, mais le Conseil d'État a récemment rendu un avis favorable sur un décret que j'ai signé et qui oblige les établissements privés sous contrat à remonter les faits de violence. À cette occasion, il a validé l'interprétation qui était la mienne, à savoir qu'aucun établissement ne peut contester le droit de l'État de contrôler l'absence de maltraitances et de violences au sein d'un établissement.
Nous y mettons les moyens : au total, 200 postes d'inspecteurs seront créés en quatre ans, des effectifs supplémentaires viendront épauler les 3 500 inspecteurs qui exercent aujourd'hui. Je souhaite que ces contrôles puissent se faire avec d'autres personnels de l'éducation nationale, notamment les personnels de santé et les personnels sociaux, afin qu'un regard à 360 degrés puisse être porté sur la situation au sein des établissements.
Naturellement, nous aurons également besoin du soutien des services fiscaux – vous avez mentionné la question de l'origine des ressources des établissements –, ainsi que des services des préfectures pour traiter d'autres aspects du sujet. C'est véritablement la mobilisation de tous les agents de l'État qui nous permettra de garantir des contrôles suffisants, tant en quantité qu'en qualité, dans les établissements qui accueillent nos enfants.
M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Ahmed Laouedj.
M. Ahmed Laouedj. Monsieur le président, madame la ministre d'État, mes chers collègues, que nous disent les lycéens contraints de s'agenouiller à Mantes-la-Jolie en 2018, les révélations accablantes sur les violences à Notre-Dame de Bétharram, ou encore les dérives sexistes et homophobes signalées au sein de l'institution Stanislas ? Une chose, une seule : que notre système de contrôle ne fonctionne pas, ou du moins, pas là où il le devrait, et, surtout, pas quand il le faudrait !
Au nom du groupe du RDSE, je salue l'initiative prise par le groupe socialiste d'organiser ce débat, car protéger les élèves, c'est défendre l'essence même de l'école républicaine.
Notre droit est clair. L'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant (CIDE) impose la primauté de l'intérêt supérieur de celui-ci. L'article L. 111-1 du code de l'éducation garantit à chaque élève un environnement scolaire sûr.
Mais la réalité est tout autre. L'affaire Bétharram est non pas un cas isolé, mais le révélateur d'un système bâti sur des silences et des lâchetés accumulés. Plus de deux cents anciens élèves ont témoigné de violences physiques, psychologiques ou sexuelles. Il est question de faits connus, tus, parfois couverts, et ce pendant des décennies. Oui, c'est une tragédie humaine !
Il s'agit aussi d'un échec politique. Quand l'État signe un contrat avec un établissement, il en garantit le cadre. Et quand ce cadre devient toxique, l'État est comptable de ce qu'il a laissé faire. Le droit existe, les outils aussi, mais que valent-ils en l'absence de volonté de les appliquer ? Un tel cadre est le terreau idéal d'éventuelles dérives et de possibles abus, en somme de l'impunité.
C'est particulièrement vrai pour l'enseignement privé sous contrat, qui accueille 17 % des élèves en France et perçoit plus de 8 milliards d'euros de fonds publics par an. Ce soutien massif ne s'accompagne en effet d'aucun dispositif de contrôle cohérent, homogène ou contraignant. Beaucoup de nos collègues parlementaires, de droite comme de gauche, dressent le constat de l'opacité du suivi financier, de la rareté des inspections inopinées et de l'absence de critères unifiés pour évaluer les conditions de scolarisation.
Madame la ministre, ces manquements ne relèvent pas d'un vide juridique. Comment justifier, dans un système aussi largement subventionné, l'absence de doctrine claire et de critères objectifs pour garantir la sécurité des élèves ?
Les récents travaux de l'Assemblée nationale ont en outre mis en évidence l'existence d'un traitement différencié selon la confession ou l'ancrage historique des établissements. Ce débat est non pas un procès du privé, mais un appel à la cohérence. Nous ne pouvons accepter une telle asymétrie de traitement.
Ainsi, le lycée Averroès, établissement privé musulman sous contrat, situé à Lille, a été inspecté quatorze fois, quand Notre-Dame de Bétharram, établissement catholique sous contrat, lieu de maltraitances durant plusieurs décennies, n'a pas été inspecté une seule fois depuis 1996. Est-ce cela la neutralité républicaine ? Est-ce cela l'égalité devant la loi ? Ce décalage est inacceptable : il crée un sentiment d'injustice, un ressentiment durable, et fragilise la légitimité même de nos institutions.
Dans une République, le droit ne s'applique pas à la carte. L'État doit être impartial, l'école doit être exemplaire, et l'inspection doit être égale pour tous. Je le dis sans détour, madame la ministre d'État : ce que l'on exige d'Averroès, il faut l'exiger de Stanislas. Ce que l'on vérifie à Grigny, il faut le vérifier à Neuilly-sur-Seine. Et ce que l'on ne tolère nulle part, il ne faut pas l'accepter ici ou là.
La protection des élèves ne se négocie pas au nom d'un statut, d'une réputation ou d'une couleur politique. L'argent public ne peut pas financer l'opacité.
Nous avons besoin d'inspecteurs formés en nombre, de contrôles inopinés, de sanctions réelles en cas de manquement, et d'une coordination étroite avec les services de la protection de l'enfance. Quand une école ne protège pas, elle expose… C'est pourquoi je propose que chaque établissement sous contrat fasse l'objet d'un bilan annuel de conformité, qui reposerait sur des critères liés à la sécurité, l'inclusion, la transparence et la formation des équipes, et dont le respect conditionnerait le versement des financements publics.
La République n'a pas à subventionner des lieux qui bafouent ses principes. Les élèves sont non pas des colonnes budgétaires, mais des individus à protéger. L'école n'est pas un sanctuaire où règne l'impunité, c'est un lieu d'émancipation où dominent la confiance et le droit.
M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, vous venez d'affirmer que notre système de contrôle ne fonctionnait pas. Au-delà des quelques amalgames que j'ai identifiés dans votre propos, force est de constater que, depuis des décennies, il existe des failles, que j'ai décidé de corriger.
Je viens de le dire, j'ai fait évoluer le périmètre des contrôles des établissements privés : étaient contrôlés jusqu'à présent les aspects financiers, administratifs et pédagogiques de ces établissements ; désormais, les contrôles porteront également sur le climat scolaire et viseront à s'assurer qu'aucun élève ne fait l'objet de maltraitances. Plus aucun fait de violence ne doit se produire.
J'ajoute qu'au sein des établissements la parole des élèves doit se libérer et être écoutée. C'est pourquoi j'ai décidé qu'un questionnaire serait systématiquement soumis à tout élève inscrit en internat ou revenant d'un voyage scolaire avec nuitée. À la moindre alerte, des entretiens avec des professionnels sociaux ou de santé ou des psychologues seront organisés. Ces questionnaires font actuellement l'objet d'une expérimentation et seront généralisés à la rentrée prochaine.
En ce qui concerne les contrôles, il y en avait moins de dix par an dans les établissements privés sous contrat ces dernières années. Pour l'année 2025, 1 000 sont programmés, dont 500 ont été menés ou sont en cours.
Je vous confirme que les contrôles peuvent être inopinés. Par ailleurs, ils doivent être suivis, ce qui signifie que les recommandations ou les mises en demeure formulées à la suite des inspections font l'objet d'un contrôle rigoureux.
Oui, l'État doit contrôler ce qui se passe dans les établissements privés. Non, il n'y a pas deux poids, deux mesures.
Ainsi, au cours de l'année scolaire 2023-2024, neuf établissements ont été fermés à la suite d'un contrôle, dont deux établissements musulmans. Au cours de l'année scolaire 2024-2025, à ce stade, quatre établissements ont été fermés, dont deux établissements catholiques.
Je peux vous garantir que les établissements font aujourd'hui l'objet d'un traitement équitable.
M. le président. La parole est à M. Jean Hingray.
M. Jean Hingray. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier les membres du groupe socialiste de l'organisation de ce débat.
Nous avons déjà traité de ces importantes questions en commission. Sachant combien votre temps est précieux, j'irai droit au but, madame la ministre, d'autant que – j'en suis sûr – tous les aspects du sujet seront abordés au cours de notre discussion.
Quelles actions concrètes comptez-vous mettre en œuvre au titre de la prévention, madame la ministre d'État ?
