Déclaration de politique générale de M. François Bayrou, Premier ministre, sur la dette publique et le budget 2026, à l'Assemblée nationale le 8 septembre 2025.

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Texte intégral

Madame la Présidente, 
Mesdames et Messieurs les députés,

Cette épreuve de vérité comme chef de gouvernement, avec l'assentiment du président de la République, je l'ai voulue. J'ai voulu ce rendez-vous et certains d'entre vous, les plus nombreux, les plus sensés, probablement, ont pensé que c'était déraisonnable, que c'était un trop grand risque. Or, je pense exactement le contraire. Le plus grand risque était de ne pas en prendre, de laisser continuer les choses sans que rien ne change, de faire de la politique comme d'habitude, de faire durer sans prendre les décisions qui s'imposent, jusqu'au moment où l'irréparable est là et où l'on arrive au bord de la falaise.

Car ce dont nous traitons aujourd'hui, ce n'est pas une question politique, c'est une question historique. Les questions politiques, ce sont celles qui concernent les partis, les rivalités des uns avec les autres, et les questions de pouvoir. Les questions historiques, ce sont celles qui concernent les peuples et les nations. Les questions politiques, ce sont celles qui concernent les adultes qui se disputent tout le temps, et les questions historiques, ce sont celles qui concernent les enfants et le monde que nous leur construisons. Les questions politiques, ce sont les questions pour la prochaine élection, mais les questions historiques, ce sont les questions pour la prochaine génération, des questions pour demain qui se jouent aujourd'hui.

Tous, nous savons que notre pays, au-delà de l'orientation décisive qui va se trancher aujourd'hui, se trouve devant un immense champ de questions qui vont appeler dans les années qui viennent des changements profonds. Et je veux, en quelques minutes, en 5 minutes, vous citer les plus graves de ces questions. Nous sommes devenus, depuis l'an 2000, un pays qui produit moins que les autres, moins que ses voisins. Notre retard de production sur nos voisins les plus proches, qu'ils soient allemands ou belges, mesuré par le PIB par habitant, est de 15 %, notre retard, et sur nos voisins néerlandais, de plus de 30 %. Et ce, malgré les efforts faits ces dernières années sur la création d'entreprises, sur l'emploi, sur l'investissement, par exemple, avec France 2030. Imaginez ce que seraient nos revenus familiaux et les ressources de l'État si nous disposions de 15 ou 30 % de plus à partager, nos salaires de 15 à 30 % plus importants et les ressources de l'État de 15 à 30 % plus abondantes. Si nous avions la production de nos voisins, la France n'aurait aucun problème de déficit, elle n'aurait pas de problème de dette. La production, c'est donc une urgence nationale. Parallèlement, et pas sans lien, nous sommes devant un immense problème d'éducation nationale. Notre école, notre collège, notre lycée, nos universités, jadis autant d'exemples pour la planète entière, sont aujourd'hui déclassées avec une chute sur la maîtrise des fondamentaux, sur l'écrit, sur la lecture, sur la langue, sur l'arithmétique élémentaire, des difficultés sur l'orientation, trop précoce, en tout cas pour moi, trop angoissante, trop mécanique et n'assurant pas la promesse républicaine d'égalité des chances d'où qu'on vienne, et s'il le faut, deuxième chance et encore troisième chance. Nous sommes devant une immense question de modèle social inventée il y a 80 ans sous l'inspiration du Conseil national de la résistance, et aujourd'hui gravement déficitaire, déstabilisé par le déséquilibre démographique, par le vieillissement des Français et par le déséquilibre du système des retraites.

Nous sommes devant une immense question du logement : logement des familles, parcours de la location à la propriété pour ceux qui le souhaitent, logement des jeunes, logement des étudiants et même jusqu'au logement d'urgence. Le modèle est à réinventer. Nous sommes le pays du monde qui a le mieux identifié l'enjeu écologique, le développement durable, la production décarbonée. C'est une fierté, mais en un temps où cet enjeu est battu en brèches partout sur la planète, c'est un défi de mobilisation générale. Nous sommes devant une immense exigence et une inquiétude liées à la sécurité, à la sécurité de tous les jours, au respect de l'intégrité des biens et des personnes. Et nous savons que cette inquiétude, c'est d'abord celle des plus fragiles, et donc sécurité et justice, ce sont les deux phases de notre premier devoir d'État. Nous sommes devant la question que les migrations posent à notre pays et à nos sociétés. Les migrations, les migrations liées aux différences de développement, à la misère chez les uns avec une démographie expansive, à l'abondance chez les autres avec une population déclinante, sans compter la déstabilisation climatique.

