Texte intégral
SERGE CIMINO
Bonjour madame la ministre. Alors l'intelligence artificielle jusque-là n'existait pas dans un libellé ministériel ; c'était le cas un tout petit peu avant, quand vous étiez secrétaire d'État. Donc on va bien évidemment - comme le disait Djamel - en parler. Mais il y a eu un meurtre d'une surveillante à Nogent, Mélanie - il y aura d'ailleurs une marche blanche aujourd'hui à 18h - qui a amené… Et c'est le Président de la République qui a amené ce sujet-là, même peut-être un peu précipitamment puisque les réseaux sociaux ne sont pas forcément liés à ce dossier, mais il a évoqué, je le cite : il promet d'interdire les réseaux sociaux au moins de 15 ans en France si l'Union Européenne ne le fait pas. Est-ce que c'est un vœu pieux ? Est-ce que c'est possible ? Est-ce que vous y travaillez déjà ?
CLARA CHAPPAZ
D'abord j'ai une pensée pour ce drame qui est survenu cette semaine. Le lien que vous faites au-delà de ça, cette question des réseaux sociaux et de protéger nos enfants des dérives que l'on peut voir sur les réseaux sociaux, c'est une question qui nous occupe depuis maintenant de nombreux mois. Le Président de la République avait eu l'occasion de mentionner au moment de la commission écran des experts, des scientifiques qui ont travaillé sur les conséquences des écrans des réseaux sociaux sur nos enfants. Et cette recommandation, c'est une recommandation qu'on avait dit déjà vouloir mettre en place, et j'y travaille. Oui, c'est possible.
SERGE CIMINO
Il y a déjà des débats autour de la majorité numérique au sein de l'Europe. Quand vous dites c'est possible, est-ce que vous pouvez ce matin nous dire - alors bien sûr que ce ne sont que des pistes de réflexion - mais comment il est possible d'interdire ? C'est de contrôler un peu plus les identités et donc l'âge, ou est-ce que c'est, je dirais, plus que de la régulation et de l'interdiction numérique complètement ?
CLARA CHAPPAZ
Aujourd'hui, qu'est-ce qu'on cherche à faire ? On cherche à faire que la situation dans laquelle on est, c'est-à-dire que 3 enfants sur 5 sont déjà sur les réseaux sociaux avant 13 ans, quand bien même dans les conditions d'utilisation de ces réseaux, c'est déjà interdit. Mais nous pensons qu'il faut aller plus loin que 13 ans, il fallait jusqu'à 15 ans pour contrer toutes les dérives que l'on peut voir : les troubles de l'attention, les troubles du comportement, ces comportements d'addiction qui ont des conséquences très réelles sur la santé de nos jeunes. Et le premier élément pour faire ça, c'est de sortir de cette situation un peu cynique dans laquelle les plateformes qui connaissent tout de nous, elles savent ce qu'on aime manger, où est-ce qu'on s'habille, où est-ce qu'on va en vacances, mais elles disent ne pas savoir quel âge ont leurs propres utilisateurs. Et ça, ça doit changer. Ça doit changer comment ? En imposant une vérification de l'âge, une vraie vérification de l'âge pour rentrer sur les réseaux sociaux et s'assurer que seulement les personnes qui ont l'âge pour y aller puissent y aller. Parce qu'aujourd'hui, comment on s'inscrit sur un réseau ? On s'inscrit en mettant sa date de naissance. Et on a tous été des enfants. On voit très bien comment, quand il s'agit de déclarer sa date de naissance, on peut très bien se donner quelques années de plus. C'est un comportement naturel. Et donc cette responsabilité qu'on fait peser sur les enfants aujourd'hui, de déclarer leur bonne date de naissance, qu'on fait peser sur les parents – j'entends les parents qui me disent très régulièrement qu'ils sont désemparés face aux réseaux sociaux –, eh bien je veux leur dire que quand les plateformes ne prennent pas leurs responsabilités, on les prend. Et on veut imposer une vraie vérification de l'âge pour ensuite interdire les réseaux sociaux avant 15 ans. Pas interdire pour interdire, mais interdire pour protéger.
SERGE CIMINO
Mais la promesse du président de la République, est-ce que ce n'est pas d'une certaine manière dire que la régulation échoue et ça doit passer par l'interdiction, que ce soit au niveau européen et au-delà ? Même si c'est compliqué, on va en parler tout à l'heure. Mais est-ce que vous, vous diriez cela ? Ou est-ce que les deux sont compatibles ? Régulation pour les uns et un peu plus d'interdiction malgré tout pour, on va dire, les mineurs à partir de 15 ans et plus jeunes encore ?
