Interview de M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins, à France Info le 31 juillet 2025, sur la baisse du budget alloué à la santé en 2026, l'augmentation des arrêts maladie, le plafond des franchises médicales et la vaccination contre la grippe dans les EHPAD pour les résidents et les soignants.

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Média : France Info

Texte intégral

MARIE BERNARDEAU
Nous accueillons donc ce matin le ministre de la Santé et de l'Accès aux soins. Bonjour Yannick NEUDER.

YANNICK NEUDER
Bonjour.

MARIE BERNARDEAU
Solenne Le HEN à mes côtés, spécialiste santé de France Info, nous donnait à l'instant les grandes lignes des économies que vous entendez faire, que le Gouvernement entend faire dans le domaine de la santé, 5 milliards et demi d'Euros l'année prochaine. Vous êtes à l'aise, vous, Yannick NEUDER, avec ces économies-là ?

YANNICK NEUDER
Je pense que ce n'est pas une question d'être à l'aise ou pas, je pense que c'est une question de dire la vérité aux Français. Déjà, je voudrais rectifier peut-être un petit sujet, les dépenses de santé vont augmenter l'année prochaine.

MARIE BERNARDEAU
De 2 %.

YANNICK NEUDER
Non, spontanément, elles augmentent de 10 milliards, et là, en fonction de l'évolution de nos recettes, il a été évoqué la possibilité que ça n'augmente que de 5 milliards. Il faut savoir que les dépenses de santé augmentent de 10 milliards chaque année depuis 2020, et qu'on est à plus de 60 milliards, et qu'on n'a pas forcément le sentiment d'être mieux soigné en rajoutant 10 milliards chaque année.

MARIE BERNARDEAU
Donc vous les contenez malgré tout ?

YANNICK NEUDER
Ça veut dire qu'il faut contenir les dépenses, mais je crois que surtout notre système a besoin de se réorganiser. On voit bien qu'il y a besoin d'avoir davantage de moyens sur la prévention, éviter les infections, longues maladies, on le sait, avec de la prévention, mieux dépister les cancers, favoriser la vaccination, vous l'avez dit. Donc je crois que c'est aussi le moment de faire ces réformes qui seront plus structurelles, parce qu'on sait très bien aussi que si on continue comme ça, on va aller vers l'insolvabilité du système, avec l'impossibilité à terme de financer les retraites, le remboursement des médicaments, et je crois que c'est le devoir du Gouvernement d'informer les Français.

MARIE BERNARDEAU
Vous comptez sévir sur les arrêts maladie, sévir, si vous me passez l'expression ?

YANNICK NEUDER
Oui, je ne pense pas que ce soit une question de sévir, je pense que c'est une question de responsabilité collective, que ce soient les patients, que ce soient les médecins qui font les arrêts de travail, qui les signent, et les entreprises. Je pense que c'est une grande chance en France quand on est malade – et on ne choisit pas d'être malade – de pouvoir bénéficier d'un arrêt maladie. Donc, il ne faut pas non plus, au moindre problème ou envie, dire "puisque c'est comme ça, je me mets en arrêt de travail", ça c'est une phrase qu'on entend beaucoup. Je rappelle que c'est un acte médical. Il faut consulter, si votre santé physique ou psychique n'est pas compatible avec le maintien à l'emploi, alors le médecin traitant pourra, ou le médecin en général pourra vous proposer un arrêt de travail. Et ça interroge aussi les entreprises sur la qualité de vie au travail, parce qu'on voit bien qu'il y a des grandes différences de taux d'absentéisme d'arrêt de travail en fonction des entreprises.

MARIE BERNARDEAU
Est-ce que ce n'est pas ça justement qui doit d'abord vous interpeller, engager une réflexion sur les causes de l'augmentation des arrêts maladie ?

YANNICK NEUDER
Tout le monde, parce que comment vous expliquer qu'il y a plus de 6,4 % d'arrêts maladie par rapport à l'an passé, que ça atteint 17 milliards au niveau du privé. Si on rajoute 10 milliards au niveau des fonctionnaires d'État, on arrive à 27 milliards ; c'est un chiffre extrêmement important. Donc on voit bien que ce n'est pas la faute des médecins, ce n'est pas la faute des patients d'être malades, ce n'est pas la faute des entreprises, c'est chacun qui doit faire un pas pour améliorer la qualité de vie au travail et améliorer la prévention pour que les Français, les salariés, ne soient le moins malades possibles, mais naturellement on ne choisit pas, donc il faut pondérer ses propos.

