Déclaration de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur la défense des droits de l'homme et le rayonnement culturel de la France, à Paris le 18 juillet 2025.

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Circonstance : Ouverture des Ateliers de l'Institut français

Texte intégral

Madame la Ministre, chère Rachida,
Madame la Sénatrice,
Madame la Députée,
Madame la Présidente, chère Eva,
Mesdames et Messieurs les directrices et directeurs,
Mesdames et Messieurs, vous toutes et tous qui portez la création française à travers le monde,

Je me réjouis de vous voir si nombreux aujourd'hui, réunis autour de la culture, cette vocation qui nous anime au quotidien. Je remercie l'Institut français, sa présidente et toutes les équipes, pour l'organisation de cette journée.

Le 13 juillet, le Président de la République l'a dit clairement : la liberté n'a jamais été si menacée depuis 1945. C'est pourquoi il a annoncé des efforts d'investissement considérables à destination de nos Armées. C'est pourquoi la Nation est désormais engagée dans un effort historique de réarmement.

Mais ce réarmement ne peut être que militaire. Il passe aussi par les armes de l'esprit : la culture, le savoir, la pensée.

Ces armes sont celles de la conscience. Celles qui nous donnent la force morale pour résister au réveil des empires, et au retour de la force brutale.

À 1.800 kilomètres d'ici, le peuple ukrainien se bat pour sa souveraineté, les armes à la main, à 1 contre 10. Mais la bataille se joue aussi dans les esprits. Il y a quelques mois, j'étais sur la ligne de front, à Soumy, d'où partit l'offensive de Koursk et qui est aujourd'hui bombardée, et occupée. J'ai vu les soldats. J'ai vu les canons César et les missiles Aster fournis par la France. Mais j'ai vu aussi le musée des Beaux-Arts de Soumy, ses collections menacées et l'angoisse de son directeur face aux risques de bombardements russes. Le gouvernement français a accordé le soutien de la France pour qu'il puisse protéger les oeuvres d'art, le patrimoine et la mémoire ukrainienne.

Parce que, oui, nous croyons aux armes de l'esprit.

Ce matin, mon message est simple : aujourd'hui, l'héritage des Lumières est contesté. Parce que la France incarne cet héritage, elle est attaquée. Et face à ces attaques, notre arme la plus puissante dissuasive, c'est notre puissance culturelle.

Je le disais, l'héritage des Lumières est aujourd'hui contesté, il est foulé aux pieds.

Les Lumières, c'est d'abord le primat du droit sur la force, et c'est le respect en toutes circonstances de la dignité de la personne humaine.

Mais où est la dignité des 20.000 enfants ukrainiens arrachés à leurs parents et déportés en Russie, dans des camps de redressement ?

Où est la dignité des 30 millions de Soudanaises et Soudanais au bord de la famine ?

Où est la dignité des 8 millions de personnes déplacées par la force à l'est de la République démocratique du Congo ?

Où est la dignité des 900 personnes affamées, tuées froidement depuis un mois à Gaza, en allant chercher un sac de farine dans des distributions alimentaires ?

Partout où elles adviennent, la France dénonce et se mobilise contre les violations du droit international et du droit international humanitaire : en Ukraine par la Russie, en Israël par le Hamas, à Gaza par Israël, au Liban par Israël, en Israël par le Hezbollah, au Soudan par les forces armées, en Syrie et en Irak par les bourreaux des Yézidis, en Iran par le régime des mollahs, en Afghanistan par les Talibans.

La France ne détourne les yeux d'aucune violation de la dignité humaine.

Les Lumières, c'est aussi Diderot qui rédige l'Encyclopédie pour que la connaissance l'emporte sur l'obscurantisme. Or, aujourd'hui, la croyance l'emporte sur la science. On nie l'évidence. Les vaccins ? Une manipulation ! Le dérèglement climatique ? Une invention ! La Terre est ronde ? C'est un complot !

