Texte intégral
M. Éric Gold, président. - Mes chers collègues, nous entendons aujourd'hui M. Laurent Marcangeli, ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification. Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.
Cette audition plénière est la dernière de notre mission d'information, mise en place à l'initiative du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI), auquel appartient notre rapporteure, Mme Nadège Havet. Notre rapport sera rendu public en septembre.
Je tiens tout d'abord à vous prier d'excuser notre président, M. Gilbert-Luc Devinaz, qui nous rejoindra dans quelques instants. J'ai donc l'honneur, en ma qualité de vice-présidente de la mission d'information, d'ouvrir la présente réunion.
Je rappelle que cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit, qui sera annexé à notre rapport, et que son enregistrement vidéo, accessible en direct sur le site du Sénat, restera consultable par la suite.
Depuis la fin du mois d'avril, notre programme d'auditions a compris des responsables administratifs (Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCTla direction interministérielle de la transformation publique (DITP), direction interministérielle du numérique (Dinum), direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire (DFAE) ou encore direction générale des outre-mer (DGOM). Nous avons également entendu des universitaires, la Défenseure des droits, des associations d'élus et des opérateurs tels que France Travail, la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav), etc.
Par ailleurs, lors de nos déplacements dans les territoires, nous rencontrons les acteurs de terrain, notamment les conseillers France Services, ainsi que les élus. Certains de nos collègues se sont ainsi rendus la semaine dernière dans le Rhône et dans le Loir-et-Cher. Aujourd'hui même, une délégation de cette mission se rendra dans le Finistère ; un autre déplacement est prévu prochainement dans l'Yonne.
Nous avons en outre procédé, sur le site du Sénat, à une consultation des élus locaux qui nous a permis de recueillir quelque 1 200 témoignages, principalement d'élus de la France rurale.
Tel est, monsieur le ministre, le cadre dans lequel s'inscrit cette réunion.
Mme Nadège Havet, rapporteure. - Monsieur le ministre, je souhaite vous poser quelques questions afin de rappeler les attentes de notre mission d'information.
Pourriez-vous, tout d'abord, nous dire quelques mots du baromètre des services publics que vous avez dévoilé au début de ce mois à Dijon ? Selon ce document, 69% des usagers se déclarent satisfaits, donc 31% ne le sont pas. Comment expliquer, dès lors, que France Travail ne recueille que 61 % de satisfaction, alors que le dernier baromètre de l'Institut Paul Delouvrier, mené en partenariat avec la DITP, enregistrait en 2024 une progression très marquée de 37 points pour cet opérateur ? De même, l'agglomération parisienne, avec 66% de satisfaction, semble moins positive que le reste du territoire, dans lequel la satisfaction atteint 69%. Le baromètre nous apprend également que les usagers souhaiteraient contacter le service public par téléphone plutôt que par voie numérique.
De nos rencontres de terrain avec les agents France Services, nous retenons qu'ils exercent un métier complexe et exigeant, assorti de lourdes responsabilités, qui requiert de nombreuses compétences et mérite une véritable reconnaissance. Or le turnover qui caractérise ces agents, probablement plus marqué en région parisienne que dans les territoires, montre qu'il existe des marges de progression en la matière. Comment prenez-vous en compte ces enjeux ?
Par ailleurs, nous avons été frappés par l'existence de sites parfois frauduleux proposant aux usagers d'effectuer des démarches contre rémunération, qu'il s'agisse de la carte grise, pour 69 euros, de Parcoursup, ou de diverses autres formalités. Sachant que ces sites apparaissent très souvent dans les premiers résultats des moteurs de recherche, comment pourrions-nous mieux les identifier ?
M. Laurent Marcangeli, ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification. - Cette mission d'information se penche sur un enjeu fondamental pour notre République : garantir l'égalité d'accès au service public. Face à cette ambition, l'idée d'une double fracture, territoriale et numérique, revient souvent. C'est une inquiétude que j'entends, mais la réalité, observée sur le terrain auprès des agents et des usagers, mérite d'être nuancée.
