Interview de Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, à TF1 le 3 juillet 2025, sur la mouvance masculiniste, les plateformes de réseaux sociaux et la modération de leurs contenus et la préparation du budget 2026.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Aurore Bergé - Ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations ;
  • Adrien Gindre - Journaliste

Média : TF1

Texte intégral

BRUCE TOUSSAINT
7 h 37, bonjour Adrien GINDRE.

ADRIEN GINDRE
Bonjour Bruce.

BRUCE TOUSSAINT
Votre invité ce matin, Aurore BERGÉ, ministre chargée de l'Égalité entre les Femmes et les Hommes et de la Lutte contre les Discriminations.

ADRIEN GINDRE
Bonjour Aurore BERGÉ.

AURORE BERGÉ
Bonjour.

ADRIEN GINDRE
C'est une première, on l'a vu tout à l'heure à l'antenne, un parquet antiterroriste a ouvert une information judiciaire contre un jeune homme de 18 ans se revendiquant de la mouvance masculiniste, incel, en français célibataire involontaire. Il est précisément soupçonné d'avoir voulu attaquer des femmes au couteau. Est-ce que vous y voyez un fait isolé ou un tournant pour notre société ?

AURORE BERGÉ
C'est un vrai fait de société que beaucoup ont pris trop longtemps à la légère, considérant que finalement tout ça, on se plaçait du point de vue de la morale, que ça ne prêtait pas à conséquence. Ceux qui ont vu une série très identifiée, adolescence, qui va d'ailleurs être projetée dans les collèges, ont commencé à comprendre en fait ce que ça voulait dire.

ADRIEN GINDRE
Puisque c'est un garçon qui, au couteau, attaque et tue une camarade.

AURORE BERGÉ
Ce que ça veut dire, c'est qu'on a aujourd'hui des adolescents qui sont biberonnés, infusés de théories qui leur expliquent que la cause de tout leur malheur, ce sont les jeunes femmes, ce sont les femmes, que la seule règle, c'est la domination, c'est la violence, et qu'on a donc le droit et la légitimité de s'en prendre à elles parce que c'est à cause d'elles qu'on est seul, c'est à cause d'elles qu'on est malheureux, c'est à cause d'elles qu'on est atteint dans ce qu'on est en tant qu'homme. Donc c'est ça l'enjeu majeur, c'est l'enjeu de la régulation des réseaux sociaux, parce qu'on voit bien qu'on a aujourd'hui un continent entier qui nous échappe et qui échappe à nos enfants et à nos adolescents.

ADRIEN GINDRE
Mais ça veut dire que vous considérez, il se trouve, Aurore BERGÉ, vous avez raison, le jeune homme en question était un consommateur de vidéos masculinistes sur TikTok. Vous considérez qu'il y a là une responsabilité, une causalité, un lien avec les réseaux sociaux ?

AURORE BERGÉ
En tout cas, on ne peut pas ignorer le lien, c'est-à-dire que lui-même passait des heures et des heures sur les réseaux sociaux, singulièrement, vraisemblablement sur TikTok. Ça veut dire qu'on a aussi des enfants, des adolescents qui ne choisissent même plus les contenus qu'ils regardent. Il y a une forme d'addiction, c'est une forme de drogue, d'addiction en fait aux réseaux sociaux. On n'arrive plus à leur retirer le téléphone des mains, on n'arrive plus à les empêcher de consommer, de surconsommer. Ils ne choisissent pas les contenus qu'ils regardent parce que l'algorithme leur propose en permanence des nouveaux contenus et les enferme dans des bulles. Donc ça détraque les cerveaux de nos enfants, de nos adolescents, ça détraque les représentations qu'on a des rapports humains. Ça déshumanise, d'ailleurs, parce qu'on n'a plus de rapports sociaux réels, on est en permanence connectés. Donc c'est un enjeu de régulation extrêmement puissant avec les plateformes.

ADRIEN GINDRE
Le 9 juillet prochain, je crois que vous recevez les réseaux sociaux, précisément, une nouvelle fois. Qu'est-ce que vous pouvez encore demander de plus ? Vous aviez déjà menacé de sanctions. De quoi peut-il s'agir ?

AURORE BERGÉ
Je les avis convoqués le 2 juin en disant qu'il y aurait une forme de clause de revoyure. Je les revois le 9 juillet, je ne serai pas seule, il y aura des associations qui seront présentes. Il y aura Yonathan ARFI pour le CRIF sur la question de l'antisémitisme. Il y aura SOS Racisme sur la question du racisme. Il y aura des associations LGBT. On est au lendemain de la Pride et on voit bien, malheureusement, les propos homophobes. Il y aura Caroline DARIAN pour M'endors Pas ou aux ailes féministes qui combattent aussi tout le système prostitutionnel, la soumission chimique. Donc, déjà, un, je n'imagine pas qu'elles ne viennent pas, qu'elles ne viennent pas alors qu'elles sont invitées par le ministre de la République en présence d'associations extrêmement engagées.