Et il existe des pays où l'université n'est plus un sanctuaire, mais un instrument de contrôle. Où les manifestations d'étudiants conduisent à des arrestations. Où les salles de cours sont surveillées. Où un tweet peut conduire un professeur en prison. Où des livres sont retirés des bibliothèques, des sujets de recherche interdits, des financements utilisés comme un moyen de pression politique.

La France se tient aux côtés des esprits libres, des étudiants et des enseignants qui osent et qui ne se résignent pas.

La France se tient aux côtés des universités qui, comme Harvard, subissent des menaces de censure contre leurs programmes d'enseignement, de recherche et de financement. La France défend la liberté académique et soutient la Science, libre et ouverte.

Enfin, les Lumières, c'est la naissance de l'esprit critique, qui est la condition nécessaire et indispensable de l'exercice de la citoyenneté.

Un esprit critique, c'est d'abord un esprit informé. Trop longtemps, nous avons accepté que le débat public soit délocalisé sur des plateformes dont les règles sont dictées par des milliardaires chinois et américains. En fragmentant l'espace informationnel, ils ont ouvert des brèches dans lesquelles s'engouffrent les adversaires de la démocratie pour instiller le poison de la désinformation. Trop longtemps, nous avons laissé les algorithmes intoxiquer nos enfants en s'appropriant leur temps de cerveau disponible, en mettant en avant le sensationnalisme et l'hystérisation plutôt que la vérification. Trop longtemps, nous avons laissé les mastodontes du numérique vampiriser nos données, piller nos oeuvres, ponctionner la juste rémunération des journalistes.

Stop à la destruction de l'espace public.

Stop à la colonisation des esprits.

Stop à la prédation de la propriété intellectuelle.

La France - tu l'as rappelé, Rachida - a porté à tous les niveaux, et au niveau européen notamment, les réglementations les plus exigeantes : droits voisins, règlement sur les services numériques, règlement sur les marchés numériques. Désormais c'est à la Commission européenne de mettre en oeuvre ces règlements : si elle ne le fait pas, elle doit rendre aux États membres et à la France la possibilité, la capacité, de le faire à sa place.

C'est précisément parce que la France est l'héritière de tout cela, l'héritière vigilante des Lumières ; parce qu'elle dénonce toutes les atteintes à la dignité de la personne humaine ; parce qu'elle défend la science libre et ouverte ; parce qu'elle refuse la défaite de l'esprit critique, qu'elle est attaquée. Elle est attaquée frontalement sur le terrain des perceptions.

Oui, la France dérange.

Elle dérange l'internationale réactionnaire qui va des couloirs du Kremlin aux cercles MAGA. Elle dérange les autocrates et les régimes illibéraux. Elle dérange les oligarchies corrompues, les révisionnistes et les complotistes de tous bords. Tous ces gens ont déclaré la guerre à la France. Pas sur le champ de bataille, non ! Pas ouvertement : ils sont trop lâches et nous sommes trop puissants.

Ils nous ont déclaré la guerre dans le champ des perceptions, ils visent les esprits, ils visent les consciences.

Objectif : saper la confiance des Français dans leurs institutions.

Ce sont des centaines de faux sites internet, qui ressemblent comme deux gouttes d'eau aux sites de médias bien connus ou à celui du ministère des Affaires étrangères. Et sur ces sites, de fausses informations : l'État créerait de nouvelles taxes pour financer la guerre en Ukraine, la France serait désorganisée, infestée de punaises de lit, incapable d'accueillir les Jeux olympiques. Pire, elle serait "l'ennemie de toutes les religions".

Objectif : dresser les Français les uns contre les autres.

Ce sont des cercueils disposés sous la tour Eiffel, des mains rouges tagguées sur le Mur des Justes pour profaner le Mémorial de la Shoah, des étoiles de David apposées sur des immeubles en région parisienne, en plein conflit entre Israël et le Hamas : ces mises en scène cherchent à nous diviser, mais nous ne sommes pas dupes.

