Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, à France Info le 7 août 2025, sur un incendie dans l'Aude, le plan d'adaptation au changement climatique et la loi Duplomb.

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Média : France Info

Texte intégral

BENJAMIN FONTAINE
Revenons tout de suite évidemment dans l'Aude avec ce feu qui a donc ravagé 16 000 hectares en moins de 48 heures. Avec nous ce matin Agnès PANNIER-RUNACHER, ministre de la Transition écologique, de la Biodiversité et des Forêts. Bonjour.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour Benjamin FONTAINE.

BENJAMIN FONTAINE
Un mot d'abord Agnès PANNIER-RUNACHER, de la situation sur place. Vous confirmez que ce feu progresse moins vite ce matin ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui. Tout à fait. Parce que la nuit a été plus fraîche. Donc le feu progresse moins vite mais ça reste l'incendie le plus important depuis 1949 que la France ait connu. Et c'est un incendie qui est clairement une conséquence du dérèglement climatique, de la sécheresse dans cette région et de la situation climatique de notre pays.

BENJAMIN FONTAINE
Alors il faudra effectivement attendre encore quelques semaines, mois peut-être, une expertise pour pouvoir dire que ce feu est le plus important depuis 1949. Mais effectivement vous l'avez dit, il est très important et il y a un constat qui est fait depuis hier par les habitants de l'Aude. Partout où il y avait de la vigne, le feu a été arrêté. Les viticulteurs sont très amers aujourd'hui, ils ont dû arracher 5 000 hectares de vignes avec en retour des aides de l'État. Je vous propose d'écouter Christophe CAMUS, il est viticulteur à Névian, il était avec nous il y a quelques minutes.

CHRISTOPHE CAMUS, VITICULTEUR A NEVIAN
Au lieu de nous aider à maintenir nos exploitations, on nous a poussés à les arracher. Des friches se développent et comme la terre est profonde, les endroits où il y avait la vigne, la végétation devient très dense, souvent plus dense que les garrigues et quand il y a de la vigne, ça freine l'évolution du feu parce qu'il n'y a pas de combustible. Et au contraire, une friche donne du combustible au feu et accélère.

BENJAMIN FONTAINE
Agnès PANNIER-RUNACHER, François BAYROU a promis d'aider les viticulteurs hier. Qu'est-ce qui peut être fait concrètement ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est tout l'enjeu du plan méditerranéen qu'avait lancé le président de la République l'année dernière. C'est-à-dire un plan qui vise à panser l'agriculture dans cette région avec une baisse de l'accès à l'eau du fait d'une sécheresse qui va se développer dans le cadre du dérèglement climatique. Et je le dis, il n'y a pas de doute, c'est le feu le plus important que la France ait connu depuis 1949. Et donc de regarder ce qui peut être planté. Ce viticulteur a raison, lorsqu'on a des friches, elles sont plus fragiles au regard d'un incendie. Mais la difficulté que nous avons aujourd'hui, c'est que les cultures d'hier ne fonctionnent plus sur ce territoire et qu'il faut adapter l'agriculture. C'est une demande des jeunes agriculteurs et c'est une demande qui doit être accompagnée financièrement dans le cadre d'un plan.

BENJAMIN FONTAINE
... Voilà, il faut de l'argent.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui. Tout à fait. Il faut penser l'agriculture de demain et regarder ce qui a le plus de chances d'être résilient et de correspondre aussi à une demande des consommateurs. Parce qu'il ne faut pas planter pour planter et produire pour produire. Mais il faut aussi nourrir des populations avec des productions qui sont utiles au pays.

BENJAMIN FONTAINE
Oui parce qu'aujourd'hui il y a des tentatives de plantation d'aloe vera, de pistache aussi, de pistachier. Certains réclament aussi des retenues collinaires pour l'eau. Est-ce que c'est raisonnable aujourd'hui ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
On va avoir besoin face au dérèglement climatique de stocker de l'eau. On sait que le dérèglement climatique a pour effet d'augmenter, si on est très caricatural, d'augmenter les précipitations pendant l'hiver et de créer la sécheresse l'été. Et donc il va falloir accompagner ces dérèglements, trop d'eau l'hiver et pas assez d'eau l'été. Une retenue collinaire qui récupère notamment l'eau de pluie peut avoir une vraie utilité. Là où il faut être vigilant, c'est qu'il ne faut pas dérégler le cycle de l'eau, c'est-à-dire pomper dans les nappes phréatiques pour stocker de l'eau. Parce qu'évidemment, ça a un effet sur les autres consommateurs en aval, par exemple, d'une retenue. Et c'est cette régulation qu'il faut trouver, c'est tout le travail que je mène pour améliorer le cycle de l'eau, pour recréer aussi des zones humides. C'est une solution très utile, une zone humide, parce qu'elle stocke l'eau l'hiver et elle la restitue en période de sécheresse.

