Texte intégral
Monsieur le président de la commission,
Monsieur le rapporteur de la commission,
Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs,
Je suis heureux de pouvoir participer à cette commission d'enquête sur les coûts et les modalités effectifs de la commande publique et la mesure de leur effet d'entraînement sur l'économie française. Vos travaux vont permettre d'éclairer un sujet à la fois complexe et stratégique. Je vous remercie pour vos premières questions, j'espère que ce propos liminaire permettra d'y répondre, et me tiendrai ensuite bien sûr à votre disposition.
1. La commande publique : chiffres clés et rôle de l'État
Chaque année, le nombre et le montant des marchés publics augmente atteignant désormais 170Md€. Ce volume témoigne de l'importance du sujet, et de son impact potentiel à la fois sur la performance de l'action publique et sur notre tissu économique.
Rappelons cependant que l'État n'en représente qu'une partie, 25 Md€ hors défense en 2024, et environ 50 Md€ si on ajoute ses établissements publics.
La commande publique comprend également les collectivités locales qui représentent 73Md€ et les entreprises publiques et opérateurs de réseau pour 46Md€.
L'État, donc, est un acheteur important, avec ses propres besoins, mais tient aussi et surtout un rôle de réglementation. Il vise à acheter de manière performante, au meilleur coût, mais aussi à contribuer par ses achats à différents objectifs de politique économique ou encore de contribution à la transition écologique à travers notre effort d'achat responsable.
2. Le droit de la commande publique : au service du bon emploi des deniers publics
Je crois aussi utile de rappeler que le droit qui régit la commande publique repose sur plusieurs principes fondamentaux qui nous obligent tant au niveau national que du fait du droit de l'Union européenne :
- La justification des besoins : toute dépense publique doit répondre à un besoin réel et clairement identifié. Cela évite les achats superflus et garantit une utilisation optimale des ressources publiques.
- La mise en concurrence : elle est essentielle pour garantir l'efficacité économique et la transparence. En confrontant plusieurs offres, les acheteurs publics s'assurent d'obtenir la meilleure qualité au meilleur prix.
- L'ouverture des marchés : les marchés publics sont accessibles à tous les opérateurs économiques, nationaux, européens ou étrangers.
Ces principes concourent au bon usage des deniers publics. La nécessaire maîtrise des coûts permet ainsi de protéger les contribuables et le ministre des finances ne peut qu'y être attaché.
Ce sont aussi les évolutions récentes de notre droit de la commande publique qui ont introduit les enjeux de transition écologique, avec notamment l'obligation de généralisation des considérations environnementales à horizon 2026, dans tous les marchés pour tous les acheteurs publics.
3 : Un droit qui n'empêche pas la prédominance de fournisseurs établis en France
Je veux à présent évoquer la question légitime de l'achat français.
Vous le savez, dans le cadre du droit de l'Union européenne, il n'est pas possible de discriminer en fonction de la nationalité des entreprises pour l'attribution des marchés publics.
Cela étant, ce droit n'empêche pas de constater que plus de 97% des fournisseurs de l'Etat sont des entreprises établies en France, en nombre comme en valeur, et cela fait au moins 10 ans que nous ne sommes pas descendus sous ce seuil.
Si l'on s'intéresse aux marchés de services et de travaux, il faut noter que dans la pratique, le secteur français du BTP est largement bénéficiaire des marchés publics, preuve que nos entreprises savent être compétitives sur leur territoire en respectant les règles européennes.
La réalité est forcément plus nuancée pour les fournitures. Ces marchés s'inscrivent dans des chaînes de valeur internationales, qui limitent parfois la possibilité de choisir des produits français.
C'est aussi tout l'enjeu d'une politique résolument tournée vers le soutien aux filières. Depuis 2023, nous cherchons à exploiter les marges de manoeuvre juridiques disponibles pour faire en sorte que la compétitivité des biens et services produits en France et sein de l'Union européenne se trouve améliorée.
Il s'agit ainsi d'identifier les leviers indirects, tels que les considérations environnementales, juridiquement sécurisés.
Des stratégies d'achat de l'État ont été définies en 2024 dans 5 secteurs prioritaires pour les achats de panneaux photovoltaïques et de pompes à chaleur, de véhicules électriques et hybrides rechargeables, de matériels informatiques reconditionnés et de bornes de recharge électriques. Ces travaux vont s'étendre en 2025.
4. Mais ce droit peut évoluer au niveau national…
Ces considérations n'empêchent pas d'appeler à des évolutions du droit de la commande publique, au niveau national comme au niveau européen.
Le droit national de la commande publique peut et doit néanmoins évoluer et c'est d'ailleurs le cas avec le projet de loi de simplification de la vie économique actuellement en débat à l'Assemblée nationale qui contient désormais un certain nombre de dispositions sur la commande publique sur lesquelles je voudrais revenir.