En la matière, quels que soient les problèmes constatés – je pense notamment à certains dossiers ouverts dans mon département –, vous ne mettez jamais la poussière sous le tapis : je tiens à vous en remercier, en mon nom personnel et au nom de mes collègues du groupe Union Centriste.
M. Stéphane Piednoir. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, l'école de la République doit bien sûr être préservée de toute forme de violence. Chaque incident susceptible de nuire à la sérénité des apprentissages, ainsi qu'à la sécurité des élèves, des personnels ou des enceintes scolaires appelle donc une réponse ferme et immédiate.
Si cette réponse est indispensable, il importe également que nous agissions à titre préventif, en mobilisant toute la communauté éducative – élèves, parents et personnels.
L'effort de prévention s'étend à de multiples chantiers, parmi lesquels la prévention de l'addiction aux écrans, dont on connaît les nombreuses conséquences. Je pense notamment au cyberharcèlement et à la banalisation de la violence au travers des réseaux sociaux. Dans cet esprit, dès la rentrée prochaine, nous généraliserons la pause numérique dans les collèges.
J'ai également décidé que les espaces numériques de travail (ENT) et les logiciels de vie scolaire, plus communément connus sous le nom de Pronote, ne seraient plus mis à jour le soir et les week-ends. En outre, ma collègue Clara Chappaz et moi-même avons engagé un travail pour interdire l'accès des réseaux sociaux aux moins de 15 ans.
En parallèle, le nouveau programme d'enseignement moral et civique (EMC), publié en juin 2024, vise à renforcer la transmission des valeurs et principes de la République tout en développant la culture juridique et institutionnelle des élèves. Ce programme comprend les questions d'éducation aux droits, de sécurité et de sûreté. Au total, dix-huit heures annuelles doivent être consacrées à des projets d'éducation à la citoyenneté.
S'y ajoutent certains dispositifs, notamment des concours, dont on ne saurait sous-estimer l'importance : quand des élèves mènent un travail en vue d'obtenir le prix "Non au harcèlement" ou le prix Ilan-Halimi, on voit qu'ils donnent davantage de sens à leurs apprentissages.
L'effort de prévention passe aussi par le renforcement des compétences psychosociales. Je pense notamment aux cours d'empathie (M. Jean Hingray acquiesce.), ainsi qu'aux dix heures annuellement consacrées à la prévention du harcèlement.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'article L. 442-1 du code de l'éducation, dans sa rédaction issue de la loi dite Debré, prévoit que l'établissement privé sous contrat, "tout en conservant son caractère propre", doit dispenser ses enseignements "dans le respect total de la liberté de conscience".
L'article L. 442-5 du même code ajoute que les établissements privés sous contrat dispensent "un enseignement conforme aux programmes de l'enseignement public".
La loi garantit ainsi aux élèves des établissements privés, comme à ceux des établissements publics, une totale liberté de conscience.
C'est précisément l'enjeu du débat organisé sur l'initiative de nos collègues du groupe socialiste – et je les en remercie – que de déterminer comment cette garantie est effectivement mise en œuvre aujourd'hui.
Suivant une jurisprudence constante, le Conseil d'État rappelle que le caractère propre d'un établissement ne saurait justifier une dérogation aux programmes ou aux règles de fonctionnement prévus par le contrat passé avec l'État. La même jurisprudence a établi que ce caractère propre ne saurait permettre à un établissement de s'affranchir des principes fondamentaux du service public de l'enseignement.
Or il est récemment apparu, à plusieurs reprises, que les notions de caractère propre et de liberté de conscience pouvaient entrer, sinon en tension, du moins en concurrence. Des rapports d'inspection ont en effet révélé que certaines célébrations religieuses n'étaient ni facultatives ni organisées en dehors du temps scolaire.
Madame la ministre, vos services l'ont rappelé à juste titre : l'instruction religieuse doit rester facultative et un enseignement de culture religieuse centré sur une seule religion doit être considéré comme confessionnel, donc facultatif.
Cette interprétation est toutefois contestée par certaines directions de l'enseignement catholique. Le directeur diocésain de l'enseignement catholique de Paris estime ainsi qu'il convient de "sortir du raisonnement biaisé entre obligatoire et facultatif". Il affirme que, "quand on parle de spiritualité, cela n'a pas de sens de dire qu'une messe est obligatoire".
M. Philippe Delorme, ancien secrétaire général de l'enseignement catholique, est allé plus loin en déclarant que "le caractère propre de chaque établissement, qui correspond à un projet enraciné dans l'Évangile", doit se traduire "dans tous les domaines".
Pourriez-vous nous préciser la doctrine de votre ministère quant à la portée et aux limites du caractère propre des établissements sous contrat ?
Plus largement, je m'interroge sur l'absence d'application dans l'enseignement privé sous contrat de la loi de 2004 interdisant le port de signes religieux ostensibles, alors même que la laïcité est l'un des principes cardinaux du service public de l'enseignement.
C'est pour mettre un terme à cette situation que j'ai déposé cette semaine une proposition de loi. Chers collègues, ayant suivi avec attention vos débats relatifs au port du voile, je pense que, par souci de cohérence, vous pourriez en être cosignataires. En tout cas, je mets ce texte à votre disposition. (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Enfin, l'article 2 de la loi de 1905 précise que "la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte". L'État ne saurait donc financer des activités ou des enseignements religieux. Je souhaiterais obtenir la confirmation que les subventions publiques ne peuvent porter que sur l'entretien des locaux, et ce à proportion de leur utilisation pour les enseignements dispensés dans le cadre du contrat avec l'État.
En ce qui concerne les subventions versées par les collectivités territoriales, l'article L. 151-4 du code de l'éducation précise : "Les établissements d'enseignement général du second degré privés peuvent obtenir des communes, des départements, des régions ou de l'État des locaux et une subvention, sans que cette subvention puisse excéder le dixième des dépenses annuelles de l'établissement." Cette fraction est-elle calculée sur la totalité du budget de l'établissement ou sur les seules dépenses pouvant légalement être subventionnées par la puissance publique ? (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, il est important de bien clarifier ce que recouvre la notion de caractère propre.
La loi Debré se fonde sur le principe constitutionnel de liberté de l'enseignement en reconnaissant la possibilité, pour les établissements, d'avoir un caractère propre. Il s'agit là des valeurs de base auxquels ces derniers entendent se référer dans l'action éducative qu'ils se proposent de conduire.
La reconnaissance du caractère propre implique, pour le chef d'établissement, une certaine liberté d'organisation de la vie scolaire, étant entendu que les enseignements, relevant, eux, du contrat, doivent respecter strictement les programmes définis par le ministère.
Je vous le confirme : si, au cours d'un contrôle, il apparaissait que l'instruction religieuse était dispensée à titre obligatoire, l'établissement concerné ferait l'objet d'une mise en demeure. L'instruction religieuse ne peut pas être obligatoire dans un établissement privé sous contrat.
Vous le savez, les enseignants de ces établissements sont employés et rémunérés par l'État. Ils sont soumis aux mêmes règles que leurs collègues de l'enseignement public.
Historiquement, et jusqu'à une époque récente, conformément à la doctrine de l'administration, on considérait que l'État n'avait pas à s'immiscer dans la vie scolaire. Or, à mes yeux, il est important que l'on puisse contrôler l'absence de maltraitances ou de violences dans un établissement, et tel est désormais le cas.
En résumé, les établissements privés sous contrat respectent le cadre fixé par la Constitution. La liberté de conscience ne saurait être entravée et, dans la mise en œuvre de notre plan de contrôle, nous veillons à ce qu'elle soit garantie. Les enseignements religieux doivent être facultatifs. Le port de signes religieux ou la participation à des événements religieux ne peuvent pas être imposés.
M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. Enfin, les programmes doivent être mis en œuvre en intégralité.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour la réplique.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, je tiens à vous remercier de cette réponse très claire : tout ce qui est sous contrat est soumis au contrôle de la puissance publique. Dans les établissements privés sous contrat, on ne peut imposer ni le port de signes religieux ni la participation à des événements religieux. Cette mise au point est tout à fait bienvenue.
J'aurais souhaité que l'on précise également les règles de subventionnement. Aujourd'hui, on peine à savoir si tout ou partie des budgets sont subventionnés ; mais je solliciterai sans doute ces éléments par écrit.
Quoi qu'il en soit, cela fait plusieurs années que je demande au ministère de préciser la notion de caractère propre : c'est la première fois que j'obtiens une réponse claire et je vous en remercie de nouveau.
