Texte intégral
M. le président
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2024 (nos 1285, 1492).
La parole est à Mme la ministre chargée des comptes publics.
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
Le gouvernement vous présente aujourd'hui le projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2024, désigné par l'acronyme barbare de PLRGAC. Ce texte, qui constate le passé, est technique et à vocation comptable, comme son nom l'indique. Il est pourtant essentiel, car il traduit la réalité des choses : il s'agit de rendre compte des résultats de la gestion. Ce constat permet en particulier d'apprécier l'impératif de redressement de nos finances publiques. Il est donc nécessaire pour préparer l'avenir.
Le premier ministre l'a dit le 15 avril dernier : la vérité permet d'agir. C'est le devoir de l'exécutif à votre égard –? représentation nationale – et plus généralement le devoir de l'État auprès des citoyens, également contribuables, de dresser ce diagnostic. L'objectif est d'établir un constat comptable partagé pour mieux se projeter. L'examen de ce projet de loi est d'ailleurs un prérequis du débat budgétaire qui se tiendra à l'automne, c'est pourquoi nous le soumettons à l'Assemblée aujourd'hui. Bien que son équivalent ait été rejeté ces trois dernières années, son examen demeure une étape incontournable pour retrouver une gestion politique de nos finances publiques plus apaisée.
Dans mon propos, je reviendrai d'abord sur les conditions de la gestion 2024, puis je préciserai le contenu technique de ce projet de loi et le mécanisme de correction qui en découle pour tenir la trajectoire de la loi de programmation des finances publiques. Enfin, je vous présenterai les principes qui nous guident actuellement pour redresser les finances publiques.
Concrètement, la gestion 2024 s'est distinguée par de nombreux aléas et une forte activité tout au long de l'année afin de corriger la trajectoire et de baisser la dépense de l'État par rapport aux plafonds définis en loi de finances initiale (LFI) pour 2024. En particulier, un décret d'annulation a été pris dès février et des plafonds de dépenses ministériels inférieurs aux crédits disponibles ont été instaurés et accompagnés d'un surgel à l'été. Ensuite, la fin de l'année 2024 a été marquée par la préparation de l'entrée inédite de la gestion 2025 en régime des services votés, avec l'adoption de la loi spéciale.
Politiquement, chacun est fondé à faire des hypothèses sur ce qu'auraient pu ou dû être les décisions de 2024. Néanmoins, j'observe, au vu des reproches relatifs à la rapidité et à la proportionnalité des décisions, qu'un projet de loi de finances rectificative aurait connu un long parcours, ouvert des interrogations macroéconomiques et donné lieu à des complexités fiscales, voire à de nouvelles dépenses. Il n'aurait donc pas été de nature à contenir efficacement la dérive spontanée et rapide des comptes publics en 2024.
Votre assemblée, sous l'impulsion de nombre d'entre vous, a constitué à cet effet une commission d'enquête sur les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires. Elle a rendu son rapport récemment et je tiens à nouveau à saluer la qualité de ses travaux. Ce rapport a constaté, au niveau technique, la très grande difficulté des prévisions et les aléas exacerbés auxquels notre économie fait face –? et avec elle, nos finances publiques. Ces aléas et ces risques sont décuplés cette année sous l'effet de la triple crise que nous traversons : la crise géopolitique, la crise commerciale internationale et la crise économique marquée par la stagnation du modèle de croissance des pays occidentaux.
Si la dégradation de nos finances publiques en 2024 a été réelle, l'effort en gestion pour contenir les dépenses de l'État l'a été également. Après les constats de 2024, nos débats porteront désormais sur 2025, 2026 et jusqu'à 2029, échéance que nous nous fixons pour ramener le déficit public sous les 3 % du PIB, et ainsi arrêter d'augmenter notre dette.
Je tire surtout une conclusion importante de ces épisodes qui ont notamment reposé sur la mobilisation des administrations sous les gouvernements successifs : en dépit d'un contexte délicat, les Français ont pu mesurer combien la continuité des services publics a été pleinement assurée. Les efforts ont certes permis à la dépense de l'État d'être –? heureusement – contenue, mais surtout aux Français de continuer à vivre dans un pays tenu.
Ce texte présente quatre parties et dix articles, outre l'article liminaire. Ils traitent du solde public, des mécanismes du recours à l'endettement, des autorisations d'engagement et des crédits de paiement non consommés. Les articles 7 à 10 sont plus exceptionnels et visent à pallier l'absence de loi de règlement. Ce projet de loi vise à assurer, comme préalable à notre vie en tant que nation, que nos comptes sont bien tenus. Il est donc souhaitable qu'il soit adopté et referme ainsi les exceptions qui handicapent l'annualité de nos finances publiques et la sincérité des débats.
Les chiffres présentés dans ce texte posent un constat : la gravité de la situation de nos finances publiques à l'issue de l'année 2024 est présentée de manière claire et –? je l'espère – incontestable. Le déficit public de l'année 2024 s'établit à 5,8% du PIB. C'est un peu mieux par rapport à la dernière prévision de 6 % incluse dans la loi de fin de gestion, mais significativement moins bon que les 4,4 % prévus en loi de finances initiale pour 2024.