Ayant été élu local avant d'être ministre, je connais, comme vous, les attentes de nos territoires, lesquels souffrent parfois de difficultés d'accès aux services publics. Depuis ma prise de fonctions il y a six mois, j'ai parcouru plus de vingt départements, soit la moitié du parcours du Tour de France 2025. Je suis allé à la rencontre de nombreux interlocuteurs : policiers, gendarmes, douaniers, soignants, secrétaires de mairie, agents de France Services, mais aussi élus locaux - dont je parle le langage -, chefs d'entreprise, dirigeants associatifs et citoyens.
De ces échanges riches, je tire le constat que c'est en partant de l'expérience des usagers sur les territoires, y compris dans les zones les plus éloignées, comme les territoires insulaires et ultramarins, que nous pourrons construire des services publics plus accessibles, plus efficaces et plus équitables. Pour orienter notre action, il faut d'abord établir un diagnostic du terrain et de nos services publics au moyen d'un outil de mesure adapté.
C'est la raison pour laquelle, en réponse à la question que vous venez de poser, madame la rapporteure, j'ai dévoilé à Dijon il y a quelques semaines le premier baromètre des services publics. Il s'appuie sur une vaste enquête menée sur dix-neuf services publics du quotidien, auprès d'un échantillon de 25 000 usagers.
Ce baromètre n'est pas un simple outil de reporting ; c'est un thermomètre qui mesure la qualité perçue de nos services publics et leur accessibilité. S'il ne nous annonce pas encore un temps magnifique, il ne dit pas, loin de là, que le ciel est bas et lourd.
Dans la mesure où il est fondé sur une grille de critères et sur la perception des usagers, ses résultats peuvent différer de ceux d'autres enquêtes qui s'appuient sur des échantillons plus restreints. Notre objectif est d'atteindre une forme de réalisme. Le chiffre de 30 % d'usagers non satisfaits que vous évoquiez peut être précisé : il recouvre un faible poids d'usagers réellement insatisfaits, 11 %. À ceux-là s'ajoute un choix de réponse neutre pour 20% des usagers, soit un cinquième qui n'a pas pris position. Le taux global de 69% d'usagers satisfaits peut donc, au vu de la méthodologie, être jugé satisfaisant, d'autant que le nombre d'usagers " tout à fait satisfaits ", qui s'élève à 26%, est trois fois supérieur au nombre d'usagers « pas du tout satisfaits ».
Les critères de satisfaction sont également importants : la facilité de contact avec le service public, le sentiment d'avoir été accueilli avec bienveillance et respect (71%), les délais de traitement (66%) ou encore la simplicité des démarches. En tant que ministre de la simplification, je suis encouragé par le fait que près de deux tiers des personnes sondées (63 %) estiment que l'accès et la simplicité des démarches sont satisfaisants. L'existence de cet échelon de réponse neutre explique des résultats de satisfaction qui peuvent paraître plus faibles que dans d'autres études existantes, comme le baromètre que vous avez mentionné.
Je suis particulièrement attaché au dispositif France Services, qui suscite une très grande satisfaction dans cette enquête. Cette politique publique répond à la nécessité de densifier le réseau des services publics et d'augmenter la qualité des services rendus, notamment via le développement du métier de conseiller France Services.
J'ai participé à Dijon à un congrès des conseillers France Services des régions Bourgogne-Franche-Comté et Grand Est, organisé par l'ANCT, durant lequel il a été question de leur statut, qui est en train de monter en gamme. Parallèlement, l'extension de leurs missions doit être menée avec précaution. Beaucoup de responsables politiques locaux suggèrent d'y ajouter de nouveaux services ; j'ai d'ailleurs lancé une expérimentation en ce sens dans le Cher avec la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Or les conseillers eux-mêmes nous demandent de freiner, dans la mesure où ils ont déjà dû assimiler beaucoup de choses en peu de temps.