M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco.
Mme Monique de Marco. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier mes collègues du groupe socialiste d'avoir choisi d'aborder ce thème.
Depuis plus d'un an, les témoignages s'accumulent, que ce soit devant les tribunaux ou dans la presse, pour dénoncer les faits de violence et les manquements commis par divers établissements privés sous contrat dans leur mission de protection des élèves qui leur sont confiés.
Madame la ministre, ces faits ne sont pas uniquement des histoires anciennes brandies pour fragiliser un Premier ministre ; et ils dépassent, hélas ! les frontières des Pyrénées-Atlantiques. Certains d'entre eux sont même tout à fait récents, comme à Stanislas, où une enquête avait été diligentée par votre prédécesseur Pap Ndiaye.
Nous avons aujourd'hui la preuve que, dans certains de ces établissements, des élèves sont exposés à des propos homophobes, sexistes et antiavortement. Leur liberté de conscience n'est pas respectée. Les accusations de violences physiques, sexuelles et psychiques se multiplient.
Nous avons également la preuve que les contrôles restent insuffisants et peu définis, faute d'une législation suffisamment précise.
J'ai interrogé, en mars 2024, l'ancienne rectrice de l'académie de Bordeaux au sujet des violences avérées à Bétharram. Mon interlocutrice s'est défendue en expliquant avoir appliqué le cadre légal. Ce dernier n'impose pas le contrôle des personnels non enseignants, sur lesquels porte aujourd'hui l'essentiel des plaintes : ce soin est laissé au syndicat général de l'enseignement catholique (SGEC), qui est visiblement défaillant.
En parallèle, les inspecteurs chargés du rapport relatif à Stanislas ont publiquement dénoncé l'atténuation de leurs conclusions. Tous les éléments pointant un climat homophobe, sexiste et autoritaire ont disparu de la version transmise au ministère. Dès lors, on ne peut que s'interroger sur la fiabilité des informations communiquées.
Mes questions sont très simples. Vous avez rapidement pris la décision de renforcer les moyens humains alloués aux contrôles ; mais qu'en est-il de leur périmètre ? De quelle nature seront les contrôles mis en œuvre ? Qu'en est-il de la publicité des rapports d'inspection ? Pensez-vous que tout a été fait en matière législative pour protéger les élèves des établissements privés sous contrat ? (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Stéphane Piednoir. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Madame la sénatrice, j'ai déjà eu l'occasion de l'indiquer, jusqu'à présent, les contrôles dont font l'objet les établissements privés sous contrat portaient sur les financements.
Monsieur le sénateur Ouzoulias, nous aurons l'occasion d'y revenir plus longuement : le travail mené à ce titre implique également la vérification de la comptabilité analytique. On ne saurait confondre ce qui relève du contrat et ce qui n'en relève pas. (M. Pierre Ouzoulias acquiesce.)
La conformité administrative, la pédagogie appliquée et, désormais, la vie scolaire entrent dans le périmètre de ces contrôles.
M. Pierre Ouzoulias. C'est un changement majeur !
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. Je me réjouis que le Conseil d'État ait validé cette interprétation.
Bien entendu, quel que soit l'accueil collectif où ils se trouvent, les élèves doivent être protégés contre toute forme de violence, que les faits se produisent entre eux ou qu'ils soient commis par des adultes.
Je peux vous assurer que des instructions très claires ont été fournies à tous les rectorats quant au périmètre devant faire l'objet de contrôles.
Madame la sénatrice, vous m'interrogez également au sujet de la transmission des rapports d'inspection. À la suite d'un contrôle ou d'une enquête administrative, le rapport n'est a priori pas public – c'est la pratique. Le chef d'établissement reçoit un courrier qui précise les recommandations ou les mises en demeure faisant suite au contrôle. Ce courrier est le seul document présentant une valeur juridique.
Le fait qu'un rapport ait pu être modifié a suscité beaucoup de confusion. Mais, j'y insiste, il n'y a qu'une seule chose qui vaille à la suite d'un contrôle ou d'une inspection : le courrier adressé au chef d'établissement. D'ailleurs, pour éviter toute confusion, j'ai demandé à l'inspection générale de l'éducation nationale d'adresser de simples lettres de transmission, les synthèses figurant désormais dans le rapport.
Il faut que les choses soient bien claires, que les recommandations, voire les mises en demeure, soient parfaitement identifiées dans les rapports, puis fassent l'objet d'un suivi.
Vous avez évoqué le cas de Stanislas : un contrôle de la mise en œuvre des recommandations émises a été effectué aujourd'hui même.
M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour la réplique.
Mme Monique de Marco. Madame la ministre, je vous remercie de vos réponses très claires.
À présent, peut-être faut-il faire évoluer le cadre législatif : je suis à votre disposition pour engager cette réflexion, avec, j'en suis certaine, mes collègues de la commission.
M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. Yan Chantrel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si les élus du groupe socialiste ont proposé ce débat sur les politiques de protection des élèves dans les établissements scolaires, notamment du privé, et sur les modalités de contrôle de la mise en œuvre de ces politiques, c'est parce que l'actualité souligne l'urgente nécessité d'une telle discussion dans notre hémicycle.
L'affaire Notre-Dame de Bétharram a agi comme un électrochoc. Plus de 200 anciens élèves de cet établissement ont porté plainte pour des faits de violences physiques, psychologiques et sexuelles s'étalant sur plusieurs décennies.
Cette actualité intolérable touche toutes les Françaises et tous les Français dans leur chair, qu'elle fasse remonter des souvenirs douloureux de l'enfance ou qu'elle nourrisse chez les parents de la suspicion ou des craintes à l'égard des institutions auxquelles ils confient leurs enfants.
Plus profondément, nos concitoyens s'interrogent sur la responsabilité des autorités dans les faits, longtemps tus, qui éclatent aujourd'hui au grand jour et nous imposent une réponse politique forte et globale. Ces révélations montrent que les abus et les violences, loin d'être des cas isolés, relèvent d'un problème systémique.
En tant que législateurs et représentants de la puissance publique, nous avons le devoir de garantir à toutes les familles que leurs enfants seront accueillis, partout et tout le temps, dans un environnement bienveillant et propice à leur épanouissement.
Ma collègue Colombe Brossel l'a déjà longuement rappelé : à plus d'un titre, l'État a failli dans cette tâche. Il a notamment échoué à effectuer des contrôles dans les établissements scolaires privés sous contrat et hors contrat.
Il n'est ni acceptable ni compréhensible pour nos compatriotes que l'institution Notre-Dame de Bétharram n'ait fait l'objet d'aucune inspection depuis 1996.
Le rapport d'information sur le financement public de l'enseignement privé sous contrat déposé en avril 2024 à l'Assemblée nationale mettait déjà en exergue la quasi-absence de contrôles réalisés dans l'enseignement privé sous contrat.
Dans un autre rapport, datant de juin 2023, la Cour des comptes apportait quant à elle les précisions suivantes : le contrôle pédagogique est "exercé de manière minimaliste" ; le contrôle administratif "n'est mobilisé que ponctuellement lorsqu'un problème est signalé" ; quant au contrôle financier, il "n'est pas mis en œuvre".
La loi Debré prévoit pourtant en son article 1er – je le rappelle à mon tour –, comme corollaire du contrat d'association et de la prise en charge des frais de fonctionnement des établissements privés par l'État, que "l'enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l'État".
Alors que l'enseignement privé sous contrat est financé à hauteur de 75 % par la puissance publique, il ne rend aujourd'hui pratiquement aucun compte à l'État.
Madame la ministre, nous nous réjouissons des mesures que vous avez annoncées en la matière. Mais le recrutement de soixante inspecteurs supplémentaires est-il bien suffisant pour mettre en œuvre le plan de renforcement des contrôles que vous avez élaboré ? Un objectif de 40 % des établissements privés sous contrat inspectés d'ici à 2026 est-il bien réaliste avec si peu de moyens ? Et, au-delà, à quoi les contrôles effectués aboutiront-ils ?
En décembre 2023, l'État n'a pas hésité à mettre fin au contrat liant le lycée lillois Averroès à l'État, vingt ans après sa création. L'État a ainsi cessé de le subventionner à partir de la rentrée 2024. Cette décision, aujourd'hui annulée par la justice administrative, a fait suite à l'avis favorable émis par une commission consultative présidée par le préfet du Nord, qui reprochait à l'établissement des irrégularités de gestion et des enseignements qualifiés de contraires aux valeurs de la République.