Nous avons donc deux obligations, contrôler et maîtriser les arrivées et intégrer ceux qui sont et seront là, les intégrer, dans ma conviction, par le travail, par la langue, par l'engagement à respecter nos principes de vie. Et je dois ajouter l'aménagement du territoire dans l'Hexagone, avec des déséquilibres entre les métropoles et les nouveaux déserts français. Transports, équipements, centres de décision : les territoires sont en demande et ont souvent l'impression que nul ne les entend. Et nos outre-mer, avec des enjeux de vie quotidienne et de destin dont nous savons qu'ils doivent être totalement réinventés, enjeux que le Gouvernement a saisis dès son installation. Tout cela est immense et urgent. Magnifique cathédrale à reconstruire pour un peuple qui le mérite, un peuple avec des capacités à nul autre pareil, au premier rang du monde pour les sciences fondamentales, pour les mathématiques, pour la physique, pour la chimie, pour la génétique, pour la pharmacie et pour les technologies, pour le quantique, pour l'algorithmique, pour la robotique au premier rang dans le monde industriel, à l'égard des empires, pour le spatial, pour l'aviation, pour les hélicoptères, pour la construction navale, pour les sous-marins, pour les centrales nucléaires. Mais tout cela, c'est une économie qui a conquis les sommets et qui doit reconstruire les camps de base, rééquilibrer son commerce extérieur, à commencer par le développement de l'agriculture, de l'industrie, de l'automobile, tout secteur où nous avons des atouts, à l'équipement de la maison dont nous sommes presque absents.

Mais tout cela, toutes ces questions sont aujourd'hui soumises... à la question dont tout dépend, à la question vitale, d'urgence vitale, où notre pronostic vital est engagé, dont dépend notre État, notre indépendance, nos services publics, notre modèle social. C'est la question de la maîtrise de nos dépenses, la question du surendettement.

Votre soutien, l'accord minimal sans lequel je ne pourrais pas poursuivre ma mission, je le demande à l'Assemblée nationale sur un seul point, mais décisif, le constat de la situation du pays. La France n'a pas connu de budget en équilibre depuis 51 ans. Depuis 51 ans, tous les ans, les dépenses s'accroissent, les déficits se répètent et les dettes s'accumulent. Tous les ans, nous dépensons plus que nos ressources de l'année, et souvent beaucoup plus. Alors cela se justifie, bien sûr, lorsqu'il faut passer des crises, la crise des subprimes, crise financière mondiale, sous Nicolas SARKOZY, et l'incroyable succession de coups du sort depuis 2020, le covid, la guerre en Ukraine, la crise énergétique, l'inflation et les menaces de tous genres. Mais nous dépensons, mais nous ne revenons jamais en arrière. C'est devenu un réflexe, et pire encore, une addiction. Les dépenses ordinaires du pays, les dépenses pour notre vie de tous les jours, pour les services publics, pour les retraites, pour rembourser nos feuilles de sécurité sociale, nous avons pris l'habitude de les financer à crédit, donc dépassement systématique de dépenses. Chaque année, pour acquitter chaque euro de dépense, chaque euro de dépassement des dépenses, il a fallu emprunter, comme un ménage ou une entreprise emprunte à la banque quand ils ont un déficit. Un euro de déficit, c'est un euro de dette supplémentaire. Et l'addition des déficits par milliards tous les ans nous a conduits à une écrasante accumulation, 3 415 milliards d'euros de dettes à l'heure précise où nous parlons.