La satisfaction est néanmoins là. Nous prévoyons le déploiement de 100 nouvelles maisons en 2025 comme en 2026 pour atteindre les 3 000 espaces annoncés à l'horizon de 2027 ; nous en sommes à 2 750. De nouvelles ouvertures seront annoncées à la rentrée prochaine, les arbitrages étant en cours avec le ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.
Les maisons France Services mesurent elles-mêmes leur taux de satisfaction, qui atteint 96%. Elles sont présentes dans tous les territoires, avec près de 500 implantations dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et 1 000 en zones France Ruralités Revitalisation (ZFRR). Je me réjouis également des ouvertures dans les territoires ultramarins, comme en Martinique, où une vingtaine de points France Services ont été créés, incluant des services itinérants. Dans ma ville, Ajaccio, deux maisons France Services sont situées dans des quartiers populaires auparavant délaissés et qui vivent mieux aujourd'hui.
Notre baromètre indique que les usagers ne souhaitent pas toujours entrer en contact avec les services publics par la voie numérique, même si près de huit démarches sur dix sont aujourd'hui accomplies en ligne. C'est une préoccupation à laquelle je suis très attentif. Le tout-numérique n'est pas la réponse universelle. J'ai toujours considéré cet outil comme un levier puissant, qui doit être pensé en complémentarité de l'accueil physique ou téléphonique. La numérisation est toutefois un moyen de démocratisation et de facilité d'accès pour un certain nombre de nos concitoyens, notamment les plus jeunes.
Sur ce sujet, nous avons avancé en accélérant la mise en accessibilité de 250 démarches prioritaires d'ici à fin 2026 et en formant des experts au sein des ministères pour que l'accessibilité numérique soit pensée dès la conception des outils.
En parallèle, nous développons les autres canaux. C'est le cas avec le déploiement du plan Téléphone, qui doit garantir aux Français de pouvoir joindre facilement leurs services publics. Ce canal reste très utilisé, mais il suscite aussi beaucoup d'insatisfactions. Nous devons poursuivre nos efforts pour que nos citoyens ne redoutent plus un appel dans le vide. Des objectifs concrets ont été fixés à une trentaine de services publics : une cible de 85% de taux de décroché par un agent, contre 78% actuellement, la mesure de la satisfaction téléphonique, le développement du rappel et des rendez-vous téléphoniques, et un numéro de téléphone facilement identifiable sur les sites internet.
De plus, depuis 2019, le dispositif Aidants Connect encadre les démarches faites par des agents pour le compte des usagers, ce qui aide les personnes en situation de fracture numérique tout en les amenant vers l'autonomie. Ce dispositif prend son essor, avec plus de 7 000 aidants habilités dans 3 000 structures.
Pour faciliter l'accès aux services publics, il faut ensuite oser, c'est-à-dire expérimenter à la maille territoriale, au plus près des besoins. Ces initiatives sont indispensables pour répondre à la diversité de nos territoires. C'est pourquoi nous avons lancé une expérimentation dans le Cher, un territoire rural, concernant l'intégration des MDPH dans les maisons France Services. Je cherche maintenant un territoire plus urbain pour comparer les retours d'expérience.
La saturation de certaines MDPH, malgré les efforts engagés, est une réalité. En tant que ministre de la simplification, je reçois beaucoup de plaintes de Français qui ne s'en sortent plus avec les démarches répétitives qu'implique la reconnaissance d'un handicap.
Mme Nadège Havet, rapporteure. - C'est justement l'objet de notre déplacement dans le Finistère.
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Avec ma collègue ministre chargée de l'autonomie et du handicap, nous avons lancé des ateliers de simplification qui passent beaucoup par ces maisons départementales, pour rendre l'accès aux droits plus lisible, plus rapide et plus humain. Le Premier ministre lui-même, en tant que maire de Pau, a témoigné de situations parfois humainement très difficiles à ce sujet.