SOLENNE LE HEN
Yannick NEUDER, donc vous appelez les patients à être responsables. Vous appelez les médecins aussi à prescrire moins d'arrêts de travail. Et puis vous demandez aux entreprises de payer davantage sur ces arrêts de travail. Très concrètement, comment ça fonctionne ? Donc il y aura toujours les trois premiers jours, c'est de la carence, ensuite du quatrième au septième, ce sont les entreprises qui prendront en charge les salaires ?

YANNICK NEUDER
Je crois que surtout le sujet a le mérite d'être posé, et il a le mérite d'être posé beaucoup plus tôt. Je crois qu'on a une inégalité entre les différents secteurs, que ça soit le public, que ça soit le privé. On a du secteur privé qui n'a pas forcément d'accord de branche, et qui a déjà les trois jours de carence. Et ça, on en parle très peu. Il y a déjà des Français qui ont trois jours de carence, donc on en parle peu. Je crois que c'est l'occasion, avec les organisations syndicales, avec les différents groupes politiques, et naturellement avec les entreprises, de pouvoir évoquer ces sujets. Ce sont des pistes qui sont posées.

MARIE BERNARDEAU
Pardonnez-moi, Yannick NEUDER, mais ça veut dire qu'aujourd'hui, vous allez demander aux entreprises de faire l'effort que l'assurance maladie ne peut pas, ne veut pas faire ?

YANNICK NEUDER
Non, ce n'est pas qu'elle ne veut pas ou qu'elle ne peut pas, c'est qu'on voit bien que l'assurance maladie, qui est globalement la sécurité sociale qui va fêter ses 80 ans cette année, en fait, les règles ne sont plus du tout comme en 1946. En 1946, vous avez trois cotisants pour un bénéficiaire, vous commencez à travailler à l'âge de 14 ans jusqu'à plus de 65 ans. Actuellement, vous avez un début d'emploi qui tend à aller bien plus loin, vers 25 ans. Vous avez un raccourcissement de la durée du travail. Donc le système n'est plus pérenne, donc il faut effectivement réfléchir sur cette nouvelle organisation qui prend en charge les arrêts de travail, qui prend en charge l'assurance maladie, l'arrêt de maladie et qui prend en charge la dépense de santé, ces différentes branches qui montrent que parfois les Français eux-mêmes ne savent plus vraiment qui paie quoi.

MARIE BERNARDEAU
Yannick NEUDER, vous entendez doubler le plafond des franchises médicales aussi, c'est-à-dire les sommes non remboursées aux patients sur les boîtes de médicaments notamment. En détail, qu'est-ce que ça donne, ça passe par quoi ?

YANNICK NEUDER
Ça passe que globalement, on a une franchise à 50 Euros maximum par an. Si elle est doublée, ça fait 100 Euros. Si on rapporte ça mensuellement, ça fait autour de 8 Euros.

MARIE BERNARDEAU
Mais combien par boîte de médicaments ?

SOLENNE LE HEN
Oui, parce que ça aussi, ça va augmenter.

YANNICK NEUDER
Non, parce que de toute façon, ça sera cumulé avec la franchise. Vous ne pouvez pas dépasser 100 Euros par an de non-remboursement.

SOLENNE LE HEN
Mais aujourd'hui, on paie 1 Euro par boîte de médicaments, 2 Euros par consultation, 4 Euros par transport sanitaire. Ça aussi, ça va augmenter à chaque fois ?

YANNICK NEUDER
Oui, mais vous resterez… L'idée c'est quand même qu'il n'y ait pas d'économie au détriment de la santé des Français.

SOLENNE LE HEN
Mais combien par boîte de médicaments ? On n'est plus à 1 Euro, on serait à 2 Euros par boîte ?

YANNICK NEUDER
Vous serez dans une limite de 100 Euros par an qui fait à peu près 8 Euros par mois.

SOLENNE LE HEN
Mais on va l'atteindre beaucoup plus vite ce plafond !

YANNICK NEUDER
On va l'atteindre beaucoup plus vite. Effectivement, tout dépend de si vous êtes un patient avec une maladie chronique qui nécessite des médicaments régulièrement et on peut envisager que dès le premier trimestre, vous aurez atteint votre limite. Si vous avez occasionnellement besoin de médicaments, vous ne l'atteindrez pas. C'est vrai, c'est 8 Euros, c'est moins qu'un paquet de cigarettes.

MARIE BERNARDEAU
C'est une taxe sur les malades, disent les associations de patients.

