Interview de Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics, à RTL le 10 juin 2025, sur les économies budgétaires, les fonctionnaires, les agences de l'État, les niches fiscales et Ma Prime Rénov'.

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Média : RTL

Texte intégral

AMANDINE BEGOT
Et tout de suite, l'invitée de RTL Matin, elle est la ministre qui cherche des milliards. Thomas, vous recevez aujourd'hui Amélie DE MONTCHALIN, ministre des Comptes Publics.

THOMAS SOTTO
Bonjour et bienvenue sur RTL, Amélie DE MONTCHALIN.

AMELIE DE MONTCHALIN
Bonjour.

THOMAS SOTTO
Le compte n'y est pas, c'est vous qui l'avez dit ce week-end à vos collègues ministres. Priez de se serrer la ceinture pour l'année prochaine. Vous allez commencer à les recevoir tout à l'heure. Je voudrais qu'on soit vraiment hyper concret ce matin. Qui va devoir faire des économies ? Est-ce que tous les ministères, sans exception, sont concernés ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Aujourd'hui, tous les ministères sont sous le regard des Français. Tous les agents qui gèrent de l'argent public sont sous le regard des Français. Pourquoi ? Parce que c'est le dernier moment pour avoir du courage. Pourquoi je dis que c'est le dernier moment ? Parce que notre situation est telle que nous sommes le dernier pays de la zone euro à avoir le déficit que nous avons. Parce qu'aujourd'hui, nous avons le choix, en tant que pays, de décider ce que nous voulons faire pour nos armées, pour notre défense, pour notre hôpital, pour notre éducation. Si on ne fait pas aujourd'hui, si on ne prend pas aujourd'hui ces décisions, alors bientôt, ce seront les institutions internationales, nos créanciers privés qui décideront pour nous.

THOMAS SOTTO
Vous avez parlé d'une mise sous tutelle éventuelle du FMI, le Fonds Monétaire International. On en est là aujourd'hui ?

AMELIE DE MONTCHALIN
On en est à un moment où on doit prendre des décisions historiques. Nous avons beaucoup protégé les Français, les entreprises, les emplois pendant des crises inédites. La crise du Covid, la crise de l'inflation, la guerre en Ukraine. Aujourd'hui, il faut que nous ressaisissions l'arme budgétaire, que nous nous remettions en ordre, que nous rangions au fond la maison. Pourquoi ? Parce que si nous ne le faisons pas, effectivement, d'autres décideront pour nous. Vous savez, chaque année…

THOMAS SOTTO
Pardon, je vous repose la question, mais il y a un risque de tutelle du FMI ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Chaque année, bien sûr qu'il y a un risque. Il y a un risque de tutelle des institutions internationales, des institutions européennes, de nos créanciers.

THOMAS SOTTO
Qu'est-ce que vous avez fait depuis huit ans pour comprendre ? Parce que la guerre en Ukraine, ça a concerné tout le monde. Le Covid, ça a concerné tout le monde. L'inflation, ça a concerné tout le monde. Et les autres pays ne sont pas dans cet état-là ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Parce que les autres pays savent et réussissent à courageusement se dire qu'une dépense publique, un euro public, chaque année, on se demande s'il est bien investi dans le quotidien des Français, s'il fait une différence.

THOMAS SOTTO
Nous, on gaspille ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Nous, au fond, on a une forme de tendance à se laisser aller, à considérer qu'un euro qui est là, il est là pour toujours. Et donc, l'exercice que je vais avoir avec mes collègues... Vous savez, ce n'est pas un exercice comptable. C'est un exercice où, au fond, je représente les contribuables. Je représente les Français, et je dis à chacun de mes collègues, qui sont des personnalités d'envergure, qui ont de l'expérience, qui veulent d'ailleurs peser dans le débat public, et c'est formidable, je veux dire, au fond, est-ce que chaque euro de votre budget, est-ce qu'il est visible, utile dans le quotidien des Français ?

THOMAS SOTTO
Donc, je repose ma question, il y a des économies possibles dans tous les ministères ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Dans tous les ministères, on peut faire mieux. Dans tous les ministères, on peut se poser des questions sur la manière d'utiliser le mieux l'argent. Dans les ministères régaliens, parce qu'il y a un sujet…

THOMAS SOTTO
La justice, l'intérieur ?