Les abus et les violences physiques, psychologiques et sexuels révélés à Notre-Dame de Bétharram ne sont-ils pas contraires aux valeurs de la République ? Comment justifier que le contrat liant cet établissement à l'État ne soit pas remis en cause ?
Si des manquements graves sont découverts lors des nouveaux contrôles que vous avez annoncés, les contrats d'association ou le financement de ces établissements seront-ils remis en cause et, si oui, selon quelle procédure ?
Nous demandons davantage de transparence sur ce sujet, comme c'est le cas par exemple au Royaume-Uni. Dans ce pays, lui aussi touché il y a quelques années par des scandales de violences et de pédocriminalité à répétition dans des établissements scolaires, le ministère chargé de l'éducation nationale a mis en œuvre, avec l'aide d'un organe de contrôle indépendant, des critères stricts de protection auxquels tous les établissements scolaires, sans exception, doivent se conformer.
J'en viens à un autre sujet d'inquiétude : le fonctionnement des établissements scolaires privés, mis en exergue par les scandales survenus à Notre-Dame de Bétharram, à Saint-Dominique de Neuilly-sur-Seine, à Sainte-Croix des Neiges, en Haute-Savoie, ainsi qu'à l'Immaculée-Conception, à Pau.
Si, au sein de ces établissements, certains adultes ont si longtemps pu perpétrer des violences, c'est aussi parce que ces dernières se déroulaient dans un milieu qui les favorisait ou, du moins, ne les empêchait pas ; un milieu social et culturel où les coups, les châtiments corporels, les humiliations, la violence gratuite et les rapports de domination étaient conçus comme faisant partie intégrante de l'éducation.
De ce point de vue, il était à la fois éloquent et choquant d'entendre le Premier ministre décrire, lors de son audition à l'Assemblée nationale le 14 mai dernier, une claque comme un "geste éducatif".
Non, la violence n'est jamais éducative. Les châtiments corporels constituent une violation du droit de l'enfant au respect de son intégrité physique et de sa dignité humaine ; de son droit à la santé, au développement, ainsi qu'à l'éducation ; de son droit d'être à l'abri de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il faut le dire et le répéter, madame la ministre.
Depuis la loi du 10 juillet 2019, le code civil précise fort heureusement que "l'autorité parentale s'exerce sans violences physiques ou psychologiques". Or, si les abus et violences révélés aujourd'hui dans tous ces établissements ont pu perdurer si longtemps, c'est aussi parce que, dans des milieux sociaux et culturels trop homogènes et recroquevillés sur eux-mêmes, il est plus facile de faire régner l'omerta, la loi du silence, ou la peur du qu'en-dira-t-on.
C'est aussi l'entre-soi cultivé dans ces établissements privés que met en cause le scandale de Bétharram ; un entre-soi qui permet de faire contre-société, comme dans la communauté catholique intégriste de Riaumont à Liévin, par exemple, et d'échapper à toute observation extérieure, à tout contrôle ; un entre-soi qui dispense de se confronter à l'altérité, à la différence, à ces "autres" qui viendraient mettre en cause des pratiques que l'on perpétue parce que "c'est la tradition, c'est l'habitude", ou parce que "l'on a toujours fait comme ça".
Madame la ministre, lutter contre l'omerta qui entoure ces abus, c'est aussi lutter contre le séparatisme scolaire. Or il faut tout faire pour favoriser la mixité sociale, la rencontre de milieux sociaux et culturels divers, dans tous nos établissements scolaires.
Il y a deux ans, un autre débat de contrôle avait été organisé dans cet hémicycle, sur l'initiative de notre groupe : à la suite de la publication des indices de position sociale (IPS) des établissements scolaires de toute la France, nous avions souhaité parler du manque de mixité sociale dans nos écoles et de l'inquiétante ségrégation scolaire à l'œuvre entre établissements.
L'un de vos prédécesseurs, M. Pap Ndiaye, avait alors conclu avec l'enseignement catholique un protocole d'accord décrivant une trajectoire et un plan d'action partagés, afin de renforcer la mixité sociale et scolaire des établissements d'enseignement privé sous contrat. Où en est aujourd'hui la mise en œuvre de ce protocole ? Pouvez-vous nous donner des chiffres relatifs à l'évolution des IPS et du taux de boursiers de ces établissements privés sous contrat ?
Madame la ministre, les membres du groupe socialiste sont déterminés à lutter contre les abus et les violences physiques, psychologiques et sexuelles en utilisant tous les leviers à la disposition de la puissance publique, parce que c'est la mission première de notre République que de protéger tous ses enfants. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, vous l'aurez compris : en vertu du plan "Brisons le silence, agissons ensemble" que j'ai annoncé au milieu du mois de mars dernier, les faits de violence et même les incidents pouvant mettre en cause la sécurité au sein d'un établissement, qu'il soit privé ou public, doivent systématiquement être communiqués à l'académie et, le cas échéant, à l'échelle nationale, via l'application "Faits établissement". Un second décret sera pris à cette fin.
Dans tous les établissements, qu'ils soient privés ou publics, une procédure claire doit s'appliquer pour que chaque membre du personnel auquel un élève se confie sache à qui rapporter ses propos et comment les faire remonter. Évidemment, les dispositions relatives à la transmission d'informations préoccupantes s'appliquent aussi, conformément à l'article 40 du code de procédure pénale. Mais, en l'occurrence, je parle de dispositifs spécifiques à l'éducation nationale.
Tous les établissements disposant d'un internat, qu'ils soient privés ou publics, seront soumis chaque trimestre à un questionnaire. J'ajoute que d'autres questionnaires devront être renseignés après chaque sortie scolaire avec nuitée et que, dans les établissements privés sous contrat, le nombre de contrôles, inférieur à 10 par an ces dernières années, sera porté à 1 000 en 2025.
Vous le constatez, nous tâchons d'être à la hauteur des drames révélés à Bétharram et ailleurs.
Pap Ndiaye, alors ministre de l'éducation nationale, avait en effet signé un protocole relatif à la mixité sociale dans l'établissement catholique. Par la suite, nous avons été conduits à moduler les moyens affectés aux établissements en fonction de leur indice de position sociale. Quant aux commissions prévues dans chaque rectorat pour examiner la situation au cas par cas, avec les établissements, elles ont bien été créées.
Toutefois, deux ans après la signature de ce protocole, nous n'avons fait qu'une partie du chemin. Nous sommes en train de…
M. le président. Madame la ministre, votre temps de parole est écoulé.
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. Je compléterai ma réponse à la faveur d'une autre question…
Mme Colombe Brossel. Nous voulons la suite ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. Monsieur le président, madame la ministre d'État, mes chers collègues, l'actualité est dominée depuis plusieurs semaines par les violences physiques et sexuelles commises au sein de l'institution Notre-Dame de Bétharram. C'est dans ce contexte très douloureux que les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ont souhaité la tenue de ce débat. Il est parfaitement légitime.
Ensemble, nous devons trouver les solutions permettant de lutter contre ces crimes pédophiles épouvantables et de préserver l'intégrité physique de nos enfants, particulièrement en exigeant des établissements scolaires une plus grande transparence.
Pour ma part, j'insisterai sur d'autres formes de violences qui affectent nos collèges et nos lycées. Ainsi, le 24 mars dernier, un adolescent de 17 ans est mort devant le lycée professionnel Louis-Armand à Yerres, dans l'Essonne, après avoir été poignardé lors d'une rixe. Quelques mois plus tôt, une violente bagarre a éclaté dans la cour de récréation du lycée Rosa-Parks de Montgeron. Un élève avait été frappé à coups de marteau. Jeudi dernier, des élèves du lycée Geoffroy-Saint-Hilaire d'Étampes ont lancé une porte du quatrième étage sur un groupe de professeurs, blessant gravement une enseignante.
À cet instant, je tiens à réaffirmer tout mon soutien aux proches des victimes, mais aussi à l'ensemble de la communauté éducative, très ébranlée par ces drames successifs.
Malheureusement, ces violences ne sont pas des cas isolés. Sur tout le territoire national, elles sont devenues une réalité incontournable et angoissante. En outre, elles ne se limitent pas aux rixes, les réseaux sociaux étant devenus un véritable espace de haine.