Nous avons également créé le label Services Publics +, que j'ai inauguré dans le Loiret. Cette marque de l'État, née en 2023, récompense les services publics qui se distinguent par la qualité du service rendu. J'ai eu l'occasion de le remettre à l'Urssaf Centre-Val de Loire et à la Mutualité sociale agricole (MSA) de Maine-et-Loire. Ce label se décline en médailles de bronze, d'argent et d'or, et il est temporaire, ce qui incite à l'amélioration continue. Il valorise l'engagement des agents, car la reconnaissance de leur travail est essentielle. Il faut encourager cette culture de l'excellence et de l'innovation.
Enfin, notre action publique ne sera utile que si elle est simple et lisible, ce qui me ramène à ma deuxième casquette de ministre de la simplification. Il ne s'agit pas seulement d'alléger les procédures, mais aussi d'améliorer la qualité du service et son accessibilité, tout en maîtrisant les coûts.
La simplification doit concerner tous les aspects et exige une méthode, un portage national et un maillage territorial : elle n'est pas la même à Ajaccio et à Brest. C'est tout le sens de dispositifs pilotés par la DITP, comme France Simplification. Conçu pour réduire les " irritants " au plus près du terrain, ce dispositif, à la main des préfets, vise à apporter des solutions rapides aux blocages rencontrés dans la mise en oeuvre des projets des différents acteurs. Il commence à porter ses fruits, avec 465 dossiers traités depuis le second semestre 2024, dont 350 résolus.
Jamais je n'opposerai la simplification aux agents publics, car à mon sens, celle-ci doit se faire à leur service, car c'est ainsi qu'elle se fait au service des usagers. Elle leur permet de se concentrer sur leur coeur de métier et de générer plus de lien humain. Il faut être doux avec les hommes et dur avec les processus, et ne pas opposer la technologie aux services publics. Je pense notamment à l'intelligence artificielle, qui, bien qu'elle suscite des questionnements légitimes, démontre déjà son efficacité au quotidien.
En conclusion, je mesure la responsabilité qui est la nôtre. Réduire la fracture territoriale, moderniser avec discernement et simplifier sans abaisser les standards, voilà le cap fixé par le Gouvernement. Votre mission d'information est un moment important pour faire le point, échanger et progresser ensemble.
Mme Marianne Margaté. - Je souhaite vous interroger sur l'annonce faite par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique concernant la suppression de postes de fonctionnaires afin de contribuer à l'économie recherchée de quarante milliards d'euros. Une telle démarche constitue un enjeu très politique, et même électoral au moment des élections nationales. Jusqu'où peut-on aller dans cette voie sans désorganiser nos services publics et dégrader très fortement leur qualité ?
Vous avez rappelé la demande des maires et des usagers, qui souhaitent des services publics accessibles, efficaces et de proximité. Dans le même temps, les organisations syndicales nous ont fait part à la fois du sens du service public des agents et de leur souffrance liée à des conditions de travail qui se dégradent, à une polyvalence accrue, à des cas de plus en plus complexes et au manque de reconnaissance que vous évoquiez. À cela s'ajoute la question de l'attractivité de ces métiers, puisque certaines de nos fonctions publiques ne trouvent plus de candidats.
Dès lors, disposez-vous d'éléments plus précis sur les secteurs qui seront touchés par ces suppressions de postes annoncées pour le prochain budget ? Ne craignez-vous pas que cette saignée dégrade notre service public et, ce faisant, accroisse l'insatisfaction des usagers, des élus et des agents eux-mêmes ?
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Avant de répondre à votre question, je souhaite, par correction, répondre à un des éléments développés par madame la rapporteure sur la région parisienne, puisque j'ai omis de le faire dans mon propos introductif.
Dans l'agglomération parisienne, il existe des zones géographiques qui connaissent de fortes tensions. Il ne faut pas se leurrer : notamment dans les territoires très denses, mais aussi dans les QPV, les services publics sont tout simplement partis. L'honnêteté m'oblige à dire que cela explique aussi ce taux d'insatisfaction. Les déserts médicaux, en outre, ne sont plus une problématique uniquement rurale ; dans nos banlieues, l'accès aux généralistes et aux spécialistes devient particulièrement difficile.