Je voudrais d'abord souligner que nous avançons en étant à l'écoute du Parlement. Nous avons ainsi renoncé à poursuivre l'unification du contentieux de la commande publique, compte tenu des inquiétudes exprimées par les professionnels et les collectivités ce qui avait conduit votre assemblée à supprimer cette disposition du texte.
Ce projet permet également une extension de la plateforme de dématérialisation des procédures de marchés utilisée par l'Etat (PLACE) à l'ensemble des établissements publics de l'Etat, des établissements publics de santé et des organismes de sécurité sociale, ce qui facilitera l'accès aux marchés publics notamment pour les PME.
Nous prenons acte de ce que l'Assemblée nationale n'a pas souhaité son extension aux collectivités locales : il reviendra à la commission mixte paritaire de trouver sur ce point le bon équilibre.
Nous saluons enfin la pérennisation du seuil de 100 000 euros pour les marchés de travaux, un seuil qui permet de simplifier les procédures administratives tout en maintenant la transparence.
En revanche, certaines mesures ajoutées par l'Assemblée nationale pour favoriser explicitement les entreprises locales dans l'achat public sont contraires au droit européen. Leur maintien créerait un risque juridique important d'annulation des procédures qui seraient suivies sur leur fondement, et je lance un appel au Parlement pour qu'il revienne sur ces mesures lors de la commission mixte paritaire.
Et nous prendrions aussi un très grand risque de contrariété constitutionnelle si nous conservions dans le texte les dispositions qui conduiraient notamment à supprimer toute procédure de mise en concurrence et de publicité préalables pour 45% des marchés de fournitures et de services (contre 15% à ce jour).
Nous devons conserver en matière de seuils un équilibre entre la nécessaire simplification et la préservation, même sous une forme souple, des exigences de transparence et d'égal accès à la commande publique qui sont des garanties essentielles de bon usage des deniers publics.
5. …et au niveau européen
Sur le plan européen, la révision des directives relatives à la commande publique offre une opportunité majeure.
La France porte quatre priorités dans cette révision :
- Introduire une préférence européenne, afin de favoriser les produits fabriqués sur le territoire européen et non pas revendus par un importateur.
- Garantir la sécurité et la résilience de nos économies par une meilleure prise en compte de la nécessité d'assurer la sécurité des approvisionnements.
- Promouvoir la commande publique durable par la prise en compte de considérations de développement durable contraignantes.
- Simplifier le cadre de la commande publique, au soutien de la vie économique.
Sur la préférence européenne, il nous semble qu'il faudra travailler à la délicate définition de l'origine européenne des produits et services concernés, qui pose des questions redoutables.
Il nous faudra aussi concilier ces évolutions avec les engagements internationaux qui nous lient à des Etats avec qui nous avons ouvert nos marchés publics respectifs (USA, Canada, Japon, Corée, Singapour…). Mais cela doit se faire sans naïveté notamment si ceux-ci ne respectent pas leurs engagements.
6. Achat public et souveraineté
Pour finir, je voudrais aborder la question de l'achat public confronté aux exigences de souveraineté. Je serai bref car vous avez abordé ces questions hier avec Clara Chappaz.
Je crois d'abord qu'on de jeter un anathème sur telle ou telle entreprise en particulier. La compétitivité et la qualité des offres doivent rester des critères essentiels. Nous ne pouvons pas à la fois vouloir attirer les investissements de ces entreprises en France et les stigmatiser.
En revanche, nous devons nous montrer vigilants sur l'hébergement des données les plus sensibles et c'est pourquoi le Gouvernement s'est doté d'une doctrine dite « cloud au centre ».
Pour héberger leurs données sensibles, les ministères doivent à ce titre utiliser des solutions de cloud interministériel (comme celui dont dispose mon ministère) ou des offres commerciales disposant de la qualification SecNumCloud de l'agence pour la sécurité des systèmes d'information (ANSSI). Ces règles ont été récemment rappelées aux membres du Gouvernement par Laurent Marcangeli, Amélie de Montchalin et Clara Chappaz.
Mais nous pouvons aller plus loin et j'indique qu'avec Amélie de Montchalin, nous avons demandé à ce que soit lancé une cartographie des risques de souveraineté sur l'ensemble des achats de l'Etat. C'est en s'appuyant sur ces travaux que l'on pourra travailler aux mesures de remédiation de ces risques.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, la commande publique est incontestablement un levier indispensable pour notre économie. Elle doit être guidée par un qui protège les deniers publics tout en soutenant la compétitivité de nos entreprises.
Je vous remercie pour votre attention et suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
Source https://www.economie.gouv.fr, le 13 juin 2025