Evaëlle, Thibault, Lindsay, Lucas, Nicolas sont des prénoms que nous ne devrions jamais oublier, ceux d'enfants victimes de harcèlement scolaire, qui se sont donné la mort pour échapper à leurs bourreaux.
Dans son rapport paru en 2021, Harcèlement scolaire et cyberharcèlement : mobilisation générale pour mieux prévenir, détecter et traiter, notre ancienne collègue Colette Mélot estimait que 800 000 à un million d'enfants étaient victimes de harcèlement chaque année. Notre devoir, en tant que législateurs, est de tout mettre en œuvre pour que l'ensemble de ces violences cessent. L'école doit demeurer un sanctuaire pour les enfants. Qu'ils soient victimes d'abus hors du cadre scolaire ou au sein des établissements, l'école doit agir pour les protéger.
Mais que peut faire l'école concrètement ? Son rôle repose sur cinq leviers : prévention, détection, signalement, sanction, lorsque les violences sont commises au sein de l'établissement, et accompagnement des victimes, avec l'appui des forces de l'ordre et de la justice.
Les professeurs, personnels de l'éducation, médecins scolaires, directeurs académiques des services de l'éducation nationale (Dasen), recteurs, toutes les composantes de la communauté éducative sont engagées dans cette lutte. Nous saluons leurs efforts au quotidien. Mais disposent-ils de moyens suffisants ?
Ces dernières années, face à l'ampleur du problème, des rapports ont été publiés, des recommandations ont été faites, des mesures ont été adoptées. Je pense notamment à la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire, qui crée le délit de harcèlement scolaire et prévoit une peine pouvant aller jusqu'à dix ans de prison en cas de suicide ou de tentative de suicide de la victime.
Pour endiguer ces fléaux, des initiatives importantes ont été prises et doivent être soulignées. Ainsi, à l'échelle européenne, la Commission a adopté en avril 2024 une recommandation relative au développement et au renforcement de systèmes intégrés de protection de l'enfance. Cette démarche comporte un volet important sur la santé mentale des enfants. Elle préconise ainsi que chaque État dispose d'un plan national de soutien à la santé mentale des jeunes.
Il y a quelques jours, madame la ministre d'État, vous avez vous-même présenté, en marge des Assises de la santé scolaire, un plan tendant à faire de la santé mentale des jeunes une priorité nationale, ce dont je vous remercie. Pourriez-vous nous indiquer la façon dont seront concrètement mises en œuvre les mesures de ce plan ?
En France, la médecine scolaire devrait jouer un rôle central en matière de prévention et de détection des violences. Mais pour ma part, je fais le constat alarmant que la médecine scolaire est à bout de souffle et incapable, avec des effectifs aussi réduits, d'assurer ses missions.
En effet, l'éducation nationale est un désert médical à elle seule : un médecin scolaire est aujourd'hui chargé de 13 000 élèves, un psychologue s'occupe du suivi de 1 500 élèves et on relève un infirmier pour 1 300 enfants. Actuellement, la moitié des postes de médecin scolaire ne sont pas pourvus, tandis que l'évolution de la démographie médicale et les départs à la retraite, qui vont s'accélérer dans les deux prochaines années, n'incitent pas à l'optimisme. Un grand plan de revalorisation des missions et des rémunérations est impératif pour renforcer l'attractivité de ces métiers essentiels pour nos enfants.
Je tiens également à signaler plusieurs décisions relatives à la dégradation de la protection de l'enfance, rendues publiques à la fin du mois de janvier 2025 par la Défenseure des droits. Dans une décision-cadre comprenant des recommandations à l'endroit du ministère de l'éducation nationale, cette dernière propose notamment de revaloriser le métier d'assistant social en milieu scolaire. L'objectif est d'intensifier le recrutement de ces professionnels et d'envisager leur présence au sein des établissements du premier degré.
La Défenseure des droits demande aussi au ministère de l'éducation nationale de veiller à ce que l'ensemble des académies passent une convention avec les départements pour la mise en place, de manière prioritaire, de formations sur la protection de l'enfance. L'enjeu d'une telle mesure est de permettre aux équipes éducatives d'être mieux armées pour protéger nos enfants. Madame la ministre d'État, quelles suites ont été données à ces recommandations ?
Pour conclure, j'attire votre attention sur le fait qu'un certain nombre de collectivités territoriales prennent toute leur part dans ce combat essentiel et agissent pour protéger nos élèves et nos établissements scolaires. La région Île-de-France, notamment, agit avec détermination en faveur de la sécurité des lycéens. Des moyens significatifs sont consacrés à des opérations de sécurisation et la vidéoprotection continue d'être déployée.
Quant au Gouvernement, il a annoncé en mars dernier des fouilles de sacs à l'entrée des établissements, ainsi que des sanctions fortes pour les élèves en possession d'une arme blanche. Dans un contexte de flambée des violences scolaires, ces mesures visent à apporter une réponse concrète et rapide aux attentes croissantes des chefs d'établissement, des équipes pédagogiques et des familles.
Souhaitons qu'elles suffisent à endiguer la violence des jeunes et à ramener la sérénité nécessaire aux études. Mais, in fine, c'est bien aux parents qu'il incombe d'assumer la tâche d'éduquer leurs enfants et d'être pleinement conscients que la transmission des valeurs humaines est le seul rempart contre la barbarie.
M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je ne suis pas sûre de pouvoir répondre à toutes vos questions en deux minutes, madame la sénatrice, aussi évoquerai-je tout d'abord la situation dans l'Essonne et le phénomène des rixes, très visible dans ce département, mais aussi malheureusement partout ailleurs, comme on le voit sur les réseaux sociaux, où rixes, racket et bagarres sont médiatisés.
Le ministre de l'intérieur, Bruno Retailleau, et moi-même sommes naturellement très engagés dans la prévention des violences. Vous l'avez mentionné, nous avons adressé une instruction conjointe aux préfets et aux recteurs le 26 mars, en demandant que des contrôles inopinés des sacs soient effectués devant les établissements par les forces de sécurité intérieure, sur réquisition du procureur de la République et en concertation avec les autorités académiques et les chefs d'établissement. Pour mentionner un exemple concret, dans l'Essonne, trente opérations de fouilles de sac ont été menées depuis la fin du mois de mars.
Plus globalement, il est crucial, dans cette société de plus en plus violente, d'entretenir un partenariat très étroit entre les chefs d'établissement et les forces de sécurité, mais aussi les municipalités. Il importe donc que les enjeux de sécurité puissent être appréhendés dans toutes leurs dimensions, notamment par les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), que ce soit au sein des établissements scolaires ou en dehors. Je rappelle que le drame survenu dans l'Essonne s'est produit lors d'un trajet de retour.
Pour conclure, la santé mentale est un enjeu absolument majeur, comme le drame de Nantes nous l'a rappelé. Il faut revaloriser les médecins scolaires alors que, comme vous l'avez mentionné, près de 50 % des postes sont vacants.
Au-delà, je souhaite que soit mis en place dans chaque établissement un protocole de repérage et de prise en charge des élèves ayant des difficultés psychiques. Cela suppose, là encore, un travail en partenariat avec les acteurs du territoire, notamment les centres médico-psychologiques, pour permettre une prise en charge rapide. Ainsi, mon collègue ministre chargé de la santé et moi-même avons décidé que les élèves signalés par l'éducation nationale devaient bénéficier d'un accès coupe-file à ces centres afin d'y être pris en charge au plus vite.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir.
M. Stéphane Piednoir. Monsieur le président, madame la ministre d'État, mes chers collègues, chacun s'accordera vraisemblablement sur le fait que rien n'est plus précieux que nos enfants, pour lesquels nous voulons le meilleur afin qu'ils puissent grandir et s'épanouir au quotidien.
Il est légitime que les parents soient exigeants avec l'école, cet univers parallèle à celui du cercle familial, compte tenu du temps que les enfants y passent, même si cela crée parfois des tensions avec le corps professoral, cette corporation étant la seule à être soumise à une telle immixtion dans l'exercice de ses activités.
Cela n'a pas encore été dit au cours de notre débat, l'école a été pendant des siècles l'apanage de l'Église dans notre pays. L'enseignement est peu à peu devenu public sous la Révolution française, puis sous Napoléon, puis sous la République. Il ne s'est détaché de la religion et n'est devenu laïc qu'à la fin du XIXe siècle, ce qui n'est pas si ancien.