Madame Margaté, en ce qui concerne l'emploi des agents publics, je demande toujours à ceux qui font des annonces en la matière de le faire avec nuance, car la situation est obligatoirement nuancée. Il existe des disparités entre les différents versants de la fonction publique, des disparités régionales et des disparités entre certains métiers. Quand on annonce avec tambours et trompettes des chiffres de baisses d'effectifs, encore faut-il expliquer dans quel secteur on peut se permettre d'avoir moins d'agents publics, pour quelles raisons et dans quel ordre de grandeur.
Depuis 2017, les effectifs de la fonction publique ont augmenté de 200 000 agents. Depuis 1997, le secteur public a crû de 23 %, contre 18% dans le privé, pour une population qui a augmenté de 13% à 14% sur la même période. En 2024, la masse salariale de l'État a atteint 107 milliards d'euros, après une augmentation de 6,7%.
Je le dis avec la plus grande franchise : au regard de la dynamique budgétaire du pays, nous ne pouvons plus nous permettre certaines choses. Par ailleurs, une hausse interviendra tout de même l'année prochaine, car elle est mécanique ; nous allons essayer de la limiter à 1,5%. Tels sont les cadrages qui devraient être rendus définitifs et publics au moment de l'examen du budget.
Des ministères afficheront donc très certainement des baisses d'effectifs, mais pas tous. Je vois mal aujourd'hui le ministère des armées, au regard de la situation internationale, renoncer à la loi de programmation militaire que vous avez adoptée il y a peu. Il y aura également des débats sur les autres lois de programmation, comme la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) ou celle qui concerne le ministère de la justice. Ces lois, adoptées il y a moins de deux ans, sont particulièrement ambitieuses et leurs effets se répercutent déjà sur le recrutement, sans compter les évolutions de carrière, qui doivent également être prises en compte.
Je constate que de nombreux jeunes en quête de sens voudraient s'engager dans la voie du service public, mais que le manque d'attractivité et les conditions d'accès puis de mobilité les retiennent. Si nous voulons préserver le statut - les organisations syndicales y sont particulièrement attachées - il faudra sans doute restreindre le nombre d'agents pour être en mesure de mieux les payer.
Comme vous le savez, la rémunération des fonctionnaires publics et territoriaux est gonflée par les régimes indemnitaires personnels. Or ces derniers ne sont pas pris en compte pour le calcul de la retraite, ce dont les agents ne sont pas toujours conscients. En tant qu'employeur territorial - j'ai été l'employeur de 1 500 agents communaux et de 700 agents d'agglomération -, j'ai assisté à des scènes poignantes lorsque certains apprenaient, parfois à 65 ans, qu'ils ne pourraient pas payer leur crédit s'ils prenaient leur retraite.
S'il faut donc tenir un discours sincère sur la question du nombre d'agents, il convient aussi de distinguer les missions de service public. Nous avons pu constater les résultats, notamment en matière de sécurité publique et dans nos préfectures, de la politique du " 1 sur 3 " menée il y a une quinzaine d'années. Nous n'avons pas terminé de remédier au démantèlement de l'administration préfectorale qu'une telle politique a emporté. Le Président de la République souhaite du reste que nous engagions une réflexion sur les sous-préfectures.
Face à cette réalité budgétaire un peu âpre, la question des contractuels se pose, d'autant que leur rémunération n'est pas plafonnée. C'est particulièrement vrai à l'hôpital, où les différences de rémunération entre un fonctionnaire et un contractuel font dire à certains que le second est un véritable mercenaire. En tant que ministre de la fonction publique, mon rôle est d'alerter le Gouvernement à ce sujet.
Nous ne disposons pas toujours de la bande passante nécessaire, mais il faut adopter un esprit de nuance, car les fonctions publiques sont souvent dans des situations très différentes. Les arrêts maladie dans la fonction publique hospitalière ne sont pas les mêmes que dans la fonction publique territoriale.
Je m'efforcerai donc d'expliquer ce que nous proposons pour la fonction publique en ne m'en tenant pas à un diaporama PowerPoint accompagné de quelques chiffres et présenté en deux coups de cuillère à pot.