YANNICK NEUDER
Je pense que c'est une façon aussi, collectivement, de voir si on veut maintenir notre système social. En tout cas, ce sont des sujets qui sont sur la table. Je pense qu'il est sain d'en pouvoir en parler. Je crois que ce qui ne serait pas correct, c'est de pouvoir dire qu'on va continuer comme ça, quoi qu'il se passe, parce qu'il y a 3 300 milliards de dettes et que je pense que ce n'est pas raisonnable, malgré la période estivale et tout ça, de ne pas expliquer l'état de situation financière du pays.

SOLENNE LE HEN
Très concrètement, pour répondre à la question, ce sera combien par boîte de médicaments ? On passerait de 1 à combien ?

YANNICK NEUDER
Ça peut être 2 Euros, mais l'important…

MARIE BERNARDEAU
Ce n'est pas fixé ?

YANNICK NEUDER
Ce n'est pas fixé et ça fait partie des discussions. Mais l'idée, c'est que c'est surtout le plafond qui est important, parce qu'il faut effectivement que tout ça soit soutenable pour tout le monde. Il faut que ça soit soutenable pour les entreprises, il faut que ça soit soutenable pour l'assurance maladie, il faut que ça soit soutenable pour les patients. Je suis médecin, je rappelle, je suis très à l'écoute des patients, mais je pense qu'on arrive aussi à un sujet où beaucoup de personnes… Et je pense que vous, les premières, vous sortez de la pharmacie, vous ne savez absolument pas combien ont coûté les médicaments que vous avez pris. Vous sortez d'une hospitalisation, vous ne savez pas combien ça a coûté. Et je pense qu'il faut faire une différence entre dire que la santé n'a pas de prix, mais elle a quand même un coût. Et c'est normal aussi que tout le monde se rende compte que tout ça n'est pas gratuit, que ça nécessite beaucoup…

MARIE BERNARDEAU
On le sait en payant nos impôts.

YANNICK NEUDER
Comment ?

MARIE BERNARDEAU
On le sait en payant les impôts.

YANNICK NEUDER
Oui, mais vous savez aussi que beaucoup d'études ont montré qu'une grande majorité des Français avaient le sentiment de beaucoup plus payer qu'ils ne recevaient. Et quand on regarde factuellement les chiffres, en fait, 56 % des Français reçoivent plus que ce qu'ils ne versent. C'est ça l'égalité du système.

SOLENNE LE HEN
La vaccination contre la grippe ; on oblige tous les résidents d'EHPAD à se faire vacciner à partir de cet automne ?

YANNICK NEUDER
Ça fait partie des sujets qui sont en discussion. Le taux de vaccination des patients en EHPAD est déjà important, il est autour de 85 %. Donc je ne suis pas sûr qu'il y aura forcément un énorme gain, parce que souvent quand un patient a de la température ou une infection, on ne vaccine pas, on retarde souvent la vaccination. Quand il peut avoir des allergies, une protéine d'offre et autres, donc moyennant les restrictions. En tout cas, c'est fortement conseillé. C'est un peu comme la vaccination des enfants. Quand on pose son enfant en crèche, quand on demande à ce que son enfant soit en crèche, il y a un statut vaccinal obligatoire dans les deux premières années de la vie.

MARIE BERNARDEAU
Yannick NEUDER, je vous propose justement qu'on écoute à ce sujet la réaction du directeur de l'association des directeurs, des personnels de direction des maisons de retraite, Pascal CHAMPVERT. Il y voit, lui, une aberration.

PASCAL CHAMPVERT, DIRECTEUR DE L'ASSOCIATION DES DIRECTEURS, DES PERSONNELS DE DIRECTION DES MAISONS DE RETRAITE
Ça n'a aucun sens. Soit on vaccine des tranches d'âge, c'est-à-dire les plus de 60, les plus de 70, les plus de 80, les plus de 90, mais vraiment sur des bases épidémiologiques extrêmement précises. Et auquel cas, ça peut avoir un sens, vacciner ou pas des gens en fonction de leur lieu de vie, ça n'a aucun sens. Les résidents d'établissements pour personnes âgées, comme d'ailleurs les personnes vulnérables à domicile, restent des citoyens à part entière. Et nous, nous sommes très vigilants quand on impose à certains ce qu'on n'impose pas à tout le monde.

MARIE BERNARDEAU
Ça n'a aucun sens, Yannick NEUDER ?