Depuis, les rapports entre l'État et les établissements privés ont été encadrés, d'abord par la loi Debré du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l'État et les établissements d'enseignement privés, puis par la loi Gatel du 13 avril 2018 visant à simplifier et mieux encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat. Certains d'entre vous se souviennent des travaux de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication ayant abouti à la rédaction de cette dernière.
Je tiens à rappeler que tous les établissements privés sont soumis aux contrôles administratifs et pédagogiques prévus par la loi, notamment sous le prisme de la protection de l'enfance, sujet qui nous occupe aujourd'hui.
Malgré cet encadrement juridique, la Cour des comptes et les auteurs de nombreux rapports parlementaires ont souligné l'insuffisance de ces contrôles, qui ne sont pas exercés ou le sont insuffisamment. Il appartient à l'État de regarder avec lucidité son rôle dans ces affaires. Dans cette chaîne, qui va du recueil de la parole au traitement des dysfonctionnements et des causes des violences, la collaboration entre l'État et les chefs d'établissement doit être totale.
Je dirai à présent un mot sur la temporalité. Nous ne pouvons pas aujourd'hui porter le même regard qu'il y a trente ou quarante ans sur l'univers scolaire. Quel élève de ma génération, qu'il ait été scolarisé dans le public ou dans le privé, n'a jamais assisté à un coup de règle pour indiscipline, à une craie lancée depuis le tableau, voire à une gifle administrée par un enseignant, qu'elle soit considérée comme "éducative" ou non ? Faisons preuve de sincérité sur ce sujet.
Toutefois, ce temps est révolu et c'est heureux, car l'école, nous en sommes d'accord, doit être le lieu de la seule instruction. Néanmoins, il convient de ne pas glisser sous le tapis des pratiques qui ont existé, des violences scolaires qui ont parfois eu des conséquences dramatiques sur ceux qui les ont subies : détresse psychologique, décrochage scolaire, voire passage à l'acte suicidaire.
Comment accompagner les victimes ? Le thème de notre débat est vaste, pour ne pas dire flou. Tout le monde est d'accord pour protéger l'enfant au sein de l'institution, mais reste à savoir dans quel cadre.
Soyons clairs, rien ne pourra jamais excuser les violences ou les atteintes sexuelles. L'interdit est nécessairement compris par l'auteur de telles violences, lesquelles relèvent du vice et sont condamnables pénalement. Les procédures sont bien connues, il faut les activer.
Cela étant, gardons-nous d'instrumentaliser les autres types de violences dans ce débat et de réveiller une nouvelle guerre scolaire, alors que les effectifs des établissements privés augmentent année après année. Ces établissements ne suscitent pas un mécontentement généralisé, l'enseignement qui y est dispensé étant de qualité. Je tenais à le signaler.
Mes chers collègues, ne versons pas dans les excès de certains parlementaires qui, dans une autre assemblée, mènent actuellement une véritable croisade contre l'enseignement privé catholique. En réalité, ils ne veulent pas d'école religieuse, sauf si cette religion est l'islam.
À ce stade de notre débat, j'attire votre attention sur le rapport Frères musulmans et islamisme politique en France, qui porte sur l'entrisme des Frères musulmans dans tous les champs qu'ils ont investis, notamment l'éducation. Il démontre qu'un danger existe aujourd'hui et menace concrètement notre République.
Les contrôles administratifs ne reposent que sur de rares signalements, malgré la gravité du sujet, comme on l'a vu s'agissant du lycée musulman Averroès à Lille ou encore au sein du groupe scolaire Al-Kindi. Les inspecteurs de l'éducation nationale ont trouvé au sein des établissements de ce groupe plusieurs livres problématiques faisant la promotion d'un djihad violent, de la peine de mort pour les homosexuels, légitimant les violences conjugales. Enfin, le génocide des juifs est ignoré dans leur enseignement.
Notre collègue Ouzoulias parlait précédemment d'encadrement des élèves dans leur scolarité : il me semble que, en l'espèce, nous n'y sommes pas du tout, que la liberté de conscience n'est plus respectée et qu'il y a donc, aujourd'hui, un véritable danger dans ce type d'écoles.
Ne dévoyons pas le débat en sombrant dans un clivage public-privé. La liberté d'enseignement fait partie des fondamentaux de notre République. La liberté n'exclut évidemment pas le contrôle, mais ce dernier doit être effectif. Aucun établissement n'est au-dessus des lois, mais le caractère propre des établissements privés doit être préservé, comme l'équilibre délicat de l'enseignement scolaire dans notre République.
Ainsi, les dysfonctionnements que vous jugez exacerbés dans l'enseignement privé sous contrat s'expliquent, comme l'a dit Jean-Michel Blanquer, par la "culture de l'Éducation nationale de regarder davantage dans les établissements publics". Ainsi, la culture de la déresponsabilisation entre les auteurs de violences et les établissements des corps d'inspection ne doit pas nous éloigner de ce qui s'impose comme le seul objectif : l'école doit être un lieu d'apprentissage. La violence, sous toutes ses formes, n'y a aucune place.
Madame la ministre d'État, alors que j'interviens en septième position dans ce débat, vous avez déjà répondu à un certain nombre des questions que je comptais vous poser. Je voulais vous interroger sur les contours et les objectifs des contrôles que vous avez programmés. Sont-ils orientés vers des établissements sur lesquels vous avez des doutes sérieux ou disposez de données précises ? Quelle est la nature des écoles qui seront prochainement contrôlées ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, je ne reviendrai pas sur le périmètre des contrôles, que j'ai déjà évoqué. Je précise juste que chaque académie a élaboré un plan de contrôle. Au total, l'ensemble de ces plans permettront de contrôler 1 000 établissements cette année à l'échelle nationale.
Ces plans visent à contrôler les établissements dans leur diversité, y compris les établissements hors contrat, lesquels font déjà l'objet de contrôles renforcés en vertu de la loi Gatel et de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. L'objectif, en effectuant 1 000 contrôles, est d'atteindre 40 % d'établissements contrôlés, dont la moitié sur place, dans les deux ans.
Au-delà des contrôles programmés, si des éléments conduisant à nous interroger sur le fonctionnement d'un établissement venaient à nous être communiqués, nous pourrions bien évidemment revoir nos priorités d'intervention.
Par ailleurs, quand le rectorat est alerté sur des dysfonctionnements graves, dès lors qu'il y a un fait de violence, une enquête administrative est ouverte. Celle-ci a pour objet de faire toute la lumière sur les faits signalés, d'identifier les responsabilités et de préconiser les suites à diligenter, tout cela, naturellement, s'entend sans préjudice des procédures qui peuvent être diligentées par ailleurs, dont le signalement au procureur de la République ou la transmission d'informations préoccupantes.
Le programme de contrôle sera donc adapté en fonction d'éventuels signalements ou de faits qui peuvent apparaître.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Fouassin.
M. Stéphane Fouassin. Monsieur le président, madame la ministre d'État, mes chers collègues, je m'exprime au nom de ma collègue Samantha Cazebonne qui vous prie de bien vouloir excuser son absence ce soir. Elle m'a chargé de vous lire son intervention. Vous comprendrez donc que je m'exprime au féminin… (Sourires.)
"Le débat proposé aujourd'hui par nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s'inscrit dans un contexte salutaire de libération de la parole sur les violences survenues dans certains établissements scolaires.
"En tant que législatrice, ancienne enseignante et cheffe d'établissement, mais aussi en tant que parent, je ne peux que saluer et encourager cette parole essentielle à la reconnaissance des victimes. Il est impératif que celles-ci soient écoutées, reconnues et accompagnées, et que l'État se dote des moyens de contrôle à la hauteur des enjeux, afin de garantir aux enfants la protection que leur doit l'école.
"En tant que sénatrice représentant les Français établis hors de France, je souhaite porter à votre attention les réalités de notre réseau d'enseignement français à l'étranger (EFE). Celui-ci compte plus de 600 établissements homologués dans 138 pays, évoluant dans des contextes très différents de ceux que vous connaissez sur le territoire national ou ultramarin. Dans ces établissements, les violences physiques sont, sauf exception, rares. Mais cela ne signifie pas que nos élèves sont à l'abri de toute forme de violence ou de vulnérabilité. Celles-ci prennent d'autres formes et appellent un engagement résolu de l'État.