M. Hugues Saury. - Compte tenu de notre situation budgétaire, il nous faut parvenir à améliorer le service public et à retrouver la confiance de nos concitoyens sans augmenter la dépense publique.
Le baromètre des services publics est un outil très utile, mais comment le pérenniser ?
Comment accompagnez-vous localement les services publics dans l'analyse des résultats et dans la mise en place de plans d'action ? Ces plans d'action sont-ils contrôlés et évalués ?
Quelles actions menez-vous pour aider les publics fragiles ou peu familiers des outils numériques à se saisir de ces derniers ?
Enfin, le projet de carte universelle, ou " carte Vitale + ", a-t-il été abandonné ?
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Il est prévu qu'un baromètre soit élaboré chaque année à la même période. S'il est probable que nous conservions un panel de 25 000 usagers, il sera sans doute pertinent de changer les questions et les services publics visés.
En ce qui concerne l'évaluation des résultats, j'estime que le préfet de département constitue la maille pertinente ; je suis du reste convaincu que si nous voulons poursuivre la décentralisation, il nous faudra en même temps procéder à une nouvelle vague de déconcentration des services de l'État. De même, le préfet de département doit être au coeur de tout dispositif de simplification.
La modernisation, notamment numérique, de nos services publics est par ailleurs un volet essentiel de l'amélioration des conditions de travail de nos agents et du service rendu aux usagers. Il y a deux semaines, lors du salon VivaTech, j'ai annoncé la signature, par le Gouvernement, d'un contrat avec l'entreprise Mistral prévoyant la mise à disposition d'un agent conversationnel pour 10 000 agents publics sur l'ensemble du territoire.
L'intelligence artificielle (IA) peut constituer un levier de modernisation formidable, sous réserve que celle-ci soit de confiance et souveraine, c'est-à-dire française ou européenne. L'article 15 du projet de loi de simplification de la vie économique prévoit à cet effet l'allégement des démarches nécessaires à la création de centres de données.
Le Premier ministre Barnier était convaincu de l'intérêt d'instaurer les cartes " Vitale + " que vous évoquez, mais je comprends que ce projet achoppe à ce stade sur des difficultés techniques ; Catherine Vautrin et Yannick Neuder pourraient certainement vous en dire davantage. Par ailleurs, si ce dispositif permet d'entraîner une économie certaine à partir de l'année n+1, son coût en année n constitue un frein supplémentaire.
Le principe " Dites-le-nous une fois " est un autre axe d'amélioration du service rendu aux usagers. Cela fait maintenant quelques années qu'il est appliqué, et je constate qu'il ne suffit pas de le dire une fois pour qu'il le soit partout, car on lui oppose des résistances... Comme le Premier ministre l'indiquait récemment à Nanterre, il nous faut en réalité aller plus loin et inverser la logique de la charge déclarative. Il est par exemple très pénible, pour les personnes lourdement handicapées ou leurs proches aidants, de devoir déclarer chaque année que leur situation n'a pas changé. Nous devons épargner à nos compatriotes ce type de démarche inutile et fatigante.
En ce qui concerne l'illectronisme, il nous faut former des agents à l'accompagnement des personnes concernées, qui doivent être aidées pour rattraper leur retard. Les maisons France Services constituent également des lieux propices à l'accueil de ces personnes en difficulté. À Angers, dans une maison de quartier du QPV de la Roseraie, un agent accompagne les personnes qui ne maîtrisent pas les outils numériques. À Ajaccio, dans le quartier des Jardins de l'Empereur, dont 70% de la population est issue de l'immigration maghrébine, nous avons ouvert une médiathèque avant même d'ouvrir une maison France Services. Cela a poussé des femmes qui n'étaient pas très impliquées dans la vie de la cité à se servir d'ordinateurs et à naviguer sur internet.
Je crois à ce type d'action, même si elles ne suffiront sans doute pas. Nombreux sont d'ailleurs nos concitoyens qui continuent de demander un contact téléphonique. Tant mieux ! La création des maisons France Services visait précisément à répondre à cette demande de contact humain.