CLARA CHAPPAZ
C'est justement le pouvoir de la régulation. On parle souvent de régulation comme un concept un peu abstrait. On a choisi en Europe d'encadrer le numérique. Le numérique, ce sont des outils formidables. C'est VivaTech cette semaine ; on y reviendra. On est le plus grand pays, le champion européen de l'innovation aujourd'hui, notre pays. Mais ce n'est pas parce qu'on veut développer ces technologies, les soutenir, faire en sorte que les entreprises se saisissent de ces technologies pour innover, pour avancer qu'on ne regarde pas les dérives et qu'on n'utilise pas les outils qui sont à notre portée, dont la régulation, pour protéger et interdire les réseaux sociaux. Grâce à la régulation, c'est quelque chose qu'on fera jusqu'au bout.
SERGE CIMINO
Alors il y a un débat qui s'est mêlé à cette histoire de réseaux sociaux. C'est le débat autour de la santé mentale. Le ministre de la Santé a proposé un plan. Mais quelques chiffres quand même pour dire qu'on est en retard - et ce n'est pas que ce gouvernement-là - mais le retard est énorme. La Cour des comptes disait en 2020 qu'il y a un médecin scolaire pour 13 000 élèves, un psychologue pour 1 500 et un infirmier pour 1 00 élèves. Le retard, il est facile à combler ou est-ce que c'est un vœu pieux, là aussi ?
CLARA CHAPPAZ
Justement, dans le périmètre qui est le mien, qui est le numérique, je reviens à ce qui se passe et pourquoi on a une réponse ferme aujourd'hui portée par le Président de la République qu'on met en place avec le Gouvernement à toutes les échelles. Vous avez parlé de l'Europe. C'est un combat qu'on mène en Europe. Peut-être qu'on aura l'occasion d'y revenir, parce qu'on a décidé en Europe de saisir de la responsabilité qu'ont ces grands réseaux sociaux où on passe des heures par jour. Nos plus jeunes, les mineurs de moins de 15 ans, qu'on veut protéger des réseaux sociaux… C'est encore une fois pour faire la différence entre adultes et les plus jeunes. Ils passent 4 à 5 heures par jour sur les réseaux. Et cela a des conséquences très réelles sur leur santé mentale. C'est tout à fait documenté par tous les scientifiques qui ont regardé ce sujet. Ce n'est pas la seule raison, bien entendu. Mais cette situation sur les réseaux que peut-être, si vous avez des réseaux sociaux, pour ceux qui nous écoutent, vous avez connus… On va chercher la gratification, on va tomber peut-être dans une bulle d'enfermement. C'est quoi, une bulle d'enfermement ? C'est qu'on voit tout le temps le même contenu. On va avoir accès à des contenus qui ne sont pas des contenus pour les enfants. Cette situation-là, c'est ce qu'on veut protéger et on veut s'assurer qu'on contribue à cette protection de la santé mentale en les protégeant.
SERGE CIMINO
Tout à fait. On verra si le Gouvernement met aussi des moyens supplémentaires. Mais vous l'avez évoqué, il y a une actualité importante dans votre secteur. C'est ce salon VivaTech. Alors pour ceux qui ne sont pas à Paris, c'est juste à côté de France Télévisions, c'est porte de Versailles. Alors c'est quoi l'enjeu de ce salon ? Je vais le résumer ; c'est innovation, start-ups. Vous étiez, vous, avant, directrice de la French Tech. C'est quoi la santé de ce secteur en France ? Est-ce qu'on est un pays moteur dans le secteur ?
CLARA CHAPPAZ
Tout à fait. On est un pays moteur dans le numérique, qui regarde en face les dérives, qui les encadre, mais qui, avant tout, innove, parce que…
SERGE CIMINO
Oui, il y a un côté positif. C'est un secteur économique très important.
CLARA CHAPPAZ
Tout à fait, parce que VivaTech, c'est quoi, aujourd'hui ? C'est le plus grand salon de la tech dans le monde. Il y a quelques années, quand on était dans une entreprise d'innovation, on devait aller à Las Vegas, aux fameuses CES, pour rencontrer les entreprises de la technologie. Après maintenant 8 ans de politique très favorable pour pousser, soutenir ces entreprises de l'innovation qu'a portée le Président de la République, ce sont les entreprises de l'innovation qui viennent ici.
SERGE CIMINO
La start-up nation est à porte de Versailles ?
CLARA CHAPPAZ
Et la start-up nation, c'est quoi ? C'est notre capacité à nous, en France, en Européen, de ne pas reproduire ce qu'on a fait aujourd'hui, qui fait qu'on est dans cette situation aussi avec les réseaux sociaux. Il ne vous aura pas échappé que les grands réseaux sociaux ne sont pas des réseaux sociaux européens ni français. Dans les grandes entreprises de la technologie, les plus grandes mondiales, on a, force est de constater, des entreprises qui ne sont pas majoritairement européennes.