"Le harcèlement scolaire est désormais mieux accompagné, notamment grâce au déploiement du programme de lutte contre le harcèlement à l'école (pHARe) et à l'utilisation de la méthode Pikas. Toutefois, il apparaît nécessaire d'aller plus loin, en déployant dans le réseau EFE certains dispositifs qui en sont encore absents, à commencer par des numéros d'appel d'urgence accessibles depuis l'étranger, à destination des enfants, des familles et des personnels. Des lignes similaires existent à l'étranger pour les violences intrafamiliales ou les violences faites aux femmes : pourquoi ne pas en envisager l'extension à notre réseau à l'étranger s'agissant du harcèlement ?
"Je rappelle également que la protection des enfants passe aussi par une meilleure prise en charge des élèves à besoins éducatifs particuliers. Ainsi, la création, en 2016, de l'Observatoire pour les élèves à besoins éducatifs particuliers (Obep) constitue une avancée utile.
"Cependant, les difficultés persistent : aujourd'hui, les familles doivent déposer une demande d'accompagnement auprès d'une maison départementale des personnes handicapées (MDPH) en France. Or ces structures locales ne sont pas toujours formées aux spécificités du réseau international et l'instruction des dossiers se révèle longue, complexe, voire inaccessible pour certaines familles. Ne serait-il pas temps d'envisager la création d'une MDPH centralisée, dédiée aux Français de l'étranger, pour améliorer le suivi, accélérer les réponses et assurer une mise en œuvre plus efficace des accompagnements, afin d'éviter l'exclusion de certains enfants français ?
"Enfin, je souhaite insister sur un autre pilier de la protection : les valeurs de la République. Même si, dans certains pays, leur transposition peut se révéler délicate, il nous faut affirmer que nos établissements français à l'étranger resteront toujours des lieux où l'on apprend à penser librement, à forger sa conscience et à exercer son esprit critique. Nous ne pouvons transiger sur ces principes, surtout dans un réseau auquel l'accès n'est pas obligatoire et qui accueille des familles pour qui il est un espace de neutralité et de liberté, parfois même un refuge. Or il arrive de plus en plus que ces valeurs soient contestées et remises en question.
"Dès lors, ne pourrions-nous pas envisager que les critères d'homologation comprennent plus explicitement le respect des valeurs républicaines, pour protéger nos enfants partout où elles pourraient être remises en cause ?
"Je tiens à remercier les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain d'avoir demandé l'inscription de ce débat important à l'ordre du jour de notre assemblée. Je vous remercie également, madame la ministre d'État, pour l'attention que vous portez à notre réseau d'enseignement français, si important pour nos compatriotes établis hors de France, pour les personnes de nationalités tierces que nous accueillons dans nos établissements et pour le rayonnement de notre modèle et de notre système éducatif à travers le monde."
M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je vous remercie, monsieur le sénateur, de mettre en lumière, au nom de votre collègue, le rôle de nos établissements français à l'étranger. Comme vous le relevez, du chemin reste à faire pour que l'ensemble des dispositifs qui existent sur le territoire national puissent bénéficier aussi à nos établissements de l'étranger.
Je précise que les leviers que nous pouvons actionner dépendent beaucoup du statut de ces établissements, qui, sans entrer dans le détail, sont tous très différents. Sans doute pourrai-je évoquer ce point avec la sénatrice Samantha Cazebonne.
Toujours est-il que, depuis septembre 2023, le bien-être des élèves et des personnels figure explicitement parmi les critères d'homologation d'un établissement français à l'étranger par le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. En cas de dysfonctionnement, les établissements peuvent faire l'objet d'un contrôle, décidé en lien avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Il est alors procédé à une inspection et à une évaluation par l'inspection générale. En cas de manquement grave, l'établissement peut se voir retirer son homologation.
J'ajoute que seule une partie des personnels a le statut de titulaire de l'éducation nationale et bénéficie d'un détachement direct dans ces établissements partenaires. Pour eux, la direction générale des ressources humaines du ministère est chargée d'engager des procédures disciplinaires en cas de manquement avéré, dès lors que celui-ci est signalé par le poste diplomatique ou par l'employeur.
Enfin, nous allons renforcer le travail mené avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), afin d'améliorer l'ensemble des procédures de signalement et de traitement que vous avez évoquées. Vous pouvez compter sur moi.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Garnier.
Mme Laurence Garnier. Monsieur le président, madame la ministre d'État, mes chers collègues, l'objet de notre débat est large. Plusieurs d'entre vous ont évoqué la question des violences physiques ou sexuelles des adultes envers les élèves dans les établissements scolaires. Mon collègue Stéphane Piednoir a porté à l'instant la position de notre groupe sur ces questions douloureuses.
Je souhaitais, pour ma part, vous parler ce soir des violences des élèves envers d'autres élèves. Cet enjeu me semble tout aussi essentiel en matière de protection et d'accompagnement de nos jeunes. Il concerne à la fois la santé mentale, la lutte contre le harcèlement scolaire et les conséquences délétères des écrans et des réseaux sociaux.
Je ne peux évoquer la santé mentale de nos élèves sans rappeler l'événement dramatique que nous avons vécu le mois dernier à Nantes, une jeune fille de 15 ans étant décédée après avoir été poignardée à cinquante-sept reprises par un élève de son lycée, en plein cours de mathématiques.
Vous êtes venue à Nantes ce jour-là, madame la ministre d'État, pour soutenir la communauté éducative de ce lycée : je vous en remercie. La fragilité psychologique du jeune meurtrier, très isolé et aux tendances suicidaires, est apparue très tôt. Il a rapidement été hospitalisé en psychiatrie, puis transféré dans un établissement du sud de la France réservé à des patients présentant des pathologies mentales lourdes.
Au-delà de ces cas extrêmes, la santé mentale de nos jeunes se maintient à des niveaux préoccupants, surtout depuis la crise du covid-19. Ainsi, une étude réalisée en 2022 par Santé publique France fait part de chiffres inquiétants : 13 % des enfants âgés de 6 à 11 ans présentent un trouble probable de santé mentale et 24 % des lycéens déclarent avoir eu des pensées suicidaires au cours des douze derniers mois.
Face à ces questions, la fragilité de la filière psychiatrique pose question. Le département de Loire-Atlantique enregistre l'un des plus faibles ratios de pédopsychiatres libéraux par habitant. Par ailleurs, de nombreux postes restent non pourvus au sein du centre hospitalier universitaire (CHU).
Ainsi, les délais de consultation en pédopsychiatrie sont aujourd'hui de douze à dix-huit mois, ce qui a des conséquences directes sur la réussite scolaire de nos enfants. Par exemple, dans un collège nantais, trois élèves de cinquième atteints de troubles scolaires anxieux ne sont pas venus en classe depuis le mois de novembre dernier. La reconstruction d'une filière de pédopsychiatrie à la hauteur des enjeux est donc une urgence absolue.
Protéger et accompagner les élèves au sein des établissements scolaires, c'est aussi lutter contre le harcèlement, lequel est amplifié par l'omniprésence des écrans et des réseaux sociaux. Je me permets, mes chers collègues, de partager une conviction : l'hyperviolence se nourrit constamment de ces outils numériques, qui sont devenus des catalyseurs de la fabrique des barbares. Il est vital de protéger nos élèves de ces outils digitaux, qui ont envahi leur temps et leur espace quotidiens. Je rappelle qu'un adolescent âgé de 13 à 19 ans passe en moyenne cinq heures par jour sur les écrans.
Michel Desmurget, docteur en neurosciences à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), établit ainsi un lien direct entre cet usage excessif des écrans et l'augmentation des comportements violents. En particulier, il analyse la question du manque d'empathie, à la source de ces comportements violents et favorisés par le déploiement d'algorithmes égocentrés. Ces derniers ne permettent pas aux jeunes de développer une compréhension profonde des émotions d'autrui. La violence des contenus, dont chacun a sans doute déjà eu un aperçu, suscite également une forme de désensibilisation à la souffrance de ses semblables.
Dans ce panorama plutôt sombre, madame la ministre d'État, je reste convaincue que l'éducation nationale dispose d'un certain nombre de leviers puissants pour restaurer l'empathie et lutter contre ces comportements violents entre élèves.
Au premier rang de ces leviers, l'on trouve la lecture, clé de voûte, à mon avis beaucoup trop sous-estimée, de nos compétences relationnelles et de nos habiletés sociales, pour reprendre les termes de Michel Desmurget. Les recherches scientifiques sur la lecture, mes chers collègues, montrent en effet que la richesse des émotions décrites dans les livres, la diversité des personnages rencontrés, notamment dans les romans et les autres ouvrages de fiction, sont des outils puissants pour recréer l'empathie nécessaire à la qualité du lien social.