Cette accumulation a un prix. C'est la ponction que le service de la dette représente tous les ans. Ce qu'il faut payer aux créanciers pour les intérêts est la part de capital qu'on doit rembourser. Et cela, on est obligé de l'acquitter, sinon c'est la banqueroute. Si on ne le faisait pas, on ne trouverait plus à emprunter un centime. Or, nous ne pouvons pas vivre dans un pays comme le nôtre, sans emprunter pour payer les fonctionnaires ou pour les retraites ou pour la sécurité sociale, ni pour remplir nos obligations d'emprunteurs. D'ores et déjà, nos obligations de remboursement annuel et part à rembourser du capital, dépassent et de loin, dépassent ce que notre pays produit en plus chaque année par sa croissance, par ses progrès en plus de l'année précédente. Il faut avoir les chiffres précis en tête parce que ces chiffres ne sont pas du tout abstraits, ils disent une chose évidente et que nous ne pouvons pas faire semblant d'ignorer. Chaque année, à notre rythme annuel de croissance et d'inflation, chaque année, la France, en plus de l'année précédente, produit pour un montant de 50 milliards d'euros environ. Face à ces 50 milliards en moyenne, en 2020, les annuités qu'il nous fallait verser représentait environ 30 milliards par an. 50-30. En 2024, c'était 60 milliards. Cette année, 67 milliards. L'année prochaine, en 2026, 75 milliards. L'année suivante, 85 milliards. Et à la fin de la décennie, dit la Cour des comptes, 107 milliards. 50 milliards créés par le travail, plus de 100 milliards transférés à nos créanciers. Le double. Autrement dit, tout le travail, l'inventivité du pays pour progresser pendant une année, tout ce progrès que nous voulons pour les nôtres, pour nos enfants, est entièrement reversé à nos créanciers. Et la majorité de nos créanciers, 60 %, sont étrangers. Ce sont donc des dépenses obligatoires totalement improductives. Pas un emploi de plus, pas un service amélioré, pas un équipement mis en place. Notre pays travaille, croit s'enrichir et tous les ans s'appauvrit un peu plus.

Mesdames et Messieurs les députés, c'est une silencieuse, souterraine, invisible et insupportable hémorragie. Et si c'est insupportable, on ne doit pas le supporter. C'est le sens de la déclaration du Gouvernement devant l'Assemblée nationale. Comme capitaine du navire, informé de la voie d'eau, qui s'élargit sans cesse du flot qui envahit nos cales, je dis que notre devoir est d'abord et tout de suite de nous mettre à l'étancher et de nous y mettre tous. Alors, on me dit : "Mais ce n'est pas urgent. Ça peut attendre. Vous êtes trop impatient. Vous voulez aller trop vite. Le bateau flotte encore. Il ne faut pas troubler les passagers et l'équipage." Là est précisément la confrontation des points de vue. Là est la prise de responsabilité de chacun. Je dis, au contraire, que si nous voulons la sauvegarde du navire, du navire sur lequel nous sommes et sur lequel sont nos enfants, il faut agir sans retard.

Et ce n'est pas hors d'atteinte. Cela demande seulement la mobilisation de tous et un effort modéré de chacun si l'on s'y prend à temps. Mais il convient même brièvement d'élargir l'analyse, de dépasser les conséquences que je décris sur la vie des Français et d'envisager, je veux le faire devant vous, ce que seraient les conséquences sur le destin de la France. Nous tous, d'où que nous venions, sommes les héritiers de la France. C'est ce destin unique entre les peuples, d'une puissance moyenne par le nombre de ses habitants, mais à vocation universelle, qui nous a fait ce que nous sommes. Et aujourd'hui, le destin de la France, notre nation écrite dans l'Histoire, se trouve menacée par nos quotidiennes impérities. Pour une nation, la question de l'influence est vitale, la capacité à faire rayonner ses valeurs, nos valeurs françaises et universelles partout menacées, les droits de l'homme, et d'abord le droit des femmes, le droit au respect et à la liberté des femmes, le droit des enfants, le droit à la liberté et au respect de la vie privée, le droit à la libre opinion, à la libre conviction, le droit à la libre religion, à la libre philosophie, le droit à se former. Cet ensemble de droits, comme il n'y en eut jamais de plus complet dans le monde, depuis que le monde est monde, tout cela, qui le défend sinon la France ? Et comment la France peut-elle défendre cet ensemble de valeurs, lui donner sens, en elle-même et par l'Union européenne, si elle s'avère faible, si elle a perdu sa crédibilité en perdant sa souveraineté. C'est ainsi que nous ne sommes pas à cet instant défenseurs de nos seuls intérêts, de notre santé, de notre prospérité. Nous sommes les défenseurs menacés d'un bloc de valeurs lui aussi menacé. De notre capacité à l'indépendance et à la souveraineté dépend notre capacité d'influence. Du respect que la France impose aux autres dépend le respect qu'on portera à ces valeurs. La soumission à la dette, c'est comme la soumission par la force militaire. Dominée par les armes ou dominée par nos créanciers du fait d'une dette qui nous submerge, dans les deux cas, nous perdons notre liberté. Et dans les deux cas, il ne tient qu'à nous de nous émanciper, de retrouver le chemin de la liberté, cela ne demande qu'un effort sur nous-mêmes.