Objectif : abîmer l'image de la France à l'étranger.

Ce sont des montages vidéo mettant en scène de prétendus soldats français en train de commettre des exactions en Afrique ou en Ukraine.

Ce sont de faux enregistrements du Président de la République, qui circulent en ce moment même au Burkina Faso, pour faire croire qu'il a tenu des propos qu'il n'a jamais prononcés.

Ce sont des attaques visant directement nos agents et opérateurs : je pense à l'Agence française de développement en Arménie, où notre ambassadeur, notre attaché de défense et la rectrice d'une université francophone font l'objet de campagnes de diffamation.

Objectif : dénigrer la force et l'unité des Européens.

C'est un mouchoir qui se transforme en pochon de cocaïne, et qui par le jeu de ping-pong entre l'extrême droite américaine et les influenceurs russes, est vu plus de 70 millions de fois sur les réseaux sociaux.

Objectif : remettre en cause notre attachement viscéral à la liberté d'expression.

Ce sont des campagnes et des discours péremptoires. Des leçons données au pays qui a inventé la liberté d'expression et l'a inscrite dans la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789, à son article 11 : "La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi."

Sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi : ainsi parlaient les rédacteurs de la Déclaration des droits de l'Homme. N'en déplaise à tous les petits télégraphistes et tous les petits propagandistes, la liberté d'expression s'arrête là où commence la liberté d'intoxication.

Et au moment de parler de la liberté d'expression je veux avoir une pensée pour Boualem Sansal, Christophe Gleizes, tous les artistes, journalistes, créateurs, détenus dans le monde pour avoir exercé ou défendu cette liberté fondamentale.

Alors ne laissons pas s'éteindre les Lumières ! Pour cela, nous avons un arsenal que nous ne devons pas sous-estimer : notre puissance culturelle.

Nous avons une culture française forte, millénaire, innovante, capable de prouesses universelles.

La France est cette puissance culturelle sans cesse recommencée.

En cinq ans, nous avons rebâti Notre-Dame, grâce aux talents de nos compagnons, artistes, artisans, et la générosité de tous. Et le 7 décembre 2024, le monde entier - le monde entier - était là quand ses cloches ont retenti.

Pour les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, nous avons accueilli 11 millions de visiteurs, dans un élan fantastique de cohésion et d'optimisme. 5 milliards de téléspectateurs dans le monde ont regardé les compétitions.

Et le monde entier gardera en mémoire l'époustouflante cérémonie d'ouverture sur la Seine : le pont d'Austerlitz qui s'embrase aux couleurs du drapeau français, les délégations qui défilent en bateau, la cavalière qui remonte le fleuve sur sa monture métallique, et l'Hymne à l'amour sous la bruine parisienne, chantée par Céline Dion du haut de la Tour Eiffel. Personne dans le monde n'est resté indifférent à cette cérémonie d'ouverture.

Quelle mise en scène ! Quelle puissance évocatrice ! La France ose tout. Elle ne laisse personne indifférent.

Notre arsenal culturel repose sur des projets qui parlent au monde entier.

L'année dernière, à la Biennale de Venise, un demi-million de personnes ont visité le pavillon français, où l'artiste antillais Julien Creuzet a montré le visage d'une France ultramarine, multiple, et ouverte.

Sur tous les continents, nos Instituts français se mobilisent pour imaginer et porter des programmations artistiques et ambitieuses : mettre en avant le travail d'un jeune photographe ukrainien, accompagner la création d'un musée d'art contemporain à Cotonou, organiser un ciné-club en Géorgie. Grâce à ces initiatives, nous faisons passer des messages à des publics toujours plus larges.

En France, nous invitons le monde entier à s'exprimer sur nos plus belles scènes. Cette année, la langue arabe s'invite au Festival d'Avignon, les Rencontres de la photographie d'Arles célèbrent l'engagement, de l'Australie au Brésil, en passant par l'Amérique du Nord et les Caraïbes. Ces enceintes offrent un contrepoint aux discours dominants.