Au-delà de ces atouts, la richesse du vocabulaire utilisé dans les livres est aussi essentielle pour permettre à nos jeunes élèves d'exprimer et, par là même, de maîtriser leurs émotions. Ainsi, de nombreuses études montrent le lien direct entre le faible nombre de mots assimilés et le niveau de violences de certains élèves.
Le linguiste Alain Bentolila indique ainsi que "une partie importante des jeunes Français ne possède que quelques centaines de mots, quand il leur en faudrait plusieurs milliers pour tenter d'examiner et d'accepter pacifiquement leurs différences et leurs divergences". Le fait qu'un livre destiné à un enfant de 3 ans comprenne plus de mots de vocabulaire que la plupart des contenus des réseaux sociaux doit nous faire collectivement réfléchir.
Ce débat sur la protection et l'accompagnement de nos élèves est donc l'occasion, madame la ministre d'État, de vous alerter sur les troubles psychologiques et psychiatriques qui explosent chez les élèves français, largement nourris par un usage intensif des réseaux sociaux.
Réinterroger la place des écrans, faire réellement appliquer l'interdiction des smartphones dans nos écoles et dans nos collèges, peut-être aussi à l'extérieur, me semble donc une priorité absolue pour apaiser le climat scolaire au sein de nos établissements.
M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. J'adhère totalement à votre propos, madame la sénatrice, qui soulèvent la question de la prévention de la violence.
Nous déplorons un véritable phénomène d'addiction aux écrans. Vous avez mentionné le fait que beaucoup d'élèves passent jusqu'à cinq heures par jour devant leurs écrans et évoqué tous les risques que cela entraîne en matière de cyberharcèlement et de banalisation de la violence.
C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité généraliser la pause numérique dans tous les collèges à partir de la rentrée prochaine. Nous devons nous-mêmes éviter d'inciter les élèves à utiliser des téléphones via les logiciels de vie scolaire, comme Pronote. Ces derniers ne seront plus mis à jour de vingt heures à sept heures du matin, ainsi que le week-end. Nous devons inciter nos élèves à se détacher de leurs écrans. Lire un bon livre est sans doute en effet un bon moyen pour eux d'y parvenir !
Par ailleurs, vous avez insisté sur l'importance des compétences psychosociales. Elles figureront désormais parmi les compétences à acquérir dans le socle commun de compétences. Différentes actions visent à renforcer ces compétences, notamment les cours d'empathie, qui ont été généralisés depuis la rentrée dernière.
Du reste, j'ai mentionné les moyens que nous allons déployer pour mieux détecter et prendre en charge les élèves en détresse psychologique. Vous l'avez souligné, un élève en détresse psychologique peut être dangereux pour lui-même, mais aussi pour les autres. À cet égard, il faut tout faire pour qu'un drame similaire à celui qui est survenu à Nantes ne puisse pas se reproduire.
- Conclusion du débat -
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme la ministre d'État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord à vous remercier d'avoir organisé ce débat sur ces sujets qui sont au cœur de mes priorités.
Vous le savez, ces derniers mois, d'anciens élèves ont révélé avoir subi des violences physiques, morales et sexuelles inqualifiables. Je veux redire aux victimes tout mon soutien et ma solidarité.
Ces révélations nous ont tous indignés. Elles ont suscité une prise de conscience collective et une exigence de vérité et de justice. Les auteurs, premiers responsables, doivent répondre de leurs actes personnellement devant la justice.
Je l'ai dit clairement dès les premiers témoignages : l'État n'a pas été au rendez-vous. Il lui revient donc, aujourd'hui, de l'être pleinement. C'est tout le sens du plan "Brisons le silence, agissons ensemble", que j'ai présenté le 17 mars dernier.
Ce plan repose sur trois piliers : assurer la remontée systématique des faits de violence dans les établissements privés et publics ; mieux recueillir la parole des élèves dans toutes les écoles et tous les établissements ; renforcer les contrôles dans les établissements privés sous contrat.
J'ai eu l'occasion, lors de nos échanges, de détailler la mise en œuvre de ces mesures, qui visent un seul et unique objectif : faire de l'école un lieu protégé où chacun se sent en sécurité. Cela implique de protéger les élèves contre toute forme de violence, non seulement de la part d'adultes, mais également entre eux.
Il s'agit d'abord de les protéger contre toute forme de harcèlement. Tel est l'objet du plan interministériel de lutte contre le harcèlement à l'école que j'avais présenté en septembre 2023. Il requiert une mobilisation collective qui, au travers du programme pHARe, vise trois objectifs : 100 % de prévention, 100 % de détection, 100 % de solutions.
Cette lutte s'articule autour d'actions ciblées : formation de tous les personnels d'ici à 2027 ; séances d'information et ressources numériques à destination des parents ; sensibilisation des collégiens à hauteur de dix heures par an, via l'apprentissage des compétences psychosociales ; cours d'empathie déployés à l'école primaire ; mise en place de questionnaires ; déploiement du 3018.
Nous allons également renforcer la lutte contre la surexposition aux écrans, ses conséquences en matière de cyberharcèlement et la banalisation de la violence sur les réseaux sociaux. J'ai déjà évoqué la mesure que nous avons prise concernant les logiciels de vie scolaire.
J'ajoute que protéger les élèves, c'est aussi lutter contre le port et l'usage d'armes blanches par ces derniers. Des drames sont survenus ces derniers mois et ont coûté la vie à des élèves. Le ministre de l'intérieur et moi-même nous sommes engagés dans ce combat avec détermination.
Tout élève pris, dans son établissement ou aux abords, en possession d'une arme blanche comparaît désormais systématiquement devant le conseil de discipline de son établissement. J'ai signé un décret, qui sera publié dans les prochains jours, pour rendre cette comparution obligatoire. Un signalement est par ailleurs transmis systématiquement au procureur de la République, au titre de l'article 40 du code de procédure pénale.
Bruno Retailleau et moi-même avons adressé une instruction conjointe afin que les forces de sécurité intérieure, sur réquisition des procureurs, puissent effectuer des contrôles inopinés des sacs des élèves devant les établissements.
En un mois, plus de 1 000 contrôles ont été réalisés et une centaine d'armes blanches ont été trouvées.
D'une façon générale, tout fait de violence commis par un élève appelle une réponse ferme : interdiction d'accès à l'établissement par mesure conservatoire, engagement d'une procédure disciplinaire et, si les faits sont susceptibles de revêtir une qualification pénale, signalement au procureur de la République.
Je rappelle que 170 postes de conseillers principaux d'éducation (CPE) et 600 postes d'assistants d'éducation ont été créés afin d'améliorer le climat scolaire.
Par ailleurs, certains drames ont mis en lumière les enjeux de santé mentale. C'est un problème qu'il faut prendre à bras-le-corps. À cet égard, Yannick Neuder et moi-même avons annoncé des mesures concrètes le 14 mai dernier, lors des Assises de la santé scolaire. D'ici à la fin de l'année 2025, chaque école, chaque établissement, devra s'être doté d'un protocole de repérage et de prise en charge de la souffrance psychique des élèves.
Deux personnels repères en santé mentale seront formés durant l'année au repérage des signes de souffrance psychique et à l'accueil de la parole des élèves, de façon à les orienter vers une prise en charge adaptée.
Garantir un espace sûr et protégé à l'ensemble de la communauté éducative, c'est aussi témoigner du soutien de l'institution aux professeurs victimes de menaces ou d'agressions.
Je rappelle que j'ai soutenu les propositions qui ont été débattues ici même, le 6 mars dernier, en faveur de l'octroi aux enseignants de la protection fonctionnelle systématique en cas de violences verbales ou physiques. Je suis également favorable à la possibilité d'un dépôt de plainte par l'administration en lieu et place du personnel victime.
M. Pierre Ouzoulias. C'est une excellente mesure !
Mme Élisabeth Borne, ministre d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez assurés de ma détermination à tout mettre en œuvre pour que la violence ne trouve jamais sa place à l'école – jamais ! (MM. Pierre Ouzoulias et Stéphane Fouassin, ainsi que Mme Laure Darcos applaudissent.)
source https://www.senat.fr, le 6 juin 2025