C'est pourquoi la France, sous l'autorité du président de la République et par le vote des parlementaires, a choisi un plan d'équipement de ses armées, de ses hommes et de ses matériels : la loi de programmation militaire. Cette loi, vous le savez, il est nécessaire non seulement de la respecter, mais de l'abonder par des investissements complémentaires, décidés en raison des dangers de toute nature auxquels notre pays et notre continent sont exposés. Ces investissements complémentaires nécessaires sont inscrits pour 3 milliards supplémentaires dès cette année dans le plan que nous avons présenté aux Français au mois de juillet. C'est pourquoi, de la même manière, le Gouvernement propose au pays, un plan pour aller vers le désendettement pour que la France échappe en peu d'années à l'inexorable marée de dettes qui la submerge. En quatre années, et c'est un délai raisonnable dans la vie d'un pays et de ses habitants, ce n'est pas que nous n'aurons plus de dettes, mais notre dette n'augmentera plus. Et voilà le plan, atteindre en 2029 le seuil de 3 % des déficits publics annuels, seuil à partir duquel la dette n'augmente plus. Et si la dette n'augmente plus, alors le travail des Français, leur inventivité, leur créativité, leur confiance retrouvée remettront le pays à flot, et nous le croyons plus vite qu'on ne croit.

Tout, nous y invite, les technologies d'un monde qui va de révolution en révolution, l'intelligence artificielle, notre créativité intellectuelle, culturelle, artistique, notre recherche. Si nous savons nous libérer de ces chaînes qui nous entravent, alors tous les épanouissements seront ouverts aux Français d'aujourd'hui et aux générations qui viennent. Tout est prêt, tout est en germe, ne manque que la détermination de ceux qui veulent en sortir. Cela oblige à des efforts, mais des efforts modérés, je le disais, des efforts qu'un pays doit considérer supportables, dépenser un peu moins que ce qui était attendu ou programmé, freiner les dépenses, les étaler dans le temps, mais affirmer devant nos concitoyens et à la face du monde que si personne ne sera abandonné, ce sont d'abord et avant tout les plus jeunes d'entre nous dont nous devons nous occuper. J'ai été frappé des messages que j'ai reçus pour avoir évoqué les plus jeunes, et le poids qui pèse sur leur génération. Ils portent, les plus jeunes, ils portent et vont porter pendant 20 ou 30 ans, ou davantage encore, le poids des milliers de milliards de dettes que leurs aînés ont contractées et qu'ils vont, eux, devoir endosser. Elles n'ont pas été contractées pour équiper le pays, comme il aurait fallu, pour décider de leur avenir, ces milliers de milliards de dettes ont été consacrées à éponger les dépenses courantes de la vie de tous les jours qu'un pays normal devrait assumer à chaque génération pour son compte. Depuis des décennies, sur ce point, nous avons rompu le contrat de confiance entre générations qui est la base du contrat social. J'ai été frappé de vérifier combien les jeunes se sentent, générations sacrifiées. Ils disent : "Nous n'aurons pas de retraite, la retraite, ça ne sera jamais pour nous", et le double enjeu qu'ils rencontrent aujourd'hui, et je sais très bien que vous voulez qu'on augmente encore les charges sur leurs épaules. Eh bien nous, nous croyons exactement le contraire, nous pensons qu'il faut les alléger de manière qu'ils soient libérés de l'esclavage dans lequel on les plonge.

Il est simple d'évoquer devant vous le double enjeu que ces jeunes rencontrent, et souvent le double échec, dans la recherche du travail et la recherche du logement dans certaines villes et certaines régions, et sans compter le logement étudiant. Génération qui ne se voit pas d'avenir commun. Cette situation, pour nous, elle est insupportable du point de vue démocratique, insupportable du point de vue civique, autant que du point de vue moral. La prise de conscience, c'est aussi celle-là. Que les plus avancés en âge unissent leurs efforts pour alléger la dette que les plus jeunes devront acquitter. Ne leur dites pas que vous les aimez, que vous veillez sur eux, si vous faites semblant d'ignorer la charge écrasante accumulée sur leurs épaules. J'ai parlé de cette... Si vous criez, je bois, donc c'est une bonne chose.