M. Hugues Saury. - Et comment parcourir le dernier kilomètre jusqu'aux usagers ?
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Au mois de février dernier, nous avons demandé à l'ensemble des services de l'État de nous remonter un certain nombre d'informations. Le Premier ministre devait réunir la mission de refondation de l'action publique pour faire le bilan des informations collectées et en tirer les conclusions avant l'été, mais la situation internationale et la préparation du budget l'ont conduit à reporter cette rencontre à la rentrée. Bien plus que d'un baromètre, nous disposerons alors de tous les outils pour agir, d'autant que la commission d'enquête sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État du Sénat aura également publié son rapport.
En ce qui concerne le dernier kilomètre que vous évoquiez, je souhaite développer les bus France Services et déployer leur action jusque dans les zones les plus reculées.
Mme Nadège Havet, rapporteure. - Comme vous l'avez justement indiqué, on ne peut pas en demander encore davantage aux agents de France Services. Dans la mesure où il est prévu que de nouvelles missions soient toutefois assurées dans nos maisons France Services, ne pourrait-on imaginer un système de permanences ?
Nous avons récemment appris l'existence de la plateforme Aidants Connect. Pourriez-vous nous en dire plus ?
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Des permanences existent déjà, si bien que tout ne repose pas sur les épaules de nos conseillers France Services. Les missions de service public qui sont assurées dans les maisons France Services ne sont pas une chasse gardée ! Il faut donc travailler localement à l'organisation de telles permanences avec les directions départementales des services publics concernés.
Aidants Connect est un service qui permet d'accompagner les usagers en toute sécurité dans leurs démarches en ligne. L'aidant et la personne aidée définissent les démarches à effectuer ensemble, puis l'aidant signe un mandat d'accompagnement avec l'usager. L'ensemble des connexions et des démarches effectuées sont dès lors tracées ou stockées.
Les 7 302 aidants professionnels habilités sont des personnes morales de droit public ou privé intervenant dans le cadre d'une mission de service public. Leur habilitation en tant qu'aidant connect est régie par un cadre légal bien établi ; les aidants familiaux, les bénévoles, les services civiques et les élus ne sont pas éligibles.
Depuis son lancement en 2019, ce service a coûté 7,6 millions d'euros, et il a permis d'accompagner 51 636 usagers dans 344 268 démarches.
M. Éric Gold, président. - Il y a quelques années, une enquête pointait le sentiment de perte de sens des agents de la fonction publique. Quelles sont selon vous les causes de ce phénomène ? Quelle est son incidence sur l'attractivité de la fonction publique ?
L'augmentation du nombre de contractuels déséquilibre les régimes de retraite et emporte une augmentation du taux des cotisations de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). Comment envisagez-vous l'avenir ?
M. Laurent Marcangeli, ministre. - Pendant des années, la question du management ne s'est tout simplement pas posée dans la fonction publique. Ce n'est peut-être qu'une petite partie de la réponse à la perte de sens que vous évoquez, mais je souhaite que nos agents soient formés à la résilience en cas de cyberattaque ou de catastrophe naturelle, lesquelles sont, hélas ! de plus en plus fréquentes. En tout état de cause, il me paraît judicieux d'accompagner nos agents dans ce récit, qui n'a rien de fictif, et, partant, de promouvoir une certaine idée de leur mission de service public. De fait, c'est à nos agents qu'il revient d'assurer la continuité des services publics en cas de crise.
Je partage votre inquiétude concernant la CNRACL. À l'horizon de 2045-2050, le rapport entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités devrait approcher 1,1. Catherine Vautrin, François Rebsamen et Amélie de Montchalin pilotent les réflexions sur ce sujet, mais j'estime que l'augmentation des taux de cotisation ne peut pas constituer le seul levier d'action, car elle fait peser une charge intenable sur les hôpitaux et sur les collectivités.
M. Éric Gold, président. - Je vous remercie de vos réponses, monsieur le ministre.
Source https://www.senat.fr, le 23 juillet 2025