AMELIE DE MONTCHALIN
La Justice, l'Intérieur, les Armées. Nous avons des lois de programmation. On ne fait pas la petite semaine, une année, on fait des policiers, l'année prochaine, ça n'aurait aucun sens. On a donc ces lois de programmation. La question pour l'année prochaine, c'est, est-ce qu'on fait tout ce qui était prévu ? Est-ce qu'on fait différemment ? Est-ce qu'on fait un peu plus ? Est-ce qu'on fait un peu moins ?

THOMAS SOTTO
Donc, on n'est pas sûr de faire tout ce qui était prévu ? Il y aura peut-être moins de policiers, il y aura peut-être…

AMELIE DE MONTCHALIN
Vous savez, dans les ministères, il n'y a pas juste des policiers. Il y a les moyens qu'on leur donne, il y a la manière dont on s'organise, il y a les agences, il y a les opérateurs, il y a notre structure. Parce qu'au fond, si c'est de l'argent que les Français ne voient pas dans leur quotidien, ça s'appelle la gabegie. Et moi, je suis là, dans ces entretiens, je veux vraiment le dire aux Français, en tant que représentant de tous ceux qui payent des impôts, et qui veulent savoir si à la fin, ça fonctionne. Si les services publics fonctionnent, s'ils voient la différence, et si surtout, on finance nos priorités, pas nos habitudes, nos priorités.

THOMAS SOTTO
Amélie de MONTCHALIN, on va être très clair, il y a une question qui est un sujet tabou explosif, celle des fonctionnaires. Y a-t-il trop de fonctionnaires aujourd'hui en France, oui ou non ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce n'est pas tabou, ce n'est pas explosif. Moi, j'ai été la ministre des Fonctionnaires, et ça a été l'expérience politique, je pense, qui a été la plus formatrice et la plus marquante.

THOMAS SOTTO
Il y en a trop ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce qui est certain, c'est que tous ceux qui ont géré les fonctionnaires comme des petits bâtons, vous savez, le fameux un sur deux, ça n'a pas marché.

THOMAS SOTTO
C'était Nicolas SARKOZY.

AMELIE DE MONTCHALIN
Il y a une autre chose qui n'a pas marché, c'est qu'à chaque fois qu'on s'est dit, " il y a un problème ", on met plus de moyens, une espèce de fuite en avant, plus de moyens, plus de fonctionnaires. Ça a eu une conséquence très néfaste sur les fonctionnaires. C'est que ceux qui étaient en poste n'ont pas pu être augmentés. On n'a pas pu, pour eux, les former. On n'a pas pu, pour eux, leur donner les compétences utiles.

THOMAS SOTTO
Vous voulez moins de fonctionnaires mieux payés ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Exactement.

THOMAS SOTTO
Donc, il y a trop de fonctionnaires aujourd'hui.

AMELIE DE MONTCHALIN
Exactement. Aujourd'hui, on a eu des hausses de recrutement dans des ministères, où du coup, la conséquence que ça a, c'est que nous n'avons plus, et nous n'aurons plus dans les prochaines années, les moyens d'augmenter, d'augmenter les salaires, de nous rendre attractifs.

THOMAS SOTTO
Combien il y a d'entre eux, des fonctionnaires ? Il y a eu plus de 23% de fonctionnaires en cinq ans, on le disait dans le journal de 7 h 30. Il y en a combien, en gros ?

AMELIE DE MONTCHALIN
C'est pour ça que... Moi, je ne vais pas vous donner un chiffre aujourd'hui, parce que sinon, ça veut dire les compter comme des petits mots.

THOMAS SOTTO
Il faut revenir à la situation d'il y a cinq ans ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce qui est sûr, c'est qu'il faut revenir à une situation... Les Français voient la différence dans leur quotidien. Je vous donne un exemple d'une administration qui s'est réformée, c'est les impôts. Il y a eu 25% de moins de fonctionnaires aujourd'hui qu'il y a dix ans. Comment ? Parce qu'on a fait la réforme du prélèvement à la source, parce qu'on a réorganisé notre présence sur le territoire. Je pense qu'aujourd'hui, les Français le disent, l'administration des impôts est l'une des administrations qu'ils considèrent la plus réactive, la plus modernisée…

THOMAS SOTTO
Donc, ce qui a été fait pour les impôts est possible ailleurs ? Bien sûr. Donc, moins 25%, c'est possible ailleurs ?

AMELIE DE MONTCHALIN
C'est possible si vous faites quoi ? Pas si vous dites moins 25%, pas si vous dites un sur deux. C'est possible si vous dites : on va améliorer le service public. On va se poser des questions. On va arrêter d'avoir des agents, des opérateurs, quatre ou six organisations qui font la même chose. Plus personne n'y comprend rien.