M. Emmanuel Maurel
C'est mieux que si c'était pire !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Cet écart par rapport à la loi de finances initiale pour 2024 est le même que celui résultant de la comparaison avec la loi de programmation des finances publiques 2023-2027 actuellement en vigueur. Supérieur à 0,5 point de PIB, il est constaté par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) et considéré comme important au sens de l'article 62-II de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf).
Conformément aux dispositions du même article, le gouvernement présente, avec ce projet de loi, les raisons de cet écart entre la prévision et l'exécution de l'année 2024 et indique les mesures de correction envisagées pour y remédier. L'analyse de l'exécution est développée dans l'exposé général des motifs, a fait l'objet de publications et a été longuement commentée, c'est pourquoi je ne m'étendrai pas sur ce point.
À la suite des crises, notre économie a connu des évolutions structurelles inattendues et reste exposée à des aléas significatifs, qui ont pesé fortement sur les recettes enregistrées en 2024, avec une élasticité de nouveau très faible. Les mesures prises en gestion pour modérer les dépenses sur le périmètre de l'État ont partiellement compensé cette dégradation : l'exécution de ces dépenses s'est élevée à 484,7 milliards, contre 491,9 milliards ouverts en LFI pour 2024 –? soit un écart de 7,2 milliards.
Pour l'année 2025 –? puisque j'ai l'honneur de servir notre pays dans la gestion de ses comptes publics depuis le 23 décembre 2024 –, la loi de finances initiale a engagé un effort courageux dans le sens du redressement de nos finances publiques, en s'appuyant sur un budget de compromis forgé par le Parlement grâce à une commission mixte paritaire conclusive. Ce compromis nous oblige pour l'exécution de ce budget.
C'est le sens de la nouvelle méthode de transparence et de réactivité que nous avons adoptée depuis la première édition du comité d'alerte en avril dernier. Cette méthode est destinée à faire face aux aléas, quoi qu'il arrive, et à maîtriser notre dépense publique, quoi qu'il arrive. Nous nous donnons collectivement les moyens de faire face aux aléas pour sécuriser le redressement de nos finances publiques.
L'objectif fixé d'un déficit à 5,4% est " impératif, ambitieux et atteignable ", selon les mots du premier président de la Cour des comptes. Pour nous y tenir, nous avons déjà instauré une gestion renforcée : reports de crédits sur les périmètres ministériels, divisés par deux par rapport à 2024 ; réserve de précaution de plus de 8,5 milliards sanctuarisée en interministériel ; gestion prudentielle de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam), doté d'une réserve de 1,1 milliard ; révision des dotations en fonction des trésoreries. Nous revenons aussi souvent que possible à l'idée que chaque euro public doit être efficace et déclencheur et ne pas créer des effets d'aubaine –? à l'idée, en somme, que la dépense publique n'est pas automatique.
Dans le même esprit, nous travaillons à la construction d'un budget base zéro pour 2026, qui étendra cet effort de redressement. Face aux nouveaux aléas géopolitiques, économiques et financiers, la prévision de croissance pour 2025 a été révisée à la baisse à deux reprises, d'abord de 1,1% à 0,9%, puis de 0,9% à 0,7%. En conséquence, nous avons annoncé dès avril 2025 de nouvelles marges de prudence à hauteur de 5 milliards pour l'État : cette mesure résulte d'une réaction rapide et transparente, prise dans le cadre d'un comité d'alerte dont la seconde réunion se tiendra fin juin et auquel le Parlement sera étroitement associé, tant la transparence doit être totale pour que la représentation nationale soit pleinement associée, non seulement au diagnostic, mais aussi à nos décisions.
Nous assumons ainsi nos responsabilités pour tenir les objectifs de finances publiques de la loi de finances initiale et l'objectif d'un retour du déficit sous la barre des 3% à l'horizon 2029. Nous nous attachons à mieux anticiper les aléas et les risques dès la gestion, dont la complexité nous impose une amélioration continue de notre pilotage. Nous y associons toutes les parties prenantes et tous les gestionnaires publics, qu'il s'agisse des représentants de l'État, des collectivités locales ou de la sphère sociale –? et évidemment vous, parlementaires et représentants de la nation, qui devez être légitimement les premiers informés des diagnostics et des décisions.
Cette prérogative démocratique est attachée à une autre fonction du Parlement : celle d'évaluer l'action du gouvernement mais aussi, en ce qui concerne nos finances publiques, l'efficacité de nos dispositifs publics. C'est un des enjeux majeurs de ce projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2024, mais aussi du Printemps de l'évaluation qui alimente un débat nourri et précieux pour préparer au mieux le budget 2026 et les suivants.
Avec le plan d'action lancé avec Éric Lombard en avril dernier, nous ouvrons désormais ce que certains appelaient auparavant une " boîte noire ". La boîte n'est pas noire et l'avenir doit être construit ensemble. Je vous remercie pour votre soutien. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.)
source https://www.assemblee-nationale.fr, le 12 juin 2025