ADRIEN GINDRE
"Elles" les plateformes…

AURORE BERGÉ
Elles sont toutes invitées. Moi, ce que je veux, c'est qu'elles s'engagent, qu'elles s'engagent très clairement vis-à-vis des associations. Pour que les associations puissent faire remonter très clairement des signalements problématiques, pour que les contenus soient retirés beaucoup plus rapidement que ça ne l'est aujourd'hui. On voit bien, encore une fois, qu'on a une manière avec laquelle on a des contenus massivement accessibles, trop facilement accessibles, qui enferment nos enfants, nos adolescents et qui les atteignent, qui atteignent leur matrice, en fait, la manière avec laquelle ils conçoivent le monde, les rapports humains. À la fin, ça n'explique pas tout, mais ça montre quand même la dynamique que ça crée. Et un gamin qui a 18 ans a deux couteaux dans un sac à dos parce qu'il considère que c'est légitime d'essayer d'aller tuer des femmes.

ADRIEN GINDRE
Aurore BERGÉ, vous aviez demandé le bannissement de certains comptes, au-delà des comptes masculinistes, vous avez eu gain de cause ?

AURORE BERGÉ
TikTok l'avait fait sur un compte. Moi, je ne suis pas là pour cibler individuellement un tel ou un tel, ce n'est pas mon job. C'est la responsabilité des plateformes. Et là encore, beaucoup le prennent à la légère en disant, mais après tout, à quoi ça sert ? Ça sert à quoi ? Ça sert à ce qu'on a des comptes dits influenceurs, qui en tout cas ont de l'influence, parce que ce sont des gens qui sont vus des millions de fois, des millions de fois, et à force d'être vus, à force d'être entendus, ils instillent l'idée que ces contenus sont normaux, que tout cela est banal, et que la seule règle vis-à-vis des femmes, vis-à-vis des jeunes femmes, on le voit aussi sur des très jeunes couples, des couples qui se forment à douze, treize ans, quatorze ans, où déjà le contrôle est la règle, la domination est la règle, la violence est la règle. Et donc c'est ça qu'on doit changer. C'est l'enjeu des familles, c'est l'enjeu de l'Éducation nationale, c'est l'enjeu de la régulation des plateformes.

ADRIEN GINDRE
Je voudrais également qu'on parle, Aurore BERGÉ, de ce que le Gouvernement est en train de préparer. Je parle du Budget, bien sûr. La Cour des comptes, hier, a préconisé des efforts budgétaires très exigeants. Prenons l'exemple que l'on vient d'évoquer. Votre budget, à vous, il va être préservé pour 2026 ou vous serez dans une démarche d'effort très exigeante ?

AURORE BERGÉ
On est tous dans une démarche d'effort qui est exigeante, et je pense que c'est légitime, c'est-à-dire que chaque euro dépensé, c'est l'argent des Français. Donc ça veut dire qu'il faut qu'on assume de dire, partout, quels que soient les publics, qu'on doit réinterroger l'argent public qui est dépensé pour garantir son efficacité. C'est pour ça qu'on évalue, qu'on demande aux associations de nous faire des retours. Nous, on subventionne beaucoup d'associations qui agissent sur le terrain.

ADRIEN GINDRE
Et donc il y aura moins de subventions d'associations, par exemple ?

AURORE BERGÉ
Je ne pense pas qu'il y aura moins d'associations subventionnées. Moi, je me bats non pas pour qu'on augmente, parce que je sais, encore une fois, le moment dans lequel on est, mais pour qu'on maintienne l'effort. Je pense qu'il faut tous être réalistes quand on est ministre. On ne peut pas en permanence demander des hausses budgétaires. On ne peut pas en permanence dire que ces hausses sont normales, parce qu'à la fin, ces hausses, soit c'est de la dette supplémentaire, soit c'est de l'impôt supplémentaire.

ADRIEN GINDRE
Pour le coup, la présidence de l'Assemblée hier dit qu'on ne peut pas exclure d'emblée toute hausse d'impôt. Elle est assez décontractée sur le sujet.