THOMAS SOTTO
Mais elles ne servent à rien, ces organisations ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce n'est pas qu'elles ne servent à rien.

THOMAS SOTTO
Si vous voulez les supprimer ou les fusionner, si vous ne les trouvez pas formidablement utiles.

AMELIE DE MONTCHALIN
C'est qu'elles font toute la même chose.

THOMAS SOTTO
Il y en a qui ne servent à rien.

AMELIE DE MONTCHALIN
Elles sont toutes utiles, mais parfois, elles sont au doublon. Parfois, elles sont toutes utiles, mais parfois, les élus locaux, notamment, en voient beaucoup, ils disent : " À la fin, qui me sert pour faire quoi ? " Et en faisant ça, sans faire de casse sociale, à horizon deux ou trois ans, on peut faire deux à trois milliards d'économies.

THOMAS SOTTO
Deux à trois milliards ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Pour les agences et les opérateurs, parce qu'il y a un tiers des agences et des opérateurs, je vous le confirme ce matin, sur lesquels nous allons soit les fusionner, les fusionner entre elles, les fusionner avec le ministère, soit les supprimer, soit réduire la voilure. Bref, nous demander, à nouveau, je vous le dis, que chaque euro que les Français payent avec leurs impôts soit utile dans le quotidien. Si à cette question, les ministres et nous-mêmes, nous ne savons pas répondre, alors ça veut dire que cet euro, il n'est pas utile. Ça veut dire qu'il ne faut pas le dépenser, ça veut dire qu'il faut qu'on puisse réduire ainsi, vous voyez, faire des économies. Ce n'est pas quelque chose qui est impossible, c'est possible avec méthode et c'est possible en ayant le courage de se dire que c'est le moment.

THOMAS SOTTO
Amélie De MONTCHALIN, j'ai pas mal de questions concrètes à vous poser et il ne nous reste pas beaucoup de temps. L'année blanche, est-ce que c'est une hypothèse ? Autrement dit, on reprend le budget de 2025 et on ne corrige pas avec l'inflation. Est-ce que c'est aujourd'hui une hypothèse pour faire ces quarante milliards d'économies ?

AMELIE DE MONTCHALIN
C'est une idée que certains parlementaires, notamment le président du Sénat, ont mis dans le débat. Mais j'y reviens. Ce n'est pas parce que je vais écrire le même argent et que je vais dire " Il n'y a pas de revalorisation que l'on sait faire ". Pour qu'il y ait le même argent ou qu'il y ait moins d'argent, il faut faire des réformes.

THOMAS SOTTO
Il faut s'interroger. Je ne suis pas président du Sénat, donc j'ai envie de comprendre ce que vous me dites. C'est oui ou c'est non, l'année blanche ? C'est une hypothèse ou ce n'est pas une hypothèse, ce matin ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Sur un plan budgétaire, de dire que les ministères dépenseront moins ou pour certains, ils dépenseront le même argent. C'est ce que globalement je vous dis depuis le début de l'interview. La question, ce n'est pas le combien. La question, c'est le comment et pour faire quoi. Les Français, est-ce qu'ils les intéressent ? Ce n'est pas de savoir comment, comptablement, à la fin, les plus et les plus, ou les moins et les moins, font des chiffres.

THOMAS SOTTO
Si les prestations sociales n'augmentent pas, ça les intéresse. L'année blanche, c'est ça aussi.

AMELIE DE MONTCHALIN
C'est pour ça que c'est un sujet que les parlementaires ont mis dans le débat. Moi, je pense que notre première priorité, ce n'est pas de se dire : " On va faire des réformes, au fond, qui seraient la facilité ". Notre enjeu, c'est qu'on fonde, et moi je me bats pour ça, c'est qu'on garde notre liberté en tant que pays. Et que notre liberté en tant que pays, c'est de faire des choix, à nouveau, qui mettent l'argent là où les priorités sont. Si certains considèrent que les priorités sont dans le soutien de telle ou telle catégorie, il faut qu'on puisse le financer. Mais ça veut dire que, du coup, il faut qu'on fasse des réformes ailleurs.