L'année prochaine, nos inaugurerons la Saison Méditerranée à Marseille pour donner la parole à nos diasporas - tu en as parlé Rachida - et renforcer les coopérations avec les pays de la rive Sud.

Nos musées sont aussi des relais culturels puissants qui nous permettent de toucher des géographies éloignées. Depuis son ouverture, le Louvre Abou Dhabi a accueilli près de 7 millions de visiteurs.

Et puis grâce à l'audiovisuel extérieur français, notamment France Médias Monde, nous allons toucher des publics là où la propagande anti-française nous vise : au Proche Orient, en Europe de l'Est, en Afrique de l'Ouest, au Sahel.

La plateforme européenne Arte nous permet également d'apporter une information de qualité dans des pays marqués par une propagande féroce.

Nos industries culturelles et créatives sont parmi les plus dynamiques du monde : la diversité de vos profils en témoigne, vous êtes issus de l'art contemporain, de la musique, de l'architecture, des jeux vidéo ou des séries. Lupin a conquis Netflix, le Bureau des légendes a été vendu dans plus de 112 pays. C'est à ce type de réussites que je vous invite collectivement.

Enfin, c'est l'honneur de la France que d'accueillir des artistes et des intellectuels empêchés de créer librement dans leurs pays d'origine. Grâce au programme PAUSE, en effet, plus de 600 artistes, chercheurs et doctorants ont trouvé en France une deuxième patrie.

Mesdames et Messieurs, vous l'aurez compris, nous plaçons en vous beaucoup d'espoirs.

C'est par la culture que nous touchons les coeurs. Grâce à la création, l'inspiration des artistes, leurs mots et leurs émotions. Alors prenons conscience de la puissance culturelle que nous détenons et qui est une véritable arme de dissuasion.

Nous nous battons avec les armes de l'esprit, la force des idées, la capacité de partager avec les peuples du monde entier des émotions universelles. Assumons pleinement ce que nous sommes : une puissance culturelle d'influence.

Aucune autre diplomatie dans le monde n'est capable de mobiliser autant pour des causes planétaires.

Il y a quelques semaines, nous avons accueilli, à Nice, la Conférence des Nations unies sur l'Océan. Ce Sommet a été un grand succès diplomatique, mais il a surtout été un grand succès populaire. Parce que, grâce à vous, nous avons mobilisé non seulement les dirigeants mondiaux, mais aussi les scientifiques, les artistes, les mécènes, les influenceurs et les opinions pour préserver les océans de la prédation et de la pollution. Alors merci à toutes celles et ceux qui ont accompagné cette priorité nationale par l'organisation de nombreux événements culturels avant et pendant le Sommet, en France et dans vos pays respectifs.

En tant qu'acteurs du monde de la culture, vous êtes bien plus que des passeurs?: vous êtes des fantassins de notre influence dans le monde. Vos canons sont chargés d'émotions, de rencontres, et de sens.

Vous faites rayonner la culture et la langue françaises. Vous défendez nos valeurs : le respect, la tolérance, la diversité culturelle. Cette communauté que vous formez est une force de frappe unique au monde. Vous êtes capables de changer les regards, de renverser les récits toxiques, de réveiller les consciences.

Alors, au moment où s'accumulent les nuages noirs de l'obscurantisme, ne laissons pas s'éteindre les Lumières.

Je sais pouvoir compter sur vous, qui êtes les dépositaires de l'esprit français : vous avez le goût des combats justes et l'art de l'engagement.

Alors ensemble, entrons en Résistance.

Pour la dignité de la personne humaine.

Pour la science libre et ouverte.

Pour l'esprit critique.

Pour la liberté d'expression.

Pour que le monde entier sache que la France reste, et restera, fidèle à ce qu'elle a sans doute de plus précieux : les Lumières de la Révolution.

Pour que vive la République, et pour que vive la France !


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 juillet 2025