BENJAMIN FONTAINE
Mais est-ce qu'en réalité, Agnès PANNIER-RUNACHER, il ne faut pas tout simplement se faire à l'idée qu'il faut arrêter, freiner la viticulture dans l'Aude, parce que le climat ne le permet plus ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est ce que je vous ai dit précédemment, c'est-à-dire qu'il faut adapter notre agriculture à la réalité du climat de demain.

BENJAMIN FONTAINE
Mais c'est compliqué à entendre dans le département.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ce climat de demain n'est pas le climat d'aujourd'hui, c'est une réalité qui est physique, c'est une réalité qui s'impose à nous et c'est tout l'enjeu du plan d'adaptation au changement climatique que j'ai porté et présenté au mois de mars. C'est comment on adapte notre pays à un climat qui change. Il y a des solutions, il faut être très clair, ce n'est pas un dilemme sans solution, mais ça veut dire des financements, ça veut dire de l'anticipation, ça veut dire des investissements et effectivement un changement dans nos méthodes d'agriculture. Parmi d'autres choses, il faut accepter d'avoir des stockages d'eau, il faut accepter aussi de revoir notre manière de cultiver et d'avoir des plantes qui sont cultivées, qui sont moins gourmandes en eau, plus résilientes, tout en visant effectivement une utilité pour le consommateur.

BENJAMIN FONTAINE
Agnès PANNIER-RUNACHER, on va s'éloigner des incendies quelques instants pour parler de la loi Duplomb destinée à réduire les contraintes des agriculteurs. Justement, le Conseil constitutionnel dira ce soir à 18 h s'ils censurent ou non certains articles, notamment sur la réintroduction de certains insecticides. À quoi vous vous attendez-vous ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Écoutez, moi, je n'ai pas à commenter une décision du Conseil constitutionnel, évidemment. Vous le savez, moi, j'ai une position que j'ai réaffirmée qui est contre la réintroduction des néonicotinoïdes et je rappelle que le Gouvernement avait d'ailleurs porté un amendement en ce sens. Il a été battu au Sénat. Maintenant, le juge constitutionnel doit apprécier la portée de ce texte. Ce texte comporte deux éléments qui sont aujourd'hui attaqués par les porteurs du recours devant le Conseil constitutionnel. Un sujet de procédure, ça, c'est un sujet juridique assez technique. Est-ce que la procédure a bien fonctionné puisqu'il y a eu une motion de rejet et le texte n'a pas pu être examiné en hémicycle à l'Assemblée nationale ? Et puis la question de cette réintroduction notamment des néonicotinoïdes et c'est avec des conditions de restriction suffisamment protectrices des Françaises et des Français. Parce que je le rappelle, ce texte prévoit certes une réintroduction mais avec des conditions restrictives. Donc c'est la portée de ces conditions restrictives qui seront appréciées par le Conseil constitutionnel.

BENJAMIN FONTAINE
Une censure partielle de la loi, ce sera un revers pour le Gouvernement ce soir ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ce n'est pas une loi du Gouvernement, je le redis, c'est la loi d'un sénateur républicain qui a trouvé une majorité au Sénat…

BENJAMIN FONTAINE
C'est vrai, mais elle a été poussée par le Gouvernement, malgré tout.

AGNES PANNIER-RUNACHER
…Ce qui n'est pas surprenant puisqu'il y a une majorité républicaine et une majorité à l'Assemblée nationale après un certain nombre de discussions qui ont réduit la portée de la loi.

BENJAMIN FONTAINE
Merci Agnès PANNIER-RUNACHER, ministre de la Transition écologique et de la Biodiversité, d'avoir été avec nous ce matin sur France Info


source : Service d'information du Gouvernement, le 8 août 2025