YANNICK NEUDER
Je ne suis pas complètement d'accord dans le sens qu'en fait, on sait très bien que les patients en EHPAD sont souvent les patients les plus âgés avec une comorbidité importante et surtout, en fait, une vie en communauté… Et on sait bien que c'est là qu'on cumule l'ensemble des risques. Et on sait aussi que tous les patients qui sont hospitalisés et notamment en réanimation sont des patients non vaccinés. Donc, je crois que l'idée de toutes ces discussions, c'est de justement… Qu'est-ce qui va faire finalement que tout ça va fonctionner ? C'est l'acceptabilité de chaque citoyen. Donc, je crois que c'est mon rôle en tant que ministre de la Santé d'expliquer les choses et que collectivement, les directeurs d'établissements… Mais aussi le directeur aurait peut-être pu parler d'un autre sujet sur lequel ça m'aurait intéressé de l'entendre ; c'est que le personnel est très peu vacciné.

SOLENNE LE HEN
20 % seulement l'année dernière.

YANNICK NEUDER
Voilà, 20%. Et ça, ça interroge quand même.

SOLENNE LE HEN
On les oblige ?

MARIE BERNARDEAU
C'est ça qu'il faut rendre obligatoire, Yannick NEUDER.

YANNICK NEUDER
Alors, attention, parce que la vaccination des soignants, vous savez très bien comme ça peut être vite compliqué. En tout cas, moi, ce que je dis, c'est qu'au Pays de Pasteur, au Pays des Lumières, c'est quand même fou qu'on arrive à ce que 20 % seulement des soignants soient vaccinés. Donc, je pense qu'on a un problème vis-à-vis de la vaccination. Donc, je pense qu'il y a énormément besoin de faire de la pédagogie. La vaccination au Pays de Pasteur en France sauve des vies. On voit les épisodes d'épidémies de rougeoles dans certains pays, notamment le Maroc. J'ai beaucoup œuvré sur la méningite, on a quand même eu plus de 60 décès de cas de méningite. Ce sont des pathologies qui reviennent en force. Donc, je pense qu'on a un message de santé publique, encore plus quand on est soignant, de lutter aussi contre les antivax et de dire que la vaccination en France, comme partout dans le monde, sauve des vies. Et quand on entend des messages comme les États-Unis, le ministre de la Santé, KENNEDY, qui fait des liens de causalité extrêmement choquants entre l'autisme et la vaccination de la rougeole, je crois qu'au Pays de Pasteur, chaque soignant, chaque citoyen doit réaffirmer qu'on fait une médecine basée sur les preuves. Et qu'est-ce qui est prouvé scientifiquement ? La vaccination sauve des vies. Donc, moi, j'amène aussi l'ensemble des professionnels de santé de France, qu'ils soient dans un hôpital public, privé, dans un établissement médico-social, à donner l'exemple et à se vacciner. Je crois que c'est ça le bon message. Parce que quand vous êtes patient, c'est quand même plutôt tranquillisant de voir que votre professionnel de santé, qui est lui-même exposé, s'est vacciné.

MARIE BERNARDEAU
Yannick NEUDER, un mot encore pour terminer sur ce phénomène, cette tendance, cette mode initiée sur les réseaux sociaux, les tan-lines ou les burn-lines, ça consiste à se faire brûler la peau.

YANNICK NEUDER
Les sun-tattoos, c'est complètement délirant. En fait, notre jeunesse s'expose sans aucune protection aux UV, se brûle la peau pour un TikTok de 30 secondes, ce qu'il faut surtout dire…

MARIE BERNARDEAU
Au soleil.

YANNICK NEUDER
Bien sûr, au soleil… C'est qu'en fait, il faut dire que pour un TikTok de 30 secondes, ils impactent le risque de cancer plus tard de façon extrêmement importante. On sait qu'il y en a beaucoup ; le cancer de la peau, c'est entre 150 et 250 000 cancers de la peau par an, que ce soit des mélanomes, que ce soient des carcinomes. Et on sait que dans huit fois sur dix, c'est une exposition prématurée importante au soleil chez les enfants qui en est la cause. Donc, surtout le grand message – et je fais confiance aux médias pour le dire – j'ai saisi d'ailleurs avec ma collègue ministre au numérique, les plateformes pour pouvoir interdire ce genre de vidéos qui sont mortifères pour notre jeunesse : s'exposer au soleil, se mettre de l'huile au soleil pour prendre des coups de soleil, ça tue, ça tuera dans quelques années comme je m'oppose fortement au SkinnyTok, cette extrême maigreur qui met aussi en danger nos adolescentes.

MARIE BERNARDEAU
La crème, donc… Vous partez en vacances Yannick NEUDER ?

YANNICK NEUDER
Je l'espère, quelques jours la semaine prochaine.

MARIE BERNARDEAU
Merci d'avoir accepté l'invitation de France Info ce matin. Ministre de la Santé et de l'Accès aux soins, merci à vous, Solenne Le HEN, spécialiste santé de France Info.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 1er août 2025