SERGE CIMINO
Et qui ont fait politiquement allégeance au Président des États-Unis, ce qui n'est pas inintéressant. Mais on l'évoquera juste après sur la souveraineté numérique.
CLARA CHAPPAZ
Et si on veut changer ça, si on veut changer ça, et on est déterminés à changer, notamment sur l'intelligence artificielle, vous l'avez très justement mentionné, on a tous les atouts. On a les talents investis en la recherche massivement. On a l'énergie. On a accès au nucléaire qui permet d'être souverain. On parlera de souveraineté sur la capacité de calcul, de donner du calcul à nos chercheurs, à nos entrepreneurs pour entraîner leur modèle ici. Et on a ces hommes, ces femmes qui prennent des risques, qui vont entreprendre ici en France parce qu'ils ont envie de faire partie de ce projet d'innovation. Et ils savent qu'en créant des entreprises d'innovation dans notre pays, ils peuvent participer à faire en sorte qu'on soit à la pointe dans tous les domaines. Et ça, c'est le projet politique qui est le nôtre.
SERGE CIMINO
Hier, à la fin du Conseil des ministres, vous avez fait une communication autour de la souveraineté numérique. Est-ce que vous pouvez vulgariser, si j'ose dire, ce qu'est la souveraineté numérique ? Ça veut dire qu'aujourd'hui, nous ne sommes pas souverains dans cet univers, je dirais, mondialisé ô combien.
CLARA CHAPPAZ
Je vais faire un petit exercice qu'on peut tous faire chez soi. Si vous voulez chercher une information, par exemple, où est le salon VivaTech, qui reste d'ailleurs ouvert avec une grande journée, grande publique demain et qui est peut-être l'occasion pour toutes les personnes qui nous écoutent de venir voir ce que c'est un entrepreneur qui construit une batterie électrique, un entrepreneur qui construit de la robotique, un entrepreneur qui développe ses grands modèles d'intelligence artificielle de façon très concrète. Mais donc on fait cet exercice. Si demain, vous voulez vous rendre à VivaTech, vous allez prendre votre téléphone. Ce n'est certainement pas un téléphone européen. Vous allez aller sur un moteur de recherche qui, a priori, lui non plus, en tout cas en grande majeure partie des cas, ne sera pas européen. Vous allez certainement tomber sur une fiche d'information qui explique ce qu'est le salon. Là encore, pas européen. Notre capacité à avoir des outils européens pour le citoyen – là, on voit bien toutes les étapes – mais aussi bien sûr pour nos administrations, pour les entreprises ; c'est ça, la souveraineté. La souveraineté, c'est avoir le choix, avoir des alternatives et faire confiance à tous ces entrepreneurs qui sont là, là, juste à côté d'ici, à côté de notre studio, pour pouvoir se dire qu'ils construisent les meilleures innovations. Nous allons les soutenir. On sera toujours du côté des entreprises, des entrepreneurs pour les soutenir, pour qu'ils innovent en France. Et nous allons utiliser leurs solutions.
SERGE CIMINO
Alors il nous reste un peu moins d'une minute. Il y a un sujet que je voulais aborder. Est-ce que le développement de l'intelligence artificielle est compatible avec la transition écologique ? Puisqu'on le sait, il faut d'énormes ressources, par exemple pour faire tourner les gigafactories ou les datacenters, beaucoup d'eau, beaucoup d'électricité. Est-ce que vous travaillez, par exemple, avec la ministre du secteur, madame PANNIER-RUNACHER, pour que cette intelligence artificielle ne soit pas destructrice de l'écologie, qui n'est pas forcément un secteur très en avant dans le programme du Président de la République ?
CLARA CHAPPAZ
Alors le bilan, je pense, du Président dans la question de l'écologie, il parle pour lui-même. Et bien sûr que c'est une question importante. Et on travaille avec la ministre Agnès PANNIER-RUNACHER sur cette question et avec un grand nombre de pays. Parce que quand on a, ici en France, organisé le sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle voulu par le Président de la République en février, on a rassemblé autour de nous une soixantaine d'acteurs, des entreprises, des pays du monde entier pour dire qu'on veut une intelligence artificielle durable. Et ça veut dire quoi, concrètement ? La première chose, ça veut dire qu'une intelligence artificielle durable, elle s'entraîne ici en France. Parce que nous, on a l'énergie nucléaire qui est bas carbone, décarbonée. Et donc un modèle d'intelligence artificielle qui s'entraîne en France, un modèle d'intelligence artificielle français dans lequel on investit dans la recherche pour le rendre plus petit, plus efficace, moins consommateur d'énergie, c'est un modèle d'intelligence artificielle qui sera plus durable par nature.
SERGE CIMINO
Eh bien c'est un sujet qu'on suivra. Merci d'être passée ce matin sur le Canal 16. Pas besoin de faire de recherche là-dessus. Canal 16 de la TNT.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 juin 2025