Ayant vécu ces derniers mois cet exercice inédit, et je crois sans précédent, de transparence entre citoyens, j'ai vu la puissance des forces qui veulent qu'on continue à fermer les yeux. Alors certes, il y a un fait nouveau. Depuis quelques semaines, depuis que nous avons commencé ce travail, la première phrase de cela est devenue : "Nous ne nions pas la situation". Mais, ils ajoutent aussitôt : "Nous sommes en désaccord avec la méthode, avec les décisions prises, avec le rythme du désendettement, avec l'identification des causes, et nous combattrons cela de toutes nos forces, et c'est pourquoi nous voulons faire tomber ce Gouvernement qui nous invite à l'effort". Les uns disent, et ne croyez pas que j'ignore l'efficacité du discours, "Ce sont les immigrés qu'il faut mettre à contribution. Ce sont les étrangers qui sont la cause de tout. C'est auprès de cela que nous gaspillons notre argent et qu'il faut taper dans la caisse", ou bien, variante de la part des mêmes : "C'est l'Europe. Nous nous ruinons à respecter nos engagements." 20 milliards là, 10 milliards ici, et en effet, c'est plus facile. Je suis d'accord, je l'ai dit, pour qu'on vérifie mesure par mesure s'il y a des anomalies, des injustices au détriment de nos compatriotes. J'ai pris la décision d'intervenir à ce sujet, cette semaine, sur l'aide médicale d'État pour faire entrer dans la norme le rapport présenté par Claude ÉVIN et Patrick STEFANINI et j'ai été heureux qu'ils rappellent que c'est le premier gouvernement qui prend en compte le rapport depuis deux ans qu'il a été déposé. Mais j'ai entendu des voix qui disaient : "Tout ça nous soulève le cœur". En tout état de cause, l'addition des économies est très loin de représenter un ordre de grandeur à la dimension du problème.

Ou bien, autre discours : "Ce sont les riches qu'il faut faire payer". Et là encore, je ne sous-estime pas l'efficacité du discours. Bernard ARNAULT est devenu figure emblématique. Lui et ses semblables sont devenus les cibles emblématiques d'une pensée magique. Ils sont comme ces poupées vaudoues dans lesquelles on plante des aiguilles pour les atteindre, j'imagine, au portefeuille. On m'accordera que je ne suis ni un défenseur attitré, ni un stipendié de ses réussites. Mais je n'oublie pas ce qu'elles font tous les jours pour le pays. L'excédent du commerce extérieur dans le secteur du luxe, c'est 40 milliards d'euros par an. Et la valorisation et l'image de la France qui contribuent à l'industrie comme au tourisme représentent des dizaines de milliers d'emplois. Alors on nous dit : il suffit de prendre ce qu'ils ont, ou une large part de ce qu'ils ont, ou chaque année 2 % de ce qu'ils ont, et les problèmes de la France seront réglés. On oublie deux choses essentielles. La première est qu'un pays comme le nôtre a besoin d'investisseurs. Le 1 % des plus hauts contribuables assume une large part de l'investissement privé dans l'appareil productif en France. Et on oublie une deuxième conséquence. Dans le monde de frontières ouvertes où nous vivons, ceux qui sont ciblés ont une réplique très simple et très immédiate, ils déménagent. Ils ont pléthore de pays où ils peuvent trouver un refuge fiscal, en Europe même, le Luxembourg, la Belgique, les Pays-Bas, pour les entreprises ; demandez à nos voisins britanniques. Ils ont décidé de taxer les étrangers qui étaient exonérés de fiscalité. Ceux-là ont déménagé et la conséquence immédiate a été l'explosion du prix de l'immobilier à Milan. Mentionnons au passage, et François HOLLANDE le sait bien, que ce type de fiscalité est interdit par le Conseil constitutionnel, qui l'a depuis longtemps déclaré confiscatoire et donc inconstitutionnel.