AURORE BERGÉ
Oui, mais moi, je suis ministre de la République, et moi, je considère qu'on ne peut pas demander plus d'efforts fiscaux aux Français, parce qu'on a une dynamique depuis 2017 avec le président de la République qui est de baisser la fiscalité sur les entreprises, sur les ménages. On l'a fait sur la taxe d'habitation, on l'a fait sur l'impôt sur le revenu, on l'a fait sur l'ISF, on l'a fait sur l'impôt sur les sociétés. L'attractivité, ça ne tombe pas du ciel. La réduction du chômage de masse, ça ne tombe pas du ciel. C'est des choix de politique publique. Si on change de braquet, si on redit aux Français : "Finalement on va réaugmenter l'impôt sur le revenu, on va réaugmenter l'impôt sur les sociétés", on fait une dynamique inverse à celle qu'on porte depuis 2017.

ADRIEN GINDRE
Vous avez peut-être noté, en proposition d'économie, pour le coup, il y en a une, Bruno RETAILLEAU, qui est ministre et président des Républicains, qui dans Le Figaro hier disait : "On pourrait stopper les subventions publiques pour l'éolien et le photovoltaïque." Je précise que Gabriel ATTAL, le chef du parti Renaissance, a répondu en dénonçant un contresens historique, scientifique, incompréhensible. Cette proposition-là, elle vous inspire quoi ?

AURORE BERGÉ
Écoutez, on a deux jambes sur lesquelles on doit fonctionner sur la question énergétique. On a une première jambe qui est le nucléaire, le réarmement de notre souveraineté énergétique passe par le nucléaire, et on a la question du développement durable et donc des énergies renouvelables. Et on ne peut pas faire l'un sans l'autre. Et on ne peut pas être idéologique sur l'un comme sur l'autre. Et malheureusement, très souvent, c'est très idéologique. Soit on refuse le nucléaire, on en voit les conséquences dramatiques en Allemagne par exemple.

ADRIEN GINDRE
Donc là, il y a une idéologie de Bruno RETAILLEAU, pour le dire clairement.

AURORE BERGÉ
En tout cas, moi, je pense qu'on voit bien ce sur quoi ça surfe. Je ne pense pas que ce soit au niveau de ce qu'il est, parce que c'est quelqu'un de très intelligent. On travaille très bien ensemble au sein du Gouvernement. Mais moi, j'alerte sur le fait qu'encore une fois, on a ces deux jambes à tenir : le nucléaire et la question des énergies renouvelables.

ADRIEN GINDRE
Ça peut tenir LR et Renaissance au Gouvernement comme ça, vu l'ambiance ?

AURORE BERGÉ
Moi, je le souhaite. Je le souhaite sincèrement, parce que déjà, on n'avait pas le choix. On n'avait pas le choix que de travailler ensemble. Parce que sinon, il n'y avait pas de coalition alternative qui pouvait se former, et en tout cas, qui se formait dans l'intérêt des Français. Donc moi, j'espère juste qu'on ne va pas être dans ces logiques de déclaration à l'emporte-pièce, de ceux qui disent dès maintenant pour la présidentielle, c'est hors de question qu'on travaille ensemble, de ceux qui font des propositions dont ils savent que ce sont des irritants pour nous. Parce que je pense que notre responsabilité, c'est que ça marche au Gouvernement, c'est qu'on obtienne des résultats pour les Français, c'est qu'on avance ensemble pour les municipales, parce qu'on a des villes à reconquérir dans lesquelles on voit que malheureusement, la dynamique, elle s'est inversée, que ce soit à Paris, que ce soit à Lyon, que ce soit à Lille, que ce soit à Bordeaux, et pour la présidentielle, parce que je pense que notre intérêt, c'est de faire cause commune pour ne jamais prendre le risque de la tenaille entre LFI et le RN.

ADRIEN GINDRE
Vous, vous avez dit : "Je ne dis pas que je suis candidate, mais je ne ferme pas la porte pour 2027".

AURORE BERGÉ
Non, je ne ferme pas la porte parce que je travaille, je travaille avec les parlementaires, je travaille avec les élus, je travaille avec les forces économiques, je travaille surtout avec les Français, je vais à la rencontre des Français, c'est ça qui me paraît le plus important. Mais ce que beaucoup oublient, c'est qu'il reste deux ans. Et deux ans, c'est beaucoup. Et les Français qu'on rencontre, ils ne nous disent pas : "Rendez-vous dans deux ans et vous réglerez nos problèmes dans deux ans". Ils nous disent : "Vous avez voulu être aux responsabilités, donc démontrez que vous avez des résultats maintenant. Pour le reste, on travaille".

BRUCE TOUSSAINT
Merci, Aurore BERGÉ.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 8 juillet 2025