THOMAS SOTTO
Alors, moi, j'ai une question à poser sur les niches fiscales. Elles coûtent une fortune à l'État, vous connaissez l'adage, dans chaque niche fiscale se cache un chien enragé. Je voudrais qu'on prenne un cas très concret. Le CESU, pour les emplois à domicile. Aujourd'hui, tous les particuliers employeurs peuvent en bénéficier pour payer une femme de ménage, payer une nounou. Est-ce que ça, ça va changer ? Est-ce que ça pourrait être limité en fonction des revenus, par exemple ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Alors, ce que j'ai à vous dire sur ce sujet, c'est que, d'abord, il y a deux sujets sur lesquels, je crois que, collectivement, nous voyons que ça marche et qu'il ne faut pas y toucher. C'est tout ce qui touche à la garde d'enfants et c'est tout ce qui touche à l'accompagnement des personnes âgées. Je le dis très solennellement, ces deux sujets-là sont utiles, sont efficaces, accompagnent des personnes. Je crois que, collectivement, nous avons envie et nous avons besoin de soutenir. Il n'y aura pas de changement.

THOMAS SOTTO
Et les femmes de ménage ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Là, les parlementaires disent des choses sur un certain nombre de... Il y a 26 métiers aujourd'hui dans les services à la personne. Il y a des parlementaires qui disent : " Écoutez, on évalue, la Cour des comptes évalue ", est-ce que, au fond, c'est le bon périmètre ? Est-ce que c'est le bon taux de remboursement ? Quel est le bon équilibre entre le travail au noir qu'on ne veut pas encourager et le bon usage de l'argent public ?

THOMAS SOTTO
Donc, les femmes de ménages vous posaient des questions, ce n'est pas tranché ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Vous avez des cours à domicile, vous avez des gens qui font du sport à domicile, vous avez plein de choses qui sont aujourd'hui soutenues. Ce ne me semble pas anormal, ni même illégitime, que les parlementaires, le Gouvernement, mais, je le redis, tout ce qui touche à la garde d'enfants, tout ce qui touche à l'accompagnement des personnes âgées, je ne souhaite pas qu'on y touche. Après, les parlementaires peuvent décider autrement, mais moi, je ne souhaite pas qu'on y touche.

THOMAS SOTTO
Le problème, c'est que les principes sortent souvent à la réalité du terrain. Par exemple, il y a la grogne des taxis. Vous leur dites quoi ? On vous soutient ou on ne cédera pas parce que la sécu explose ? Il y a eu Ma Prime Rénov' aussi. Comment on fait ? On dit, voilà, on va faire des économies là-dessus, puis une corporation se lève et dit, non, pas question, et hop, les Gouvernements…

AMELIE DE MONTCHALIN
Si vous me permettez, sur Ma Prime Rénov', j'aimerais y retourner. Le président de la République a cent fois raison de dire que c'est une politique nécessaire. Mais il a tellement raison que c'est aussi cent fois plus intolérable que n'importe quoi de considérer qu'aujourd'hui, on a de la fraude massive.

THOMAS SOTTO
Énormément de fraudes : 10 %-11% de fraudes, c'est ça ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Qu'est-ce que Valérie LETARD a annoncé ? C'est de dire, et je veux le dire aussi à ce micro, les Français, les artisans qui veulent rénover vos maisons, vous pouvez envoyer vos dossiers. Vous pouvez les envoyer jusqu'à la fin du mois de juin. En juillet, août et début septembre, nous allons faire une revue totale. Tous les dossiers des honnêtes gens qui ont été déposés seront payés. Tous les dossiers des fraudeurs seront exclus. Ça nous permettra de quoi ? Au 15 septembre de réouvrir le guichet et d'allouer 100 % des fonds qui sont dans cette politique publique à usage des personnes honnêtes. Aujourd'hui, ce n'est pas un sale jour pour la rénovation énergétique. Ce n'est pas une sale journée pour les Français qui veulent faire des travaux. C'est un sale jour pour les fraudeurs. Et nous n'aurons pas la main qui tremble.

THOMAS SOTTO
Pour les honnêtes gens, même en juillet et en août, ils auront droit à Ma Prime Rénov, c'est ça ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Si le dossier a été déposé, il sera payé en juillet et août, s'il est honnête. Et ensuite, ils peuvent déposer les dossiers, je le dis à ce micro, jusqu'à la fin du mois de juin. Et à nouveau, à partir du 15 septembre, entre temps, on aura fait quoi ? On aura fait le ménage pour que les fraudeurs n'utilisent pas des dispositifs utiles, tout à fait nécessaires pour notre pays, à des freins qui sont du trafic, de la criminalité organisée. Et à nouveau, ce n'est pas des économies de bouche en aile. Ce sont des priorités que nous servons, et nous les servons avec sérieux. Je pense que les Français nous le demandent, et je le ferai, vous voyez, avec beaucoup de volontarisme.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 11 juin 2025