Mais je veux réaffirmer ici qu'il conviendra de trouver un type de contribution qui fasse que les très hauts revenus et les très hauts patrimoines soient appelés à participer spécifiquement à l'effort national et qu'un travail en profondeur soit conduit pour éviter que soient mises en place ou que se perpétuent des stratégies d'optimisation fiscale manifestement anti-égalitaires, et, bien que juridiquement correctes, moralement discutables. Et j'ai proposé dès la mi-juillet que les commissions parlementaires soient invitées à participer à ce travail de mise au point de cette fiscalité de solidarité. Les solutions de facilité, celles qu'on vante aux Français à longueur de discours, ne suffiront jamais. Notons au passage qu'entre ceux qui affirment, "Nous allons instituer 20 milliards ou 30 milliards d'impôts nouveaux" et ceux qui stipulent : "Pas un euro d'impôt supplémentaire" ; entre ceux qui disent : "Nous allons prendre les ressources dépensées pour les étrangers" et ceux qui déclarent qu'ils s'y opposeront jour et nuit et jusqu'au bout ; la conjonction des forces qui annoncent qu'elles veulent additionner leur voix pour faire tomber le Gouvernement, c'est un tohubohu qui se prépare pour la France.

Et pardonnez-moi de le rappeler à ce moment. [Applaudissements] Le problème, la menace, le risque pour la France demeureront entiers. Parce que, Mesdames et Messieurs les députés, vous avez le pouvoir de renverser le Gouvernement, mais vous n'avez pas le pouvoir d'effacer le réel. Le réel demeurera inexorable. Les dépenses continueront d'augmenter plus encore et le poids de la dette, déjà insupportable, sera de plus en plus lourd et de plus en plus cher. Il n'y a donc qu'un seul chemin pour que notre pays s'en sorte. Aujourd'hui, comme dans les années 50, quand le Général DE GAULLE et un peu plus tôt Pierre MENDÈS FRANCE affirmaient tous les deux, dans le même sens, pour l'un, qu'un pays qui n'est pas capable d'équilibrer ses finances publiques est un pays qui s'abandonne et pour l'autre : "Je refuse que l'équilibre des finances publiques se fasse par l'accroissement chronique de la dette". C'est la question précisément qui est posée aujourd'hui.

Mesdames et Messieurs les députés, dans cette démarche inédite qui vise à mettre tous les parlementaires face à leur responsabilité propres, personnelle, humaine, tous ceux qui voient bien que quelque chose ne va pas, même s'il est plus commode d'ignorer cette évidence, dans cette démarche, il y a une certaine idée de la démocratie et du Gouvernement d'un peuple. J'ai choisi de m'adresser à vous comme si le destin n'était pas écrit, comme si la réponse de l'Assemblée nationale à l'engagement de responsabilité n'avait pas été annoncée partout, à cor et à cri, sur tous les tons et toutes les antennes de la part du plus grand nombre des groupes de cette Assemblée. Je m'adresse à vous en prenant au pied de la lettre nos principes énoncés à l'article 27 de la Constitution, le droit de vote des membres du Parlement et personnel, ce qui veut dire en principe que les mots d'ordre n'ont pas leur place ici.

Ce qui a sa place ici, c'est la conscience personnelle de chacun des députés de la nation. Tous les partis politiques qui ne font pas partie du Gouvernement ont annoncé leur décision de renverser ce Gouvernement. Exploit tout relatif, permettez-moi de le signaler, puisque ce Gouvernement est sans majorité, ni majorité absolue, ni majorité relative, Gouvernement dont la chute irrévocable, je le sais bien, était annoncée depuis la première minute de son existence. Je veux apporter ici une précision. J'ai une haute idée des mouvements politiques. Je me suis engagé quand j'avais à peine plus de 20 ans dans celui auquel j'adhère encore aujourd'hui. Je ne l'ai jamais quitté. Je l'ai défendu quand nous n'étions qu'une poignée à y croire encore. Je l'ai porté envers et contre tous, et je suis fier de la génération de responsables qui m'entoure aujourd'hui. Et je suis certain que sur beaucoup de ces bancs, le même sentiment d'intime fidélité et de fierté avec le parti auquel vous adhérez est partagé. Mais les partis politiques ont aussi un défaut fondamental, qu'a si précisément vu, y compris à son détriment, le général DE GAULLE : c'est que leur logique, toujours, les conduit à la division. C'est une malédiction que nous vérifions à cet instant. Notre pays a le plus urgent besoin de lucidité, il a le plus urgent besoin d'unité, Et c'est la division qui menace de l'emporter, qui menace son image et sa réputation. Les forces politiques qui annoncent qu'elles vont faire tomber le gouvernement. Ce sont les forces politiques les plus opposées entre elles, celles qui se désignent comme ennemies, celles qui sont incompatibles par les idées autant que par les arrières-pensées et qui échangent d'un bout à l'autre de l'Hémicycle les injures et les mises en cause.

Ce qu'elles préparent [Applaudissements], si leur logique de division l'emporte, j'ai déjà utilisé le terme, c'est le tohubohu, le désordre, où chacun hurle dans son coin et dont rien de bon ne peut sortir.

Le Gouvernement, par ma voix, engage devant vous sa responsabilité. Ce qui signifie que, par ma voix, à la tribune, il dit, Mesdames et Messieurs les députés, le problème dont nous vous saisissons, comme représentants de la nation, nous paraît si grave, il implique si profondément chacun de nos concitoyens qu'il requiert votre soutien. Sans un soutien minimal de la part des Français représentés ici par leurs députés, l'action exigeante et courageuse que la situation implique n'a aucune chance de pouvoir s'imposer. Et s'il n'y a pas ce soutien minimal, cette entente minimale entre les grandes sensibilités du pays sur le constat et sur l'impérieuse trajectoire de dressement, alors l'action du Gouvernement serait vouée à l'échec, et pire encore, elle n'aurait pas de sens. S'il s'agit toujours de faire semblant, de ménager la chèvre pour obtenir le chou, de se rendre aux logiques de marchandage et de division, de dissimuler l'essentiel, pour communiquer sur le secondaire, en sachant qu'on continue la marche vers l'accident, je vous le dis, je ne serai pas l'homme d'une telle politique.

Je crois aux compromis, mais je crois aux compromis quand ils respectent l'essentiel, la vérité des hommes et des choses, la hiérarchie des ordres et des urgences. Je crois aux compromis qui ne se construisent pas sur l'ambiguïté. Requérir le soutien du pays lorsqu'il faut agir, c'est pour moi l'article premier du contrat démocratique. Dans des domaines aussi sensibles, je n'ai jamais cru à l'épreuve de force. Je crois à la conviction partagée. Et je crois qu'il convient de vérifier cet accord de fond auprès des Français ou de leurs représentants chaque fois que nécessaire. Ma conviction, c'est qu'au fond, au point où nous en sommes arrivés, il ne reste que deux chemins. Il y a un chemin sur lequel, sur toute la planète, le monde bascule, le chemin qui considère que la destinée des peuples, c'est d'obéir, et que pour que s'instaure cette logique autoritaire contre le droit des peuples, le droit de l'homme et du citoyen, tous les coups sont permis, que la faim justifie les moyens, notamment l'utilisation de tous les conflits, de toutes les mésententes, de toutes les calomnies qu'il convient de faire flamber.

Et vous voyez sans peine de l'Est lointain, et même de l'Extrême-Orient lointain, à cet Ouest qu'on croyait proche, l'Ouest américain, combien cette conception de la politique au bulldozer, la loi du plus fort, le rapport de force brutale, paraissent imposer. Sous les applaudissements des uns et le découragement des autres. Et nous, nous sommes là pour ranimer l'autre projet, le projet même de la démocratie qui considère plus juste, plus intéressant, plus fructueux de respecter le citoyen même minoritaire et de le considérer comme partenaire et co-responsable de son propre destin. Cette démarche, cette méthode, fait de la vérité partagée avec les Français son arme suprême. Cette démarche, cette méthode, elles conduisent à l'unité du pays et elles écartent la malédiction de la division perpétuelle.

Quelqu'un que j'aime beaucoup, le philosophe et militant Marc SANGNIER, qui siégea dans votre Assemblée deux fois, après la Première Guerre mondiale et après la deuxième, a défini ce projet de la démocratie. La démocratie est l'organisation sociale qui porte à son plus haut la conscience et la responsabilité du citoyen. La conscience, c'est-à-dire la plus juste et la plus lucide compréhension des choses et des événements, et la responsabilité, c'est-à-dire l'engagement. Nous, citoyens, nous ne sommes pas là pour être condamnés soit à obéir, soit à la révolte. Nous sommes là pour prendre notre part du destin, les yeux ouverts et la vérité comme boussole. Nous sommes, nous le savons tous, un peuple qui s'interroge, non pas seulement sur son avenir, sur l'avenir du monde et de la planète, mais sur le chemin que l'on peut emprunter pour construire cet avenir.

Ce que dit, Mesdames et Messieurs les députés, ce que dit le moment que nous vivons, c'est qu'il y a un chemin, et c'est le seul pour la France, celui de la vérité partagée et du courage qu'on choisit ensemble.

Je vous remercie.

[Applaudissements]


Source https://www.info.gouv.fr, le 9 septembre 2025